Ici, jâai visitĂ© le sanctuaire shintoĂŻste Asakusa-jinja, un des seuls sorti indemne des guerres, feux et sĂ©ismes. Construit en 1649, il rend hommage Ă deux pĂȘcheurs qui auraient trouvĂ© la statue de la dĂ©esse Kannon dans la riviĂšre Sumida.
VisitĂ© aussi le temple bouddhique Senso-ji oĂč trĂŽne cette dĂ©esse de la misĂ©ricorde. Pour y arriver, on passe dâabord sous la « porte du Tonnerre » Kaminarimon connue pour son Ă©norme lanterne rouge encadrĂ©e par deux divinitĂ©s Raijin, la Foudre Ă gauche et Fujin, le Vent Ă droite.
De cette porte et jusquâau temple, on marche dans la Nakamise-dori bordĂ©e de boutiques traditionnelles. Jâai achetĂ© juste des sembei, chips japonais Ă base de riz, tout frais, un dĂ©lice !
Jâai adorĂ© cette partie du quartier car ici on remonte le temps.
CĂŽtĂ© Asakusa contemporaine, jâai Ă©tĂ© curieuse de dĂ©couvrir le cĂ©lĂšbre bĂątiment de Philippe Starck bĂąti en 1989 : Asahi Super Dry Hall (un monolithe de granit noir poli avec une flamme dorĂ©e sur son toit qui se voudrait ĂȘtre un verre de biĂšre avec sa mousseâŠ) Sans commentaires !
A quelques pas se trouve la tour de Tokyo Sky Tree (634 m) oĂč jâai Ă©tĂ© impatiente de grimper pour contempler toute la ville : 2 000 Km2 contenant 12 millions dâhabitants. Fuji san a refusĂ© de se montrer, prĂ©fĂ©rant restĂ© cachĂ© derriĂšre un Ă©pais voile de brouillard.
« Cette tour sâinspire des formes traditionnelles avec un profil qui nâest pas sans rappeler la cambrure des sabres japonais ou les colonnes des temples et sanctuaires. » Revue Niponica n°4/2011.
Elle a rĂ©sistĂ© au sĂ©isme du 18 mars 2011 car son systĂšme de contrĂŽle des vibrations est semblable Ă celui utilisĂ© dans les pagodes Ă 5 Ă©tages. Le secret : le gros pilier central unique nommĂ© shinbashira dont le rĂŽle est tenu ici par la cage dâescalier en bĂ©ton armĂ©.
Tokyo, ville interminable. Nicolas Bouvier |
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Insolite !
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VoilĂ comment embellir les paravents qui entourent un chantier !
Coller des beaux papiers peints ! |
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On vous rappelle Ă tous les pas : interdit de fumer dans la rue !
Au pire, ayez toujours un cendrier de poche sur vous. |
Redescendue sur terre, jâai longtemps marchĂ© vers Edo-Tokyo Museum accompagnĂ©e par un aimable jeune garçon car je m’Ă©tais Ă©garĂ©e en route. Il mâa guidĂ© via des petites ruelles coquettes et calmes. Le musĂ©e se trouve dans un bĂątiment futuriste inspirĂ© par les greniers de riz et raconte lâhistoire de la ville grĂące Ă des objets archĂ©ologiques, estampes, maquettes, plans, mannequinsâŠ
En marchant, jâai pensĂ© Ă lâĂ©crivain MichaĂ«l Ferrier pour qui le meilleur moyen de sây retrouver Ă Tokyo est de sây perdre : « au moment oĂč lâon se perd, plus de carte plus de gps qui tiennent, Ă ce moment prĂ©cis un Ă©norme, immense plaisir vous envahit, une espĂšce de libertĂ© retrouvĂ©e et vous vous dites : lĂ vraiment, je suis Ă Tokyo. »
Il a raison, câest en sâĂ©garant quâon dĂ©couvre des trĂ©sors, la face cachĂ©e de la ville. A Tokyo, seulement les grades avenues portent des noms. Ses ruelles, avec des bĂątiments qui comportent uniquement des numĂ©ros en dĂ©sordre sont⊠dĂ©routantes !
