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La littérature japonaise est tellement riche en style et en personnalités, alors que lire, par quoi commencer ?

Si vous avez « peur » de vous lancer dans l’aventure sans GPS, je vous conseille vivement ce dictionnaire (attention dernière mise à jour en 1995 !).

Un siècle de romans japonais  de Georges Gottlieb

Sinon, pêchez un livre au hasard sur le site de Piquier, en fonction du titre, de l’histoire ou de la couverture du livre…

Évidemment, le choix est difficile, néanmoins, je tiens à partager deux des œuvres majeures écrites par des femmes, Murashki Shikibu et Sei Shonagon, à l’époque Heian (794-1192), l’âge d’Or de la culture japonaise caractérisée par une grande vitalité créatrice dans tous les domaines artistiques.

Le dit du Genji illustré par la peinture traditionnelle japonaise (3 tomes sous coffret ; préface Midori Sano ; introduction Estelle Leggeri-Bauer) _Murasaki Shikibu _ Traduction RENE SIEFFERT  – Langue d’origine : JAPONAIS _ Diane De Selliers La Petite Collection

Qui était Murasaki Shikibu ?

Elle portait aussi le nom de Tô no Shikibu ( = prononciation chinoise de fuji (glycine) par référence à la famille Fugiwara, et le titre de shikibu renvoie au lien parental du ministre du département des rites et cérémonies, Shikibu-shô).

Elle a été dame de compagnie de l’impératrice Fujiwara no Akiko (988-1074) et a écrit le premier roman psychologique de la littérature mondiale Genji-monogatari Le Dit de Genji qui relate les aventures galantes du prince Genji le « Radieux » et de son fils Kaoru. Le nom de Murasaki lui vient de celui de l’héroïne aimée par le prince Genji.

Écrit en hiragana, dans un langue pure, ce long roman de 54 chapitres expose les concepts de mono no aware (fragilité des choses). L’action se déroule dans l’atmosphère raffinée de la cour impériale Heyan-kyo Capitale de la Paix (actuelle Kyoto) et couvre trois quarts de siècles.

Aux plus courageux, je conseille de lire ce chef-d’œuvre, édition de 2007 en coffret, sortie à l’occasion de la célébration de son millénaire. Une pure merveille car elle est illustrée de 520 peintures et 450 détails d’œuvres du XIIe au XVIIe siècle, extraits de rouleaux, albums, paravents, kakemonos et éventails d’une beauté et d’une finesse inégalables provenant des musées, monastères et collections privées du Japon, des Etats-Unis et d’Europe.

Vous pourrez admirer entre autres des pages choisies de Murasaki Shikibu Nikki Emaki, emakimono en plusieurs rouleaux illustrés par Fujiwara no Yoshitsune et calligraphiés par Fujiwraa no Nobuzane au XIIIème avec la technique tsukuri-e.

emaki-mono (emaki) : peintures illustrant des textes littéraires ou religieux exécutées sur de longues bandes de papier enroulées autour d’un bâton qu’on déroulait afin de le lire de droite à gauche (parfois plus de 20 m longueur et 25 à 52 cm hauteur ou largeur. Le rouleau illustré Caricatures d’animaux Choju Jim-butsu Giga « rouleaux des animaux et humains se divertissant » dessiné par le moine Toba Sôjo au XIIe siècle est l’une des œuvres maîtresses de l’art mondial qui a donné naissance au manga)
tsukuri-e : style Yamato-e caractérisé par des attitudes statiques des personnages et de couleurs brillantes).

Saviez-vous ?
Murashiki Shikibu est représentée au verso du billet de 2 000 Yens.

Je me souviens….

Je vous invite à lire des extraits de mon 1er voyage à Uji sur les traces de Murashiki Shikibu
Le Musée Genji 45-26 Uji-Higashiuchi, Uji City, Kyoto 611-0021

et un passage du 4ème voyage lors ma visite au temple Kozan-ji à Kyoto où sont exposées les Caricatures d’animaux Choju Jim-butsu Giga « rouleaux des animaux et humains se divertissant » dessinées par le moine Toba Sôjo

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Après Murashiki Shikiu, il est impossible de ne pas citer Sei Shônagon, la deuxième grande référence de la littérature japonaise. Cette dernière appartenait à la cour de l’impératrice rivale et Murasaki a écrit des commentaires corrosifs la concernant dans son journal.
Tout les séparait ! Murasaki était vertueuse, renfermée, elle amassait les émotions pour les utiliser plus tard tandis que Sei exprimait ouvertement ses goûts, ses sentiments et ses colères et adorait les commérages et les marivaudages qui occupaient la plupart des autres dames de la cour.

Sei Shônagon _ Notes de chevet [Makura no soshi] _ Citadelles & Mazenod

Qui était Sei Shonagon ?

Kiyohara Akiko, née vers 965, dame de compagnie de l’impératrice Fujiwara no Sadako. Son livre Makura no Soshi Notes de chevet détaille la vie à la cour sous les Fujiwara : des portraits, des petits histoires, des récits… Il l’a rendu célèbre aussi par la naissance d’une nouvelle forme littéraire zuihitsu. Après la mort de l’impératrice, elle se serait faite moine bouddhiste.

zuihitsu : « au fil du pinceau » genre littéraire comprenant des essais divers, des pensées et des notes accumulées sans ordre apparent ou simplement par association d’idées.
soshi : intime

La poésie tient aussi une place majeure dans l’histoire de la littérature japonaise. Qui n’a pas été subjugué ou intrigué à la lecture du premier haïku ? Une poésie courte qui ravit, apaise, invite à la rêverie, donne un impulse créatif que l’on soit artiste ou pas.

