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5/2023

JARDINS POLYCHROMES

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Au milieu de mai, grâce aux rayons de soleil et aux torrents de pluie, la nature resplendit, parée de verts et bigarrée de couleurs. Aux teintes variées de roses, des fleurs de pruniers, de pêchers et de cerisiers, succèdent les arbustes fleuris et multicolores  : les azalées, les pivoines, les glycines puis, début juin, les hortensias.

Il existe au Japon toute une gamme de jardins : beaucoup sont centrés sur un étang constellé d’îlots ; certains d’entre eux reproduisent sur terre le paradis bouddhique ; d’autres célèbrent le mariage heureux de la pierre et de l’eau, l’union élémentaire du statique et du dynamique. Il y a aussi des espaces dépourvus d’eau et, parfois, de végétaux. Il y a encore des jardinets secrets menant au pavillon où a lieu la cérémonie du thé, et de grands parcs conçus pour la promenade et ouverts sur l’horizon. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’aménagement et évolution historique. In: Extrême-Orient, Extrême- Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisés. Chine, Japon, Corée, Vietnam. pp. 73-92. 

Je vous emmène au Japon pour admirer l’harmonie des couleurs et l’élégance des formes des massifs de fleurs de quelques jardins d’exception !

LES COULEURS ET LEURS SYMBOLIQUES

Au début, au milieu et à la fin de la saison, si nous ouvrons nos capteurs sensoriels, nous prenons conscience des micro-changements qui se relaient dans la nature pour annoncer l’avènement de la nouvelle saison. Les Japonais parlent d’ailleurs de soixante-douze saisons. Sensibles aux changements de saison, ils ont toujours manifesté un intérêt profond, voire une obsession, pour le fait d’apprendre le secret de la nature en observant minutieusement ses « états » révélateurs, dont les couleurs. extrait Sumiko Oé-Gottini Sensation Soustraction MNAAG

Dans sa Chronique colorée Iro-ké publiée par le magazine Tempura Numéro 2Sumiko Oé-Gottini nous fait savoir que :

En japonais, le mot couleur (« iro ») a une origine bien particulière. L’idéogramme chinois est fait de deux signes : un humain qui en chevauche un autre pour n’en faire qu’un. Oui, « faire l’amour », telle serait la provenance du mot « couleur » au Japon.

Au mois de mai et début juin, le rouge et le violet prédominent. Mais, quelle est leur symbolique ?

  • Rouge

La première laque arrivée au Japon à l’époque Jômon (13000-400 av J.C.) était rouge, considérée sacrée puisqu’elle est la couleur du soleil représentée par la déesse Amaterasu, la plus importante divinité shintoïste. Mais encore :

Le rouge, couleur du sang et du feu, exprime à la fois la pudeur, la vulgarité, l’amour, la cruauté, l’espoir, la désespérance, la noble résistance jusqu’à la mort… » Sumiko Oé-Gottini, Chronique colorée Iro-ké, magazine Tempura Numéro 2.

  • Violet

A l’époque de Nara, durant le règne de l’Impératrice Suiko (592-628), le violet était la couleur la plus noble. Il était impossible de la porter à la Cour sans recevoir son autorisation ! Cette couleur, murasaki en japonais, nous ramène à l’écrivaine Murasaki Shikibu auteure du chef-d’œuvre Le Dit de Genji I Genji monogatari de l’ère Heian (794-1185).

LES MASSIFS DE FLEURS

  • AZALEE  I  TSUTSUJI

Il existe d’innombrable variétés d’azalées aux teintes vives ou pales. Elles apportent de la couleur à l’architecture traditionnelles en bois.

Sanctuaire shinto Nezu-jinja, au nord de Tokyo, est célèbre pour sa colline aux azalées.

 

Sur les rochers,
des fleurs d’azalées rouges
teintes par les larmes du coucou
Bashô

Temple Shoden-ji, à Kyoto, créé par le jardiniste adepte du sen Kobori Enshû (1579-1647). David Bowie, aurait pleuré d’émotion.

L’originalité de ce jardin réside dans le fait que l’on a substitué aux pierres des buissons taillés : sur une couche de sable, des massifs d’azalées arrondis sont disposés par groupes de trois, cinq ou sept, selon un rythme aimé des Japonais qui découvrirent la musicalité de l’impair bien avant que Verlaine ne la chante 10. Le Shôdenji est en quelque sorte une version végétale du Ryôanji. Une autre particularité de ce jardin est qu’il inclut dans son champ le Mont Hieï, le plus haut des sommets qui dominent Kyoto. Le procédé consistant à intégrer le paysage extérieur à l’espace d’un jardin est appelé shakkeï(« emprunt du paysage ») et connut son apogée au XVIIe siècle. Plus tardif que le Ryôanji et le Daïsen.in, le Shôdenji montre comment évoluèrent les jardins Zen après l’âge d’or de l’époque Muromachi. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’aménagement et évolution historique. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisés. Chine, Japon, Corée, Vietnam. pp. 73-92.

Dans une chaumière,
une bonzesse seule et insensible –
Azalées blanches
Bashô

  • PIVOINE   I  BOTAN

Arrivée de Chine à la période Heian (794-1185) en tant que plante médicinale, la pivoine devient une fleur ornementale. Transformée, la pivoine japonaise est pleine de grâce.

Jardin Yûshien, sur Daikonshima, une petite île au milieu de la lagune Nakaumi

L’île de Daikonshima est née de l’éruption ­d’un volcan, la terre est noire, et c’est dans ces cendres que le ginseng et la ­pivoine ­arbustive trouvent leur bonheur. Hidehisa Inutani, directeur du jardin de Yuushien.

© source photo

Sur cent lieu à la ronde
les pivoines
repoussent les nuages de pluie
Busson

  • GLYCINE  I  FUJI

Les glycines sont mises en scènes de manière spectaculaires au Japon ! Les rameaux de 20 ou 30 mètres portent d’énormes grappes blanches violacées, une cascade de fleurs.

Voici la plus vieille glycine géante, âgée de +140 ans, transplantée pour lui permettre de continuer sa croissance dans le parc florale de la ville Ashikaga située au Nord de Tokyo.

En voyage au pays de Yamato
Cherchant une auberge
fatigué –
Ah ces fleurs de glycine
Bashô

  • HORTENSIA  I  AJISAI

A Kamakura (ancienne capitale 1185-1333), le temple Meigetsu-in de l’école bouddhiste Rinzai émerge d’un océan bleu d’hortensias.

Hortensias –
Ce buisson est le petit jardin
d’un salon privé
Bashô

Pour en savoir plus sur les saisons et les couleurs, je vous invite à (re)découvrir mes articles :

7/2021 LE CULTE DES SAISONS

5/2022 KIMONO  I  HEIAN L’AGE D’OR