Accueil » 2022 I Articles » Page 2

Étiquette : 2022 I Articles

1/2022

TATAMI, symbole de l’habitat nippon

°°°

© Pleine lune sur les tatamis, Ombres des branches de pin Kikaku

Lune des moissons
trace sur le tatami
une ombre de pin
Kikaku

Le tatami ?! Seriez-vous intrigués par le sujet ?
Si j’ai choisi un objet aussi banal, c’est parce que le tatami est LE symbole du mode d’habiter nippon.

Ma première chambre traditionnelle washitsu couverte de tatami est mémorable (voir article 2 二 に du 11.02.2021 _ Mon premier contact avec le Japon traditionnel)

Chanté par les poètes et dépeint à l’envi par les romanciers, le tatami compose l’expérience de tout Japonais, tant il est inscrit au plus profond de la mémoire, de son attachement identitaire. Se retrouver enfin ensemble sur les nattes autour d’un verre… et le Japon est là.  Vocabulaire de la spatialité japonaise, CNRS éditions, Tatami par Saito-Cruz-Mizuki

Les tatami éveillent vos trois sens : la vue, l’odorat et le toucher !
Lorsque vous pénétrez pieds nus dans une pièce couverte de tatami, vous êtes aussitôt envahi par une sensation d’apaisement grâce à leur couleur tendre, leur odeur et leur matière qui rappellent la mère nature.

C’est que, du toucher à la kinesthésie, le tatami est pour un Japonais un motif inséparable de sa présence au monde. Tout enfant il a rampé dessus, il a senti, reconnu son odeur et sa couleur de jonc, qui changent avec le temps. Plus tard, il a aimé sa fraîcheur l’été, sous le pied nu, sa tiédeur en hiver. Il a tiré tous les partis possibles de sa polyfonctionnalité : selon l’occasion, en effet, l’on peut s’asseoir ou s’étendre ou travailler sur un tatami, et même manger dessus, comme on le fait dans la cérémonie du thé. C’est une totalité sensible qui spatialise et rythme l’accord de la cœnesthésie humaine avec l’environnement bâti. A travers lui, en effet, de l’odorat et du toucher à l’appréciation des distances et des positions, les divers sens de l’homme se trouvent articulés, tissés à la maison dans une relation pluridimensionnelle, qui étend si l’on peut dire la proprioceptivité du corps à l’espace domestique. Le tatami est ainsi tout autre chose que le modulor de Le Corbusier, cette élaboration intellectuelle. Augustin Berque L’écosymbole du tatami. In: L’Homme et la société, N. 104, 1992. Anthropolgie de l’espace habité. pp.
7-14.

Le tatami vous oblige à vous y agenouiller… aussi parce que rester debout est impoli.

[…] avec le tatami, l’habitation japonaise offre un exemple exceptionnellement parlant de ce que j’appelle écosymbole : un motif de l’habiter, qui, sous une forme sensible, exprime la relation physique et phénoménale, corporelle et spirituelle, écologique et symbolique de l’homme avec le monde ; ici plus particulièrement le lien, à la fois éthique et esthétique, qui existe entre les postures, les conduites et les formes bâties. Augustin Berque L’écosymbole du tatami. In: L’Homme et la société, N. 104, 1992. Anthropolgie de l’espace habité. pp. 7-14.

COMPOSITION et fabrication
Le tatami est un revêtement de sol rectangulaire d’une taille standardisée (environ 91 x 182 cm), consistant en de petites bottes de chaume de riz entretissées sur une épaisseur de 6 cm, recouvertes d’une natte de jonc igusa, avec une bordure heri d’étoffe plus ou moins précieuse, et que l’on pose sur un plancher yuka aux lattes espacées. source Jacques Pezeu-Massabuau, La Maison japonaise, Paris, Publications orientalistes de France

Neuf, il a une couleur verte et une odeur délicate de fraîcheur. Le jonc est changé tous les 2 ans en moyenne. Peu d’artisans le fabriquent encore à la main (voir passionnante vidéo © NHK World-Japan _ Tatami : The Flooring Underlying Japanese Culture)

Histoire

A l’origine, le tatami était une natte tressée et mobile appelée shikimono « chose que l’on étend » utilisée pour s’assoir ou s’allonger. Dans le dictionnaire ancien Kogojiten, ta signifie la main et ami la tresse.

