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14/2021

le chrysanthème I KIKU

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© Chrysanthemums and Horsefly, c. 1833-1834, Katsushika Hokusai

La chaleur des oeillets
déjà oubliée
Chrysanthèmes sauvages
Basho

Deux fêtes marquent les changements de saison : hanami la floraison des cerisiers déclare le printemps tandis que kiku no sekku annonce l’allongement de la nuit propice au fleurissement des chrysanthèmes.

Nous allons découvrir comment le chrysanthème, cité d’abord dans la mythologie shinto, puis utilisé comme plante médicinale et d’ornement, a fini par devenir l’emblème impérial et l’un des symboles du Japon. Et enfin, la manière dont il est célébré lors des festivals et dans les divers domaines de l’art.

© Keika Hasagawa

Ils cambrent leurs pétales
de blancheur –
les chrysanthèmes de lune !
Sugita Hisajo

ETYMOLOGIE

Le mot « chrysanthème » vient du grec ancien et signifie littéralement « fleur d’or». Dans certains pays d’Europe, il est associé à la mort et au fleurissement des tombes lors de la Toussaint (le 1er Novembre) tandis qu’en Asie il symbolise la longévité et l’immortalité.

Devant les chrysanthèmes
ma vie
fait silence
Mizuhara Shuoshi

Les Japonais la considèrent comme la plus noble des fleurs, à ce jour ils cultivent plus de 1 500 espèces !

 © Keika Hasagawa

Passant l’automne
un papillon lèche
la rosée des chrysanthèmes
Basho

MYTHOLOGIE SHINTO

Après la mort d’Izanami*, qui créa les dieux du Vent, des Montagnes, des Océans et du Feu, Izanagi** est descendu dans la Nuit éternelle pour la rechercher mais sans succès. Une fois remonté sur terre, les vêtements qu’il retira avant de se purifier dans une rivière, se transformèrent en douze dieux et ses bijoux en fleurs – un bracelet en iris, un autre en lotus et un collier en chrysanthème.

**Couple démiurge de la cosmogonie japonaise, Izanagi et sa sœur-épouse Izanami, descendants des divinités primordiales asexuées, engendrent, selon le Kojiki et le Nihon shoki, la multitude des kami du Ciel et de la Terre. Les îles du Japon elles-mêmes sont leur création, mais aussi et surtout Amaterasu ō-mi-kami(le soleil), Tsuki-yomi-no-mikoto(la lune) et Susa-no-o-no-mikoto(le typhon). Leur légende est tout d’abord une longue énumération de ces naissances ou créations. Elle s’achève toutefois par un récit qui mérite une attention toute particulière, parce qu’elle rappelle de très près le mythe d’Orphée. source Universalis

ORIGINES et histoire
© Kazumasa Ogawa
Le chrysanthème jaune est originaire de Chine où il est consommé en infusion pour ses vertus médicinales qui assureraient la longévité et… le bonheur.

C’est à l’époque Nara (710-794) qu’on introduit au Japon le chrysanthème comme plate médicinale. La croyance populaire veut qu’un pétale de chrysanthème au fond d’un verre de saké vous apporte une bonne santé et une vie heureuse.

Pendant Heian (794-967) l’aristocratie de la cour kizoku adopte cette fleur autant pour ses bienfaits (on attachait des boules médicinales faites avec de chrysanthèmes aux piliers et aux stores des habitations pour se préserver des maladies) que pour sa magnificence et son raffinement en tant que plante d’ornement.

Ce jour-là, le ciel était couvert de nuages. Au Palais de l’Impératrice, on avait apporté, du service de la couture, des « boules contre les maladies » avec toutes sortes de fils tressés qui pendaient ; on les avait fixées à gauche et à droite du pilier de l’appartement central, où est dressé l’écran. On remplaça ainsi les « boules contre les maladies » qu’on avait préparées, le neuvième jour du neuvième mois, en enveloppant des chrysanthèmes dans de la soie raide ou damassée, et qui étaient restées fixées à ce pilier durant des mois, puis on les jeta. Sei Shônagon, Notes de chevet Makura no Soshi

C’est seulement à l’époque Kamakura (1185–1333) placée sous l’autorité du shogun, que le chrysanthème devient emblème mon de la famille impériale grâce au 82ème empereur du Japon, Go-Toba qui régna de 1183 à 1198.

