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6/2022

L’ÉVENTAIL  ACCESSOIRE DU KIMONO

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© Takeuchi Seiho (1864ー1942)
L’éventail, objet délicat et élégant, est représenté dans d’innombrables estampes. Il faisait partie intégrante du vêtement japonais wafuku autant pour les femmes que pour les hommes.

De nos jours,  il perdure en tant qu’accessoire indissociable du kimono que l’on glisse sur le devant de l’obi.

C’est le voile derrière lequel la beauté dérobe son sourire et ses émotions ; c’est le jouet qu’agite nonchalamment sa main rêveuse. extrait Histoire des éventails chez tous les peuples et à toutes les époques / par S. Blondel Blondel, Spire

Mais que sait-on de son histoire ? Pourquoi existe-t-il plusieurs types d’éventails et quelle est leur utilité ? Nous allons le découvrir !

Histoire de l’éventail en bref

L’éventail est né en Chine au IIIe siècle avant J.C.. Le matériau a changé au fil des années (bambou, feuilles de palmier, plumes de paon, plumes de faisan…) pour finir en soie ou en papier tendu dénommé « écran » orné d’écritures et de peintures.

De simple objet pour s’éventer, cacher le visage, chasser les mouches ou attiser les braises, il est devenu attribut sacré et politique puis accessoire de mode.

La première mention du mot esventail est attestée en 1588. A cette date coexistent trois types : les écrans, hérités de l’antiquité, les éventails brisés et les éventails pliés, originaires du Japon, composés d’une monture en ivoire supportant une feuille de peau très fine à décor peint. L’usage de l’ éventail plié a été encouragé en France par Catherine de Médicis à son retour d’Italie ; il est alors un accessoire mixte porté par les nobles. Au XVIIe siècle, son port se démocratise, l’usage étant de le suspendre à la ceinture par un ruban. – extrait Dictionnaire International de la Mode chez Seuil

Les éventails pliants furent importés du Japon en Chine à la période Heian (794 à 1185) puis, au Portugal et en Espagne à partir du XVIe siècle.

L’éventail au Japon

Les éventails de soie étaient réalisés par les plus grands maîtres chinois et japonais. Les types principaux sont l’ôgi (éventail pliant), le hiogi (éventail pliant en bois de hinoki, réservé aux dames de la cour) et l’uchiwa (ou « écran » rigide, à manche, carré ou rond). De précieux, exemplaires étaient créés, dans les techniques les plus diverses. « Luisant doucement, avec des motifs aux splendides couleurs, empruntés au monde des plantes et des animaux, avec le doux éclat de petites perles réparties ça et là […]. – extrait Japonisme Siegfried Wichmann Edition Chêne Hachette

Il existe deux sortes d’éventails selon leurs formes.

Uchiwa

C’est un éventail venu de Chine via la Corée, son nom vient de utsu-ha signifiant « feuille frappante ». De nos jours, il est encore employé par l’arbitre de combats de sumo (gunbai uchiwa).

[…] de forme variable , rond ovale, carré, fait de papier ou de soie collée sur de fines lamelles de bambou attenant au manche. La plupart des uchiwa portent des poèmes écrits ou peints et servent maintenant d’objet de décoration. Ils étaient autrefois utilisés (de même que les oui et les éventails pliants) pour présenter de manière polie un objet ou une lettre à un haut personnage. Mais s’étaient le plus souvent les femmes qui les utilisaient. – extrait Le Japon de Louis Frédéric, Dictionnaire et civilisation

À l’époque d’Edo, les uchiwa comportaient des motifs liés aux saisons ou aux modes ce qui engendra uchiwa-egravure japonaise du style ukiyo-e, qui présentait une scènes narrative ou des portraits.

Ôgi

La forme pliante, en papier ou en soie avec des nervures en bambou ou en ivoire, a été inventée au Japon par une aristocrate.

Suite à la perte héroïque de son mari Atsumori, la femme s’est retirée dans le temple de Kyoto, Mieido. Un jour, elle a sauvé la vie d’un moine en l’éventant pendant la prière avec un morceau de papier plié.

Bashô aurait-il composé ce poème en sa mémoire ?

