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4/2022

kimonO I une éternelle fascination

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© Vogue et Musée Guimet

Le kimono* fait partie des symboles nationaux du pays du Soleil-Levant . Il révèle le raffinement de la culture nippone et la quiddité de la féminité.

*kiru « se vêtir de » + mono « chose » = « chose que l’on porte sur soi »

Ce vêtement traditionnel japonais wafuku nous fascine esthétiquement tout en ignorant ses codes sociaux.

[…] certains aspects varièrent et marquèrent l’évolution du kimono et de son utilisation : la longueur des manches et leur ampleur signalent si la femme est mariée ou non ; la nature du tissus, soie, crêpes, coton, laine ou ramie (fibre végétale), ainsi que le nœud de l’obi donnent des indications sur la classe sociale ; les décorations, leur mode d’exécution et leurs dimensions permettent d’apprécier la qualité du kimono et de situer l’époque de la fabrication ; la façon de le porter renseigne sur la mode et les mœurs du temps : du faste des douze vêtements porté l’un par-dessus l’autre pendant la période Heian à l’élégance sobre et délicate du kimono de la période d’Edo, selon le goût dit iki. extrait Le Japon de Rossella Menegazzo, Hazan Guide des arts

Dans cette première partie, découvrons l’origine et l’évolution du kimono, les différents types et les tissus employés selon les protocoles, sans oublier les étapes de l’habillage dont l’intrication est laborieuse et architecturale.

Origine et évolution du kimono

De nos jours, le kimono se compose d’un seul sous-kimono blanc et le kimono lui-même retenu par une ceinture souple aux hanches, resserré à la taille par une large ceinture obi.

Haru sugite
natsu ki ni kerashi
shirotae no
koromo husu chô
Ama no Kaguyama

Il semble que le printemps
s’achève et que l’été soit là
sur le mont Ama-no-Kaguyama
dit-on, teintes en blanc sèchent
des robes

Impératrice Jitô (645-702), Hyakunin Isshû

 

L’ancêtre du kimono est le kosode  « manches étroites » de forme cylindrique. Originaire de la Chine des Tang, il a été adopté dès l’époque Nara (710 et 794) en tant qu’habit quotidien, puis comme sous-vêtement et enfin, comme robe de dessus au XVIème. Aujourd’hui, Il est porté par les femmes mariées, les manches longues nagasode étant réservées aux enfants et aux jeunes filles.

Urami wabi
hosanu sode da ni
aru mono wo
koi ni kuchinan
na koso oshi kere

Peines rentrées, aigreurs, pleurs
versés sur mes robes encore
pour un amour
dont avec horreur je contemple
le désastre avec la ruine de mon nom.

Sagami (998-1061), Hyakunin Isshû

A l’époque Heian (794-1185), l’âge d’or du Japon, le kimono a connu son apogée à la cour, chez les femmes de samouraïs et de marchands et chez les prostitués de luxe yujos. Lors des cérémonies, on portait douze tuniques non doublées en soieries juni hitoe superposées de manière à entrevoir le bord de chacune d’elles sur le col, sur les pans de devant et aux manches, fermées avec une simple cordelette.

oto ni kiku
Takashi no hama no
adanami wa
kakeji ya sode no
nure mo koso sure

Les vagues sonores et insidieuses
de la plage de Takashi ne
m’atteignent pas plus que
vos frivoles insistances
car je ne veux baigner
les manches de ma robe…

Dame Kii, Hyakunin Isshû

Durant Kamakura (1185–1333), le pays était dominé par les samouraïs et le bouddhisme Zen qui ont imposé la rigueur et la simplicité, le dépouillement…. Le luxe de Kyoto était synonyme de décadence ! Les femmes des guerriers ont commencé par porter que deux ou trois couches de kimonos retenus par une ceinture discrète en corde de chanvre au niveau des hanches.

Waga sode wa
shiohi ni mienu
oki no ishi no
hito koso shirane
kawaku ma mo nashi

La manche de ma robe n’a pour
se sécher pas plus de temps que
le rocher à l’horizon
englouti par la marée haute,
mais qui le sait ?

