LE PIN ĂTERNEL I  MATSU  æŸ
°°°
Le pin vit mille ans,
Le petit liseron du matin une journée seulement,
Mais tous deux jouent leur rĂŽle.
PoĂšme zen anonyme
Les Japonais vivent avec la nature, charitable et impitoyable. Elle est la source Ă©ternelle de leurs aspirations et de leurs inspirations.
Chaque mois de l’annĂ©e possĂšde sa fleur ou son arbre favori. En janvier, on cĂ©lĂšbre le pin matsu qui exprime sa beautĂ© Ă travers ses dĂ©formations et ses courbes façonnĂ©es par la toute-puissante nature et parfois par l’homme.
Je vais vous rĂ©vĂ©ler dans cet article, sa place dans les croyances et dans quelques domaines de l’art car le sujet est vaste.
CROYANCES
Lâarchipel nippon est un pays de forĂȘts imprĂ©gnĂ©es de profonde spiritualitĂ© et de surnaturel. Dans la croyance shinto , les arbres sont habitĂ©s par les esprits de la nature dĂ©ifiĂ©s, dĂ©nommĂ©s kami . Bois, plantes, pierre⊠tous ont une Ăąme. Dans cette estampe, Katsushika Hokusai (1760-1849) sĂ©pare par une barriĂšre de pin, le monde des humains de celui des dieux.
@ Hokusai Katsushika Le mont Fuji vu à travers les pins de Hodogaya sur la route du TÎkaidÎ (TÎkaidÎ Hodogaya). Les « Trente-six vues du mont Fuji » (Fugaku sanjû-rokkei), 36e vue
La brise fraĂźche
emplit le vide ciel
de la rumeur du pin
Onitsura
De son cĂŽtĂ©, le bouddhisme zen invite l’homme Ă se connecter Ă son monde intĂ©rieur.
En art, une grande importance est accordĂ©e Ă l’espace vide, mĂ©taphore du silence nĂ©cessaire Ă l’apparition de la vision intĂ©rieure. Car la nature du Bouddha ne peut se manifester, ni l’Ă©tat d’Ă©veil spirituel ĂȘtre atteint, si l’espace intĂ©rieur du sujet se trouve encombrĂ© et si son esprit fourmille de pensĂ©es. En peinture, le vide et la brume renvoient souvent Ă cet Ă©tat d’ouverture, d’Ă©coute intĂ©rieure, manifestation de la nature de Bouddha, de l’Ă©veil. Des caractĂ©ristiques que l’on relĂšve dans certaines peintures, par exemple dans Bois de pins de Hasegawa TĂŽhaku (1539-1610).
extrait Style Japon de Calza Gian Carl Ă©dition Phaidon
L’un de mes coup de foudre est ce chef-dâĆuvre de la peinture monochrome Ă l’encre noire sur deux paravents byĆbu-e , qui reprĂ©sente un bois de pins dans le brouillard.
© Hasegawa Tohaku (1539-1610), partie droite du ShÎrin-zu (Bois de pins), encre sur papier, 16Úme, Musée National de Tokyo, Japon
Un pin ne me semble vĂ©ritablement pin quâenveloppĂ© de brumes ou de nuages.[âŠ] Le fond brumeux, traversĂ© par une pĂąle lumiĂšre hivernale, entraĂźne le spectateur dans les profondeurs de la forĂȘt, peut-ĂȘtre en direction du sommet enneigĂ© visible sur la droite, ou dans les mĂ©andres dâinvisibles sentiers entre les arbres. extrait Petit Ă©loge des brumes de Corinne Atlan
Les branches et les aiguilles de pin symbolisent la joie, une longue vie ou lâĂ©ternitĂ©.
Vent dans les pins â
Des aiguilles de pin tombant sur lâeau
le son agréable
Matsuo BashĂŽ (1644-1694)
AssociĂ© au bambou take , symbole de puretĂ©, de noblesse, de force et de souplesse, le pin Ă©voque le Nouvel An. La coutume veut que lâon dĂ©pose de part et dâautre dâune porte dâentrĂ©e de mi-dĂ©cembre au mi-janvier un kadomatsu littĂ©ralement «pin du seuil » pour accueillir le dieu shinto du nouvel an, Toshi-gami , afin de protĂ©ger le foyer. Par contre, dans le quartier des geisha Ă Kyoto , dĂ©nommĂ© Gion , le kadomatsu se limite Ă un pin avec ses racines et symbolise la croissance Ă©ternelle.
A la fin, cette offrande est brĂ»lĂ©e avec les autres dĂ©corations du Nouvel An au temple shintĂŽ et la fumĂ©e qui s’en Ă©chappe permet au kami de l’an de repartir.
