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3/2022

LE RIZ  I  REPRÉSENTATION  SYMBOLIQUE ET CULTURELLE

°°°https://fr-academic.com/pictures/frwiki/84/Tokaido13_Hara.jpg@ 13ème station de Tokaido, Hara,  Hiroshige

Début de l’automne
l’émeraude de la mer et des rizières
exactement le même vert
Basho

Cet article est une parenthèse au précédent car le riz, à part être un ingrédient de base du sushi, il occupe une place majeure tant dans l’histoire et l’économie du pays que dans sa culture (langue, représentations artistiques, littérature, croyances, coutumes, superstitions…)

Le Japon et le riz étant indissociables, le sujet est incontournable !

S’il reste, à la base, un produit économique, le riz japonais n’en est pas moins une représentation symbolique et culturelle indéniable pour ses habitants. Ceci est dû non seulement à l’histoire traditionnelle (légendaire et mythique) du riz au Japon, mais aussi à ses inscriptions dans la langue sous ses différentes formes. Il est également, surtout du fait de sa reconnaissance dans le droit japonais comme patrimoine imprescriptible à conserver et à préserver, juridiquement régulé et soutenu dans sa culture et sa présence pour éviter des pénuries et être maintenu dans la vie des Japonais. source

HISTOIRE et economie

Dans les anciennes chroniques, le Japon est appelé « contrée de la luxuriante plaine des épis de riz. » La riziculture serait arrivée au Japon de Chine ou de Corée durant la période Jômon (11 000 ans av. J.-C – 400 ans av. J.-C.).

A l’époque Nara (710-794), le riz raffiné était une denrée de luxe réservée à l’aristocratie, aux propriétaires terriens et aux guerriers, les paysans en consommaient à des rares occasions. Au quotidien, ils se nourrissaient de riz glutineux peu poli « riz noir » mélangé avec du millet.

Ravi de sa pauvreté
le solitaire admirant la lune
fredonne la chanson de riz de Nara
Basho
Le saké est précieux pour qui est triste ; l’argent s’apprécie par qui devient pauvre.
Beaucoup de fêtards sous les fleurs –
mon saké n’est pas filtré
et mon riz est noire
Basho

Durant la période Edo (1603-1868), le shogunat Tokugawa a mis en place un système appelé kokudaka pour déterminer la valeur des terres à des fins fiscales (1 koku = 150 kg de riz, quantité pour nourrir une personne durant un an).
C’est seulement à partir de l’ère Meiji (1868-1912) que la perception de l’impôt sur le riz a été modifiée en un système monétaire.

Aujourd’hui encore, le riz est appelé «aliment de base» shushoku, même si après la deuxième guerre mondiale, sa consommation avait baissé à cause du changement de l’alimentation influencée par l’Occident.

Ceci a incité le gouvernement à introduire des mesures législatives pour rééduquer les citoyens sur les traditions et la nourriture, et surtout pour leur rappeler les valeurs nutritives du riz. […] Le 10 juin 2005, la loi fondamentale de l’éducation sur la nourriture (Shokuiku Kihon Hō 食育基本法) a été votée. Shokuiku (食育) veut dire éduquer ou donner la connaissance (育) sur la nourriture (食). L’objectif de la loi est de cultiver un esprit et un corps sains tout au long de la vie par l’éducation alimentaire. Le shokuiku est une action à laquelle le Premier ministre et 12 ministères participent et qui relève de la sécurité publique au Japon. Il n’y a aucune loi semblable dans le monde entier. source

VARIÉTÉS DE RIZ et LEUR USAGE

Au Japon, on cultive Oryza sativa japonica qui se distingue des autres variétés asiatiques indica de par sa forme trapue et sa texture collante et douce (suitô riz de rivière irriguée, okabo riz de montagne cultivé au sec).

D’autre part, il a deux familles de riz et plus de 300 variétés :
uruchigome, les variétés que l’on consomme en plat ou pour faire des sushi, des onigiri… sont koshihikari, hinokihari, akitakomachi, kinehikari, hitomebore… Ce dernier signifie « l’amour au premier regard » !

mochigome ou riz gluant, qu’on utilise pour produire des spécialités : gâteaux mochi, dango, manjû, crackers grillés senbei, nouilles, komezu vinaigre, mirin vin de riz doux utilisé pour cuisiner, miso pâte de soja fermenté…

Préparation de mochi pour le mois de décembre, Shiwasu jûni-gatsu no uchi mochi-tsuki 師走十二月之内餅つき, 1854, estampe d’Utagawa Kunisada 歌川國貞 (1786-1865) © Edo-Tokyo Museum, Edo Tôkyô hakubutsukan 江戸東京博物館