« Cette ville ne peut ĂȘtre connue que par une activitĂ© de type ethnographique : il faut sây orienter, non par le livre, lâadresse, mais par la marche, la vue, lâhabitude, lâexpĂ©rience ; toute dĂ©couverte y est intense et fragile, elle ne pourra ĂȘtre retrouvĂ©e que par le souvenir de la trace quâelle a laissĂ© en nous : visiter un lieu pour la premiĂšre fois, câest de la sorte commencer Ă lâĂ©crire : lâadresse nâĂ©tant pas Ă©crite, il faut bien quâelle fonde elle-mĂȘme sa propre Ă©criture. » Barthes – Lâempire des signes
« La ville : une infinitude limitĂ©e. Un labyrinthe oĂč vous nâĂȘtes jamais perdu. Votre plan individuel, oĂč tous les blocs dâimmeubles portent le mĂȘme numĂ©ro. MĂȘme si vous vous fourvoyez, vous ne pouvez pas faire fausse route. » Abe Koko – Le plan dĂ©chiquetĂ©
AprĂšs le musĂ©e, jâai eu lâintention de passer au stade national des sumo Kokugikan pour les voir sâentraĂźner mais jâavais perdu mes forces.
Selon le Kokiji (recueil de mythes datant de 712 concernant lâorigine des Ăźles formant le Japon et des dieux) câest un combat de sumo ĂȘtre deux divinitĂ©s qui dĂ©cida de lâoccupation de lâarchipel par les Japonais. La lignĂ©e impĂ©riale aurait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e par le vainqueur de ce combat nommĂ© Takemikazuchi. Câest Ă partir du VIe que le sumo a Ă©tĂ© liĂ© au culte shintoĂŻste et ses rituels purificateurs comme jeter le sel en lâair et boire une gorgĂ©e dâeau avant le combat.
« Ces lutteurs forment une caste ; ils vivent Ă part, portent les cheveux longs et mangent une nourriture rituelle. Le combat ne dure quâun Ă©clair : le temps de laisser choir lâautre masse. Pas de crise, pas de drame, pas dâĂ©puisement, en un mot pas de sport : le signe de la pesĂ©e, non lâĂ©rĂ©thisme du conflit. » Barthes – Lâempire des signes
Le dernier jour, jâai pris le train sans conducteur Yurikamome line. Jâai Ă©tĂ© Ă©merveillĂ©e par ce voyage entre les buildings jusquâĂ lâĂźle dâOdaiba.
LâidĂ©al aurait Ă©tĂ© de faire ce trajet la nuit pour admirer le Tokyo enluminĂ© et polychrome.
DâOdaiba, Ăźle artificielle reliĂ©e au centre ville par le cĂ©lĂšbre pont Rainbow Bridge, jâai pris le bateau pour retourner Ă Asakusa. Il a flottĂ© sous tous les ponts de Sumida. ll est passĂ© devant le fameux marchĂ© de poisson Tsukiji oĂč se fournissent tous les restaurants. Puis, jâai eu la chance de voir quelques canaux rescapĂ©s grĂące auxquels Tokyo ressemblait avant 1868 Ă Venise. Depuis, la plupart des canaux ont Ă©tĂ© couverts par du bĂ©ton et des pierres. Des ruelles ondulantes suivent les traces des anciennes riviĂšres. En outre, on retrouve dâautres genres de ruelles labyrinthiques qui ont Ă©tĂ© construites stratĂ©giquement afin dâĂ©viter les attaques frontaux du chĂąteau oĂč vivait le Shogun.
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Buren ? |
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« Venise » |
Jâai eu quelques aventures Ă Asakusa. Un soir je suis repassĂ©e devant un ancien cafĂ© de quartier, câest-Ă -dire un troquet avec 3 chaises devant un mini-bar donnant sur la rue, tenu par un vieux Monsieur. Les gens, une dizaine, nous ont invitĂ©, moi et mon mari, Ă boire avec eux. Avec mon japonais prĂ©caire jâai rĂ©ussi Ă communiquer et jâai compris quâils Ă©taient tous des SDF. ExtrĂȘmement pauvres, mais alors, quelle gĂ©nĂ©rositĂ© !! Ils nous ont payĂ© au moins 5 biĂšres et un whisky. Impossible de les arrĂȘter. Nous sommes tombĂ©s dans un guet-apens ! De plus, ils nâont pas acceptĂ© quâon les rĂ©invite.
