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9/2022

KIMONO   &   ART DU maquillage traditionnel

Artifice ou célébration de la beauté ?

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Exquise et étrange, avec son air de froide déesse qui regarde en dedans, qui regarde au-delà, qui regarde on ne sait où.
Pierre Loti

Le maquillage traditionnel, contrairement à la coiffure et au vêtement, a évolué légèrement entre l’Antiquité et le XIXe siècle. En dissimulant ses traits, la femme était devenue une abstraction qui ne prenait de sens que dans la rigidité des codes sociaux propres à chaque époque.

Durant Heian (794-1185) « La très longue chevelure, objet de nombreux poèmes, mettait en valeur le blanc du visage qui s’appliquait en couche de plus en plus épaisse et se répandait chez les courtisanes et les jeunes danseuses. Les yeux étaient étirés et la bouche rouge, menue à l’extrême. L’ensemble devait apparaître comme immatériel et inexpressif car la dame se devait d’afficher un léger masque de détachement et d’ennui pour mettre un paravent à l’expression de ses sentiments. L’esthétique qui en résulte imprégna longtemps l’esprit du maquillage. Cette incertitude mélancolique, cette opposition de sensualité et d’inexpression, cette corrélation étroite entre la beauté et la tristesse marquèrent la naissance du goût japonais. » extrait Le corps japonais, Dominique Buisson, Editions Hazan

Depuis le 6 janvier 1869, date du décret impérial qui a interdit le fard d’un autre âge, seuls les geisha, les maiko et les acteurs de kabuki maintiennent cet art vivant.

Mon article dévoile les secrets de maquillage à travers sa palette de base – blanc, noir et rouge – ainsi que les soins du visage et, pour finir, quelques accessoires remarquables par leur raffinement.

BLANC

Une peau blanche était, comme dans la plupart des société aristocratiques, un signe de beauté. Dans les peintures représentant les messieurs et les dames de la cour, les gens d’un rang supérieur avaient toujours des visages plus pâles. La nature ne respectant pas toujours cette distinction, la pâleur nécessaire était acquise au moyen de généreuses applications de poudre. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, Ivan Morris, Collection La Suite des temps, Gallimard

@ Artmemo, Goyo HASHIGUCHI (1880 – 1921)   Jeune femme se poudrant

« Un visage blanc cache beaucoup de défauts » – proverbe

[いろのしろいのはしちなんかくす, iro no shiro no wa shichinan kakusu] « Iro no shiro » désigne la blancheur d’un visage de femme, 七難 – しちなん- shichinan ; désigne les 7 infortunes bouddhistes et dans son sens figuré un grand nombre de défauts. Il faut se méfier des apparences. 

Pour cela, on employait une poudre blanche – keifun blanc de mercure ou o-shiroi blanc de céruse (en dépit du Saturnisme dû au plomb !) – fondue dans l’eau et appliquée avec des pinceaux sur le visage, le cou, la nuque et le décolleté qui étaient enduits auparavant de l’huile de camélia bintsuké-abura. Après Edo (1603-1868), ces poudres nocives ont été remplacées par une pâte non métallique neri-o-shiroi et la poudre kona-o-shiroi.

Les geisha mettent en valeur leur nuque en la blanchissant, mais gardent nus trois triangles de peau naturelle dénommés « trois jambes » sanbon-ashi (les apprenties maiko n’ont que deux !). Ce minime détail invite à l’érotisme en laissant imaginer les secrets d’une intimité interdite.

makeup guide | Geisha

Aujourd’hui encore, la blancheur de la peau demeure la condition première de la beauté. En été, la japonaise cache son visage du soleil sous des chapeaux, des ombrelles,… et les bains de soleil font défaut à sa culture.

NOIR

Le noir est inhérent aux coutumes de passage de l’existence féminine, de l’enfance à l’âge adulte.

  • Les sourcils

La coutume d’épiler ou de raser les sourcils  existait en Chine pendant la première dynastie Han et fut importée au Japon. L’aristocrate et la femme des samuraï se rasaient les sourcils à partir de la maturité (13 ans) tandis que la femme du peuple, une fois mariée ou devenue mère, coutume dénommée hongenpuku.

A la très aristocrate époque Hein, le goût était à l’extrême délicatesse et le maquillage se japonisa. Les sourcils étaient alors les éléments les plus importants de la beauté. On les détestait naturels et on épilait « ces horribles chenilles » afin de les redessiner, généralement plus haut sur le front. Au début, c’était des croissants fins et longs, mais les plus spectaculaires étaient larges et estompés. Plus tard, on les nomma « feuilles de saule », « croissants de lune », « antennes de papillon », « cocons de soie ». extrait Le corps japonais, Dominique Buisson, Editions Hazan

@ Artmemo, Shodo YUKAWA Beauté de l’époque Heian (794-1185)

On redessinait les sourcils rasés avec du noir mayuzumi obtenu par un mélange de fleurs brûlées, de poudre d’or, de suie et d’huile de sésame ou par de la pelure de châtaigne, du charbon de paulownia.

