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11/2021

LA MONTAGNE   I   YAMA no hi

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YAMA NO HI, « le jour de la montagne » est célébré depuis 2016, aux alentours du 11/08, afin que les Japonais « se familiarisent avec les montagnes ».

C’est le printemps
une montagne sans nom
dans la brume légère
Basho
Au milieu des montagnes
inutile de cueillir des chrysanthèmes
ils parfument la source chaude
Basho
Des montagnes au loin
le reflet sur la prunelle
d’une libellule
Issa
Descendant un sentier de montagne
l’ineffable grâce
des violettes
Basho

Où qu’on aille, une montagne n’est jamais loin car elle occupe +70 % du territoire. L’arc insulaire nippon se compose d’une part de l’espace habité sato, d’autre part de l’espace sauvage yama la montagne boisée et déserte et umi la mer.

Variant de formes et d’altitude, la montagne est partout. Des arbres, d’aspect familiers ou étrange, s’accrochant à ses pentes. Des pins clairsemés couronnent sa crête, autour d’un sommet dénudé. Mais, quand on le voit de très haut, le Japon moutonne. De temps à autres comme en repentir, des plaines (Tokyo, Nagoya, Sendai), le plus souvent alluviales, nées de ses fleuves qu’on ne peut pas ne pas appeler torrents ; ou bien encore un lac, tel le Biwa, de la taille de Léman. Le Japon Editions Odé

Nous allons voir comment ce trait saillant des îles, la montuosité, dont Fuji-san le sacré, a marqué la langue, les croyances et les arts.

YAMA Ethymologie

La montagne et la forêt sont complètement assimilées l’une à l’autre, ce que la langue reflète. […] Le dictionnaire nous indique que yama à l’origine signifie montagne avec les herbes et les arbres qui la couvrent ainsi que les kami qui y demeurent. Esprits divinisés locaux ou ancestraux, forces de la nature ou être surnaturels, les kami sont présents en tout lieu. La montage-forêt yama ou sanrin est perçue comme formée de deux parties complémentaires, okuyama (montagne-forte du fond), épaisse et inspirant le respect, voire une certaine crainte, et satoyama, la lisière éclaircie. Vocabulaire de la spatialité japonaise CNRS Editions

La montagne est inexorablement liée aux forêts qui couvrent 65% de la superficie, c’est-à-dire que le vert et ses camaïeux sont aussi une dominante du paysage. Vert sombre et bleuté des forêts profondes où voisinent sapins, cèdres pins et chryptomères ; vert tendre des bambous vaporeux qui confèrent une homogénéité aux compagnes et voisinent, au sud, avec les camphriers ou les camélias et, au nord, avec les érables et les chênes. Japon de Philippe Pons

MONT FUJI I FUJI SAn

Le mont Fuji a été Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco le 22 juin 2013 au titre de lieu sacré et source d’inspiration artistique. L’esprit du Japon est incarné dans sa forme conique parfaite, un chef-d’œuvre de la nature associé aux concepts de pureté, de grandeur, de force, d’éternité et de noblesse.

Pour l’étranger, mais pour le Japonais bien davantage encore, le Fuji c’est le Japon, est le Japon, le Fuji. Un simple détail du paysage s’impose à l’esprit, au point de ravaler au second plan tous les autres sites, et finit par se confondre, en l’absorbant, avec la contrée toute entière !

Fascinant
mont Fuji
invisible dans la bruine
Basho
Le mont Fuji
ennuagé à sa base,
un grand cèdre…
Basho
En souvenir d’Edo
le vent du mont Fuji
sur cet éventail
Basho
Lentement mais sûrement
escalade le mont Fuji
petit escargot !
Issa

Fuji-san est la montagne la plus haute 3 778 m du pays et circonférence +100 km qui s’étale sur les provinces Kaï, Suruga et Sagmai. Elle est née une nuit de juin en 286 av. J.-C. et sa dernière éruption date de décembre 1707, depuis lors on attend qu’elle se réveille….

L’ascension se fait en juillet et août, une fois le Fuji-san débarrassée de la neige. Les milliers de pèlerins agitent des clochettes en chantant : « Que nos sens soient purs et que le temps soit beau sur l’honorable montagne ».

Celui qui a la chance de voir le Mont Fuji « intégralement » retiendra un souvenir éternel du Japon qui écrasera tous les autres ! J’ai guetté des heures cet instant sur la plage de Hayama, lieu de résidence hivernale de la famille impériale, mais en vain ! Farouche, elle m’a laissée apercevoir que le bout de son cône lors de mon 4ème voyage

SHINTO et BOUDDHISME

La montagne tient une place essentielle sur le plan religieux et culturel.

Admirant le beau jardin du maître de l’ermitage de Shua :

les montagnes et le jardin
aussi
s’invitent
dans le salon d’été
Basho

L’architecture des temples shinto ou bouddhistes a une attitude de respect et de symbiose avec la nature shizen. En général, les temples shinto jinja se trouve en hauteur ou dans les profondeurs de la montagne yama no oku. Pour se rendre à okumiya le sanctuaire du fond, on emprunte un chemin long, sinueux et escarpé.

