LA PLUIE AME I LA SAISON DES PLUIES TSUYU
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Que vous inspire la pluie ? Délectation ou détestation ?
Les Japonais sont hypersensibles à l’humeur de la pluie ame qui se met dans tous ses états au gré des saisons – bruines de printemps, typhons dévastateurs, moussons ravageurs – et cela se reflète dans les croyances religieuses et indigènes, la langue, les œuvres écrites, la peinture, l’architecture…
TSUYU_LA SAISON DES PLUIES
Tsuyu “pluie de prunes” désigne la saison des pluies allant de fin mai à la fin juillet selon la région, période qui coïncide avec la récolte des prunes.
J’ai fait l’expérience du plus grand orage shuchu-go depuis 1957, lors de mon 1er voyage à Kyoto au printemps 2012 : terrifiée par les rafales et les tonnerres, j’ai quitté le parc du château Nijo à la vitesse d’un shinkansen. Puis, lors du 4ème voyage, à Tokyo, j’ai subi durant 5 jours des averses diluviennes incessantes accompagnées de chaleur… un supplice !
CROYANCES
D’après l’historien Alain Corbin, l’attention portée aux phénomènes météorologiques, leur lecture, leur appréciation sont liées aux systèmes des croyances.
> Croyances religieuses
- Shinto
Inévitablement, le shinto a sa divinité de la pluie et de la neige, Okami-no-kami dans le Kojiki° ou Kuraokami dans le Nihon Shoki°°, qui est à la fois un légendaire dragon japonais.
Puis, le frère de la déesse du soleil Amaterasu, dénommé Susanoo, Dieu néfaste de la mer, des tempêtes et des intempéries exilé du ciel sur terre, puis dégradé en divinité des enfers et des revenants.
- Bouddhisme
Convaincue des relations entre l’homme et les divinités, des cérémonies bouddhiques de confession des fautes et psalmodie de soûtras évitaient aux hommes de subir de longues sécheresses.
Le souverain, de son côté, se devait de changer le nom de l’ère nengô** en fonction des catastrophes, guerres, épidémies, orages ou inondations.
Encore aujourd’hui, certains moines itinérants Yamabushi, anachorètes de shugendô* qui vivent dans les montagnes, détiennent l’art de faire tomber la pluie.
> Croyances indigènes
- Les revenants Yurei
Vers la fin du IXe siècle, à la suite des épidémies propagées en raison de l’agrandissement de Heian Kyo (actuelle Kyoto), le bouddhisme se rallia aux croyances indigènes relatives à l’existence d’un lien entre le monde des morts et les catastrophes naturelles. On attribuait les inondations et les épidémies aux êtres maléfiques, les revenants yurei – yuu signifiant « sombre » et rei « âme ou esprit » – que l’on chassait avec des rites d’exorcismes.
Souvent représentés par le dieu Susanoo lié aux tempêtes et aux intempéries, il s’agit des défunts qui ont subi une mort brutale, un destin tragique, des morts sans descendance, oubliés des vivants ou dans un état de passion et de folie qui empêche la compréhension du caractère illusoire du monde.
L’existence des revenants demeure une conviction contemporaine, omniprésents dans les films, la littérature, le manga…
- Superstition
Une superstition pour conjurer la pluie : il suffit d’accrocher à la fenêtre ou à l’avant-toit la veille d’un départ, une poupée artisanale fabriquée avec du papier ou du tissu blanc tout en chantant une comptine traditionnelle en guise de prière Teru teru bozu
Teru-teru-bōzu, teru bōzu
Ashita tenki ni shite o-kure […]
Sore de mo kumotte naitetara
Sonata no kubi wo chon to kiru zo
Teru-teru-bozu, teru bozu
Fais que demain soit une journée ensoleillée […]
Car s’il fait nuageux et que tu pleures
Je devrai te couper la tête
ENRICHISSEMENT Du langage
La sensibilité des Japonais face à la pluie se reflète dans le langage par la création des onomatopées expressives
shito shito : le son d’une pluie fine
zaza zaza : le son d’une pluie forte
et de mots (environ 71) pour désigner la pluie !
Sans parler des nuages ! Il y a 21 termes traditionnels :
amagumo : nuage chargé de pluie
raiun : nuage orageux
shirakumo : nuage pâle, nuage blanc
hekiun : nuage bleuâtre…
La pluie occupe une place primordiale dans toutes les formes d’arts : littérature, poésie, peinture…
LITTÉRATURE_HAIKU_WAKA_ POESIE VISUELLE
moi katabuku
satsuk – ame
Les fleurs de la mauve se penchent
dans le crachin de juin
okosareshi
haru no ame
Hana no iro wa
Utsuri ni keri na
Itazura ni
Waga mi yo ni furu
Nagame seshi ma ni.
La fleur s’est fadée,
Vaine était sa couleur.
Il pleuvait sans cesse,
Alors que je vieillis
Contemplant ce monde humain.
ONO no Komachi (825-900)
De son côté, la poésie visuelle contemporaine, née au Japon grâce à Kitasono Katsue et Niikuni Seiichi, entretient des liens avec l’image car elle donne à voir la pluie sur base des signes d’écriture. C’est Kitasono Katsue qui a composé l’un des premiers poèmes visuels japonais contemporains en 1958.
Ici, l’idéogramme choisi par Niikuni Seiichi évoque, grâce à un « déchaînement scriptural », le bruit qu’elle fait en tombant.
雨 rain” Seiichi Niikuni (1966)
PEINTURE
[…] plaisir du regard. La pluie colore les éléments de la nature. Elle leur confère une beauté inattendue, dont l’individu se délecte. Histoire buissonnière de la pluie, Alain Corbin
Le spectacle visuel qu’offre la pluie fait l’objet d’interprétations picturales. La célèbre estampe de Hiroshige, où la pluie se trouve représentée à l’aide de traits obliques qui barrent l’ensemble du paysage, a fortement inspiré Van Gogh.
ARCHITECTURE
Les toits saillants d’une maison traditionnelle, protège l’intérieur des précipitations. Grâce à son architecture, la pluie devient un « tableau de saison » … typiquement japonais.
Pluie de printemps –
Toute chose
Embellit
Chiyo-Ni (1703-1775)
Kokiji (711) et Nihon shoki (720) : les écritures majeures du shintô, chroniques en forme de généalogie qui enregistrent les générations tant divines qu’humaines qui se sont succédées depuis l’Age des Dieux et la création du monde.
shugendô : tradition spirituelle lié à l’ascétisme en montagne dont le but est le développement d’expériences de pouvoirs spirituels gen par la pratique dō vertueuse de l’ascèse shu. Religion syncrétique incorporant des aspects du taoïsme, du shinto, du bouddhisme ésotérique et du shamanisme japonais traditionnel.
nengo : nom d’ères. Chaque souverain, à son avènement, décrétait urne ère nouvelle et en changeait si les circonstances le demandaient ou si, tout simplement il lui convenait de marquer une scission dans la continuité de son règne. A partir de 1868, il n’y a eu plus qu’une seule ère par souverain et on désigna après leur mort chaque empereur du nom de on ère.