DOMAINES DE L’ART
Le pin est indissociable du jardin japonais qui est toujours ingĂ©nieusement composĂ©. Tailler et façonner le pin pour lui donner une forme prĂ©cise et gracieuse, cela exige un savoir-faire millĂ©naire. Un jeune surgeon peut ĂȘtre coupĂ© et ligotĂ© Ă lâaide de fils de fer et de ficelle durant des annĂ©es jusquâĂ ce quâil atteint lâaspect dĂ©sirĂ© par le jardinier.
Le pin de Sumiyoshi et en arriĂšre-plan le pavillon ShĆkintei. Villa de Katsura, KyĆto, XVIIe siĂšcle
Lors de mon 1er voyage en 2012 , j’ai visitĂ© la sublime Villa impĂ©riale Katsura prĂšs de Kyoto . redĂ©couverte par l’architecte allemand Bruno Taut en 1933 qui disait : « A Katsura, les yeux pensent ! ».
Suite Ă cela, cet ermitage princier a influencĂ© d’autres pionniers de l’architecture : Walter Gropius, Wies ven der Rohe, Le Corbusier, Franck Lloyd Whright.
Mon regard s’est portĂ© sur le pin solitaire de Sumiyoshi . Autrefois, Ă sa gauche, il y avait le pin Takasago citĂ©s dans la prĂ©face de l’Anthologie de la poĂ©sie ancienne et moderne Kokin WakashĂ» . (lire plus bas ThĂ©Ăątre NĂŽ )
Deux autres pins révérés par les artistes dans les estampes, sont la preuve vivante de cet art : Tsuki no Matsu et Yogo no Matsu.
Lâactuel Parc dâUeno se trouve sur une terre qui appartenait autrefois au Temple Kanei-ji, le temple familial des shoguns (chefs militaires du Japon jusquâau milieu du 19e siĂšcle). Dans un des coins du parc se dressait le Tsuki no Matsu (Pin de la Lune), surplombant lâĂtang Shinobazu-no-ike. Ses Ă©lĂ©gantes branches circulaires Ă©taient lâĆuvre dâhorticulteurs. Les gens raffinĂ©s croyaient y distinguer une pleine lune, sâimaginant en train dâadmirer le superbe astre illuminer la nuit. source Niponica 22
© Utagawa Hiroshige, Uenosannai Tsuki no Matsu, 1857
Â
Yogo no Matsu du temple Zenyo-ji Ă Tokyo est un pin noir du Japon vieux de plus de 600 ans. Avec ses 8 m de haut et ses branches sâĂ©tendant sur 31 m dâest en ouest et sur 28 m du nord au sud, ce magnifique arbre exhale une grĂące divine qui convient parfaitement Ă son nom Yogo, qui signifie « la rĂ©vĂ©lation des divinitĂ©s et du Bouddha »
source Niponica 32
A l’art du jardin se rajoute le bonsaido , l’art des bonzaĂŻs qui rĂ©unit ciel et terre dans un pot.
Lâarchitecture traditionnelle est fondĂ©e sur lâamour du bois, elle encense la force et la splendeur de la nature.
Les matĂ©riaux dâameublement et de construction, comme lâossature dâune maison, sont confiĂ©s Ă divers espĂšces de pin :
Akamatsu I Pinus densiflora I Pin rouge
Kuromatsu I Pinus Thunberghii I Pin noir
A l’Ă©poque d’Edo, les routes furent en gĂ©nĂ©ral balisĂ©es Ă chaque ri (1 ri = 3.9 km) au moyen dâun pin matsu . On y trouve encore des pins solitaires ippon matsu qui rappellent lâemplacement de ces Ă©tapes importantes ichirizuka .
Des pins sur chaque Ăźle –
le bruit du vent
est frais
Shiki
Poésie et sites célÚbres I Meisho
Plusieurs fameux poĂštes, dont SaigyĆ (1118-1190) , « passionnĂ©s de meisho », rĂ©coltaient pendant leurs pĂ©rĂ©grinations de prĂ©cieux souvenirs : aiguilles de pin, grenouille sĂ©chĂ©e, coquillageâŠ.
MĂȘme ici le cĆur sâennuie
de nouveau le dĂ©sir de sâenvoler
et ce pin restera seul
vraiment seul
sans ami
chap X vers le pays Sanuki 11, Vers le vide de SaigyĂŽ
Ă l’Ă©poque d’Edo, le lettrĂ© confucianiste Shunsai Hayashi, nĂ© GahĆ Hyashi (1618-1680) , a nommĂ© les trois plus beaux paysages du Japon, les Nihon Sankei : Amanohashidate, la baie de Matsushima et l’Ăźle de Miyajima.
Leur point commun ? Des pins murmurants au bord de rivages sableux.
Amanohashidate , littéralement « passerelle céleste » dans la préfecture de Kyoto, une langue de sable plantée de plus de 6000 pins dont certains atteignent une hauteur de 40 m. Je me suis rendue lors du 2Úme voyage en 2013 .