On parlait de tout et de rien, on rigolait jusquâĂ ce que lâun des SDF mâa racontĂ© que des yakuzas viennent rĂ©guliĂšrement les tabasser tard dans la nuit sans raisons quelconques !
Jamais je nâoublierai leur accueil et gĂ©nĂ©rositĂ© ni les puces que jâai eu en cadeau et dont je me suis difficilement dĂ©barrassĂ©e aprĂšs 3 jours grĂące Ă un produit miracle dont la fumĂ©e quâil a dĂ©gagĂ© dans lâappartement a tuĂ© toutes insectes et parasites, mĂȘme les acariens ! En souvenir, jâai gardĂ© des semaines quelques stigmates sur mes jambes.
AprĂšs 2h en leur compagnie, nous avons cherchĂ© un izakaya pour manger. Nous sommes rentrĂ©s dans un snack oĂč il y avait que des vieilles personnes mais la patronne nous a refusĂ© lâentrĂ©e.
Ce soir lĂ , jâai basculĂ© dans lâautre Tokyo, lâhors-champs, celui des pauvres et des brigands et pourtant pas une seule fois je me suis sentie en insĂ©curitĂ© ! Comment expliquer cela ?!
Quartier Shimbashi/Ginza _ 31.08.2014
Jâai dormi dans le quartier de Shimbashi/Ginza au Nakagin Capsules Hotel. Jâai louĂ© une capsule Ă son propriĂ©taire, Mr Abe Masato, via airbnb. Cet immeuble, Ă usage rĂ©sidentiel et de bureaux, a Ă©tĂ© dessinĂ© par lâarchitecte Kisho Kurokawa. Construit dĂ©but 1970, il est prĂ©destinĂ© Ă ĂȘtre dĂ©moli car les rĂ©parations et les coĂ»ts dâentretiens sont trop Ă©levĂ©s pour pouvoir le sauver. Bien dommage alors quâils comptait lâinscrire au patrimoine de lâUnesco.
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Porte d’entrĂ©e |
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Le hall d’accueil |
Câest une expĂ©rience inoubliable car lâintĂ©rieur fait penser Ă un vaisseau spatial. Chaque capsule est amĂ©nagĂ©e, meublĂ©e et Ă©quipĂ©e de systĂšmes audio et tĂ©lĂ©phoniques.
Par contre, Ă ce jour, il nây a plus dâeau chaude dans la bĂątiment, on se lave dans une cabine de douche extĂ©rieure et chacun doit sâinscrire la veille sur le planning. DrĂŽle d’aventure !
Les concierges ont été adorables puis un propriétaire est venu discuter et nous a offert en partant les gùteaux aux azuki : dokidori. Aurait-il deviné que se sont mes gùteaux favoris indispensables au petit déjeuner ?
Ginza la nuit
« TatouĂ©e Ă toute heure du jour et de la nuit de discours et de sons, la ville offre un spectacle hypnotique et changeant, qui dĂ©route ou qui dĂ©goĂ»te, Ă©puise ou Ă©merveille, mais ne laisse personne indiffĂ©rent » MichaĂ«l Ferrier Tokyo petits portraits de l’aube
Quartier Ebisu _ 01.09 > 3.08.2014
Ici, aussi jâai louĂ© un appartement pour 3 nuits via airbnb, Ă 5 mn Ă pied de la station de mĂ©tro. Emplacement idĂ©al de tous les points de vus. Un quartier chic, Ă la fois feutrĂ© et agitĂ©, avec des petites boutiques tenues par des jeunes branchĂ©s sans oublier les nombreux bars et dâizakayas. Il y a eu de quoi faire ! Un soir jâai mangĂ© des ramen que mes papilles ne risquent pas dâoublierâŠ
« On ne sait plus oĂč donner de la tĂȘte, on se tord le cou pour mieux se remplir les yeux de se spectacle. Je comprends pourquoi il y a tant de cabinets de massage ici, câest Tokyo qui veut ça, ce torticolis Ă©bloui de ruelles et de gens. » MichaĂ«l Ferrier – Tokyo petits portraits de lâaube
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Le rue de mon appartement |
Ebisu est une marque de biĂšre, la meilleure Ă mon goĂ»t, propriĂ©taire dâune grande partie des immeubles. Les fabricants ont choisi le nom du Dieu confucĂ©en du logis et des riziĂšres. Sur lâĂ©tiquette, vous remarquerez un moine pĂȘcheur ventripotent et souriant qui tient une dorade rouge Ă la main en signe de prospĂ©ritĂ©.
