Depuis printemps 2012, je me suis lancée le défi de faire le tour du Japon.
Ma fascination pour ce pays est née des dizaines d’années auparavant, lorsque j’ai commencé à étudier sa culture, bien avant le contact « physique ». Les raisons sont multiples, mais je préfère citer René Sieffert.
Les Japonais ont le « goût instinctif » pour tout ce qui est beau :
« un beau paysage, un bel objet, un beau geste n’ont jamais trouvé un Japonais insensible ; ce sixième sens, ce sens de l’esthétique, le bouddhisme va l’exacerber en soulignant l’impermanence des choses de ce monde, concept accepté d’emblée dans cet archipel constamment éprouvé par les tremblements de terre, les typhons et les incendies, prodigue en sites grandioses, mais inhospitaliers et de rude abord pour l’homme ; enfin, nés de cette impermanence, un humour parfois naïf, une ironie parfois féroce, un scepticisme parfois amer, tempèrent les enthousiasmes irréfléchis, imposent la notion d’une juste mesure entre la double tentation de la résignation et de l’arrogance. » extrait de son livre ‘La littérature japonaise’
Au Japon, je me sens chez moi, comme si j’y ai toujours vécu. Je n’ai jamais été une touriste. Maurice Pinguet me le confirme dans son récit ‘Le texte Japon’ :
« Le tourisme est un mode de perception : regard de surface, vite rassasié. L’ennui accourt. A l’entracte, avant même l’entracte, beaucoup évacuent leur fauteuil et se tiennent quittes de leur devoir d’exotisme ».
Avec le Japon je suis unie par un lien fusionnel qui attise mon désir de continuer à l’étudier en profondeur et sans relâche.
Ce 5ème voyage si attendu, s’est relevé compliqué autant avant que durant le séjour.
C’est « le moins réussi » si je tiens compte de l’impossibilité à visiter ce que j’avais prévu et en raison de la météo : 7 jours de pluie sur 10, ce qui est inhabituel pour la saison. Le Japon non plus n’est pas épargné par le dérèglement climatique… !
Une semaine avant le départ j’ai appris via l’office de tourisme de Hokkaido que tous les sites que nous voulions explorer sont fermés à cause de la neige : les parcs nationaux Akan, Daisetuzan (avec sa plus haute montagne Asahidake, 2 290 m) et Kushiro (zone de marais qui abrite une espèce rare de grue japonaise), puis enfin Shiretoko (péninsule étroite et montagneuse à l’extrême est de l’île).
Deuxième surprise, fut le permis de conduire international. Il ne suffit pas de le détenir, lorsqu’on arrive au Japon il faut le faire traduire en japonais dans une des agences JAL (http://www.jaf.or.jp/inter/translation/specific_e.htm – délai improbable) et avant de louer une voiture, il faut passer un examen de conduite. Donc, nous avons également abandonné le projet de louer une voiture.
La grande question qui se posait : où aller après le séjour de 3 jours à Tokyo ? Nous nous sommes décidés pour la région Aomori et sa péninsule Shimokita tout en laissant cours à l’improvisation. Il s’est avéré qu’au Japon, le pays ultra organisé,l’improvisation est quasi impossible….
Vendredi 10 avril 2015 °°° TOKYO
A notre atterrissage, un ciel gris et pluvieux nous attendait les bras ouverts, comme en septembre 2014. Décidément, Tokyo se montre très « inhospitalière » avec nous pourtant nous l’aimons à la folie !
A peine atterris, nous avons pris le NEX express pour Tokyo, il se distingue des autres trains par son design très particulier.
De la beauté des fleurs Il ne reste déjà plus rien Et moi qui n’ai porté mon regard Que sur des choses vaines Au long de ma vie Ono no Komachi (IXème, poétesse célèbre pour sa beauté) |
De Tokyo nous avons pris le shinkansen pour Nagoya et 2 autres trains pour arriver chez les parents d’une de mes amies que nous n’avions plus revus depuis deux ans. Cette famille est devenue la nôtre. Les Japonais sont d’une générosité extrême : nous avons été gâtés avec des repas exquis et tant de cadeaux. La mère, sachant que j’aimais les desserts à base de thé matcha, elle m’en a acheté 5-6 sortes. Mon mari aimant le whisky, le père lui a offert sa 3ème bouteille en 2 ans sans parler de tous les alcools mis à notre disposition lors du repas avec toute la famille réunie : bière, saké, shochu… Aussi, nous avons reçu une belle enveloppe avec 10 000 Y pour notre voyage ce qui nous a d’abord mis mal à l’aise puis touchés. Moi, qui étudie depuis des années la culture japonaise, je ne connaissais pas une des traditions séculaires dénommée : senbetsu. Elle consiste à donner de l’argent à ceux qu’on aime avant leur départ pour un voyage. En échange, nous devions envoyer un souvenir omiyage de notre voyage.
