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4/2023

LE PAPILLON  I  CHÔ

°°°

Passant l’automne
un papillon lèche
la rosée des chrysanthèmes
Bashô (1644-1694)

Les insectes, tout autant que les arbres, les fleurs, les oiseaux,…, apportent de la magie à nos vies scandées par les rythmes de saisons. Contrairement aux Occidentaux, les Japonais et les Grecs anciens ont toujours été sensibles aux insectes et à leurs chants.

Ce n’est pas seulement lorsqu’il est question d’insectes que les poètes grecs se rapprochent des Japonais : ils s’y apparentent par des milliers d’émotions infimes, concernant les dieux, le destin de l’homme, le plaisir que donnent les fêtes sacrées mais aussi ces chagrins inhérents à la vie que l’humanité partage depuis sa naissance. extrait Insectes Lafcadio Hearn, édition du Sonneur

En avril, émergent les premiers papillons. Gracieux, ils puisent leur énergie du soleil, sous la protection de la déesse Amaterasu, et se nourrissent du pollen des fleurs. Bien que leur vie soit éphémère, ils occupent une place significative dans la culture japonaise.

Parmi les fleurs écloses
sur la haie
un papillon volige
ah ! l’envie d’être avec lui
si éphémère
Saigyô (1118-1190)

CROYANCES POPULAIRES

Dans la Grèce antique, chez les Amérindiens ou en Chine, le papillon est un symbole de l’âme et de l’immortalité. De même, au Japon, il représente « l’âme des vivants et des morts » […]extrait Bestiaire japonais Nelly Delay & Dominique Ruspoli, Editeur A propos

En solitaire, le papillon symbolise la longévité lorsqu’il vole au dessus d’un prunier, la joie ou un pressage heureux lorsqu’il entre par hasard dans une maison, mais aussi l’éclosion de la féminité. Pour cette raison, le papillon décore le kimono des jeunes filles le furisode « manche flottante », en tant que métaphore de la jeune fille qui déploie ses ailes pour devenir femme tandis que les manches longues jusqu’aux chevilles sont synonymes de pureté et d’innocence. De plus, pour maintenait le furisode, la ceinture obi à pans longs, peinte ou brodée, est largement nouée dans le dos en forme de papillon cho musubi. Leurs coiffures aussi portent le nom de papillon chocho mage : les cheveux sont partagés en quatre coques symétriques.

@ Suzuki Harunobu, Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple Kiyomizu, 1765

Suivant les âges, l’inspiration du costume traditionnel féminin japonais changeait, mais elle trouvait toujours sa source dans la nature. De la petite fille, on faisait un papillon ou un oiseau tropical, aux couleurs vives, presque criardes, et comme rehaussées par le son des grelots cachés dans les semelles des socques (les pokkuri). […] De décennie en décennie, le charmant papillon des îles finissait par se muer en un moineau brun (parfois dès trente-cinq ans), puis en une mite grise – c’était le nom du style convenant à une vieille dame. extrait Les dames du Soleil Levant de Danielle Elisseeff

D’autre part, les papillons qui voltigent en couple, représentent le bonheur conjugal sur les kimonos lors d’un mariage. Et les décorations en papier en forme de papillon origami pour la cérémonie dénommées o-chô et mechô symbolisent l’union heureuse et éternelle.

La phalène est le symbole du rêve et de la vie insouciante. Certains jours de fête, la « danse du papillon » a une importante signification. Deux papillons sont les témoins symboliques des noces au Japon : accompagnateurs dansants sur le chemin de la vie, ils mènent le couple vers l’avenir à travers un merveilleux jardin fleuri. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, Edité par Chêne/Hachette

En grand nombre, les papillons inspirent l’effroi, comme l’indique l’histoire du clan Taira (l’un des quatre clans qui dominèrent durant l’ère Heian, avec les Fujiwara, les Minamoto et les Tachibana, dont le blason mon était un papillon machaon de couleur jaune, noir et bleu appelé ageha-chō.

Papillon qui bat des ailes
je suis comme toi –
poussière d’être
Issa (1763-1828)

Lorsque Taira-no-Masakado préparait en secret sa grande rébellion, une telle nouée s’abattait soudain sur Kyôto que les gens prirent peur, croyant qu’ils annonçaient une catastrophe… Ces insectes étaient-ils les âmes des milliers d’hommes destinés à mourir sur le champ de bataille, agitées à la veille de la guerre par quelque mystérieux pressentiments ? extrait Insectes Lafcadio Hearn, édition du Sonneur

Valsent les papillons –
je parle
avec les morts
Yokohama Hahkkô

<

Chô le papillon incarne à la perfection la capacité de se transformer et à renaître. De quoi séduire, dans le Japon médiéval, les samouraï qui voient dans cette figure virevoltante et fragile une invitation au combat et à la victoire, fut-ce au péril de leur vie et un moyen d’atteindre à l’immortalité. extrait Bestiaire japonais Nelly Delay & Dominique Ruspoli, Editeur A propos

RELIGION BOUDDHISTE

A ce titre, le bouddhisme considère que les phénomènes qui composent la personnalité d’une personne décédée pourront se réincarner sous des formes animales, végétales et minérales.

Couvert de papillons
l’arbre mort
est en fleurs
Issa (1763-1828)

Le papillon est l’incarnation d’une âme défunte bienfaisante et protectrice ou l’âme d’une personne qui s’envole vers l’autre monde.

Sur l’œillet
Un papillon blanc –
ou une âme égarée
Masaoka Shiki (1867-1902)

La plupart des légendes sont d’influence chinoise à part ce conte populaire : un homme inconsolable, dénommé Takahama, a veillé toute sa vie la tombe de sa bien-aimée Akiko jusqu’au jour où son âme l’a rejoint dans le royaume des morts sous forme la forme du papillon blanc.