Préparation de mochi pour le mois de décembre, Shiwasu jûni-gatsu no uchi mochi-tsuki, 1854
estampe d’Utagawa Kunisada (1786-1865) © Edo-Tokyo Museum, Edo Tôkyô hakubutsukan

Enveloppant des gâteaux de riz dans les feuilles de bambous
d’une main elle relève
la mèche de cheveux sur son front
Basho
Je cueille de jeunes feuilles d’hémérocalle
à mêler au riz cuit, pour oublier mes soucis –
Fin de l’année.
Basho

Le sakamai est le riz utilisé pour faire du sake (nihonshu)

A mon ermitage –
Du saké où flottent des pétales de chrysanthèmes
après le soleil couchant
Basho
Avec un éventail
Je bois du saké à l’ombre –
Chute des fleurs de cerisiers
Basho
Ni fleur, ni lune
Il boit du saké
tout seul
Basho

Hors alimentation, la paille de riz sert à fabriquer des toitures, du papier, des nattes de tatami, des balais, des chapeaux., des cordes…

LANGUE
© BNF, Hokusai Ref : 134926
Suivant ses divers états, le riz porte, en japonais, de très nombreuses appellations dont les principales sont ine (la plante cultivée), momi (le grain non décortiqué), kome (le grain décortiqué, forme sous laquelle il est conservé, comptabilisé et commercialisé), meshi ou gohan (le riz cuit, consommé dans un bol avec des baguettes) et raisu (le même riz, consommé au restaurant dans une assiette avec une fourchette). Meshi et gohan sont également synonymes de « repas », ce qui dénote la place centrale que le riz tient dans l’alimentation des Japonais. Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan

estampes  ET LITTÉRATURE

Bien que la valorisation de la campagne, incarnée dans les rizières, ait commencé plus tôt, son développement systématique a eu lieu au cours de la période Edo (1603-1867), lorsque Edo (Tokyo) est devenu un centre urbain, dépeint de façon vivante dans les estampes avec comme motifs les plus courants les étapes de la croissance des plants de riz, qui ont donné lieu aux quatre saisons de l’année pour tous les Japonais, y compris pour les populations non-agricoles.

Les voyageurs représentés dans ces estampes se dirigent vers Edo (Tokyo), et symbolisent le Japon éphémère et changeant incarné par la ville. En revanche, le riz et sa culture représentent un Japon éternel dans sa forme immuable et pure. Des représentations temporelles sont inhérentes à ces représentations d’activités d’aménagement paysager et de subsistance. L’agriculture symbolise le passé originel, ce qui suggère une identité nationale distincte non contaminée par des influences étrangères et la modernité, symbolisée par la ville, comme dans bien d’autres cultures. La métaphore jumelle de riz et de ses rizières est devenue le symbole ultime du Japon et de la culture japonaise dans sa forme la plus pure.

Les rizières aux plants verts dans une eau cristalline sont un motif fréquent des poèmes, essais, estampes et autres représentations artistiques. Ce sont aussi les tiges de riz avec de brillants épis dorés et mûrs qui ondulent dans le vent d’automne. Non seulement la plante et ses grains, mais le riz cuit lui aussi est magnifique avec son éclat, sa pureté et sa blancheur. « Chaque grain est une perle », selon Tanizaki Junichiro. source Collège de France, Philippe Descola

ALIMENT SACRALISE

[…] le riz ne peut pas être considéré comme un simple aliment. La graine présente des origines mythico-religieuses, elle fait partie intégrante de bon nombre de cérémonies religieuses, elle occupe une place centrale dans les rites de succession impériaux, elle rime traditionnellement avec prospérité, et a pu, sous sa forme d’aliment cuit, être considérée comme une métaphore de l’unité familiale. source

Le riz a des vertus magiques et surnaturelles. Les grains et son alcool, le sake ou nihonshu, sont des offrandes sacrées offertes lors des fêtes et cérémonies rituelles shintoïstes. D’ailleurs, de nombreux fûts de sake sont généralement installés près des lieux de culte !

Des fêtes matsuri ont lieu au printemps lors du repiquage du riz Otaue Matsuri (littéralement : fête du repiquage du riz dans les rizières) et en automne après la récolte Niiname-sai  (l’un des plus anciens rituels datant de la cour impériale durant lequel le souverain offrait du riz aux kami du sanctuaire shinto Ise Jingû, dans la préfecture de Mie).

