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13/2021

SPLENDEUR ET VANITE DE L’AUTOMNE  I  MOMIJIGARI

°°°

L’automne est venu
sur l’oreiller
le vent me salue
Basho

Depuis toujours, le culte de la nature et de la simplicité a été portée au Japon aux plus exquis raffinements. La nature est unie aux Japonais par des liens profonds et subtils.

Masaharu Anesaki (187-1949), écrivait dans son livre L’art, la vie et la nature au Japon :

(Les Japonais) jouissent pleinement des saisons : les cerisiers en fleurs, pareils à des nuages, l’éclair cramoisi des érables, la brume du printemps, les ondées d’automne, le sourire de la mer, tout leur plaît, tout les inspire.

Quand le printemps revient
Les oiseaux muets retrouvent leurs chants
Les fleurs mortes renaissent ;
Mais dans la saison d’automne,
On cueille les feuilles écarlates, aimées tendrement,
Et avec bien des larmes, on laisse les feuilles vertes
Toutes au doux flanc de la colline…
recueil de poèmes Manyo-shu

© Sakai Hoitsu (1761-1828) ou son atelier, Paire de paravents à six volets : Fleurs et plantes des quatre saisons, Musée Guimet

Sont successivement dépeintes sur un fond uni animé de traînées de poudre fine d’or : prunus en fleur, nanten, pivoines, œillets, glycines (paravent droit) ; suzuki, volubilis, chrysanthèmes, herbes d’automne, érable (paravent gauche), évoquant dans un enchevêtrement bouleversant parfois l’ordre des mois la fin de l’hiver, l’été puis l’automne.

ORIGINE DE MOMIJIGARI

Au printemps, on suit la montée du front des cerisier hanami tandis qu’on automne, on suit la descente du front des érables (momiji Acer Palmatum), un passe-temps appelé momijigari littéralement la chasse aux feuilles rouges.

© Byobu, paravent Automne à la rivière Tastusta à Yoshino Nezu Muséum

Les feuilles pourries du momiji
Qui tombent dans les lieux solitaires de la montagne
Loin de tous les regards
Sont comme un brocart
Enseveli par la nuit.
extrait recueil de poèmes Manyo-shu

Momijigari fut célébrée par la noblesse dès l’époque Heian (794-1185) et se répandit dans le peuple à l’époque d’Edo (1603-1868).

Comme les fleurs de cerisier au printemps, l’automne doré du Japon est l’expression d’un sentiment de vie et d’un état de l’être qui, bien au-delà de toute symbolique saisonnière constituent presque une expérience spirituelle. Ryokan, édition Könemann

Les érables incandescents règnent sur la nature et marquent la fin de l’automne.

Déjà proche la fin de l’automne –
La forme de la lune
dans des gouttes de pluie
Basho

L’automne où tout le Japon se couvre littéralement d’un tapis pourpre de feuilles d’érable n’est pas d’une beauté moins somptueuse ni nostalgique ; mais la brièveté de la vie reste plus sensible jusqu’au sens douloureux du terme – dans l’épanouissement d’une beauté déjà condamnée à disparaître. Nelly  Delay, Le jeu de l’éternel et de l’éphémère

l’étique WABI-SABI
L’apothéose des couleurs annoncent le dernier instant des feuilles avant leur décomposition. Il en ressort des sentiments contradictoires : wabi (simplicité, dépouillement, austérité des formes) et sabi (marques du temps, déclin, dépérissement renoncement), des notions à la fois esthétiques et morales.

Au fond des montagnes,
Foulant les feuilles rougies
Brame le cerf.
Quand j’entends sa voix
Que l’automne est triste !
Sarumaru Tayu – Hyakunin isshyu N°5

LES ARTS

La célébration des feuillages rouges d’automne kōyō influence la culture et ses arts : la littérature, la poésie, le théâtre et Kabuki, l’art du textile, les peintures, l’architecture traditionnelle, l’art du jardin, l’art de la table et la céramique, la cuisine japonaise… Le végétal domine leur esthétique !

° Le théâtre Nô

Momijigari a inspiré le titre d’une pièce de théâtre de Nô :

Le guerrier Koremochi est captivé par le chant d’une femme et s’endort. Dans son rêve, un ami lui apprit lui dit quel chanteuse est en réalité une démonte, et lui donne un sabre. Lorsqu’il se réveille, il tue la chanteuse. Le Japon, Dictionnaire et civilisation de Louis Frédéric[/su_quote]

° L’art du textile

Le tissage des tissus et de la broderie célèbre la nature. Les plus belles soies tissées ont été réservées aux hommes jusqu’au XVIIème siècle. Les peintres Hokusai, Toyokuni et autres, ont fourni les thèmes à l’art des tissus entre autres pour le kosode prédécesseur du kimono (kiru et mono « chose que l’on porte sur soi ») destinés au théâtre, des véritables peintures sur étoffe.

