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KOYASAN

Du vendredi 30 mars au dimanche 1er avril 2012
J’ai décollé au matin du 29 mars 2012 ivre d’enthousiasme pour revenir le 9 avril enivrée avec des amples provisions de sensations, d’images, d’anecdotes que je m’empresse à mettre par écrit avant que le temps détériore ma mémoire.
 

J’ai atterri à Kansaï à 9h du matin, un aéroport d’exception vu du ciel, bâti sur la mer par l’audacieux Renzo Piano. Ma valise a subi une fouille complète et minutieuse. Je représentais un cas complexe pour des insulaires : origine Roumaine, nationalité Française, résidente Belge.

 

Après avoir changé trois fois de train, je suis arrivée à la gare de Koyasan vers 14h. De là, j’ai pris le téléphérique pour me rendre dans le village qui se situe à plus de 1000 m altitude. La beauté du site sous le soleil a soudain dissipé ma fatigue !
 
Vers Koyasan, vue du train
Téléphérique

 

Le mont Koya est la deuxième montagne sacrée après le mont Fuji. Ici, des moines de la secte bouddhiste Shingon (« Vraie Parole »), fondée par KÛKAI (Kôbo Daishi), vivent dans des temples entourés de forêts de cèdres, de cyprès et de pins. Cette forme de bouddhisme japonais est la plus proche du lamaïsme tibétain. La campagne est belle, soignée, empreinte de noblesse et de poésie.
 

 

 

J’ai choisi ce lieu car KÛKAI (774-835) est le père de la culture classique japonaise. Il a été architecte, peintre, sculpteur et calligraphie éminent. Il a inventé le système syllabaire des Kanas, et a compilé le plus ancien dictionnaire du Japon Tenrai Banshô Myôgi
 
Il a été adopté comme le « maître à penser » de toute l’aristocratie de Kyoto dès son retour au Japon après plusieurs années passées auprès du maître Hui Guo en Chine. C’est en 819, qu’il a construit son plus grand temple sur le mont Kôya (à 90 km de Kyôto), à l’abri des fastes de la cour. Et c’est ici qu’il a composé une cinquantaine d’ouvrages religieux sur les dogmes de sa secte Shingon. Il a créé également un pèlerinage de 88 temples dans l’île de Shikoku que ses disciples accomplissent encore aujourd’hui.
 
Pour mon séjour de 2 jours, j’ai choisi le temple Ekoin. L’atmosphère est intime, recueillie, d’un raffinement exquis.

 

 

 

 

Avant de rentrer dans ce shukubo, j’ai dû enlever mes chaussures et enfiler une paire de babouches. Le monde de l’extérieur et celui de l’intérieur sont rigoureusement séparés, et porter ses chaussures d’extérieur dans la maison est un manquement grave à l’étiquette. La maison est la frontière entre le pur et l’impure. Aussi, pour aller aux toilettes, une autre paire de babouches vous attend pour y rentrer ! L’intérieur est tenu avec un ordre et une propreté intransigeante.

Tout en traversant les couloirs du temple devancée par un moine, j’ai été conquise par l’architecture, le décor traditionnel (tatamis, paravents, portes coulissantes peintes, fenêtres en papier de riz), les jardins… Ce que j’ai toujours rêvé de voir !

 

 

 

 

 

 

Je suis arrivée à ma chambre émerveillée et abasourdie par tant de beauté. Une 1ère porte coulissante donnait sur une mini-entrée où je me devais de contempler la peinture et une statuette (okimono) qui se trouvaient sur la gauche. Ici, on abandonne ses babouches tout en plaçant leurs bouts dirigés vers la sortie et ce avant d’ouvrir la 2ème porte coulissante. Cette dernière était peinte en or et représentait des Koï (carpes sacrées, symboles d’amour et de virilité). 

La chambre aux tatamis (1 natte = 1,86 m/0,93 m) comportait juste une table centrale entourée de quatre coussins zabuton et couverte d’une sorte de couette sous laquelle on glisse ses jambes pour les réchauffer. Puis, d’une petite alcôve tokonoma au plancher surélevé en tatami où étaient exposés une calligraphie et un vase à ikebana. Bien évidemment, la chambre s’ouvrait sur une petite terrasse qui donnait sur un jardin où une autre paire de chaussures en bois geta m’attentait pour les promenades. En ouvrant les cloisons de papier et les portes coulissantes, l’intérieur et le jardin deviennent un seul espace continu. Le jardin est le prolongement de l’intérieur de la maison.

« Toute la maison, est fondée sur des multiples ou sous-multiples de l’unité fondamentale (le tatami) ; c’est sur elle que sont calculées la hauteur et la largeur des fusama (portes à glissière), la hauteur du plafond, le diamètre des colonnes, la largeur des vérandas, etc. Quatre siècles au moins avant que le Corbusier inventât son modulor, l’espace vital minimum, ces poètes des choses simples étaient, à l’autre extrémité du monde, parvenus aux mêmes conclusions… » F.M.

 

A peine installée, on m’a servi un délicieux thé vert accompagné d’une mini friandise à la pâte de haricots rouges azuki. Puis, on m’a apporté un pinceau à calligraphie pour recopier la portrait de Bouddha, discipline que l’on appelle shabutsu. Elle exige de la concentration et un travail sur la respiration pour y aboutir de la manière la plus parfaite possible. Faute d’être capable de recopier des sutras, ce véritable art étant réservé à ceux qui maîtrisent la calligraphie japonaise ou chinoise !