Durant l’époque d’Edo (16031868) l’emblème du chrysanthème à seize pétales a été usité par des temples ou des commerces.

A partir de 871, lors de la restauration de l’époque Meiji (868-1912), il est réservé uniquement à la famille impériale et à certains temples en lien avec l’empereur.

LE CHRYSANTHÈME IMPÉRIAL : KIKU ou KUSAN
Depuis un millénaire, les seize pétales dorées de la fleur de chrysanthème sont l’emblème de la maison impériale nippone. Durant les guerres dynastiques  qui commencèrent en 1357 et se poursuivirent pendant 55 ans chaque soldat de la cour du Sud portait un chrysanthème orange comme signe de bravoure. Ryokan éditions Könemann

Le chrysanthème japonais Kikkamonshō ou Kikumon est l’emblème impérial du Japon qui représente un chrysanthème à seize pétales doubles jūroku yae omoe-gikuest.

Un symbole national qu’on retrouve sur le sceau officiel de l’empereur kiku no gomon (apposé aussi sur les passeports depuis 1926, sur les pièces de monnaie de 50 yens, gojū-en kōka ou gojū-en dama et certaines décorations officielles) ainsi que sur le trône impérial du Japon Takamikura littéralement « le très haut siège » (en français et en anglais on utilise l’expression de « Trône du Chrysanthème » ).
Festival du Chrysanthème IMPÉRIAL KIKU NO SEKKU _ SEPTEMBRE

Septembre est le mois des chrysanthèmes kiku-zuki ou naga-zuki.

Epanouissez-vous vite
car le 9 septembre approche,
chrysanthèmes !
Basho

Le Festival dédié au Chrysanthème le 9 Septembre, 9ème jour du 9ème mois Kiku no Sekku ou Choyo no Sekku. remonte à l’année 910 lorsque la première exposition de chrysanthèmes eut lieu à la Cour impériale de l’époque Heian (794-967).

Neuvième mois, 9ème jour : Fête des Chrysanthèmes – L’empereur et sa cour inspectent les chrysanthèmes des jardins du palais. Un banquet a lieu ensuite. Des poèmes sont composées et les invités boivent du vin dans lequel ont trempé des chrysanthèmes. Après une représentation chorégraphique, des jeunes filles du palais offrent de petites truites blanches à Sa Majesté. […]

On attribuait aux chrysanthèmes le pouvoir d’assurer la longévité. En se frottant le visage avec de la filoselle ayant recouvert les chrysanthèmes, la veille du festival, on se protégeait des ravages de l’âge. La vie de cour dans l’Ancien Japon, Ivan Morris
Le saké déborde
sur le plateau
orné de chrysanthèmes
Basho
Parfois vinaigrés
les chrysanthèmes deviennent
des amuses-gueules
Basho

De nos jours, la famille impériale célèbre cette fleur au sanctuaire Kamigamo à Kyoto et en parallèle des expositions sont organisées dans tout le pays. A Hakata, une ville entre Kyoto et Osaka, et à Nihonmatsu près de Tokyo on expose des poupées réalisées avec des fleurs de chrysanthèmes habillées de costumes anciens Kiku Ningyo. Chacune nécessite entre 100 et 150 plantes.

Festival du Chrysanthème Japonais Kiku Matsuri _ NOVEMBRE

Chaque année au mois de novembre a lieu le Festival du chrysanthème Kiku Matsuri au sanctuaire Yushima Tenman-gû à Tokyo. On y expose pas moins de 2 000 chrysanthèmes !

On organise des concours partout dans le pays pour désigner la personne qui a réussi à produire la fleur la plus somptueuse.

A mon ermitage
Du saké où flottent des pétales de chrysanthèmes
après le soleil couchant
Basho

Le soleil de novembre « permet au chrysanthèmes de déployer leur faste dans toute leur étonnante diversité, qui va des fleurs rondes semblables au boules de neige à celles qui sont en forme de fusées, des branches portant des grosses fleurs séparées aux rameaux retombants couverts d’innombrables inflorescences de toutes les formes et de toutes le couleurs. La culture des chrysanthèmes et les soins qu’ils nécessitent tout au long de l’année, jusqu’à la Fêtes des Chrysanthèmes, constitue ici un passe-temps aussi populaire que la culture des tulipes en Hollande.  » extrait La maison japonaise et ses habitants, Bruno Taut, 1937

LITTÉRATURE

Plusieurs ouvres littéraires autant japonaises qu’occidentales font l’éloge du chrysanthème.

