– Mon premier contact avec le Japon traditionnel –
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Dès mon premier voyage au Japon au printemps 2012, j’ai éprouvé un apaisement moral et sécuritaire comme nulle part ailleurs. Je me sentais du Japon ! Avoir la conviction de retrouver une contrée au lieu de la découvrir, ça restera un mystère… sauf pour mon amie Keiko, persuadée que dans une autre vie j’ai été japonaise. Pour une fois, j’ai envie de croire à la réincarnation prêchée par la religion bouddhiste.
Les deux premières nuits, j’ai dormi à Ekoin, un temple bouddhiste shukubo qui signifie littéralement « dormir chez les moines », dans le village Koyasan situé à environ 1000 m d’altitude sur le mont Koya, 2ème montagne sacrée après le mont Fuji. Ici, des moines de la secte bouddhiste Shingon « Vraie Parole », fondée par KÛKAI (Kôbo Daishi) au IXe, vivent dans des temples entourés de forêts de cèdres, de cyprès et de pins.
Tu me demandes pourquoi j’ai pénétré les montagnes profondes et froides
M’offrant aux vertiges des pics raides et des rochers grimaçants
Pour ne parvenir que douloureusement en difficiles escalades à l’endroit
Que hantent les dieux de la montagne et les esprits des bois.
…
Rester en la grande ville m’eût été dérisoire
Je dois partir, loin. Rester ici me serait impossible
Libère-moi, car un jour je serai maître du vide
Un enfant de Shingon ici ne demeurera.
Kukai, poème pour un aristocrate de Kyoto
Pourquoi Koyasan ? Lors d’une dédicace de Thierry Janssen, psychothérapeute et auteur belge, on a abordé mon voyage et il m’a convaincue d’y faire une halte. Effectivement, c’est un endroit idéal pour être en contact avec le Japon ancien, tout y est ! La nature d’une majesté renversante, les maisons traditionnelles fascinantes et les cultes ancestraux. Mes cinq sens étaient en alerte constante !
Ce fut un immense bonheur de vivre enfin l’expérience tant rêvée : dormir dans une chambre traditionnelle washitsu ! Elle est restée imprégnée dans ma mémoire.
Une première porte coulissante donne sur une petite entrée avec un placard pour les chaussures getabako. Puis, une deuxième porte fusuma (couverte côté intérieur d’un papier japonais peint représentant des Koï carpes sur fond doré) conduit à la chambre de 8 tatamis (1 tatami = 90 cm x 180 cm) constituée d’éléments traditionnels :
- kotatsu : petite table mobile chauffante, équipée d’un chauffage électrique et recouverte d’une couverture qui permet de réchauffer les jambes étant donné qu’il n’y a pas de chauffage.*
- tokonoma : alcôve de bois, on y trouve un rouleau kakejiku (peinture ou calligraphie), des fleurs ou un autre élément décoratif.
- oshiire : placard avec fusuma où on range la literie (futon, couette, oreiller remplit de riz)
- tembukuro : petit espace de rangement au dernier niveau du placard où on range les objets ou vêtements hors saison.
- shôji : cadres tendus de papier blanc japonais dotées de croisillons en bois, ici, un rideau de shôji devant la fenêtre et quatre portes coulissantes et amovibles qui séparent la chambre de l’engawa.
- engawa : la véranda, un plancher protégé par une avancée du toit, la frontière entre le dedans et le dehors
*Dans les très vieilles maisons il existe encore les irori (une trou carré ménagé au centre de la pièce, on place le feu pour chauffer et cuisiner, le hibachi (petit brasero en céramique). Horigotatsu est beaucoup plus rare même s’il a des racines occidentales. Il était une fois un professeur d’art britannique nommé Bernard Leach qui vivait au Japon et il adorait le kotatsu mais était trop grand pour vraiment l’utiliser confortablement. Il décida de creuser assez profondément pour qu’il soit possible de s’asseoir confortablement avec les jambes pendantes à l’intérieur en dessous. Au centre, il y a aussi un trou légèrement plus profond pour le radiateur électrique moderne. Ce concept a pris son envol et s’est largement répandu dans les restaurants japonais. De nombreux autochtones et étrangers aiment ce style car il n’est pas nécessaire de s’asseoir en seiza (position assise correcte) en public.
La lumière, adoucie par les shôji, et les teintes de la pièce (bois, blanc, ocre et couleur blé), reposent les yeux et, avec l’espace dépouillé, ils forment un havre de bien-être. Pourquoi posséder des choses inutiles et encombrantes ?
Les portes shôji donnent sur la terrasse fermée engawa avec baies vitrées qui une fois ouvertes, on accède à un sublime jardin. L’intérieur et l’extérieur se superposent par conséquent, le contact s’établit spontanément et complétement avec la nature. Une paire de geta attend avec impatience la promenade !
Les jardins japonais, par leurs rapports avec la religion, constituent un domaine complexe, ils ne peuvent pas être réduits à une simple historie des formes et des compositions.
Séjourner dans un shukubo m’a permit aussi de découvrir le quotidien des moines : assister aux rituels religieux (cérémonie du feu Gomataki et Otsutome) dès 6h30 du matin où l’on chante des sutras accompagnés de taiko tambour japonais, m’initier à la cuisine végétarienne shôjin ryôri(2 repas par jour à 7h30 et à 17h) et à la méditation Ajikan.
Une retraite de spiritualité inoubliable !