Dans l’ouvrage Kewai mayuzukuri kuden La tradition du maquillage des sourcils,  Mizushima Bokuya détaille les règles pour dessiner les sourcils et les accessoires nécessaires.

  • Les dents

La coutume detsushi ou kanetsuke qui consistait à se noircir les dents était usitée par les femmes et les hommes de classes supérieures jusqu’à l’ère Meiji « pour se différencier des esclaves et des animaux » (à la période de Tokugawa (1603-1867) les prostituées appelées « les mariées d’une nuit » également).

D’abord réservé aux dames de la cour, le o-haguro, le noir à dents, est adopté par les hommes et se répand dans les meilleurs guerriers ; puis son usage est à nouveau restreint aux femmes du peuple. Parallèlement, ce signe de l’accès à l’âge adulte devient celui du mariage : couleur inchangeante, symbole de la fidélité et de l’obéissance des femmes. Abolie en 1870, la coutume du noircissement des dents subsista longtemps dans les campagnes reculées. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan

© Kitagawa Utamaro, Museo Nacional del Prado

La poudre hagurome était composée de débris de fer oxydés et de noix de galle fushi, dissoute dans du thé ou du saké.

ROUGE

Sur ce fond blanchâtre, les femmes mariées appliquaient généralement un peu de rouge, elles peignaient également leurs lèvres pour donner à la bouche l’aspect d’un bouton de rose. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, Ivan Morris, Collection La Suite des temps, Gallimard

Le rouge beni-guchi, extrait de benibana*, plante de la famille du chrysanthème Carthamus tinctoris, servait pour rougir les lèvres, les joues et parfois pour le contour des yeux afin d’éclairer l’iris et creuser un peu l’arcade.

@ Artmemo, Goyo HASHIGUCHI (1880 – 1921)   Jeune fille se mettant du rouge à lèvres

Elle est mignonne, fine, élégante ; elle sent bon. Drôlement peinte, blanche comme du plâtre, avec un petit fond rond rose bien régulier au milieu de chaque joue ; la bouche carminée et un peu de dorure soulignant la lèvre inférieure. extrait Japon, Erwin Fieger, L’iconothèque

*Entre parenthèse, ces agents colorants de benibana servirent pour teindre les tissus, puis à partir du XVIIe dans la fabrication des encres d’imprimerie pour les estampes ukiyo-e de type benizuri-e et beni-e.

LES SOINS

A l’époque Edo 1813  est paru un ouvrage sur l’esthétique intitulé Le Guide de la beauté dans la capitale Miyako fûzoku keshôden de Sayama Hanshichimaru et illustrations de Hayami Shungyôsai.

  • Le visage

Les femmes utilisaient des sachets de tissus nuka-bukuro remplis de son de riz hydratant nuka, de plantes médicinales ou aromatiques, de poudre de haricots rouge azuki nettoyante araiko qui contenait de la saponine. Elles plongeaient les sachets dans l’eau chaude puis les essoraient avant de frotter leurs visages.

Cent belles femmes dans des sites célèbres d’Edo : La colline Goten-yama, Utagawa Toyokuni III, 1858 © POLA Research Institute of Beauty and Culture
  • Les dents

On utilisait une brosse à dents fusayôji en bois de saule, de cèdre ou de bambou sur laquelle on mettait du sel ou une poudre abrasive rouge mêlée à des parfums.

@ Yoshitoshi, Fine Art Print

Source : catalogue de l’exposition Secrets de beauté, Maquillage et coiffures de l’époque Edo dans les estampes japonaises à la Maison de la culture du Japon à Paris 

ACCESSOIRES
@ Artmemo, Kitagawa UTAMARO (1753-1806) La courtisane Takashima Ohisa

Voici un aperçu de quelques accessoires qui ont été présentés du 19 mai au 10 juillet 2021 lors de l’exposition Secrets de beauté, Maquillage et coiffures de l’époque Edo dans les estampes japonaises à la Maison de la culture du Japon à Paris

 

@ Maison de la culture du Japon à Paris

@ TACHIBANA MUSEM JAPAN

SECRETS DE BEAUTE

Michiyo Watanabe du POLA Research Institute of Beauty & Culture nous éclaire sur les rituels du maquillage des Japonaises de l’époque Edo. Fard blanc, rouge à lèvres, dents noircies ou encore sourcils rasés signifient souvent bien plus qu’une simple mise en valeur esthétique de ses atours. Elle nous explique en quoi le maquillage était souvent le reflet d’une position sociale ou d’un statut marital.