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7/2021

LE CULTE DES SAISONS I SHIKI

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Chaque année, le 4 mai, le Japon fête MIDORI NO HI le jour vert où l’on communique avec la nature et on la remercie… tout en oubliant ses violences.

L’âme japonaise vénère également les saisons shiki, respectivement associées au bois, au feu, au métal et à l’eau (les 18 derniers jours de chacune doyo sont associés à la terre). Elles se distinguent au niveau du climat et des catastrophes naturelles, de la flore, mais aussi des évènements sociaux, des coutumes, de la gastronomie, etc…

LA FLORE

Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver possèdent chacun leurs représentants : depuis les pins à feuillages persistants, les pruniers et les cerisiers en fleurs, jusqu’aux graminées estivales, aux fleurs des champs, aux bambous, aux chrysanthèmes et aux feuillages nus d’automne, voire aux blancheurs de la neige, en passant par les azalées et les iris. Ryokan, Editions Könemann

Les Japonais communient avec le végétal qui d’ailleurs règne dans la vie quotidienne et dans toutes les formes d’art.

Selon la croyance shinto, la nature a une âme et les arbres sont habités pas les kami, esprits de la nature déifiés. Chaque mois de l’année possède sa fleur ou son arbre favori, les saisons de floraison variant selon la région (calendrier des floraisons).

Kono matsu no mibae
seshi yo ya
kami no aki
Oh ! Ce pin aurait poussé
à l’âge des dieux…
Automne des kami !

L’amour des fleurs se retrouve dans l’art du bouquet ikebana, codifié depuis le XVIe siècle : proscrire la symétrie, mettre les fleurs dans leurs position naturelle, connaître les symboles (pin matsu longue vie, bambou take prospérité, fleur de prunier ume no hana sagesse…), tenir compte de la forme du vase…

Puis, on a établit un répertoire national du Beau comprenant des sites meisho nés d’une émotion littéraire, d’un épisode historique ou légendaire dont la célébration est essentiellement collective.

 

FÊTES ET RITES SAISONNIERS

Dénommées savamment nenchugyoji rites saisonniers, mais aussi matsuri fêtes ou encore monbi jour où l’on revêt le vêtement aux armoiries familiales, les célébrations annuelles de tokiori les pliures du temps, où le monde profane se revivifie au contact du sacré garde la clarté d’un ciel sans nuages. Ce monde échappe ainsi aux processus de dégradation des choses dans le temps auquel il serait sinon voué. Les dates festives sont fixées en fonction des multiples calendriers qui coexistent au Japon (le calendrier solaire, luni-solaire, grégorien, bouddhiste…) Dictionnaire de la civilisation japonaise édition Hazan

 

LITTÉRATURE ET POÉSIE

Dès l’époque Heian (794-1185) les écrivains portaient une attention extrême à la nature dans son instantanéité.
La sensibilité aux variations les plus subtiles de la nature était un attribut des « gens biens ». Faute de posséder cette sensibilité, il était impossible de pénétrer la « qualité émotive des choses », considérée comme la base de toute lucidité esthétique ou même morale. Yvan Morris La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji

Murasaki Shikibu dans Genji monogatari Le Dit du Genji était obnubilée pas les transformations annuelles de la nature et les effets qu’elle pouvait avoir sur les hommes.  Une multitude de phénomènes naturels sont devenus métaphores des émotions humaines.

© Domaine public

Au printemps c’est l’ordre que je préfère. La cime des monts devient peu à peu distincte et s’éclaire faiblement. Des nuages violacés s’allongent en minces traînées. Sei Shônagon, Makura no soshi Notes de chevet

Kokin wakashu, le premier recueils de poèmes waka créé à l’époque Heian et les haïku (poèmes court de 5, 7 et 5 syllabes) célèbrent la nature en utilisant des mots de saisons kigo. On a recensé plus de 5 000 kigo dans les recueils de thèmes saisonniers sajiki qu’emploient les auteurs. Il y a tant de grands poètes, mais celui qui a donné les titres de noblesse au haïku est le moine Matsuo Bashô (1644-1694).

Dans le haïku japonais, le code veut qu’il y ait toujours le mot-saison. Du haïku, la notation amoureuse garde le kigo, cette mince allusion à la pluie, au soir, à la lumière, à tout ce qui baigne, diffuse. Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux

– Comment atteindre le zen ?
– Écoutez le bruit des gouttes de pluie qui tombent.
Les Japonais semblent s’être abstenus de toute spéculation métaphysique sur le rapport homme-nature pour privilégier l’expérience plus que l’abstraction : leur langue est d’ailleurs plus riche à rendre l’émotion que le constat.
Philippe Pons, Japon

ART

Les nuances et les motifs de chaque saison se retrouvent sur la vaisselle, les rouleaux peints, les détails architecturaux et les tissus, ainsi que les menus. On y inclut également des teintes liées à la saison, le bleu lumineux du ciel, le gris foncé d’un temps de pluie, le gris pâle du brouillard ou le blanc glacé d’un jour d’hiver. Ryokan, éditions Könemann

L’art japonais s’est tourné vers la nature. Il a appris à ressentir les méthodes, les modifications les plus subtiles de la nature au fil des saisons et à les exprimer. La beauté de l’objet demeure obscure à l’entendement  qui cherche à l’analyser. Le beau se révèle dans le sentiment qui allie cœur et chose. Kaii Higashiyama, peintre (1908-1999)

L’expression kachofugetsu (fleurs, oiseaux, vent, lune) qui fait référence à la beauté de la nature du Japon, est le signe d’un esprit raffiné amoureux de celle-ci.