Dans le dictionnaire de l’époque Heian (794-1185), Kokushidaijiten, on indique que tatami vient du verbe tatamu « plier, replier ». A l’époque, l’architecture des palais était du style shinden-zukuri* dominé par le sol planchéiée itajiki. Le tatami faisait parti du mobilier qu’on installait selon la circonstance et était destiné aux personnes de haut rangs. Il marquait l’espace et la valeur sociale.

Durant la période de l’élite guerrière Kamakura (1185–1333), le tatami s’impose avec le style architectural shoin-zukuri**. Seul le centre de la pièce restait planchéié.

C’est au milieu de l’époque Muromachi (1336-1573), que le tatami recouvre le plancher des grandes pièces et donne naissance à la maison traditionnelle japonaise avec l’apparition des fusuma « portes coulissantes ».

Statut social

La bordure de tissu heri, noire, brune ou un riche brocart, indiquait la catégorie et l’aisance du propriétaire de la maison.

D’autre part, le rang social occupé par le maître des lieux dépendait du lieu où il prenait sa place : sur tatami ou le plancher en bois ou la partie en terre. Une différence de niveau de 5 cm est importante !

Unité de mesure
Le tatami est devenu un module à indiquer la surface. Dans les pièces traditionnelles, tous les éléments sont dans un rapport simple avec la taille du tatami, qu’ils soient verticaux (telles les cloisons coulissantes) ou horizontaux (tels les linteaux).

Le tatami ou mesure 1.82 x 0.91m soit 1.66 m2 mais sa taille diffère sensiblement d’une région à l’autre (Tokyo 1.80 x 0.90 m, Kyoto 1.90 x 0.85 m).

Banjo = un demi-tatami
Tsubo = deux tatamis, soit 3.30 m2. Leur nombre, détermine les dimensions d’une pièce.
Ken = unité de longueur pour mesurer l’espace entre deux pilier, égale au tatami.

Expression

se tatamiser : s’imprégner de culture japonaise.

En arrivant au Japon, il y a la tentation de la tatamisation, c’est-à-dire de devenir plus japonais qu’un japonais. L’assimilation n’est pas possible selon moi, mais la compréhension, oui. Richard Collasse interview France Culture


A savoir  !

shinden-zukuri* : style de maison résidentielle noble, comprenant une maison principale d’habitation shinden entourées de bâtiments annexes tai no ya sur trois côtés, reliés à la maison centrale par des passages surélevées parfois couverts. Devant le shinden se trouvait un lac pourvu de trois îlots réunis par des ponts. Ce style résidentiel fut progressivement abandonné pendant la période de Kamakura (1185–1333) au profit des maisons de guerriers yashiki et, pendant l’époque de Muromachi (1336-1573), fut remplacé par le style palatial appelé shoin-zukuri**.

 

shoin-zukuri** : maison de plan carré orientée nord-sud, l’entrée se faisant au sud par une porte couverte chûmon donnant sur une véranda entourant la maison sur trois côtés. Les pièces de la maison donnent sur cette véranda par des shoji et des portes coulissantes. Deux grandes pièces carrées, la naka no ma et la naijin, sont réservées aux usages courants. Elles sont entourées d’autres pièces rectangulaire dont l’une, jôza no ma, utilisée pour les réceptions, comporte du côté nord un tokonoma. Une salle sukiya-shoin réservée à la cérémonie du thé chanoyu était parfois incluse dans le plan ou adjointe à la structure principale.

Pavillon d’argent Ginkakuji à Kyoto est un exemple de shoin-zukuri

source Le Japon Dictionnaire et Civilisation Louis Frédéric