à ma grand-mère
KIMONO & HEIAN L’AGE D’OR
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La période Heian (794-1192), l’âge d’Or du Japon, se caractérisait par un dynamisme créateur dans tous les domaines de l’art. Elle doit son nom à la nouvelle capitale Heian-kyô (littéralement « capitale de la paix et de la tranquillité »), l’actuelle Kyoto, que l’empereur Kammu (737-806) a déplacé de Nara en 794 et perdura jusqu’à son transfert à Kamakura en 1192.
La Cour, foyer d’épanouissement culturel où l’on entretenait le culte de la beauté dans l’art et la nature, se composait d’environ 3 000 courtisans de l’empereur et de l’impératrice qui vivaient dans un monde cérémonieux et impénétrable.
qui s’étire sur la cime
au soleil couchant
sa couleur confondra-t-il
avec ma manche pensive
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu,
Livre dix-neuvième, Ce mince nuage..
Dans mon précédent article, j’ai fait savoir que l’ancêtre du kimono venait de Chine. Mais, durant Heian, les couleurs et les décors se sont complexifiés donnant naissance au style typiquement japonais, d’où la nécessité de consacrer un article à cette période cruciale de l’histoire du kimono.
pour ce que votre cœur
toujours m’est cruel
les manches ainsi que voyez
de larmes sont arrosées
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre sixième, La fleur dont ce cueille la pointe
et je vous en ai détesté
la robe de Chine
je voudrais vous retourner
avec ses manches trempées
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre vingt-deuxième, La parure précieuse
Je vous exposerai tout d’abord la particularité du nouvel habit et les règles strictes relatives aux couleurs selon les rangs et les saisons. Puis, j’aborderai brièvement l’art du parfum, la coiffure et le maquillage.
NOUVEAU STYLE D’HABIT
L’habillement consistait en l’art de la superposition juni-hitoe : un lourd vêtement de dessus et une douzaine de jupons de soie de différentes couleurs destinés à produire un ensemble original et séduisant…pesant environ 20 kg. Plus une traîne était longue, plus la personne était de haut rang.
Tant et tant d’années
en ce jour je revêtis
robes de couleur
si bien que ne le puis faire
sans que mes larmes jaillissent
Car ma douleur ne puis apaiser !
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre neuvième, Les mauves
RÉGLEMENTATION DES COULEURS des vêtements
- Couleurs selon les saisons
A cette époque, on pratiquait le koromogae qui consistait dans le changement de vêtements et du dégradé des couleurs en fonction des saisons. Par exemple, tous les ans, le 1er jour du quatrième mois et le 1er jour du dixième mois, on permutait les habits été/hiver.
D’ailleurs, les demeures n’étant pas isolées, les aristocrates dormaient habillés sur tatami couverts d’un couvre-pied de soie et en hiver de plusieurs vêtements chauds.
Mon cœur lui aussi
dans le ciel avec la neige
s’en va au hasard
cette nuit où solitaire
ma manche est toute glacée
Insupportable, en vérité…!
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre trente-et-unième, Le pillier de cèdre
Le changement de la garde-robe était une occasion pour les dames de concours d’élégance et de bon goût.
Encore aujourd’hui, les kimonos comportent des motifs représentant les fleurs de saison et leurs couleurs (couleur cerisier sakura iro, couleur pêche momo iro, couleur corrête (jaune d’or) yamabuki iro, couleur raisin budô iro…). (re)découvrez mon article Le culte des saisons
En tout point pareille
à la manche d’une belle
la fleur de glycine
par la vertu d’un regard
va-t-elle se colorer
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre trente-deuxième, La branche du prunier
- Couleurs selon le rang social
La cour d’Heian se divisait en neuf rangs, que l’on comptait à partir du troisième rang, du plus bas sôhei au plus élevé kugyô. Chaque rang était divisé, cela donnait 30 catégories de courtisans.
Les couleurs des robes et des chapeaux indiquaient les rangs de cours.
© Sei Shonagon, author of « The Pillow Book, » by Kobayashi Kiyochika (1896)
La couleur profonde
de mes manches que les larmes
ont teintes de rouge
oserez-vous affirmer
qu’elle est toujours d’un vert pâle
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre vingtième, La belle du matin
Sans profondeur est
selon l’usage la teinte
de mes vêtements
mais de ma manche les larmes
font un abîme sans fond
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre neuvième, Les mauves
Une femme devait donc savoir choisir les vêtements et en composer les couleurs. Si par malheur elle faisait une faute de goût, on la jugeait, comme relate Murasaki Shikibu (978 ?-1014) dans son Journal Nikki :
Pour aller plus loin, l’expression tagasode « à qui sont ses manches » était utilisée dans la poésie pour se référer à une femme dépourvue de beauté.
Tant de nuits déjà
nous séparent et voilà
que toutes ces manches
vous interposez encore
pour maintenir vos distances
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre sixième, La fleur dont ce cueille la pointe
Sans raison aucune
nous tenions nos distances
quand nuit après nuit
l’un à l’autre accoutumés
nos robes nous séparaient
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre neuvième, Les mauves
L’ART DU PARFUM
Les manches des kimonos et les soieries étaient parfumées ikô, le Parfum de la Robe était surnommé aussi Parfum du Corps.
Sur une insolite
manche si viens rapportant
un parfum de fleurs
d’inconduite j’en suis sûr
me soupçonnera mon amie
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre trente-deuxième, La branche du prunier
Les habits, les corps et les chevelures étaient embaumés par les fumées d’encens. On utilisait aussi des sachets fragrants de soie nioi-bukuro que femmes et hommes portaient à même la poitrine. Encore aujourd’hui, on offre un nioi-bukuro à une personne en choisissant le parfum qui s’associe le mieux au caractère qu’on lui prête. (re)découvrez mon article Encens I Art olfactif
La senteur des fleurs
au rameau qu’elles quittèrent
ne reste attachée
mais de qui le frôlera
manches s’en imprégneront
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre trente-et-unième, Le pillier de cèdre
Près de la maison
un prunier en fleurs,
je ne planterai plus
car confondant son parfum
avec la robe parfumée de celle que j’attends
extrait anthologie Koshinku
coiffure et maquillage
Quel est donc le nom
de la fleur dont ce jour d’hui
les cheveux se parent
j’ai beau l’avoir sous les yeux
son nom cependant m’échappe
à mon grand dépit !
extrait Le Dit de Genji Genji monogatari de Murasaki Shikibu, Livre trente-troisième, Feuillage de la glycine
Les sourcils étaient rasés et à la place on dessinait deux tâches noires au même endroit ou quelques centimètres plus haut (selon les codes).
Les dents étaient noircies ohaguro avec du fer et de l’écorce de noix écrasée dans du vinaigre de thé.
La peau blanchâtre était un signe de beauté, c’est pourquoi on couvrait le visage d’une poudre blanche. Les femmes mariées appliquaient du rouge sur les lèvres en forme de bouton de rose.
Les œuvres littéraires écrites par des dames de la Cour, dont les plus célèbres Murasaki Shikibu (Le Dit de Genji I Genji Monogatari, Journal I Nikki) et Sei Shonagon (Note de chevets I Makura no sōshi), sont des véritables mines d’informations sur la vie des aristocrates.
Lors de mon premier voyage, j’ai visité le musée dédié à Murasaki Shikibu situé à Uji.
Le culte de la beauté, durant l’ère Heian, a empêché la moindre chose de tomber dans la vulgarité et a contribué à l’éclosion d’une société d’une élégance inouïe qui a marqué à jamais l’histoire des civilisations.