Est-ce pour admirer pins et cyprĂšs ?
La brise parfumée
souffle bruyamment
Matsuo BashĂŽ (1644-1694)
La baie de Matsushima , au nord de Kyoto, parsemĂ©e dâenviron 260 Ăźlots couverts de pins maritimes. CĂ©lĂ©brĂ©e dans un haĂŻku par le poĂšte Basho (1644-1694) qui, restĂ© sans mots face Ă un tel paysage, il a usĂ© de la rĂ©pĂ©tition pour exprimer sa beautĂ© captivante.
Oh, Matsushima !
Oh, Matsushima, ah !
Oh, Matsushima !
Matsuo BashĂŽ (1644-1694)
Depuis, dâautres paysages ont gagnĂ© en reconnaissance comme Miho-no-Matsubara . Une plage impressionnante, longue de 7 km et couverte de plus de trente mille pins a Ă©tĂ© inscrite au patrimoine culturel mondial en tant quâĂ©lĂ©ment du mont Fuji en juin 2013.
L’ukiyoe de Hiroshige Utagawa (1797 -1858) et des poĂšmes waka tĂ©moignent de sa beautĂ©.
© Utagawa Hiroshige, Miho no Matsubara
© Aflo, Niponica 13, Miho no Matsubara
Serais-je le seul
à leur demander abri ?
Non, les blanches vagues
Elles aussi, les harcĂšlent
Les sveltes pins du rivage
poÚme de Tsurayuki-shƫ
Ce lieu est connu aussi pour lâancien conte Hagoromo-no-Matsu « La robe de plume » qui donna lieu Ă une cĂ©lĂšbre piĂšce de NĂŽ , Hagoromo .
Une divinitĂ© cĂ©leste, descendue sur une plage pour se baigner, abandonne sa robe de plumes sur le sable. Un pĂȘcheur sâaperçoit et, dĂ©sirant la jeune beautĂ©, cache sa robe. Elle nâa plus alors dâautres ressources que de devenir lâĂ©pouse du pĂȘcheur. AprĂšs lui avoir donnĂ© des enfants, elle prie son mari de lui rendre la robe de plumes. Celui-ci ayant cĂ©dĂ© Ă son dĂ©sir, elle retrouve sa nature divine, et avant de regagner son domaine cĂ©leste, danse pour remercier le pĂȘcheur.[Bibl. -ar RenĂ© Sieffert, In NĂŽ et KyĂŽgen, Paris 1979] Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis FrĂ©dĂ©ric Collection Bouquins
Parlant du thĂ©Ăątre NĂŽ , le seul dĂ©cor est la peinture dâun pin sur le paroi arriĂšre de la scĂšne.
Takasago, titre dâune cĂ©lĂšbre piĂšce de thĂ©Ăątre de NĂŽ : un vieux couple rĂ©vĂšle Ă un religieux bouddhiste quâils sont les esprits de deux pins vĂ©nĂ©rables sur la plage de Takasago. Cette piĂšce, parfois intitulĂ©e Aioi no Matsu (Les pins dâune vie partagĂ©e) Ă©crite par Zeami dâaprĂšs un poĂšme de KIi no Tsurayuki apparaissent dans sa prĂ©face au Kokin waka-shĂ», traite de la fidĂ©litĂ© de dieux vieillards ayant vĂ©cu ensemble toute leur vie. (Bibl : RenĂ© Sieffert, NĂŽ et KyĂŽgen, Pubu. orient de France, Paris 1979)
Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis Frédéric Collection Bouquins
Le pin de Takasago est un symbole dâextrĂȘme longĂ©vitĂ©.
Je nâai guĂšre envie
de mâentendre dire :
comment, toujours en vie ?
ce que pourrait penser le pin de Takasago
me remplit de confusion
poĂšme Kokin waka rokujĆ (no 3057)
Art du tissage
Les tissus de kimono comportent des motifs reprĂ©sentant les fleurs de saison et leurs couleurs ou des motifs de bon augure et significations magiques. Le pin matsu symbolise la longĂ©vitĂ©, puis l’hiver, lorsqu’il est associĂ© Ă la neige ou Ă deux autres compagnons des grands froids : le bambou take et le prunier ume .
Les ouvrages en cĂ©ramique tĂŽgei , considĂ©rĂ©s comme le sommet de lâĂ©nergie crĂ©atrice artistique, ont les couleurs qui sâharmonisent avec celles de la nature et des saisons.
Ă Suminoe
Plus le vent dâautomne
Souffle sur les pins
Plus les vagues blanches au large
Y ajoutent leur fracas
ĆshikĆchi no Mitsune, âšKokin shĆ«, « CĂ©lĂ©brations », poĂšme no 360