Le Papillon bat des ailes
comme s’il désespérait
de ce monde
Bashô (1644-1694)

Dans le bâtiment principale Daibutsu-den du  temple Tôdai-ji à Nara, au pied du grand Bouddha en bronze de 14,98 m de hauteur, on remarque des fleurs de lotus et deux papillons…

Todaiji de Nara et son Daibutsu - Chroma France

LITTÉRATURE

Les poètes, les artistes et les danseuses ont souvent choisi un nom d’artiste geimyô de papillon : Chômu rêve de papillon, Ichô papillon solitaire. Il existe aussi des noms propres pour les filles Kochô ou Chô papillon… On sait aussi que le marchand d’armes britannique Glover épousa la fille d’un samouraï qui inspira le livret d’opéra de Puccini, Madame Butterfly Chôchô san.

De passage dans un pavillon de thé, une femme appelée « Papillon » m’a demandée, en me donnant une pièce de soie blanche, de composer un hokku sur son nom. J’ai donc écrit :

Parfum d’orchidée –
en sont imprégnées
les ailes du papillon !
Bashô (1644-1694)

© Kubo Shunman, Gunchô Gafu (1757-1820)

Mais, retournons dans les époques anciennes :

  • Période Heian (794-1185)

Faire des insectes des sujets poétiques est une tradition qui remonte à l’époque Heian, période où la gente bien née et cultivée dresse déjà des parallèles entre l’aspect ou le chant des insectes et les sentiments humains. extrait Un bestiaire japonais / Vivre avec les animaux à Edo-Tokyo (XVIIIe et XIXe siècles),Collectif – Catalogue exposition MCJParis

Dame Murasaki Shikibu intitula le chapitre 24 de son Dit du Genji  Genji Monogatari « Les Papillons », Kochō. Elle nous apprend l’existence de la danse des papillons Kochô mai exécutée lors des festivités de printemps au palais de l’Impératrice par des filles déguisées en papillon et oiseaux.

Pour les intentions de la dame au printemps, il fut précédé à une offrande de fleurs aux bouddhas. Huit fillettes, costumées pour moitié en oiseaux et pour moitié en papillons, toutes pareillement gracieuses, portaient les oiseaux, des fleurs de cerisier dans des vases d’argent, les papillons, des corètes dans des vases d’or. Et ces bouquets de fleurs banales prenaient là une splendeur et un éclat incomparables. extrait Dit du Genji chapitre 24 « Les Papillons », Kochō

Image Dames de la Cour impériale exécutant la « danse du papillon ».

Oiseaux et papillons
s’agitent avant l’envol –
Nuages de fleurs
Bashô (1644-1694)

La phalène est très jolie et charmante. Lorsqu’on approche la lampe tout près, pour lire quelques roman, qu’elle est gracieuse quand elle passe, en volant, devant le livre ! extrait Notes d’oreilles, Sei Shonagon Makura no sôshi[/su_quote]

  • Période Edo (1603-1868)

A l’époque Edo, née la poésie humoristique kyôka.

© Kitagawa Utamaro (1753-1806) Album des insectes choisis, Yadoyano Meshimori (texte) 1787 Tenmei 7

Je me rêve papillon et j’embrasse
tes lèvres pour goûter un nectar de ta fleur
comme on piège la libellule sur une tige engluée
je te tiendrai si tu cherches à m’échapper

ARTS DÉCORATIFS ET JAPONISME

[...] fleurs et bêtes se trouvent associées dans l'art comme dans la vie. La pivoine et le papillon, le rossignol et le prunier en fleurs, l'érable et le daim, le renard et les roseaux au pâle claire de lune d'automne, ces thèmes, et bien d'autres encore, sont peints et chantés indéfiniment, et les Japonais ne se lassent pas de se réjouir en leur compagnie adorable. extrait L'art, la vie et la nature au Japon de Masaharu Anesaki.

Les premiers dessins d'insectes (libellules, araignées, papillons...) semblent avoir été faits par les Japonais, un siècle avant J .C., pour orner les poteries et les cloches des temples, technique en relief dénommée dôtakus.

Encore aujourd'hui, le papillon est présent dans les arts décoratifs (vases de porcelaine, l’art de la table…) et souvent en compagnie d’une pivoine « la rose du Japon ».

© Utagawa Hiroshige, Papillon et pivoines, estampe nishiki-e, encre sur papier, format chûban vertical, époque Edo, MFA Boston

Les artisans d’art européen ont vu leur créations influencée par l’artisanat japonais vers 1875. A la différence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siècle pour la Chine, le japonisme s’est répandu grâce à l’Exposition universelle de Paris de 1867 (article à (re)découvrir Kimono I Symbole du japonisme)

Théodore Deck* réalisa de grandes assiettes murales en grès, où des pivoines d’une beauté remarquable sont associées à des magnifiques papillons. Dans sa composition, Deck suit les exemples japonais, en établissant une construction asymétriques des feuillages et des fleurs, et en disposant les papillons dans les espaces vides. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, Edité par Chêne/Hachette

© Théodore Deck, Grand plat (vers 1875), Baltimore, Walters Art Museum

* Céramiste français : L’œuvre de Théodore Deck (1823 -1891) est caractéristique d’un grand éclectisme. En effet, l’artiste fait cohabiter dans sa production plusieurs influences qui touchent les arts au XIXe siècle, en passant par l’historicisme que l’on retrouve dans les portraits de personnages historiques ou célèbres de ses plats, l’orientalisme, le japonise ou l’art chinois. source