LE RIZ I REPRÉSENTATION SYMBOLIQUE ET CULTURELLE
°°°@ 13ème station de Tokaido, Hara, Hiroshige
Début de l’automne
l’émeraude de la mer et des rizières
exactement le même vert
Basho
Cet article est une parenthèse au précédent car le riz, à part être un ingrédient de base du sushi, il occupe une place majeure tant dans l’histoire et l’économie du pays que dans sa culture (langue, représentations artistiques, littérature, croyances, coutumes, superstitions…)
Le Japon et le riz étant indissociables, le sujet est incontournable !
HISTOIRE et economie
Dans les anciennes chroniques, le Japon est appelé « contrée de la luxuriante plaine des épis de riz. » La riziculture serait arrivée au Japon de Chine ou de Corée durant la période Jômon (11 000 ans av. J.-C – 400 ans av. J.-C.).
A l’époque Nara (710-794), le riz raffiné était une denrée de luxe réservée à l’aristocratie, aux propriétaires terriens et aux guerriers, les paysans en consommaient à des rares occasions. Au quotidien, ils se nourrissaient de riz glutineux peu poli « riz noir » mélangé avec du millet.
le solitaire admirant la lune
fredonne la chanson de riz de Nara
Basho
Beaucoup de fêtards sous les fleurs –
mon saké n’est pas filtré
et mon riz est noire
Basho
Durant la période Edo (1603-1868), le shogunat Tokugawa a mis en place un système appelé kokudaka pour déterminer la valeur des terres à des fins fiscales (1 koku = 150 kg de riz, quantité pour nourrir une personne durant un an).
C’est seulement à partir de l’ère Meiji (1868-1912) que la perception de l’impôt sur le riz a été modifiée en un système monétaire.
Aujourd’hui encore, le riz est appelé «aliment de base» shushoku, même si après la deuxième guerre mondiale, sa consommation avait baissé à cause du changement de l’alimentation influencée par l’Occident.
VARIÉTÉS DE RIZ et LEUR USAGE
Au Japon, on cultive Oryza sativa japonica qui se distingue des autres variétés asiatiques indica de par sa forme trapue et sa texture collante et douce (suitô riz de rivière irriguée, okabo riz de montagne cultivé au sec).
D’autre part, il a deux familles de riz et plus de 300 variétés :
– uruchigome, les variétés que l’on consomme en plat ou pour faire des sushi, des onigiri… sont koshihikari, hinokihari, akitakomachi, kinehikari, hitomebore… Ce dernier signifie « l’amour au premier regard » !
– mochigome ou riz gluant, qu’on utilise pour produire des spécialités : gâteaux mochi, dango, manjû, crackers grillés senbei, nouilles, komezu vinaigre, mirin vin de riz doux utilisé pour cuisiner, miso pâte de soja fermenté…
Préparation de mochi pour le mois de décembre, Shiwasu jûni-gatsu no uchi mochi-tsuki, 1854
estampe d’Utagawa Kunisada (1786-1865) © Edo-Tokyo Museum, Edo Tôkyô hakubutsukan
d’une main elle relève
la mèche de cheveux sur son front
Basho
à mêler au riz cuit, pour oublier mes soucis –
Fin de l’année.
Basho
Le sakamai est le riz utilisé pour faire du sake (nihonshu)
Du saké où flottent des pétales de chrysanthèmes
après le soleil couchant
Basho
Je bois du saké à l’ombre –
Chute des fleurs de cerisiers
Basho
Il boit du saké
tout seul
Basho
Hors alimentation, la paille de riz sert à fabriquer des toitures, du papier, des nattes de tatami, des balais, des chapeaux., des cordes…
LANGUE
estampes ET LITTÉRATURE
Les voyageurs représentés dans ces estampes se dirigent vers Edo (Tokyo), et symbolisent le Japon éphémère et changeant incarné par la ville. En revanche, le riz et sa culture représentent un Japon éternel dans sa forme immuable et pure. Des représentations temporelles sont inhérentes à ces représentations d’activités d’aménagement paysager et de subsistance. L’agriculture symbolise le passé originel, ce qui suggère une identité nationale distincte non contaminée par des influences étrangères et la modernité, symbolisée par la ville, comme dans bien d’autres cultures. La métaphore jumelle de riz et de ses rizières est devenue le symbole ultime du Japon et de la culture japonaise dans sa forme la plus pure. Les rizières aux plants verts dans une eau cristalline sont un motif fréquent des poèmes, essais, estampes et autres représentations artistiques. Ce sont aussi les tiges de riz avec de brillants épis dorés et mûrs qui ondulent dans le vent d’automne. Non seulement la plante et ses grains, mais le riz cuit lui aussi est magnifique avec son éclat, sa pureté et sa blancheur. « Chaque grain est une perle », selon Tanizaki Junichiro. source Collège de France, Philippe Descola
ALIMENT SACRALISE
Le riz a des vertus magiques et surnaturelles. Les grains et son alcool, le sake ou nihonshu, sont des offrandes sacrées offertes lors des fêtes et cérémonies rituelles shintoïstes. D’ailleurs, de nombreux fûts de sake sont généralement installés près des lieux de culte !