Proche de Shibuya, jâai profite de passer le soir sur le lieu de rendez-vous des jeunes : la statue de Hachi-ko Ă©levĂ©e en hommage au chien fidĂšle qui aprĂšs la mort de son maĂźtre a continuĂ© Ă lâattendre tous les soirs Ă la sortie de cette station de mĂ©tro. La statue, je lâai juste devinĂ©e car il faisait nuit, il pleuvait et les touristes ne finissaient pas de se prendre en photo devant elle⊠Aussi, jâai jetĂ© un coup dâoeil sur lâintersection emblĂ©matique de Tokyo, Shibuya Crossing, et sa foule compacte munie de parapluies. Jâai filmĂ© lâambiance joyeuse, bruyante et ses buildings avec les publicitĂ©s multicolores gĂ©antes.
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Intérieur gare par Tadao Ando |
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Photo maquette |
Visité aussi dans le quartier Shirokanedai, un autre bùtiment de Philippe Starck construit avant Asahi : Nani Nani
Jâai essayĂ© au maximum dâĂ©viter les clichĂ©s mais difficile. Pour visiter le Nezu Museum jâai dĂ» passer via lâavenue Omote-Sando, « les Champs-ElysĂ©es de Tokyo »⊠en moins larges. Il est vrai quâelle compte beaucoup de boutiques de luxes dont les bĂątiments ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s par des cĂ©lĂšbres architectes. Jâai vu entre autres la fameuse boutique Prada avec sa façade de verres-loupes trapĂ©zoĂŻdaux dessinĂ©e par Herzog et de Meuron.
Mon intĂ©rĂȘt sâest portĂ© surtout sur le musĂ©e ouvert par Kaichiro Nezu, fondateur de la compagnie de fer Tobu et riche collectionneur dâart oriental : cĂ©ramique, calligraphie⊠Ce qui mâa marquĂ© irrĂ©vocablement sont les 7 pavillons de thĂ© placĂ©s dans un luxuriant jardin japonais. Un pur bonheur ! Il mâa paru insurmontable de mâextraire de ce paradis terrestre. Jâen rĂȘve encore !
Jâai visitĂ© aussi lâancien stade national construit par Kenzo Tange pour les jeux olympiques de 1964. « Le toit de tĂŽle dâacier mobilisant Ă©galement de techniques de construction navale possĂšde une beautĂ© qui nâest pas sans rappeler celle du hall principal du Toshodai-ji (temple bouddhiste de la secte Ritsu situĂ© dans la ville de Nara). Les constructions traditionnelles japonaises en bois on toujours mis lâaccent sur lâaspect du toit, et le toit du Stade olympique reflĂšte lâesthĂ©tique japonaise traditionnelle avec des courbes prononcĂ©es. » revue Niponica n°4 2011
En face de celui-ci, il y a le parc Yoyogi dans lequel jâai remarquĂ© des affiches prĂ©ventives contre des moustiques qui transmettent des maladies. Jâai vu des infos Ă la tĂ©lĂ© le soir mais incomprĂ©hensibles vu mon niveau en japonais. En rentrant, jâai lu un article de LibĂ©ration et appris que certaines risquent de transmettre la dengue, une infection virale nommĂ©e aussi «grippe tropicale».
