IRIS, LE RADIEUX
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© Hokusai Katsushika, Iris et sauterelle, Série dite des « Grandes Fleurs »
Admirer les fleurs de cerisiers au printemps et les feuilles d’érables en automne est une tradition inscrite dans l’ADN des Japonais. Chaque fleur et arbre est célébré(e) et/ou déifié(e) sur base du calendrier des floraisons car aduler le végétal fait partie intégrante de l’esthétique japonaise.
Je dédie cet article à l’IRIS, peu abordé dans les écrits et de manière éparse, pourtant objet d’une symbolique débordante au Japon, magnifié dans la mythologie, les traditions et les coutumes, les codes esthétiques, ainsi que dans toutes les formes d’arts.
ORIGINES
La fleur d’iris est une liliacée mythique. L’iris japonais provient d’un ancêtre d’Asie, l’iris ensata. Pour admirer 250 espèces d’iris, il suffit de séjourner dans le Ryokan Ishidaya.
Les variétés les plus admirées, sur un cours d’eau, un étage ou une mare, sont kozasagawa, nemurijishi, chiyo-no-haru, miyoshinoe et haru-no-umi.
MYTHOLOGIE
La fleur d’iris est citée pour la première fois dans Kojiki.° Après la mort d’Izanami, qui créa les dieux du Vent, des Montagnes, des Océans et du Feu, Izanagi est descendu dans la Nuit éternelle pour la rechercher mais sans succès. Une fois remonté sur terre, les vêtements qu’il retira avant de se purifier dans une rivière, se transformèrent en douze dieux et ses bijoux en fleurs – un bracelet en iris, un autre en lotus et un collier en chrysanthème.
Kokiji° : Les écritures majeures du shintô, sont Kokiji et le Nihonshoki, chroniques en forme de généalogie qui enregistrent les générations tant divines qu’humaines qui se sont succédées depuis l’Age des Dieux et la création du monde.
Izanami et Izanagi°° : couple fraternel, créateur des îles du Nippon
FESTIVAL DE L’IRIS & SYMBOLISME
Le festival des iris existe depuis l’époque Heian (794-1185) et se déroule le 5e jour du 5e mois en même temps que la fête des garçons Kodomo no Hi (on accroche au vent les koi nobori, bannières en forme de carpe symbolisant la force, la persévérance et la longévité).
On confère à l’iris un rôle purificateur et protecteur. Pour se préserver des mauvais esprits et contre l’incendie, on couvrait les toits de feuilles d’iris shôbu et de branches d’armoise (parfois l’iris est cultivé sur la toiture en chaume). Pour se protéger de la maladie, on accrochait des iris aux murs du Palais et dans les demeures ainsi qu’aux épées et aux palanquins, et bien sûr on prenait des bains d’iris.
Le souverain portait une guirlande d’iris et servait à ses hauts fonctionnaires du vin dans lequel on trompait des feuilles d’iris. Puis, en guise d’élégance, les gentilshommes et les dames attachaient des iris dans leurs coiffures.
Feuilles d’iris des marais
je les noue
aux lanières de mes sandales
Basho
On organisait aussi des compétitions de chevaux et de tir à l’arc…aux vertus prophylactiques. Sans oublier, le concours de jardin, une variante des jeux de comparaison, dans lequel deux équipes s’affrontaient pour créer le plus beau jardin.
Objet d’une symbolique très riche au Japon, l’iris est traditionnellement évoqué dans un grand nombre de poèmes et de pièces de théâtre. L’iris est tout à la fois associé au printemps, à la fécondité, mais aussi à la nostalgie, au passé lointain ; il symbolise également la virilité et les samouraï, la forme des feuilles évoquant la lame de leur sabre katana.
code esthétique & AMOUR
A l’âge d’or Heian, la sensibilité esthétique avait plus de valeur que la vertu. Le code du beau a atteint le summum de l’élégance mais aussi de la sophistication. Adresser une lettre à sa bien-aimée était un art complexe régit par des règles : le choix de la couleur du papier et de sa note de parfum, la nuance de couleur du bouton de fleur qui l’accompagne…
Par ailleurs, l’amoureux se devait de cueillir dans les étangs les iris qu’il allait offrait. L’intensité des sentiments se mesurait à la longueur des racines…. l’art de se passer des mots pour prouver son amour.
Dans tous les étangs
j’ai trempé mes manches
en quête d’iris
aux racines aussi profondes
que mon amour.