« Les bons amis sont de trois sortes. En premier lieu, les amis qui donnent généreusement ; en seconde lieu, les médecins ; en troisième lieu, les hommes d’esprit. » Kenkô-hôshi (1283-1350)
Le lendemain matin, pendant qu’on déjeunait, la mère a pris soin de son petit jardin remplis de camélias japonais d’hiver otome tsubaki et autres fleurs.
Dans la lumière incertaine du soir d’hier J’ai vu une fleur si nouvelle et brillante Mais pareille au brouillard du matin. A présent la douleur m’afflige A la revoir à nouveau.dans ‘Genji Monogatari’ |
Les fleurs de cerisiers tombées le temple appartient aux branches Buson |
Dans l’horreur du vide Qu’est-ce que la vie ? Juste un arbre sur le chemin Sogi (1421-1502) |
« …le shinto ne se contente pas de regarder la montagne, il la gravit – le sentier de ses pèlerinages est sinueux et escarpé, c’est près des sommets qu’il juche ses sanctuaires. Or, dans cette montagne japonaise, la forêt règne sans partage. La forêt : temple primordial… » Maurice Pinguet ‘Le texte Japon’
La rivière et l’étang désormais ne font qu’un pluie de printemps Buson |
Ce monde est provisoire.
Cette vie es comme un rêve.
Je me repose en cours de voyage
Et mon rêve est comme celui de la vie même.
J’aimerais tant arriver un jour à faire de la méditation zazen, mais comment y parvenir alors que
Si vous pensez
A ne pas penser,
Déjà vous pensez
poème qui figure dans le Recueil de Nambo
J’ai profité d’acquérir une nouvelle omamori (amulette), une minuscule poupée qui a le pouvoir de chasser tous les mauvais esprits. Aussi, j’ai eu la chance de voir la cérémonie shintô du matin.
Tout à la pensée des cerisiers en fleur dessus la mousse j’y établis ma demeure et sommeille au printemps Fujiwara no Teika |
Bassin rempli de koï, symbole de persévérance, force, amour et virilité. |
MyStaysGotanda, à 3 mn à pied de la station Gotanda (JR line Yamanote, gratuite avec JR Pass) dans le quartier universitaire très vivant.
Dimanche 12 avril 2015
Quel bonheur d’être enfin réveillés par le soleil !
Hara Museum |
J’ai appris dernièrement qu’une place de parking à Tokyo peut coûter plus cher que la voiture. D’ailleurs, on doit d’abord se trouver une place de parking avant d’acheter la voiture.
Pour revenir à l’architecture de Tokyo, cette ville n’est pas vraiment belle, malgré tout elle a un fort pouvoir de séduction qui envoûte au point de ne plus pouvoir s’en défaire.
L’architecte Bruno Taut écrivait lors de son premier séjour au Japon en 1937, arrivé donc après la reconstruction en vitesse de Tokyo qui s’est imposée suite au grand tremblement de terre et incendie qui l’ont presque entièrement détruite en 1923 :
« … nous restions abasourdis face à la stérilité et la manière comique de vouloir à tout prix être moderne, à ce capharnaüm tapageur et hideux de style architecturaux. Où donc était le regard raffiné des Japonais ? Les paysages de ce pays se semblaient-ils pas destinés à apprendre la délicatesse au nerfs optiques de leurs habitants ?
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Le tableau d’ensemble n’en apparaissait que plus intolérablement criard. Après tout, nos autres voyages nous avaient habitués à trouver, partout dans le monde, les méfaits de la civilisation. Mais cet arbitraire absolu, cette absence totale de ligne directrice, même dans le mauvais goût, ne chamboulaient pas seulement l’idée que nous nous étions faite du Japon ; ils mettaient particulièrement à mal notre conception de la culture. Car après tout, Berlin, Paris ou Londres, même dans leurs aspects les plus tristes, ne sont jamais dépourvus de caractères.