Un bonze, qui me tourne le dos avec son chapelet, écrit son portait en waka :
désobéissant
à ce monde
je m’isole
dans le village de montagne
manche de ma noire bure

Je le regrette et me souviens avec nostalgie de sa façon de vivre dans l’élégance poétique

Avec l’éventail
je voudrais le rafraîchir
par derrière

Selon les saisons et l’usage (vie quotidienne, rituel, théâtral, politique…) les éventails pliants se différencient de par la matière, les couleurs et les ornements, le nombre de sections et la taille.

© Uemura Shōen
Hi-ôgi fait de plaques de bois (hinoki, cyprès) attaché avec des fils de soie et décoré parfois de peintures ;

Sensu avec des nervures plates ou fines ;

Kame-ôgi à 39 nervures dédié aux femmes ;

Après un moment, il voit près de l’oreiller un éventail étalé, fait de papier violet-pourpre tendu sur du bois de magnolia. – extrait Notes de Chevet Makura no soshi de Sei Shônagon

Rikyu-ôgi pour la cérémonie de thé chanoyu ;

Lors de la cérémonie du thé, lorsque les gens se saluent tout en étant assis sur des tatami en position formelle appelée « seiza », ils utilisent ces éventails pour délimiter la zone occupée par chaque personne. La cérémonie du thé consiste à porter de l’eau à ébullition, à infuser du thé vert et à le servir selon les méthodes et les conventions traditionnelles japonaises. Lorsqu’on participe en tant qu’invité à la cérémonie du thé, on doit apporter un sensu, mais on ne doit pas l’utiliser pour s’éventer pendant la cérémonie. – source

Mai-ôgi composé de 10 baquettes et de poids en plomb autour du rivet afin de le sortir et le faire tournoyer facilement. Il est utilisé lors des danses classiques par les geisha et les acteurs du théâtre kabuki ;


Chûkei employé par les acteurs de Nô et Kabuki où il incarne un objet (une épée, une rame, un plateau, un couteau…) ou un élément de l’environnement (le soleil, la neige, la pluie) ou une action comme un signe ou l’observation de la lune ;

Les éventails ne sont pas seulement utilisés pour produire des mouvements élégants lorsqu’on les fait tournoyer : ils expriment également des émotions et représentent des objets physiques. Les sensu peuvent être ouverts et déplacés d’avant en arrière dans un grand mouvement, tout en étant déplacés dans l’air dans des mouvements élégants en forme de vague afin de représenter la chute d’une pluie de pétales de fleurs de cerisier. Ces éventails peuvent également être tenus de différentes manières afin de représenter des parapluies, des livres, des pins ou d’autres objets. – source

Suehiro désigne un éventail traditionnel utilisé pour les grandes occasions. Il symbolise le souhait que les deux familles continuent de vivre dans le bonheur et la prospérité pendant de longues années. Le mizuhiki (nœud) utilisé pour Suehiro mesure environ 90 cm, et ne doit jamais être coupé car il est considéré comme étant le lien familial lui-même. Lorsqu’il est trop long, on replie les extrémités vers le haut pour l’ajustement. – extrait Nipponica n°29

Avec un éventail
je bois du saké à l’ombre –
Chute de fleurs de cerisier
Bashô

Umajirushi utilisé comme drapeau par les Tokugawa. L’éventail de commandement des généraux était marqué du blason du clan.

Tessen (gunsen) employé comme arme de défense dans les arts martiaux et sur le champ de bataille durant le Japon féodal.

Œuvres d’art

Au Japon, la composition sur éventail (avec toutes sortes de subtiles articulations et variantes) était pratiquée non seulement par des peintres célèbres, mais encore par un grand nombre d’amateurs ou même d’écrivains qui s’enthousiasmaient pour cet art. – extrait Japonisme Siegfried Wichmann Edition Chêne Hachette

Les éventails sont des œuvres d’art ornées de calligraphies ou de peintures, héritage des aristocrates et des érudits.

Tous les seigneurs agitaient des éventails dont les minces baquettes laquées différaient de couleur, mais qui brillaient, uniformément tendus de papier rouge. Cela ressemblait tout à fait à un parterre d’œillets superbement fleuris. – extrait Notes de Chevet Makura no soshi de Sei Shônagon

Pour préserver ceux réalisés par un grand maître, on détachait le papier ou la soie des tiges et on les encadrait ou collait sur des paravents byōbu (littéralement « murs de vent »).