Sanjôin no Nyôkurôdo Sakon, shin Kokonshû,vol XI
DANSE KABUKI
Invité par un homme le 4 mai, Les fleurs d’iris Oh tous ces iris! Chant triste
j’ai vu l’acteur de kabuki Yoshioka Motome.
Comme il est mort le lendemain, ce haïku est
son oraison funèbre
fanées en une nuit –
Ah Motome !
BashôHAIKU
Et pareil à s’y méprendre
leur reflet dans l’eau.
Bashô, Journaux de voyage
du coucou,
Iris du début d’été,
sans savoir pourquoi
me voici amoureux.
Kokin-shu 480 Anonyme
LITTÉRATURE
Le chapitre IX des Contes d’Ise Ise monogatari a inspiré plusieurs artistes et disciplines.
Ils arrivèrent dans la province de Mikawa à un lieu-dit les Huit-Ponts (Yatsu-hashi). On appelle ainsi celui-ci parce que la rivière se sépare en bras comme des pattes d’araignée et qu’on passe sur huit ponts. Dans le voisinage de cette plaine marécageuse, ils mirent pied à terre et mangèrent leur riz froid. En cet endroit marécageux, les iris fleurissaient splendidement. Les regardant, l’un des compagnons dit : il serait amusant de composer un acrostiche en prenant les cinq syllabes du mot kakitsubata (iris). Alors cet homme composa ce poème :
Comme un beau vêtement
Auquel on s’est attaché en le portant
J’ai une femme
Dans ce voyage qui m’a amené si loin
Je pense à elle avec des regrets.
Quand il eut récité ces vers, tous pleurèrent tant sur leur riz sec qu’il en fut tout détrempé. Tous étaient tristes, il n’en était pas un qui n’eut laissé à la capitale (Kyoto) une femme aimée.
- THÉÂTRE NÔ
Le poète Ariwara no Narihira a composé un acrostiche sur les cinq syllabes du mot kakitsuhata, iris en langue ancienne.
KAragoromo
KIsutsu narenishi
TSUma shi areba
HAru-baru kinuru
TAbi wo shi zo omohu
Comme une robe merveilleuse
longtemps portée, chérie de plus belle
ainsi à la femme qui est mienne
se noue le fil de mes pensées
en ce voyage qui m’en tient éloigné
- ESTAMPE
Harunobu Suzuki (1725-1770) a peint l’estampe Les « Huit Ponts » dans la province de Mikawa, en utilisant sa propre technique créée en 1765 nishiki-e (aussi appelé Edo-e du nom de la période) qui consiste en l‘impression d’estampes ukiyo-e utilisant de 5 à 10 couleurs (et autant de blocs d’impression).
© Bibliothèque nationale de France
- PARAVENT BYOBU
Ogata Korin (1658-1710), maître du style décoratif capable de représenter l’essence même des choses comme un philosophe, a également été inspiré par cet épisode d‘Ise Monogatari Contes d’Ise.
La célèbre paire de paravents à 6 feuilles met en valeur les iris sur une surface recouverte de feuilles d’or qui ont la particularité d’absorber la lumière des sources les plus ténues et d’éclairer l’obscurité des pièces à l’époque où l’éclairage artificiel était inexistant.
Il a peint selon le style mokkutsu « sans os » technique de peintre de paysages dans laquelle fleurs et feuilles sont simplement indiquées par des touches d’encre ou de couleur sans lignes les délimitant. Une technique moderne dérivée dénommée môrôtai.
Le paravent d’Ogata Korin Iris, peint vers 1701, est exposé en mai et juin de chaque année au Tokyo Nezu Museum
estampes & ART OCCIDENTAL
Le Japon a participé pour la première fois à une exposition universelle en 1867, à Paris, ce qui a permit de découvrir la culture japonaise, dont les estampes, et donner naissance dans les années 1870 au phénomène culturel nommé le « Japonisme »
Vincent Van Gogh (1853-1890) écrivait du Sud de la France à son frère : Ma vie devient ici de plus en plus celle d’un peintre japonais.
© Domaine public, Vincent van Gogh, Les iris, peinture à l’huile, 1889
Lors de mon 2ème voyage en 2013, ma caméra a immortalisé les premiers iris croisés sur mon chemin, à Kurashiki, Matsuyama, Uchiko, villes situées sur l’île de Shikoku.
Du violet des nuages
au mauve des iris
ma pensée va sans cesse
Chiyo-ni
Iris, le Radieux, la grâce éphémère !