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11/2022

KIMONO  I  symbole du JAPONISME

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A la différence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siècle pour la Chine, le japonisme s’est répandu grâce à l’Exposition universelle de Paris en 1867.

Dès les XVIIe et XVIII siècles, la manufacture de Lyon s’inspira des motifs de l’ornementation japonaise pour créer ceux des soieries ; tandis qu’à Chantilly et à Saint Saint-Cloud, l’on copiait les porcelaines de Kakiemon et les Nabeshima. Enfin, les meubles de laques étaient appréciés de Madame de Pompadour et de Marie-Antoinette, qui en firent collection. Mais, ces phénomènes étaient plutôt les dernières manifestations de la mode des chinoiseries. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato Bibliothèque Des Arts

Pavillons chinois et japonais, Exposition universelle, 1867 © Le Monde illustré, 1867

Le public fut fasciné par le pavillon japonais et la découverte du kimono porté par les premières femmes japonaises venues en Europe et accueillies avec une curiosité extrême.

On peut affirmer que le kimono est le symbole national du Japon et conjointement du japonisme en Europe qui gagna par la suite l’Occident. Nous allons découvrir pourquoi il a été une source d’inspiration autant pour les peintres que pour les créateurs de mode et les écrivains.

PEINTURE

A Londres, la première exposition d’art appliqué japonais de 1854 et l’Exposition universelle de 1862 ont été le détonateur de l’intérêt des artistes pour le Japon, mais le terme japonisme né en 1867 avec l’Exposition Universelle de Paris.

La découverte de l’art japonais, notamment à partir de l’Exposition universelle de Paris en 1867 et de l’afflux d’objets japonais, déclencha un mouvement artistique appelé japonisme. Il touche de nombreux artistes à la recherche d’une nouvelle voie créatrice et l’impact de cet art, soit dans les motifs, soit dans les techniques (composition, couleurs, contours, etc… fut considérable. extrait Quand le Japon s’ouvrit au monde Francis Macouin , Keiko Omoto Émile Guimet et les arts d’Asie Collection Découvertes Gallimard (n° 99)

Hayashi Tadamasa (1853-1906), interprète durant l’exposition universelle, puis traducteur de documents sur l’art japonais et marchand, a joué un rôle fondamental dans l’histoire du japonisme durant son séjour à Paris de 1878 à 1893, et à la fois en tant qu’ami des peintres (Claude Monet, Camille Pissaro, Paul Renouard), des intellectuels et des hommes de lettres (Edmond de Goncourt, Émile Guimet, Félix Régamey).

Puis, Louise Mélina Desoye (1836-1909) a été l’unique femme qui a contribué à la première vague du japonisme en vendant dans sa boutique des produits importés du Japon. Ce lieu a été fréquenté par les peintres de la vague « japonisante » dont le précurseur anglais James Whistler : installé à Paris dès 1855, ses œuvres ont diffusé l’impressionnisme en Angleterre et aux États-Unis.

© Free Gallery of Art, Smithsonian Institution Washington, Caprice en pourpre et or n° 2. Le paravent d’or, 1864, James McNeill Whistler
© Smithsonian’s Museum of Asian Art Whashington, Rose et argent : La Princesse du pays de la porcelaine, 1863-1865, James McNeill Whistler

Toujours à Paris, Samuel Bing (1838-1905) marchand et critique d’art, collectionneur et mécène français d’origine allemande) avait acquis des milliers d’estampes japonaises qu’il a reproduites de 1888 à 1891 dans sa revue mensuelle Le Japon artistique. Documents d’art et d’industrie publiée simultanément en français, anglais et allemand. En 1890, il a enfiévré le monde avec l’exposition de 725 peintures et 428 livres illustrés japonais à l’École des Beaux-Arts de Paris.

A partir du mois de juillet 1893, la revue littéraire et artistique La Revue Blanche, publie en couverture une estampe en noir et blanc d’un peintre de la mouvance symboliste : Bonnard, Vouillard, Roussel, Manet, Monet, Pissaro, Renoir…

© Pierre Bonnard, La Revue Blanche

Certains artistes qui collectionnaient des estampes ont fini par changer la technique et la forme de leur art, comme Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh. Ce dernier, écrivait du Sud de la France à son frère « Ma vie devient ici de plus en plus celle d’un peintre japonais ». (cf. article 8/2021 Iris, le radieux). A sa mort en 1890, son médecin a trouvé un carton de quatorze estampes près de son lit.

Parallèlement, les contrastes des couleurs des kimono ont également influencé la palette des artistes.

[…] dès 1890, l’Art Nouveau s’inspira des lignes souples et des motifs floraux des tissus japonais, des poncifs de papier, ainsi que des estampes de couleur. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato Bibliothèque Des Arts

L’estampe, perçue en Europe comme une nouvelle forme d’expression artistique, a connu un immense succès, nombreux peintres y ont puisé leur inspiration :

  • en Angleterre : Aubrey Beardsley ;
  • en France : Jacques-Joseph (James) Tissot, Edouard Manet, Claude Monet, Edgar Degas, Gustave Moreau, Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh ;
© Boston Museum of fine art, Claude Monet, Madame Monet en kimono, La Japonaise 1876
© Albi Musée Toulouse Lautrec, Toulouse-Lautrec en kimono, avec éventail et poupée japonaise, 1890
François Gauzi (1862-1933), Portrait de Lili Grenier en kimono devant un paravent
© Lili Grenier en kimono, Henri de Toulouse-Lautrec, 1888
  • en Belgique : Alfred Stevens ;
© Domaine Public, Alfred Stevens (1823-1906) La Parisienne Japonaise
© Domaine Public, Alfred Stevens (1823-1906) Yamatori
  • au Pays Bas : George Hendrik Breitner ;
© George Hendrik Breitner, Girl in red kimono, 1894
© Breitner George Hendrik – Girl in a Red Kimono Before a Mirror
  • en Autriche : Gustave Klimt ;
© Gustav Klimt, Femme en Kimono
© Gustav Klimt, Le baiser, 1909
  • en Allemagne : Otto Eckmann et Emil Orlik.