Malgré que mes journées aient été rythmées par la vie du temple, j’ai eule temps d’admirer, de m’étonner, de respirer un air chargé de parfums inconnus, de méditer…

                                                     
6h30 – 7h30 – cérémonies durant 1h, dont celle du feu

Les moines lisaient en chœur les écritures sacrées en une envoutante mélopée de baryton rehaussée par le battement sourd et saccadé du tambour et du timbre clair d’une cloche, tous enveloppés par le parfum de l’encens qui brûle en continu.

 

7h30 petit déjeuner végétarien shôjin-ryôri composé de multiples petits plat : riz, nouilles au sarrasins (ou au thé vert) aux champignons, légumes, tofu, légumes de saison (haricots, aubergines, carottes), pickles (radis blanc,…), un fruit (orange, fraises). Tout un art, à contempler avant de savourer !

 

 

 16h30 initiation à la méditation ajikan


17h30 dîner (plus copieux que le petit-déjeuner)

 

 

18h30 on vous apporte le futon et le nécessaire : un oreiller remplit de haricots, 2 kimonos (1 d’hiver et 1 en coton léger yukata), serviettes et brosse à dent

Le bain à la japonaise se prenait entre 16h-22h. Au Japon, l’impureté physique est tenue pour égale à l’impureté morale. La pureté possède une dimension à la fois physique et éthique, il existe un lien indirect entre environnement propre et pensées et émotions propres. Ce sont non seulement les vêtements qui sont laissés au vestiaire, mais également les soucis du quotidien. Seulement une fois lavé et rincé que l’on se plonge jusqu’au cou dans un bain brulant 42°C.  On sort du bain rafraîchi, détendu, régénéré, en paix avec soi et avec le monde. Un soir j’ai pris mon bain en compagnie d’une chinoise et une japonaise. Nudité oblige, j’ai dû me débarrasser de la pudibonderie occidentale !
 
Pour me chauffer, je ne disposais pas de 12 kimonos à superposer comme à l’époque Heian (794-1185), mais d’un chauffage au gaz à commande électrique. Je ne l’allumais jamais la nuit car l’odeur m’indisposait, par conséquent le froid me réveillait régulièrement. Le 1er matin, je me suis rendormie après le glas du réveil. Mais fort heureusement, à 6h25 précises, un moine est venu me réveiller d’une voix forte et torrentielle ! La 2ème nuit il a fait 4 °C. Le matin, en allant vers le temple pour la cérémonie et bien en avance…, quelques minuscules flocons de neige m’ont vite « éveillée ». 
 
C’est en logeant dans une maison traditionnelle que j’ai enfin compris pourquoi on affirme que  dans le temps les Japonais vivaient avec la nature : peu de chauffage et aucune isolation, tout est en bois, paille et en papier de riz.  La nature et l’homme font partie d’un tout ! La nature stimule tous les sens : olfactifs (odeurs de la terre, de la végétation), visuels (jardins et paysages environnants), l’ouïe (oiseaux, la pluie, bruit du vent dans les arbres)… J’ai été totalement immergée dans les émotions suscitée par la simplicité, la pureté, l’élégance et l’ascétisme de la maison japonaise. 
 Durant mon « temps libre », j’ai visité plusieurs temples dont le Mausolée de Kûkai et son cimetière Okunoin. Une immense nécropole étendue sur la montagne où près de 200 000 pierres tombales de samouraïs, de nobles et de gens simples sont protégées par une haute et majestueuse forêt de pins et cèdres centenaires. Sur le chemin qui mène au Mausolée, on est charmé par les plantes grimpantes, les buissons, les fleurs et les mousses végétales qui envahissent les tombes. Jizo, la divinité qui protège les voyageurs et les enfants, tant vénérée par les shintoïstes et les bouddhistes, est omniprésente (vêtue en général de bonnets et de bavettes pour bébé).

Des nuées d’encens constants enveloppent ces lieux et leur parfum pénètre tous les sens. Dans la culture bouddhiste, elles traduisent l’éphémère et la fragilité de l’existence humaine tout comme les fleurs de cerisiers. A la fois, elles représentent les voies évanescentes qui élèvent l’homme vers la divinité. C’est pourquoi, l’encens est indissociable des rites funéraires. D’autre part, les bonzes Shingon enduisent leur bras et mains d’encens en poudre en signe de purification. 

Tout comme la cérémonie du thé, il existe celle de l’encens, le kôdo – un art qui consiste à apprécier les parfums d’encens fabriqués et brûlés selon des règles ancestrales. Aux époques Heian et Edo, l’encens était un passe-temps d’élégants dont le parfum devait s’harmoniser aux saisons. Il parfumait les soieries et les pavillons. Dans le prestigieux roman « Le Dit de Genji » de Murasaki Shikibu, on parle du Prince Parfumé dont la brise qui le portait au loin était perceptible au-delà de 100 pas… 
Même le papier à lettres et leur couleur, l’art extrême de la séduction en ces temps-là, étaient élégamment parfumé et méticuleusement choisis : papier parme pour le temps des glycine, rose perlé à la floraison des pruniers (en outre, l’épistolier nouait à sa lettre une branche ou une fleur de saison). L’étiquette amoureuse voulait que l’amant, peu après son départ matinal envoie à la dame de ses pensées une lettre et un poème pour confirmer ses sentiments et sa culture littéraire. Le code exigeait que la dame fasse écho avec un poème waka
La taille des bâtons d’encens différent suivant leur utilisation : 15 cm pour l’autel domestique, 30 cm pour les temples, 70 cm pour ceux voués exclusivement au zazen.
Aussi, dans le temps, un bâton d’encens piqué dans un vase rempli de cendres servait à mesurer le temps, une sorte d’horloge (1 bâton = entre 30mn-40mn). Pour anecdote, les courtisanes comptabilisaient le temps passé en compagnie et fixaient leur tarif au nombre d’encens brûlés !

 

 

 

 

 

 

 

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