Dame Sanuki (1141-1217), Hyakunin Isshû

A partir de 1600, pendant la période de paix d’Edo (1600-1868), la forme du kimono n’évolua pratiquement pas, mais l’obi commença à s’élargir et à se nouer de diverses façons, reflétant la position sociale de la personne qui le portait, aussi bien que les courants de la mode. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot

© BNF
Les courtisanes de luxe yujos pour se différencier des autres classes sociales, nouaient leur obi par devant.

L’obi « ceinture » qu’on remarque dans les estampes, est fait d’un tissu souple et porté bas, mais à partir de 1800 il devient un objet élaboré, raide et lourd, aussi important que le kimono.

« La courtisane Nanao, ses suivantes Mineno et Takane, de la maison Ôgiya » (Ôgiya uchi Nanao Mineno Takane)
« Nouveaux motifs pour les jeunes pousses » (Hinagata wakana no hatsu môyô)
Isoda Koryûsai (1735-1788 ?), milieu des années 1770. Signé : « Koryûsai ga »

Quelques centimètres dans un sens ou dans un autre peuvent affecter considérablement l’allure générale de la toilette. Il existe un rapport symbolique entre la hauteur à laquelle une femme porte son obi et son degré de pudibonderie. Une mère de famille honnête attachera le sien juste sous les seins et les jeunes filles, censées être pures et innocentes, devront placer le leur le plus haut possible, si bien qu’on ne s’aperçoit même pas qu’elles ont une poitrine. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot

Les geisha portent depuis toujours leur obi bas et rejette en arrière la bande blanche de l’encolure pour rendre leur nuque visible.

C’était une mode iki* que de porter le col du kimono très en arrière, de façon à laisser la nuque découverte. Montrer la plantation des cheveux vise à séduire. Yuki Shuzô, extrait Le Japon de Rossella Menegazzo, Hazan Guide des arts

* Iki : sentiment propre à la bourgeoisie d’Edo qui se développa à partir du XIX siècle parmi les chônin, et qui faisaient appel à un sens esthétique nouveau, empreint de sensualité, ainsi qu’à un sens moral voulant que, bien qu’on jouît de fortune, on affectât de mépriser l’argent. Ce sentiment était quelque peu analogue au sui qui prévalait à Osaka dans la classe marchande au XVII siècle.

Grâce à l’enrichissement des classes moyennes durant Tokugawa, une dynastie de shoguns qui ont dirigé le Japon de 1603 à 1867, le kimono est devenu un effet de mode quant au choix des tissus, des couleurs, des dessins et des techniques ce qui a déplu au shogun.

En 1615, le gouvernement a imposé des lois pour réguler le costume en fonction des statuts sociaux.

Lois pour les maisons militaires : Il ne doit pas y avoir de confusion possible entre le prince et son vassal, entre le supérieur et l’inférieur. La loi spécifiait le type de vêtements qui convenait à chaque classe et stipulait que les différences de statut social devaient apparaître clairement dans la façon de s’habiller. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier

Par exemple, la soie et certaines couleurs et techniques de tissages étaient interdites aux marchands car réservées à la cour.

Les lois somptuaires édictées en ces temps-là pour toutes les provinces et chaque classe de la société, tout bien réfléchi aujourd’hui, étaient une excellente chose. Un marchand vêtu de soie fine n’est pas, en effet, beau à voir. Lui convient par contre une solide toile de pongé qui lui donne bon air. Le guerrier doit, lui, toujours être impeccable, aussi serait-il inconvenant que, fût-il le dernier des samurai sans valet, il fût habillé à la manière de tout le monde. extrait Ihara Saikaku, Le magasin perpétuel 1688

Dès l’ère Meiji, lorsque le pays s’est ouvert au monde en 1868 après 200 ans d’isolement sakoku, les étrangers ont découvert le kimono tandis que les Japonais ont adopté progressivement l’habit occidental yofuku.