Sei Shônagon nous fait revivre visuellement et olfactivement les fêtes de la cour dans son merveilleux livre Notes de chevet Makura no Soshi. Le palais de l’empereur était orné de fleurs de chrysanthème pour le Kiku no Sekku.

Le neuvième jour du neuvième mois, si dès l’aube il tombe un peu de pluie, les chrysanthèmes sont mouillés d’une abondante rosée, le duvet de soie dont on les a couverts est tout humide. On célèbre alors le parfum qui l’a pénétré ; si, la pluie ayant cessé de bonne heure, le ciel reste sombre et le temps menaçant, c’est délicieux encore.

Un jour du neuvième mois, la pluie qui avait tombé toute la nuit cessa quand vint l’aurore. Quel ravissant tableau ! Sous les rayons éclatants du soleil matinal, les chrysanthèmes du jardin, devant la maison, laissaient couler goutte à goutte la rosée dont ils étaient mouillés.

Pluie à mon ermitage :
Dressés
les chrysanthèmes délicats
sous les traînées de pluie
Basho

Dans Le Dit de Genji Genji monogatari, Murasaki Shikibu a écrit ce poème :

Pour me rajeunir
de rosée des chrysanthèmes
humectant ma manche
à la maitresse des fleurs
les mille ans je laisserai.

Pierre Loti a été impressionné par la variété des chrysanthèmes

[…] chacun de ces chrysanthèmes porte, sur une bandelette de papier, son nom écrit à l’aide de ces caractères savants qui peuvent être lus en deux langues différentes, en chinois aussi bien qu’en japonais ; ils s’appellent le « dix mille fois saupoudré d’or », « la brume de montagne », « le nuage automnal »… – extrait, Empereur du Japon vénéré comme un dieu par ses sujets

THÉÂTRE NO
© Hanurobu, Kuki-Jido
Des spectacles de théâtre nô sont organisés, mettant en scène des histoires ancestrales comme celle du garçon au chrysanthème Kiku-Jido. Ce jeune homme mythique était le favori de l’empereur, mais il a été banni dans une montagne éloignée pour avoir commis un délit. Prenant le garçon en pitié, l’empereur lui a donné une écriture bouddhiste sacrée. Le garçon l’a mémorisé en le copiant sur des feuilles de chrysanthème. Il a ensuite bu la rosée recueillie sur les feuilles, et est ainsi devenu immortel. Cette histoire se reflète dans la tradition populaire qui consiste à recouvrir des fleurs de chrysanthème de soie ou d’ouate pendant la nuit, puis à s’essuyer le lendemain matin avec la rosée accumulée, afin de se protéger des maux de la vieillesse. Ce rituel est encore pratiqué dans certains sanctuaires. source Zoom Japon

Mon cœur
S’en est allé
Sur la haie qui clôt votre demeure :
C’est à cause du blanc chrysanthème
Que vous y gardez encore…
Le Chrysanthème solitaire, roman anonyme

ÉLÉMENT DÉCORATIF
© Kazumasa Ogawa

L’avènement de l’automne se manifeste dans les couleurs flamboyantes des érables et celles des chrysanthèmes qui deviennent des éléments décoratifs sur les paravents, les céramiques, le kimonos, les objets d’usage courant, puis ornent les jardins, les entrées des maisons, les bouquets ikebana, voire même les mets etc…

DIVERS

Le chrysanthème figure sur l’une des cartes du jeu traditionnel Hanafuda Jeu des Fleurs. La fleur y est représentée pour le mois de septembre aux côtés d’une coupelle de saké, Kiku ni ippai (« la coupe près des chrysanthèmes »).

Une coupe de saké –
J’y jette quelques pétales
de chrysanthèmes de chemin de montagne
Basho

Kikuka-sho ou Kikka sho « Ordre du Chrysanthème », décoration kunsho créée en 1876, est réservé aux souverains et au princes pour récompenser les services rendus à la patrie (ruban violet et rouge).

Et enfin, je vous conseille de lire le livre tant controversé Le Chrysanthème et le sabre, de Bénédicte Ruth.