Malgré la fascination exercée par le Japon sur ces artistes, aucun n’a fait le voyage pour le découvrir ou confronter leurs idées à celles des artistes japonais !

A l’inverse, des artistes japonais se sont rendus à Paris – devenu centre artistique de l’Europe grâce aux impressionnistes – pour apprendre les nouvelles techniques de la peinture et fini par peindre « à l’occidentale » : Kuroda Seiki, Saeki Yûzô, Aoki Shigeru, Kihida Ryûsei, Fujita Tsuguji qui s’est fait naturaliser français…

© Centre de recherches de la Tôkyô kokuritsu bunkazai, Kuroda Seiki, Au bord du lac, 1897
© Kuroda Seiki, A Maiko Girl 1893
© Ryusei Kishida
© Ryusei Kishida, Reiko, Girl of Japan art detail, 1918
MODE

Les soieries japonaises ont envouté les artistes, mais également les femmes qui les arrachaient des mains des marchands.

Leur charme tout particulier provient de leurs motifs fantastiques, aux mille couleurs, dans lesquels jouent et s’entremêlent merveilleusement des rameaux en fleurs, de fines pousses de roseau, des oiseaux en vol et d’étonnantes formations de nuages. La magie multicolore de ces étoffes, absolument délicieuses et incomparables, provient surtout du fait que la signification propre du motif décoratif – comme il est de règle pour un motif – s’efface dans l’effet d’ensemble de la pièce. Il y a là des juxtapositions de couleurs d’un effet si inhabituel, d’un attrait si vif que l’on comprend bien la frénésie avec laquelle les mains de nos élégantes se tendent vers ces exquises pièces de tissu. (propos de Lessing Julius, historien de l’art allemand, extrait Japonisme WICHMANN Siegfried Edité par Chêne/Hachette

Entre 1860 et 1920, l’attitude et les gestes de la parisienne ont été influencés par le kimono.

Quand les cultures tribales ont choisi le tatouage et la peinture du corps comme vêtement incarné, l’Occident a choisi le vêtement comme peau sociale, les deux muant le corps brut en corps culturel » note Thomas Lentes dans Qu’est-ce que la mode ? Cette notion de « peau sociale » semble s’appliquer parfaitement au vêtement traditionnel japonais, soumis au contraintes de la hiérarchie sociale tout en étant une représentation extrêmement brillante d’une partie du « corps culturel » nippon. En effet, le kimono n’est pas seulement manifestation d’une appartenance sociale et parure, il est aussi philosophie, esthétique, poésie, il est art : un art portable. extrait Kimono d’art et de désir Aude Fieschi Editions Picquier

Issey Miyake écrivait dans le livre Kimono de Sylvie et Dominique Buisson que plusieurs créateurs de mode occidentaux ont subi l’influence orientale tandis que ceux japonais sont partis de la mode occidentale pour obtenir leur originalité.

Frederick Worth (1825-1895), couturier français d’origine britannique et l’un des fondateur de la haute couture à Paris, s’est inspiré des tissus japonais et du kimono pour la création de ses robes.

Par la suite, le célèbre Paul Poiret (1879-1944) créa en 1910 un manteau kimono et des robes.

Frederick Worth
Paul Poiret
LITTÉRATURE

L’influence du Japon s’est déployée non seulement dans les arts plastiques mais aussi en littérature, d’où le terme de japonisme littéraire.

Les écrivains ont pressenti très tôt la fascination que présentait le Japon. De la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, certains écrivains composaient dans le « goût japonais » par exemple Judith Gautier, autrice de plusieurs romans et nouvelles inspirés par l’histoire japonaise et Pierre Loti avec Madame Chrysanthème.

L’idéal féminin que donnent les livres de Pierre Loti est le personnage de Madame Chrysanthème Okiku-san qui enchantait Van Gogh, culmina finalement dans le doucereux plagiat de Madame Butterfly et apparaît comme une métaphores romantique de la réalité. Auguste Rodin lui-même, fut captivé par la danseuse Hanako. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato Bibliothèque Des Arts

© Domaine public, Danseuse Hanako
© Musée Rodin, Rodin, Hanako 1907

En guise de conclusion :

L’influence de la culture japonaise sur l’art occidental  du début du XXe siècle est indéniable et se manifeste d’innombrables manières. Les aspects les plus variés ont ainsi vu le jour : compositions asymétriques, nouveaux thèmes inspirés de la nature ou de la société, respect du vide, c’est-à-dire « amour du vide » qui vient remplacer l' »horror vacui », et beauté des lignes, entre autres. extrait Ryokan, Gabriele Fahr-Becker édition Könemann