C’est qu’au Japon, le sacré réside en des lieux cachés et difficiles à atteindre. Ce qui est important, se cache aux regards, et pour y accéder maints détours sont nécessaires, contrairement à l’Europe dont les églises sont visibles et accessibles de partout. Chinju no mori ou miya no mori (le bois sacré) est l’attribut nécessaire du sanctuaire qui s’y dissimule. Coupez les arbres, que reste-t-il ? Au contraire, l’Europe moderne a dégagé les abords de ses cathédrales pour mieux les mettre en valeur. Vocabulaire de la spatialité japonaise CNRS Editions[/su_quote]

Le bouddhisme est arrivé au Japon au XIème siècle. A l’époque Heian (794-1185), les sectes ésotériques Tendai-shu et Shingon-shu ont également bâti leur temples o tera dans les montagnes pour pratiquer l’ascèse et l’étude. Sans oublier, Shugendo, une pratique religieuse dans laquelle la montagne tient une place primordiale.

Du fond de la manche
de l’ermite de la montagne
le chant d’une cigale
Issa

Fondé par En no Gyoja, la première personne à avoir gravit Fuji-san, Shugendo relie les anciens rites chamaniques au shinto et aux traditions ascétiques du bouddhisme. Son centre se trouve dans les mont Kii, autour de Yoshino. Comme son fondateur, les yamabushi, prêtre des montagnes, ont des talents de magiciens et d’exorcistes. Ses adeptes se ressourcent par des pratiques ascétiques en montagne qui apportent spiritualité et énergie. Le Shugendo a eu une influence considérable sur les arts du spectacle, la littérature, les beaux-arts et l’architecture (à lire mon article 5 et article 9).

PEINTURE

L’un des styles de paysage de la peinture classique est sansui (prononciation japonaise du terme chinois shānshuǐ « montagne et eau »). Le précurseur a été Sesshū Tōyō (1420-1506) célèbre pour ses peintures monochromes sur papier aux Lavis (technique d’encre et d’eau).

© Sesshu Toyo, 1495 Tokyo National Museum

À l’époque d’Edo, Utagawa Hiroshige (1797-1858) a redu hommage au Mont Fuji dans son chef d’œuvre : les Trente-six vues du mont Fuji Fugaku sanjû-rokkei (1830-1833).

© Utagawa Hiroshige, Le mont Fuji reflété dans le lac, à Misaka, dans la province de Kai (Kôshû Misaka no umizura suimen) BNF

Nuages de brume –
par intermittence
les cents vues du mont Fuji
Basho

De son côté, Katsushika Hokusai (1760-1849) a représenté le mont Fuji depuis plusieurs quartiers et monuments d’Edo, selon différents points de vue et moments de la journée. Entre 1834 et 1840, il a réalisé une seconde série comptant presque cent vues !

© Katsushika Hokusai, La passe de Mishima dans la province de Kai (Kôshû Mishima-goe) BNF
LITTÉRATURE

La montagne, et surtout le Fuji-san, est immortalisée dans d’innombrables écrits et poèmes. Je nomme ici Saigyō Hōshi et Kamo no Chômei.

Auteur le plus cité du recueil classique Shin-Kokinshu (1205), Saigyō Hōshi (1118-1190), guerrier de noble condition qui a fuit la société et devenu un moine errant, a définitivement intronisé dans la culture japonaise le thème de la « montagne profonde » shinrin, où de loin en loin l’on rencontre un « hameau solitaire » yamazato no sekiryo, etc. ) tout un trésor d’expressions qui vont établir, pour la postérité, un rapport immédiat entre la montagne, la solitude et certain sentiment de calme, teinté de mélancolie sabishi, le tout valorisé tant moralement qu’esthétiquement.

Dans un village de montagne
à la fin de l’automne,
c’est là qu’on apprend
ce que signifie la tristesse
dans le souffle du vent d’hiver.
Ne m’arrêtant pas pour marquer le sentier,
laissez-moi pousser encore plus profondément
dans la montagne!
Il y a peut-être un endroit
où les mauvaises nouvelles ne peuvent jamais m’atteindre !

extrait de Poèmes de ma hutte de montagne

De son côté,  Kamo no Chômei, fils d’un prêtre shintoiste, est connu pour son autobiographie, Notes de ma cabane de moine, rédigée en 1212, qui traite de l’universelle précarité de la vie humaine, de la découverte de la montagne et le salut par la nature.

Que faut-il donc faire pour « goûter un instant le contentement du cœur » ? Il vient à l’idée de Chômei de se construire un ermitage.[…] Chômei décrit l’existence qu’il y mène, fruste mais agrémentée par la contemplation des paysages, la poésie et la musique. Il possède encore quelques livres, et a emporté son biwa, une sorte de luth.[…] « J’assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n’y accroche pas mon espoir et n’éprouve pas non plus de regret. » source

En 1964, l’écrivain et alpiniste Kyûya Fukada (1903-1971) a établi la liste des 100 montagnes les plus célèbres du Japon Nihon Hyaku meizan, en fonction de l’altitude des différents sommets, « de la dignité de la montagne, du caractère historique, de l’individualité de la montagne » et de la beauté des paysages. Depuis, l’ascension de ces 100 sommets est devenu un défi pour les randonneurs japonais.

Azaleees en fleur
dans le village de montagne
blancheur du riz cuit
Buson
Contre le vent de la montagne
il lutte en marchant
le passereau
Issa