Un autre parc dans lequel jâai flĂąnĂ© a Ă©tĂ© Ueno. Je me suis rendue au minuscule temple shintoĂŻste Gojo-Tenjinja gardĂ© par le kami Inari, le renard.
Puis, jâai tournĂ© autour du National Museum of Western Art juste pour admirer ce bĂątiment construit par Le Corbusier en 1959.
Puis, le jour oĂč jâai revu un de mes amis, jâai tenu Ă me rendre dans le parc voisin au Palais ImpĂ©rial. Malheureusement, un concert Ă hauts dĂ©cibels a gĂąchĂ© notre sĂ©jour : conversations rendues impossibles. Sur la route, jâai voulu voir Imperial Hotel. Mais je ne savais pas que le bĂątiment de Franck Lloyd Wright bĂąti en 1923 a Ă©tĂ© dĂ©moli en 1968. Sa structure a servi Ă un nouvel hĂŽtel de luxe fait de bĂ©ton et marbre. Il reste intacte juste le dĂ©cor du bar. La façade et les bassins de lâancien Ă©difice ont Ă©tĂ© transportĂ©s au musĂ©e dâarchitecture Meiji-Mura Ă Inuyama proche de Nagoya.
Le mercredi, jâavais fait un saut au Shinjuku. La gare est un immense complexe souterrain de 11 Ă©tages comprenant quais de trains, boutiques, restaurants, jardins⊠on y est vite emportĂ© par le « typhon » des gens.
Ce quartier ne dort jamais ! On y trouve de tout pour sâamuser surtout dans la partie nommĂ©e Kabukicho : bars Ă hĂŽtesses, Ă strip-tease, cinĂ©mas, pachinko, karaoke⊠Moi, jâavais envie de voir lâincontournable Golden Gai, une partie du vieux Tokyo qui a survĂ©cu Ă tout. Il se compose de six petites ruelles Ă©troites pour piĂ©tons oĂč sâalignent environ 200 bars et cafĂ©s. Deux jeunes Ă©lectriciens super sympas nous y ont conduit tout en rigolant : « ahh, vous avez envie de boire ! »
« Personne ne parle jamais du manque de sĂ©rieux des Japonais, de leur lĂ©gĂšretĂ©, de leur sentimentalitĂ©, de leur insouciance, de leur nonchalance, en un mot : de leur gentillesse et de la douceur de vivre qui rĂšgne dans une citĂ© comme Tokyo. » Philippe Forest – Sarinagara
En fin dâaprĂšs-midi la plupart Ă©taient fermĂ©s mais, Ă©tant de nature curieuse et courageuse, jâai osĂ© entrer dans un bar ouvert avec les mots clĂ©s : gomen kudasai ! Câest Ă dire, je mâexcusais de rentrer. Pourquoi, alors que câest un bar « public » ? Parce que dans ce quartier, certains acceptent que les habituĂ©s et d’autres refusent carrĂ©ment les Ă©trangers vu que la majoritĂ© sont infiniment petits et personne ne parle anglais !
Le monde est devenu infime dans ce bar de 5 places nommĂ© Spade (sis Shinjuku Kabukicho 1-1-5), tenu par Keiko san qui ressemblait ce jour-lĂ Ă Yoko Ono en raison de sa silhouette, son chapeau et ses petites lunettes. Jâai aussitĂŽt senti les ondes positives que ce lieu dĂ©gageait. En discutant durant au moins 2 h, elle mâa dit quâelle Ă©tait chanteuse et mâa offert son CD. Je lâĂ©coute souvent en pensant Ă son hospitalitĂ© et Ă celui de son client Hiroshi san. Jâai Ă©tĂ© gĂątĂ©e en alcool et nourriture ! CâĂ©tait dur de les quitter autant moralement que⊠physiquement.
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Le kare de Keiko san |
DĂšs quâon se retrouve dans un bar avec les Japonais, en gĂ©nĂ©ral tous des bons vivants « francs, rieurs, joueurs,âŠÂ » leurs armures tombent sous lâeffet de la potion magique : lâalcool. Ils sont comme le soleil et la lune. Ils changent de rĂŽles en fonction de la lumiĂšre : jour/nuit. Jâadore ça, entrer dans un bistro et attendre patiemment que lâalcool fasse lâeffet : les langues se dĂ©lient et les gestes se libĂšrent⊠la fĂȘte commence ! Des moments Ă©phĂ©mĂšres qui sâĂ©vanouissent mais survivent Ă jamais dans la mĂ©moire (en japonais on utilise le terme hakanaĂŻ pour la notion dâĂ©vanescent).