© sanctuaire Sumiyoshi Taisha source nippon.com
Les femmes dansent le Yaotome no Tamai (littéralement : la danse de la rizière aux nombreuses jeunes filles) dans le cadre de la fête Otaue Shinji

Le chant des paysans dans les rizières
en ville
on récite des poèmes
Basho

D’autres us et coutumes :
– des graines de riz sont déposés tous les jours sur l’autel domestique shinto Kami-dana  consacré aux kami (de l’eau, des talismans y sont déposés ainsi que la paie des travailleurs avant son utilisation, c’est l’équivalent du butsudan bouddhique).

Commémoration de la mère défunte de Fuboku
En offrant de l’eau
en souvenir de votre mère,
prenez du riz cuit desséché
Basho

– lors des circonstances heureuses, fêtes des enfants Shichi-go-san 3-5-7 ans , mariages, le 60ème anniversaire, ainsi que le 1er et 15 de chaque mois, on prépare le sekizan riz cuit avec des haricots rouge azuki ;
– lors des jours fastes, comme le Nouvel An, on prépare des mochi qui contiennent la force divine de l’esprit du riz (galettes faites de pâte de riz gluant que l’on cuit à la vapeur).

Le croissant de lune à l’aube
proche de la fin d’année
Bruit de pilonnage du mochi
Basho
Jour de nouvel an –
Soupir pour les soleils
des mille petites rizières
Basho
Depuis toujours on reconnait un temple zen à une austérité qui s’exprime tant dans la frugalité du repas que dans l’exercice du zazen. En principe, dans les monastères, il n’y a que deux repas par jour : celui du matin, shukuza, consiste en une bouillie de riz très claire, celui du midi, saiza, est un brouet cuit à partir d’un mélange de rois mesures de riz pour sept mesures d’orge. […]
Une fois chacun à sa place, son bol devant lui, on récite pour le reps plusieurs sûtras et invocations, puis la ration est distribuée, bol après bol, comme il est prescrit. On en prélève d’abord sep grains de riz cuits, qu’on offre aux esprits affamés, gaki, avant de joindre tous ensemble les deux paumes devant soi au signal du surveillant qui frappe l’une contre l’autre les deux planchettes de bois : c ‘est seulement à ce moment qu’on se saisit de ses baguettes. Un brouet de riz, communément appelé « soupe où se mire le plafond,, clair au point que s’y reflètent les yeux et le visage où pointe la barbe […] extrait Journal d’un apprenti moine zen de Sato Giei (© source photo temple zen Eiheiji)

Mangeant la bouille de riz
l’impression d’entendre un biwa –
grêle sur l’avant-toit
Basho

SUPERSTITIONS

Ne jamais planter ses baguettes à la verticale dans votre bol de riz : il s’agit d’une offrande réservée aux rites funéraires bouddhistes que l’on place sur l’autel du défunt. Pour ne pas vous porter malheur, posez donc vos baguettes en équilibre sur le bol ou sur le repose-baquettes hashioki.

Évitez de passer la nourriture de baguettes à baguettes car c’est un rite funéraire. Lors de l’incinération, on passe les restes aux proches avec des baguettes pour qu’ils puissent les entreposer dans une urne funéraire.

Dans le film Mr. Baseball de Fred Schepisi avec Tom Selleck, il y a la scène culte et comique… pour les Occidentaux, où Jack, un Américain, découvre les coutumes et règles japonaises à table.

Autres croyances millénaires :
– pour repousser les mauvais esprits, on jette des graines de riz dans la chambre de l’enfant qui se réveille en pleurs la nuit ;
– pour chasser le mal on secoue au chevet du malade un bambou qui contient des graines de riz, le bruit ayant un pouvoir salutaire et mystérieux, etc.

L’ART DE MANGER DU RIZ

Ne versez jamais de sauce soja dans votre riz, cela voudrait dire que vous le trouvez de mauvaise qualité ! Le riz se consomme pur afin qu’il n’affaiblisse pas la saveur du poisson, de la viande et des légumes qui l’accompagnent.

A VOIR
Cinéma

Un film rare sur la culture de riz Kome (Gens de rizière) d’Imai Tadashi qui démontrent la vie rude des riziculteurs luttant pour leur survie.

L’enfant pauvre
s’interrompt de piler le riz
pour regarder la lune
Basho

© JW Magazine
Site touristique

Ma première et unique rizière en terrasse que j’ai visité en 2019, lors de mon 6ème voyage, proche de la ville de Wajima, est Shiroyone Senmaida du Nord de la péninsule de Noto.

Un but de paradis terrestre qui chevauchent la Mer du Japon. Les nuits d’hiver, la rizière est illuminées de 20 000 LED

L’origine de l’élégance poétique
en ce nord lointain
le chant de repiquage du riz
Basho