Des fêtes matsuri ont lieu au printemps lors du repiquage du riz Otaue Matsuri (littéralement : fête du repiquage du riz dans les rizières) et en automne après la récolte Niiname-sai (l’un des plus anciens rituels datant de la cour impériale durant lequel le souverain offrait du riz aux kami du sanctuaire shinto Ise Jingû, dans la préfecture de Mie).
Le chant des paysans dans les rizières
en ville
on récite des poèmes
Basho
D’autres us et coutumes :
– des graines de riz sont déposés tous les jours sur l’autel domestique shinto Kami-dana consacré aux kami (de l’eau, des talismans y sont déposés ainsi que la paie des travailleurs avant son utilisation, c’est l’équivalent du butsudan bouddhique).
Commémoration de la mère défunte de Fuboku
En offrant de l’eau
en souvenir de votre mère,
prenez du riz cuit desséché
Basho
– lors des circonstances heureuses, fêtes des enfants Shichi-go-san 3-5-7 ans , mariages, le 60ème anniversaire, ainsi que le 1er et 15 de chaque mois, on prépare le sekizan riz cuit avec des haricots rouge azuki ;
– lors des jours fastes, comme le Nouvel An, on prépare des mochi qui contiennent la force divine de l’esprit du riz (galettes faites de pâte de riz gluant que l’on cuit à la vapeur).
proche de la fin d’année
Bruit de pilonnage du mochi
Basho
Soupir pour les soleils
des mille petites rizières
Basho
Une fois chacun à sa place, son bol devant lui, on récite pour le reps plusieurs sûtras et invocations, puis la ration est distribuée, bol après bol, comme il est prescrit. On en prélève d’abord sep grains de riz cuits, qu’on offre aux esprits affamés, gaki, avant de joindre tous ensemble les deux paumes devant soi au signal du surveillant qui frappe l’une contre l’autre les deux planchettes de bois : c ‘est seulement à ce moment qu’on se saisit de ses baguettes. Un brouet de riz, communément appelé « soupe où se mire le plafond,, clair au point que s’y reflètent les yeux et le visage où pointe la barbe […] extrait Journal d’un apprenti moine zen de Sato Giei (© source photo temple zen Eiheiji)
Mangeant la bouille de riz
l’impression d’entendre un biwa –
grêle sur l’avant-toit
Basho
SUPERSTITIONS
Ne jamais planter ses baguettes à la verticale dans votre bol de riz : il s’agit d’une offrande réservée aux rites funéraires bouddhistes que l’on place sur l’autel du défunt. Pour ne pas vous porter malheur, posez donc vos baguettes en équilibre sur le bol ou sur le repose-baquettes hashioki.
Évitez de passer la nourriture de baguettes à baguettes car c’est un rite funéraire. Lors de l’incinération, on passe les restes aux proches avec des baguettes pour qu’ils puissent les entreposer dans une urne funéraire.
Dans le film Mr. Baseball de Fred Schepisi avec Tom Selleck, il y a la scène culte et comique… pour les Occidentaux, où Jack, un Américain, découvre les coutumes et règles japonaises à table.
Autres croyances millénaires :
– pour repousser les mauvais esprits, on jette des graines de riz dans la chambre de l’enfant qui se réveille en pleurs la nuit ;
– pour chasser le mal on secoue au chevet du malade un bambou qui contient des graines de riz, le bruit ayant un pouvoir salutaire et mystérieux, etc.
L’ART DE MANGER DU RIZ
Ne versez jamais de sauce soja dans votre riz, cela voudrait dire que vous le trouvez de mauvaise qualité ! Le riz se consomme pur afin qu’il n’affaiblisse pas la saveur du poisson, de la viande et des légumes qui l’accompagnent.
A VOIR
Un film rare sur la culture de riz Kome (Gens de rizière) d’Imai Tadashi qui démontrent la vie rude des riziculteurs luttant pour leur survie.
L’enfant pauvre
s’interrompt de piler le riz
pour regarder la lune
Basho
Ma première et unique rizière en terrasse que j’ai visité en 2019, lors de mon 6ème voyage, proche de la ville de Wajima, est Shiroyone Senmaida du Nord de la péninsule de Noto.
Un but de paradis terrestre qui chevauchent la Mer du Japon. Les nuits d’hiver, la rizière est illuminées de 20 000 LED
L’origine de l’élégance poétique
en ce nord lointain
le chant de repiquage du riz
Basho