Pour Michaël Ferrier, les Japonais sont comme le saké daiginjÎ fait avec le coeur du riz, « il faut savoir enlever les strates supérieures, les couches superficielles : alors, ils se révÚlent ».
AprĂšs le travail, les gens font le tour des bars et des izakayas le soir aprĂšs le travail jusquâau dernier train de 24h-1h du matin, dâoĂč lâexpression hashigo o suru qui veut dire faire lâĂ©chelleâŠ
Les Japonais divisent la nuit en plusieurs « soirées » successives :
« La premiÚre soirée est assez calme ichiji-kai : elle commence tÎt, vers 18h ou 19h. On mange dans un restaurant, on discute, on boit modérément.
La deuxiĂšme soirĂ©e (nijikai), de 21h Ă 23h environ: câest le dĂ©but des choses sĂ©rieuses. Dâabord on trouve un bar ou une nomi-ya (sorte de pub japonaise oĂč la principale occupation est de boire, tout en faisant semblant de manger). La discussion va bon train, on se demande quand la biĂšre va sâarrĂȘter de couler.
La troisiĂšme soirĂ©e commence (sanjo-kai) : les esprits sont dĂ©jĂ bien Ă©chauffĂ©s. Ceux qui veulent attraper le dernier mĂ©tro ou le dernier train (aux environ des 0h30) fuient comme sâils avaient le dĂ©mon Ă leurs trousses, Ă peine sâils vous disent au revoir : un petit salut de la tĂȘte, et les voilĂ Ă©vanouirent dans la grande ville – ces Japonais ont le gĂ©nie de filer Ă lâanglaise.
Ceux qui font semblant dâhĂ©siter, vous pouvez dĂ©jĂ les considĂ©rer comme perdus : cette heure lĂ on ne tergiverse plus, sâils hĂ©sitent câest quâils ont dĂ©jĂ dĂ©cidĂ© de ne pas rentrer tout de suite mais, par une charmante coquetterie de comptoir, ils se font juste un peu prier. Il faut alors trouver un autre bar ou bien un karaokĂ©. PrĂ©parez vos poumons : ici il est rare de passer une soirĂ©e sans chanter.
Enfin, vient le moment dĂ©cisif, lâheure oĂč le cercle se resserre, oĂč les limites sont franchies. Câest yoji-kai : la quatriĂšme soirĂ©e. Vos compagnons ivres, tombent comme des mouches. BientĂŽt il ne restera plus que vous et Tokyo, comme une affaire personnelle, un vieux compte Ă rĂ©gler. Alors seulement, vous connaĂźtrez le pouvoir de cette ville, toute la puissance de ses envoĂ»tements. » MichaĂ«l Ferrier – Tokyo petits portraits de lâaube
Un peu dâhistoire
Avant 1868, annĂ©e de la rĂ©ouverture du Japon au monde, Tokyo (la capitale de lâEst) sâappelait Edo (Porte de lâEstuaire). Elle a commencĂ© Ă connaĂźtre son essor jusquâau tremblement de terre de 1923 qui a fait environ 100 000 victimes et rĂ©duit la ville en cendres. A partir de lĂ , dĂ©bute lâurbanisme de la ville, tout devait ĂȘtre reconstruit. Le deuxiĂšme choc et grande blessure lui a Ă©tĂ© infligĂ©e par les bombardements amĂ©ricains en 1945. Puis, la troisiĂšme grande pĂ©riode de reconstruction sâest imposĂ©e lors des jeux olympiques de 1964. Depuis, Tokyo, continue son expansion⊠limitĂ©e par les montagnes et la mer.