La peinture shiki-e sur paravent, de style yamato-e de l’époque Heian, et le tsukinami-e qui représente les 12 mois de l’année par des événements et des paysages, sont devenus des thèmes prédominants.

Kinbyo no matsu no
furusa yo
fuyu-gomori
Sur le paravent doré
le pin millénaire –
Solitude hivernale de ce maître

Dès l’époque Heian (794-1185), le paysage avait envahi la peinture religieuse. Par la suite, et jusqu’à l’ère Edo (1603-1868), la nature dominât avec ses formes et ses modèles indépendamment des thèmes religieux.

Suzushisa o e ni
utsushi keri
Saga no take
La fraîcheur
reflétée dans la peinture
de bambous de Saga

Les peintres les plus connus en Occident sont Sesshu (1420-1506) prêtre-zen et grand maître du lavis monochrome pour ses peintures de paysages, de fleurs et d’oiseaux, Hiroshige (1797-1858) pour 53 stations du Tokaido et les Vues d’Edo. Hokusai (1760-1849) pour ses grades cascades et vues du mont Fuji…

L’expression des saisons dans la peinture yamato-e a aussi influencé l’artisanat : laque maki-e, céramique tôgei...

shiki-e : peinture de saison
yamato-e : A l’époque Heian, les peintures de saisons sont l’une des catégories principales de la peinture de style japonais, Elles sont représentées sur paravent ou sur paroi coulissante. Succède au Karae (ce terme désigne la peinture de style chinois, par opposition à la peinture de style japonais yamato-e. Cette dernière supplante le karae à partir du milieu de l’époque de Heian) source www.dictionnaire-japonais.com
tsukinami-e : littéralement, «images de mois en séquence», illustre les activités et festivals typiques qui ont lieu tout au long de l’année.
maki-e  : littéralement: « peinture parsemée », ou « image saupoudrée », est une forme de l’art du laque pratiqué au Japon. La surface laquée est parsemée de poudre d’or ou d’argent, à l’aide d’un makizutsu ou d’un pinceau kebo. La technique a été développée principalement à l’époque de Heian (794–1185) et s’est épanouie à l’époque d’Edo (1603–1868). Les objets maki-e ont été initialement conçus comme articles d’intérieur pour les nobles de la cour. Ils gagnèrent rapidement en popularité et furent adoptés par les familles royales et les chefs militaires comme un symbole du pouvoir.

VIE QUOTIDIENNE

La relation et l’harmonie avec la nature est l’une des caractéristique de la vie quotidienne et de l’esthétique traditionnelle du Japon.

  • Architecture et paysagisme

Les Japonais font le maximum pour amener la nature dans leurs maisons et dans les villes grâce aux plantes en pot hachiue, jardins, temples et sanctuaires.…

L’adoration de la nature qui caractérise les croyances animistes du shintô, l’anticonsumérisme et le parfum rustique du bouddhisme ascétique, jusqu’aux austères valeurs rurales du néo-confucianisme, ont contribué à la diffusion de valeurs sans rapport avec celles de l’urbanisme. Alan Mcfarlane, Enigmatique Japon

  • Vêtement

Durant la période Heian (794-1185) on pratiquait le koromogae changement de vêtements en fonction de la saison. Une femme devait savoir choisir les vêtements et en composer les couleurs. L’habillement consistait en l’art de la superposition juni-hitoe : un lourd vêtement de dessus et une douzaine de jupons de soie de différentes couleurs destinés à produire un ensemble original et séduisant…pesant environ 20 kg.

Encore aujourd’hui, les kimonos comportent des motifs représentant les fleurs de saison et leurs couleurs (couleur cerisier sakura iro, couleur pêche momo iro, couleur corête (jaune d’or) yamabuki iro, couleur raisin budô iro…).

  • Saisons et marketing

Pour attirer les visiteurs, des temples et sanctuaires se sont spécialisés dans la floraison hanadera ou hana no tera ou autres phénomène naturels.

Les marchands, de leur côté, accompagnent les gens dans l’attente exaltée d’une saison en commercialisant  des produits qui font allusion à celle-ci : emballage, arômes,  formes, noms…

momiji gâteau en forme de feuille d’érable

  • Art de la table

Les ouvrages en céramique tôgei, considérés comme le sommet de l’énergie créatrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.

Pour Rosanjin Kitaôji (1883-1959), l’inventeur de la gastronomie bishoku, chaque récipient relatif à la cérémonie du thé ou à la dégustation de mets délicats, est pensé dans sa forme, sa texture et son décor, au gré des principes esthétiques d’harmonie avec la nature environnante et entre les convives pour un partage simultané de la beauté et de l’élégante simplicité. exposition L’Art de Rosanjin Musée Guimet Lyon

Bol aux motifs de fleurs de cerisier et feuilles rouges d’érable. The National Museum of Modern Art, Tokyo. © Yoneda Tasaburo

  • Washoku, la cuisine japonaise au patrimoine culturel de l’humanité

Le washoku, inscrit à l’UNESCO depuis fin 2013, est un moyen d’expression de l’esprit japonais de respect envers la nature et une coutume traditionnelle qui transcende les générations.
Le changement des saisons est marqué par les fruits et les légumes de saison, par des mets spéciaux…
Je dédierai des articles à part au washoku et à la gastronomie japonaise bishoku.