° L’art des estampes Ukiyo-e image du monde flottant

Il y a un lien indéfectible et une influence réciproque entre la peinture et le textile.

© Mizuno Toshikata, Momijigari
Si le décor de kimono a puisé à la source de l’art japonais, l’art japonais s’est exprimé abondamment et d’une façon très originale dans la représentation du kimono, donnant naissance à un véritable phénomène culturel, l‘ukiyo-e.[…] Moronobu (1618-1694) eut l’idée de reproduire, par le biais de l’estampe, les croquis qu’il avait pris sut le vif au quartier de Yoshiwara (quartier des geisha et des acteurs kabuki) ; Moroshige, Harunobo, Hokusai, Utamaro et bien sûr Hiroshige lui succédèrent dans cet art. Kimono d’art et de désir par Aude Feschi

° L’architecture traditionnelle

La végétation automnale vêtue de rouge vif et cuivré, jaune dorée et orange se mêlent aux couleurs gris, blancs et noirs des temples et des maisons en bois, dégageant une subtile lumière.

L’architecte Allemand Bruno Taut est arrivé au Japon en 1933 et séjourné trois ans dans une maisonnette au temple Shorinzan Daruma-ji à Takasaki-shi, Gunma

Le plaisir procuré par les beautés de la nature a bien plus de charme dans les vallées platées par d’érables qu’au printemps, à l’époque de la fleur de cerisiers.[…] Tout au-dessus de l’antique grotte abritant le Bouddha guérisseur, quelques vieux érables offraient maintenant le spectacle somptueux de leur feuillage coloré. La fraîcheur de l’air nous poussait à nous rapprocher, comme au premier jour, du foyer aménagé dans le sol de la petite chambre. Lorsque l’après-midi, nous étions assis là, buvant du thé, le soleil donnait avec un tel éclat à travers le feuillage des érables que toute la pièce était baignée d’une loueur rouge. extrait de son livre La maison japonaise et ses habitants

Soir d’automne :
Vois s’élever les brumes de la vallée
Entre les feuillages flamboyants
Retenant encore l’humidité perlée
De la fraîcheur d’une averse soudaine
Dans le jour déclinant
Jakuren Hoshi

° L’art du Jardin

L’art des jardins utilisent les très grands arbres : pins, cèdres, cryptomérias : les arbres de hauteur moyenne : érables, cerisiers, pruniers et citronniers (cultivés pour les fleurs) ; certains arbustes, choisis pour la couleur de leurs feuilles ou de leurs fleurs, ahuries, azalées ; enfin des arbres nains dans des pots. Le Japon Illustré Larousse

L’esthétique japonaise : union de l’angle droit et de la forme naturelle

° L’art de la table et de la céramique

Les ouvrages en céramique tôgei, considérés comme le sommet de l’énergie créatrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.

Pour Rosanjin Kitaôji (1883-1959), l’inventeur de la gastronomie bishoku, chaque récipient relatif à la cérémonie du thé ou à la dégustation de mets délicats, est pensé dans sa forme, sa texture et son décor, au gré des principes esthétiques d’harmonie avec la nature environnante et entre les convives pour un partage simultané de la beauté et de l’élégante simplicité. exposition L’Art de Rosanjin Musée Guimet Lyon

Collection privée photo Sotaro Hirose © DR.jpg Col. privée S. Hirose ©

° L’art culinaire et Washoku, la cuisine japonaise au patrimoine culturel de l’humanité

L’érable se décline sur tous les plans dont culinaire offrant un enrobage délicieux en particulier aux gâteaux et autres douceurs telle que le mochi ou les manju.

Le washoku cuisine japonaise inscrit à l’UNESCO depuis fin 2013, est un moyen d’expression de l’esprit japonais de respect envers la nature et une coutume traditionnelle qui transcende les générations. Le changement des saisons est marqué par les fruits et les légumes de saison, par des mets spéciaux…

Représentation de l’automne dans la gastronomie japonaise bishoku.

momiji no ha
nagarete tomaru
minato niwa
benifukaki namida ya
tatsuran
Kokin-shu,  293
lorsque les feuilles d’automne
cessant leur course s’amoncèlent
là, à l’embouchure du fleuve,
des vagues s’élèvent, rouge sombre
pareilles à des larmes
Kokin-shu,  293