Voici Tokyo et sa grande avenue commerçante, la Ginza ! Ce qui tout à l’heure avait constitué un bruit pour l’oeil, devenait ici un vacarme assourdissant. L’aitre sensible qui vous parle sombra dans une terrible dépression ; je ne dis plus un mot et me mis à regretter amèrement d’avoir entrepris ce voyage. » extrait de « La maison japonaise et ses habitants »
La suite on la connait, Bruno Taut est tombé amoureux du Japon et de son architecture traditionnelle. Gropius aussi s’y est rendu en 1954 et le courant Bauhaus a été influencé par celle-ci :
« Lorsque j’ai eu cette si grande chance d’être invité pour une visite de longue durée au Japon, en 1954, je me suis moi-même trouvé confronté à une nouvelle expérience, à savoir, de voir, d’une part dans l’architecture domestique japonaise les résultats d’une tentative extraordinairement logique de créer un modèle culturel si homogène, et que d’autre part si variée et riche dans ses éléments, elle reste incontestée parmi les réussites architecturales les plus notables. L’architecture domestique traditionnelle inclut les principes et idéaux généraux de la société japonaise d’une façon si parfaite que, même aujourd’hui, à notre époque, son impact est fort et son influence culturelle omniprésente. »
Après avoir longé un parc, nous sommes passés de l’autre côté de la voie ferrée où se trouvait le quartier populaire.
la moindre petite parcelle est remplie de végétation |
« Les Japonais admirent tellement les jardins, et leurs effets, que le plus petit morceau de terre est utilisé dans ce but. » Masaharu Anesaki ‘L’Art, la Vie et la Nature au Japon’
Position jambes écartés du policier : pour se mettre au niveau du chauffeur ou pour l’empêcher d’ouvrir la porte ?
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Lorsque nous avons repris Yamanote ligne pour rentrer à l’hôtel, il y a eu une panne électrique. Nous avons dû prendre un bus, conseillés et guidés par un Monsieur qui nous a proposé son aide sans qu’on lui demande (cela arrive couramment). Nous avons passé 35 mn interminables dans un bus bondé, néanmoins cela nous a permis de visiter d’autres quartiers de Tokyo.
Lundi 13 avril 2015
Réveillés pas une pluie torrentielle, démoralisante car… partie pour durer !
photo : http://www.japan-guide.com/e/e3072.html |
Mardi 14 avril 2015
La pluie toujours là ! Malgré tout, je suis sortie rejoindre une amie à 11h30 devant la banque Mizuho sur la réputée avenue Omotesando, un lieu habituel de rendez-vous comme la statue du chien Hachiko à la station Shibuya. J’étais entourée d’une trentaine de personnes qui attendaient… quelqu’un.
L’entrée du café par le jardin |
Tout le gotha japonais est enterré dans ce « parc » géant qui s’abandonne avec romantisme à sa luxuriance d’arbres et d’azalées. Sous les tunnels de verdure se faufilent des sentes en méandres et une noble allée pavée de bois. Promenade sereine, divertissante et obligée. Extrait du guide vert Michelin
Arrivées aux musées, ils étaient tous fermés le mardi. J’ai voulu visiter :
Suntory Museum of Art dédié aux objets d’art traditionnel : céramiques de Nara, laques de Kamakura, paravent de l’école Kano, cérémonie du thé…
et
21_21 Design Sight, le premier musée japonais exclusivement consacré à la mode et au design. Signé Tadao Ando : murs de béton, verrières, toit en acier brossé, le tout posé sur un tapis de verdure. Directeurs artistiques : Issey Miyake pour la mode, Taku Satoh pour l’art graphique et Naoto Fukasawa pour la création d’objets.
Nous avons dû nous contenter du musée Fuji camera qui présentait une belle expo de paysages de plusieurs régions : Tochigi, Chiba, Gifu, Shizuoka, Ishikawa, Goma, Nagasaki, Okinawa et même Fukushima.
Mais peur de quoi ?