HAIKU (HAIKAI) : ce genre de brèves compositions sont nées sous la forme de haïkaï no renia « poèmes enchaînés » lors des traditionnels concours de poésie où, à un verset d’un poète, répondait un verset d’un autre sur le même ton avec de nouveaux détails.

Habituellement, le premier vers de la composition présente une image générale, universelle, éternelle, tandis que le deuxième vers ressortit nettement au particulier, au personnel, à l’éphémère.  Le Japon de Rossella Menegazzo, éditeur Guide des arts

Il y a tant de grand poètes, mais celui qui a donné les titres de noblesse au haïku est Matsuo Bashô (1644-1694). Né dans une famille de samouraï de rang inférieur dans la province d’Iga, à 20 ans il devient forcement samouraï au service de Todo Yoshitada.

Bashô a étudié l’école de haïkaï Teimon, fondée par Matsunage Teitoku, caractérisé par un style élégant et humoristique fait d’allusions à la littérature classique de cour et de jeux de mots. Par la suite, il fonde son école Shomon. Ses haïku évoquent la nature et renient l’immuable et l’éphémère : l’essence de la poésie japonaise.

Je vous conseille :
L’intégrale des haïkus (Français) édition bilingue Gallimard

haïkaï (haïku) : « Plaisanterie amusante », type de poème court en 17 syllabes (3 vers de 5-7-5 syllabes).

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Il y a aussi le WAKA « poésie japonaise », un terme qui s’applique à toutes les formes de poésie classique et particulièrement aux poèmes dus aux aristocrates du VIII aou XXe siècle. La partie supérieur de ce type de poème a donné naissance au haïku. Les waka associent des images, des sons, des idées destinées soit à éveiller un souvenir soit à donner un double sens aux mots.

Je vous conseille ardemment HYAKUNIN ISSHU « poèmes simples par cent poètes », anthologie poétique assemblée par Fujiwara Teika, un célèbre poète, et par la suite par son fils Fujiwara no Tameie entre 1229 et 1241 allant de Tenji Tenno à Juntoku Tenno.

Teika, décida de choisir un poème de chacun des meilleurs auteurs connus de ce temps et de les calligraphier sur des feuilles destinées à être collées sur des paravents dans sa maison sur le mont Ogura.

Le jour de l’An, les familles jouent à uta-garuta « cartes poétiques » avec championnat au niveau national dont les médias rendent compte, finale après finale.

En quoi consiste ce jeu ? Une personne lit la première partie du poème (style waka) et une autre doit le compléter en choisissant la carte qui correspond à la seconde partie de celui-ci.

On peut les découvrir HYAKUNIN ISSHU sur ce site web Revue Tanka Francophone

ou la meilleure traduction en livre :
De cent poètes un poème (Français) Broché de René Sieffert (Auteur), Soryu Uesugi La « Collection Poètes du Japon »

 

Un autre livre à lire absolument avant de voyager au Japon, même s’il fait une comparaison primitive entre le Japon et l’occident c’est L’éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki.

La réédition du chef-d’œuvre de Tanizaki, Éloge de l’ombre, à savourer dans toute sa subtilité.
Une littérature teintée de mélancolie et de délicatesse. Une prose enivrante, qui voltige comme des pétales de cerisier. Un cocktail de belles endormies, de soupirs métaphysiques et de paysages immaculés. Un auteur hanté par la beauté féminine, par la blancheur des corps mais aussi par la noirceur des pulsions qui les habitent. L’immense Junichirô Tanizaki (1886-1965) a déjà eu droit à la Pléiade – où culmine Le Goût des orties, titre qui résume toute son œuvre – et il nous revient avec un chef-d’œuvre, écrit en 1933 : Éloge de l’ombre, sorte de condensé de la culture japonaise. Une culture qui, aux yeux de Tanizaki, n’est pas celle de la clarté – trop éblouissante, donc trompeuse –, mais celle de l’ombre, du crépuscule, des lampes qui s’éteignent, de la légèreté impalpable. Avec des codes secrets que l’on ne peut déchiffrer qu’à travers la danse d’un roseau sous le souffle du vent, le frémissement du thé dans la porcelaine, le tremblement du pinceau qui trace un idéogramme, la courbe énigmatique d’une paupière ou la silhouette fantomatique d’un acteur du théâtre nô.

Et Tanizaki rappelle que les Japonais ont poussé la subtilité jusqu’à s’entourer – dans leur architecture mais également dans leurs décors familiers – d’objets « mats » qui semblent absorber constamment la lumière. Le papier, par exemple. Et bien sûr les laques, que seule la pénombre est capable de mettre en valeur. « Un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, écrit Tanizaki, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte qu’il suscite des résonances inexprimables. » Et, à travers ce culte de l’ombre, la civilisation japonaise a pu atteindre des sommets de raffinement que l’on retrouve aussi bien dans le galbe d’une pierre de jade, dans le silence d’un temple, dans la concentration lapidaire d’un haïku, dans la sobriété des gestes de politesse ou des techniques culinaires, tout en ellipses. Il faut savourer ce petit essai qui est tout à la fois un art de vivre, une sémiologie du quotidien, une invitation à philosopher, une réflexion sur la conception japonaise de la beauté. Et un éloge de la sagesse, dans cet « empire des signes » qui fascinait Roland Barthes.

Lire, juillet 2011, par André Clave

 

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