« J’assiste à la fin de ce monde merveilleux, artistique, poétique, plein de douceur qui s’en va sombrer dans le sombre fatras de la civilisation occidentale. Aux robes de brocart brodées de fleurs de feu et de papillons couleur soleil, voir succéder ça : un Japonais en chapeau gibus, c’est à faire dresser les cheveux sur la tête du plus chauve des rapins… » écrit Félix Regamey à sa mère en septembre 1876. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier

Les parisiens ont rencontré les premières femmes japonaises en kimono lors de l’Exposition universelle de 1867.

Patron et taille du kimono

La forme et la taille de base d’un kimono est immuable. En général, la longueur du kimono doit doit avoir environ 20 cm de plus que la hauteur de celle (ou celui) qui le porte. Le tissus en excès est replié à la taille et maintenu à la bonne longueur par des ceintures de tissu de crépon et l’obi. Un kimono est généralement taillé en six pièces rectangulaires coupées dans un seul coupon de tissus d’environ 11 m sur 0,36 cm quelle que soit la taille de celui ou celle qui doit le porter : il est assemblé avec des coutures droites. On doit plier le kimono d’une certaine manière afin de lui conserver les plis naturels, et on le range dans des coffres spéciaux tansu.

TISSUS

La texture de l’étoffe et le type du motif servent tous deux à définir la place d’un vêtement précis sur la grille des conventions. Parmi les habits de soie, l’ori, ou kimono tissé (c’est-à-dire que le fil a été teint avant le tissage), s’oppose au some, ou kimono taillé dans une soie colorée après avoir été tissée. A part quelques exceptions, les kimonos tissés sont généralement considérés comme des vêtements ordinaires, alors que les soieries teintes sont plus habillées. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot

protocoles

Sur base de mes lectures, j’ai établi une liste de type de kimono formels et informels, que j’ai simplifié à l’extrême tant la complexité est déconcertante !

Le choix du kimono est strictement lié au degré de solennité de l’occasion et choisi avec un grand soin afin de se conformer aux usages sociaux. Il s’agit bien sûr, du choix des dessins et des couleurs, mais aussi et surtout de la qualité et du type de tissu. Aucun impair n’étant toléré dans ce domaine, il faut bien connaître les usages. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier

Un nouveau-né est présenté au sanctuaire shintô couvert de son premier kimono.

Pour la fête des âges critiques shichigosan 7-5-3 ans,  le 15 novembre,  toute la famille vêtue de kimono et hakama va au sanctuaire shinto pour demander la protection aux kami.
– le second kimono, sera porté par l’enfant à son 3ème anniversaire ;
– le 3ème kimono, à l’âge de 5 ans pour un garçon et à 7 ans pour une fille.

Les jeunes filles, le jour de leurs 20 ans pour fêter leur majorité, ainsi que la jeune épouse le jour de son mariage, doivent porter le furisode « manche flottante ». Les manches sont longues jusqu’aux chevilles et sont synonymes de pureté et d’innocence et l’obi à pans longs, peint ou brodé, est largement noué dans le dos .
Les couleurs du kimono sont vives et l’emplacement du dessin varie selon l’âge de la fille. Plus elle est jeune, plus le dessin monte en partant du bas du kimono.

Lors du mariage, la jeune épouse est vêtue d’un kimono de cérémonie brodés de fils d’or et d’argent. Il est très long et le bas enferme un matelassage pour l’alourdir.
Les femmes proches de la mariées portent le kuro tomesode kimono noir orné de cinq mon (sur le revers, le milieu du dos et les manches).
Les autres femmes mariées invitées sont vêtues avec iro tomesode kimono noir décoré d’un, trois ou cinq mon et de motifs colorés dans le bas et un obi coloré.

Pour se différencier des célibataires, les femmes mariées portent le tomesode dont les manches sont plus courtes (sode = manche, tomeru = celle qui doit rester là, mariée dans cette maison). Bien évidemment, les couleurs doivent être discrètes.

