LE BRAVE PRUNIER I UME 梅
°°°
Le mois de février célèbre son arbre, le prunier ume. Ses fleurs gracieuses au parfum suave annoncent le printemps pendant que celles de cerisier sommeillent encore.
Les fleurs de prunier sont à l’origine de la tradition o-hanami qui appelle à leur contemplation et les premières à avoir été louées dans les poèmes, les récits et les missives amoureuses. Puis, révérées par les plus grands artistes, elles ont illuminé les arts de leur éclat.
Que n’ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum !
Satomura Jôha (1525-1602)
Après vous avoir exposé l’origine de o-hanami et la symbolique du prunier, je vous propose un voyage dans le temps : un aller-retour entre l’ère Heian et aujourd’hui.
DIVERSITES
La fleur de prunier, qu’elle soit blanche ou rouge, vit deux fois plus longtemps que celle de cerisier. Dans Notes de chevet Makura no sôshi (chapitre 21. Fleurs des arbres), Sei Shonagon nous ouvre son cœur :
ORIGINE ET symbolique
L’observation des fleurs o-hanami a commencé avec le prunier umemi, coutume empruntée à la Chine des Tang à l’ère Nara (710-794). La célébration des fleurs de cerisier, devenues tardivement symboles emblématiques du Japon, s’est répandue à partir de l’époque Edo.
La beauté éphémère des fleurs suggère l’impermanence de l’existence, de la jeunesse qui se fane. Une douce mélancolie ressort de ce poème anonyme :
Les fleurs, elles s’épanouissent : – alors
On les regarde : – alors
Elles se fleurissent : – alors…
Les qualités et la symbolique que l’on confère à la fleur de prunier sont multiples : patience, optimisme, espoir, force, vitalité, bravoure, loyauté, élégance, noblesse, beauté, qualités morales, discrètes et délicates de la femme, de la mère qui enfante et élève son enfant.
LE PRUNIER A LA COUR DE HEIAN
- Concours de poésie
La fleur de prunier est un thème récurrent dans le Man’yōshū, le plus ancien recueil de poèmes waka compilé au VIIIe, mais elle est détrônée par celle de cerisier à partir du Xe siècle.
La Cour, lieu d’épanouissement culturel, mène une vie oisive et futile, consacrée aux divertissements : concours de poésie, contemplation des fleurs o-hanami, calligraphie, amours courtois et libres, etc…
Le prunier en fleur attend son maître dans le jardin Kikaku (1661-1707) |
Les fleurs du prunier parfumées qui tombent glissent sur la branche mais transmettent à la manche leur fragrance. Extrait Le Dit de Genji de Murasaki Shikibu |
- Art de la séduction
Les missives amoureuses étaient nouées de manière particulière en fonction du sexe de la personne qui l’envoyait. Le parfum et la couleur du papier n’étaient pas choisis au hasard. Un code était à respecter : papier rose perle à la floraison des cerisiers, papier parme durant la floraison des glycines… et à chaque missive on nouait une branche ou une fleur de saison. L’étiquette amoureuse voulait que l’amant, peu après son départ matinal avant l’aurore, envoie à la dame de ses pensées une lettre et un poème pour confirmer ses sentiments et… sa culture littéraire. La règle exigeait que la dame fasse écho avec un poème waka. Un savoir-faire et savoir-vivre d’un raffinement extrême !
Les beaux garçons
dessaleurs de prunier et les saules pleureurs
de belles femmes
Bashô (1644-1694)
- Art de l’encens
Les nobles dépensaient sans compter pour des bois précieux, ingrédients des pastilles d’encens neriko, qu’ils composaient en fonction de leur goût, leur imagination et sur base des recettes traditionnelles. Ils s’en servaient à parfumer les vêtements, les éventails et les lettres.
L’encens Baika a été inspiré par le parfum doux et entêtant de la fleur de prunier.
neriko : pastilles d’encens pétries, fabriquées à partir de poudre d’encens, de miel et de prune, laissées « mûrir » pendant 3 à 5 ans dans un pot.
Dans le Dit de Genji Genji Monogatari de Murasaki Shikibu, on apprend que le prince Kaoru portait un parfum sans pareil :
Pour en savoir plus, (re)découvrez mon article 4/2021 Encens I Art olfactif
Les couleurs des fleurs Sont brouillées sous la neige, Tellement qu’on ne peut les voir : Mais leur parfum qu’on respire Révèle leurs présence. Poèmes du recueil Kokinshyû du VIIIe |
Par cette nuit de printemps, Obscure et sans formes, Des fleurs de prunier La couleur est invisible ! Oui ! Mais leur parfum ! peut-il se dérober ? Poèmes du recueil Kokinshyû du VIIIe |
- Légende du « prunier volant » Tobiume
Sugawara no Michizane (845-903) poète et politicien de renom, victime d’un complot organisé par les Fujiwara, il tomba en disgrâce et fut contraint à l’exil à Kyushu. Il regretta tant de quitter son prunier favori qu’il lui composa un waka avant le départ :
Quand le vent d’Est souffle,
fleurissez, fleurissez, fleurs de prunier !
Même si votre maître n’est plus là,
n’oubliez pas le printemps !
La légende dit que celui-ci s’envola de Kyoto pour le rejoindre à Dazaifu, d’où son nom Tobiume « prunier volant ».
Après son décès, les familles des rivaux vécurent que des malheurs vus par l’Empereur comme une vengeance de l’esprit de Sugawara. Pour le consoler, il le consacra au rang de Dieu des études et des lettres Tenjin et érigea un sanctuaire shinto en sa mémoire : Dazaifu Tenman-gū, préfécture de Fukuoka.
FETES I MATSURI
L’âme japonaise vénère les fleurs et l’apparition de certaines d’entre elles est l’occasion de fêtes populaires matsuri.
Lors des fêtes du 1er jour de l’an, des vases de porcelaines et de bronze sont ornés de branches de pin matsu, de bambous take et de pruniers ume. Ces trois compagnons des grands froids ont inspiré le motif de bonne augure des kimono dénommé shōchikubai, symbole du Nouvel An japonais.
L’An se lève, obscur ;
La neige voile l’aurore.
Ciel rend nous l’azur,
Car le prunier vient d’éclore,
Et son doux parfum t’implore !
poème extrait de Le Japon par Judith Gauthier
Umemi est une invitation à contempler la floraison évanescente, sentir le parfum tenu des fleurs dans l’air doux et caressant et faire la fête sous les confettis de pétales emportées par la brise qui se déposent parterre formant un lit somptueux. Les festivals ont lieu entre mi-février et mi-mars dans des parcs publics, des sanctuaires et des temples à travers tout le pays.
Prunier en fleur
Le souffle discret du vent
pour ne pas les disperser
Bashô (1644-1694)
Dans le parc, tout blanc,
De Tchiyoda, quelle chose,
Le premier de l’An,
Souris dès l’aube morose ?…
C’est la fleur du prunier rose.
poème extrait de Le Japon par Judith Gauthier
Pendant umemi on célèbre autant la fleur que le fruit de cet arbre sacré. Prumus mume produit l’ingrédient principal de divers délices : umeboshi, prune salée et séchée utilisée pour les onigiri, kobai petit gâteau à base de pâte de haricots rouges azuki et de farine de blé cuite à la vapeur, umeshu alcool japonais à base de prunes marinées dans la liqueur, etc.