« Tu nâas quâĂ lever la tĂȘte si tu trouves le temps long°, Tokyo est un superbe et mĂ©connu livre dâimages. Nâessaie pas dâimposer ton allure, tu nây arrivera pas : chaque pays a son temps, sa pulsation, sa minutie. Il faut retrouver le rythme de la ville, il change selon les quartiers, les moments, les saisons, tu dois toi-mĂȘme prendre les marques sur cette gigantesque table des temps.(au feu piĂ©ton) MichaĂ«l Ferrier Tokyo petits portraits de lâaube
Tokyo est gigantesque mais paradoxalement dans chacun des quartiers on a lâimpression de se trouver dans « un village » car beaucoup de quartiers gardent leurs indĂ©pendance et leurs esprits de village ! Ce qui rend cette ville un peu plus « humaine » selon mon ressenti, bien plus quâOsaka que je nâai pas su apprĂ©cier (il faudrait peut-ĂȘtre que jây retourne un jour).
Jâai retenu lâhistoire de lâĂ©crivain Akira Mizubayashi qui racontait que dans son quartier, encore aujourdâhui, une personne fait le tour tous les soirs Ă 23h avec deux bouts de bois quâelle frappe produisant un bruit sec. Ce son particulier « qui dialogue avec le passĂ© » rappelle au gens de faire attention au feu, penser Ă tout Ă©teindre avant le coucher. Ses bĂątons sont Ă©galement utilisĂ©s par les moines dans les temples pour signaler les repas et les activitĂ©s.
Chaque quartier a des lieux de refuge : des parcs, tes temples⊠des « zones de silence au milieu du son » (Nicolas Bouvier – Chroniques japonaises). Dans ces derniers, on y passe entre deux rendez-vous de travail ou pour se reposer, se promener paisiblement. Ici, le bruit du silence est spirituel : shiiiiin⊠(onomatopĂ©e du silence en japonais).
« A Tokyo, les constructions, dĂ©tachĂ©es de leurs voisines, diversement orientĂ©es, mĂ©nageaient dâamusants contrastes de perspective. MĂȘme au coeur de la ville, elles proposaient aux passants des recoins plus tranquilles, des petits havres de paixâŠ
Surtout, je me suis aperçu quâil suffisait de quitter les grandes artĂšres et de sâenfoncer dans des voies transversales pour que tout change. TrĂšs vite, on se perdait dans des dĂ©dales de ruelles oĂč des maisons basses, disposĂ©es sans ordre, reconstituent une atmosphĂšre provinciale. Le jardinait qui les flanquait pouvait ĂȘtre minuscule : le choix et lâarrangement des plantes nâen tĂ©moignaient pas moins pour le goĂ»t et lâingĂ©niositĂ© des habitants. » Claude LĂ©vy-Strauss – Aux habitants de Tokyo
Ce silence est troublĂ© en Ă©tĂ©, dĂšs 18h, par le chant des cigales. Sons percutants !! Plus fort et plus variĂ©s que dans le Sud de ma France. DâaprĂšs l’artiste photographe Naoya Hatakeyama, il y a 4 types de cigales Ă Tokyo : ablazemi, miminzemi, ninizemi et higurashi. Chacune chante diffĂ©remment mais⊠aux mĂȘmes dĂ©cibels !
Cri-cri de grillons
cri-cri de grillons
tout le reste s’est tu
Shiki
Enfin, Tokyo a rĂ©ussi me rendre follement amoureuse dâelle au point dâen devenir addict. Il est certain que jây retournerai plus dâune fois !
Pour vous la dĂ©finir, tant de mots se bousculent dans ma tĂȘte :
immense, paradoxale, attachante, hypnotique, ludique, Ă©lectrique, mystĂ©rieuse, glamourâŠ
inondĂ©e de couleur, ciel gris anthracite, nuances dâombres et de pĂ©nombresâŠ
diversitĂ©, fluiditĂ©, sĂ©curitĂ©âŠ
bruyante avec ses sons particuliers : les voix faites pour rassurer, celles humaines dans les transports, les magasins et celles robotisĂ©es ; la musique des stations de mĂ©tro qui diffĂšre de lâune Ă lâautre, les bruits des pas, les chants des cigalesâŠ