Lors des cérémonies funéraires, les femmes de la famille portent des kimono noirs avec cinq mon dénommés mofuku avec le col blanc du sous-vêtement nagajunde et un obi noir. Les autres, peuvent porter des kimono de couleurs sombres (violet foncé par exemple) avec obi, noir ou gris.

Il existe aussi le kimono de couleur et sans motif ou avec des petits motifs géométriques  iromuji si on le décor d’un mon* il devient formel et on peut le vêtir lors des cérémonies du thé.

*mon : blason de famille, de forme circulaire, orné en général de motifs végétaux. A l’origine, se sont les samouraïs qui l’utilisait pour se reconnaître sur le champ de bataille.

Et enfin, le yukata kimono en tissus de coton, léger, imprimé ou teint en indigo, qu’on porte chez soi, pour aller au bain onsen ou tout simplement lors des canicules.

La coupe étant identique, seuls les tissus, les couleurs et les décorations changent en fonction des saisons. Par temps froid, on porte des kimono en soie ou en laine, et au dessus, une veste ample en tissus épais tanzen.

l’habillage

Voici une synthèse des étapes de l’habillage décrites dans le livre Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier qui se compose de :

tabi : chaussettes blanches à un doigt
suso yoke : en coton, couvre le bas du corps
hadajuban : pour le haut du corps, brassière avec manches mi-longues et étroites que l’on croise devant sans le serrer et dans les poches duquel on peut insérer des coussinets de rembourrage pour faire disparaître les formes en creux (taille, courbure des reins,…) et par dessus, pour cacher cela, on enroule plusieurs fois autour de la taille un bandeau. Seuls le visage, la nuque et les mains sont découvert et la forme du corps s’estompe.

A la limite on pourrait dire que ces femmes étaient désincarnées. De ma mère, je revois le visage, les mains, vaguement les pieds, mais ma mémoire n’a rien conservé qui se rapportât au reste du corps. extrait Eloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki

– kimono de dessous en soie long naga juban pour les cérémonies ou court han juban avec col blanc amovible pour le laver facilement
koshi himo cordelette sous la poitrine pour régler la longueur du nage juban et par dessus une ceinture large et raide datejime
kimono lui-mémé en croisant le côté gauche sur le côté droit (le contraire se fait pour un défunt) et on règle sa longueur avec une cordelette koshi himo puis le datemaki une longue écharpe de couleur qui dépassera de quelques centimètres sous l’obi
obi : »ceinture » le type, le port et la taille sont complexes, tout un art !

LES Livres & les Ecoles de kimono

A l’époque Edo sont publiés les premiers livres de modèles de kimono hiinakata-bon, d’abord en noir et blanc avec les notes qui indiquaient les couleurs et les tissages, puis avec le décor peint à la main selon la méthode yûzen de Yuzensai Miyazaki, (1654-1736), moine peintre de Kyoto.

Dans les années 1960, une réaction nationaliste provoque un boom des ventes de ce vêtement et la création de nombreuses académies où l’on apprend l’art du kimono.

Ces institutions ont profité de ce que beaucoup de femmes aisées, désireuses d’entretenir la tradition du kimono, ne possèdent ni les connaissances ni l’assurance nécessaires pour bien les porter. Ces cours enseignent la technique de base du port du kimono et aussi l’art délicat de nouer l’obi en forme de jonquille ou de grue repliée. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot

Ces écoles considèrent qu’une vieille dame doit porter son kimono avec dignité, une maîtresse de maison d’un certain âge avec sérénité et une jeune fille avec simplicité et netteté. Tout est dit !

A SAVOIR !

Le kimono se ferme en superposant le côté gauche sur le côté droit ! Le sens opposé est réservé aux personnes décédées.

Il est toujours porté avec des chaussettes à orteil séparé tabi et des socks zôri ou geta.

Le prix d’un kimono peut varier de 1 500 € à 50 000 €. Les japonais qui n’ont reçu aucun kimono en héritage peuvent en louer…