© Smithsonian’s museums of Asian art National Mall Washington DC, USA – Hon’ami Kōetsu (1558-1637) Eventails et nuages au-dessus de rochers et d’eau

Calligraphie

Les premiers à avoir calligraphié les éventails décorés de scènes de la vie de Cour furent les moines, ainsi le profane et le sacré étaient liés.

[…] à l’époque d’Heian, les Japonais dévots faisaient des impressions en couleurs sur des éventails où ils écrivaient ensuite les saints sutras. – extrait Japon, L’art dans le Monde Peter C.Swann

© Temple Shitennō–ji, Osaka Feuille d’éventail du sutra Hokekyō (sutra du lotus) sur papier suminagashi,  Heian (794 – 1185)
Le temple Shitennō–ji à Osaka possédait 115 éventails sur lesquels l’ensemble du sûtra Hokke-kyô et des textes qui s’y rapportaient étaient écris à la main. Les papiers sont ornés d’or et d’argent, et la technique utilisée et celle de tsukuri-e. Ces éventails présent en outre beaucoup d’intérêt sur le plan sociologique à cause de la représentation de scènes de la vie du peuple. Les sûtra peints en blanc (hakubyô-e) et les sûtra dits « sans yeux » (menashi-kyô) sont étroitement liés au groupe des sûtra inscrits sur des illustrations « laïques » (shita-e). – extrait L’Age d’or du Japon de Rose Hempel

Des gens qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps se rencontrent par hasard au temple ; ils s’étonnent, vont s’assoir l’un près de l’autre, bavardent, approuvent de la tête, se racontent d’amusantes histoires, ouvrent largement leur éventail devant leur bouche, pour rire à leur aise. – extrait Notes de Chevet Makura no soshi de Sei Shônagon

A la cour de l’ancien Japon, les aristocrates organisaient des concours de poésies calligraphiées sur des éventails ôgi-awase.

– Peinture

Les éventail peints sont des chefs-d’œuvre uchiwa-e et ôgi-e « miniatures ».

L’art de la « portion de nature » n’a pas d’échelle de mesure : chaque objet, chaque être contient l’absolu ; il n’y a pas « d’ordre de grandeur », de niveau suffisant ni du point de vue artistique ni philosophique. – extrait Ryokan de Gabriele Fahr-Becker

L’asymétrie affectionnée par les Japonais s’impose même dans les peintures sur éventail : d’un côté, on laisse toujours un espace vide.

Tawaraya Sôtatsu est l’un des plus grands artistes qui excella à peindre sur éventail. Il vivait à Kyoto au temple de Daigo-ji et fut le co-fondateur de l’école Rimpa. Son art se caractérise par la singularité de la composition, la stylisation des formes et les coloris.

Jeux à la cour d’Heian

ôgi-nagashi : on jetait des ôgi dans une rivière afin de composer des poèmes sur les sensations éprouvées ainsi que par les personnes qui les avaient jetés.
ôgi-otoshi : on lançait un ôgi ouvert pour atteindre un objet précis

Croyances

Les contes folkloriques et les moines prêtent à l’éventail le pouvoir de chasser les esprits malveillants et maléfique.

Mais aussi, offrir un éventail est un signe d’amitié fort.

L’éventail revêt de nombreuses symboliques comme en étant par exemple un symbole particulièrement auspicieux. L’éventail déployé se nomme suehiro : comme l’éventail partant d’une extrémité (sue) s’élargit (hirogaru) pour atteindre une large dimension en se déployant. En offrant un éventail à une personne on lui souhaite que sa vie, ses richesse s’élargissent de la même manière que s’ouvre l’éventail. L’éventail suehiro évoque ainsi un mouvement d’ouverture, de prise d’envergure et de cheminement. Il est aujourd’hui un nom poétique permettant de désigner l’éventail plié en général. – extrait Marielle Brie

D’où le verbe suehirosuru すえひろする 末広する  signifie se propager (comme un éventail ouvert), devenir prospère.
« SECRETS » DE FABRICATION

Le marchand d’éventails
promène sa charge de vent –
la chaleur
Kakô