Photo lac Usorisan : http://www.japan-guide.com/ |
Eh bien, Mont Osore dont le nom signifie le « Mont de la peur » est le lieu mythique de l’entrée des Enfers et le petit ruisseau du lac Usorisan surnommé Sanzu-no-kawa marque la frontière (équivalent du dieu grec Styx qui personnifie un fleuve de l’enfer).
En outre, le temple Bodaiji organise des cérémonies pour les âmes des défunts dont le festival annuel Itako Taisai qui a lieu le 20 juillet durant cinq jours. Itako, sont des médiums aveugles qui, pendant un rituel nommé kuchiyose, communiquent avec les morts.
L’essentiel, plus profondément, est cette terre souriante et ténébreuse tour à tour, où la nature et le surnaturel se pénètrent et s’échangent. » Maurice Pinguet extrait du ‘Le texte Japon’
Pluie d’averse
Sans un bruit sur la mousse
Me reviennent les choses du passé
Yosa Buson
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Nous sommes descendus à Oma. Le chauffeur de bus nous a parlé d’un ryokan avec onsen isolé dans une petite forêt mais à 30 mn de marche de la mer. J’ai profité de l’onsen et du repas gastronomique puis fait une balade sous le ciel gris.
« Le Japonais prend à table un plaisir à la fois esthétique et gastronomique. »Masaharu Anesaki ‘L’Art, la Vie et la Nature au Japon’
Jeudi, 16 avril 2015
Réveillés à 5h30. Petit déjeuné annulé et remboursé afin de pouvoir prendre le bateau à 7h pour Hakodate. Vues du bateau :
Intérieur du bateau |
A la gare de Hakodate, on trouve des pâtisserie du fameux Mori Yoshida qui a ouvert sa boutique à Paris en 2013.
J’ai demandé au chauffeur où pourrions-nous dormir. Arrivés à Tippa, il nous a montré un minshuku et nous a parlé d’un ryokan et d’un hôtel que surplombait la côte.
Nous étions très attirés par le mishuku collé à une corniche sur le petit port. Je m’y suis dirigée pour demander les prix. A l’entrée, il y avait 2 gros matous qui m’ont accueillie… avec leur odeur d’urine ! J’allais faire demi-tour mais comme on m’avait remarqué je suis rentrée. Deux femmes dont une âgée étaient assises sur des tatamis. La plus vieille en me voyant a dit à l’autre sur un ton désagréable entre les dents que j’étais une gaijin. J’ai compris que je n’étais pas la bienvenue, chose extrêmement rare au Japon. Une troisième femme est apparue et m’a dit avec une voix tonitruante qu’il y a un hôtel sur la colline.
Me revient du coup une autre anecdote. Dans une petite gare de village, nous attendions le train. Dans la salle d’attente il y avait assis un jeune qui mangeait. Entre temps, un autre Monsieur rentre, je le vois se pencher pour ramasser un papier parterre et nous jette un regard de reproche. Il était certain que c’est nous les étrangers qui avons laissé tombé nos ordures sans les ramasser… alors que c’était le jeune japonais. J’aurais dû faire la rapporteuse, tellement j’ai été vexée !
J’apprécie tant la propreté des japonais même si limite « obsessionnelle ». Les villes, les moyens de transports brillent et jamais personne en vandalise quoi que ce soit. Belle leçon de civisme !
Petit temple shinto où les pêcheurs prient avant de prendre la mer |
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Couché de soleil sur le petit port |
Après le refus du minshuku de nous loger, nous sommes partis vers l’hôtel situé au somet de la colline via des escaliers interminables et presque insurmontables avec nos bagages.
Plaque d’égout |
Arrivés à l’hôtel, on a reçu « le coup du bambou » : une nuit coûtait environ 250 € avec repas et onsen. Etant exténués et découragés par la pluie mais hypnotisés par la sensationnelle vue sur la mer depuis le salon, nous y sommes restés une nuit. Le tout restera gravé dans la mémoire : la nourriture gastronomique, la chambre traditionnelle japonaise avec vue sur la mer, l’onsen…
Le petit déjeuner |
L’Impératrice et l’Empereur du Japon ont fait « une halte » dans cet hôtel pour boire le thé. Aussitôt partis, la direction de l’hôtel a mis en vitrine les fauteuils et la table qu’ils ont utilisés car devenus « sacrés ».