A la différence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siècle pour la Chine, le japonisme s’est répandu grâce à l’Exposition universelle de Paris en 1867.
Dès les XVIIe et XVIII siècles, la manufacture de Lyon s’inspira des motifs de l’ornementation japonaise pour créer ceux des soieries ; tandis qu’à Chantilly et à Saint Saint-Cloud, l’on copiait les porcelaines de Kakiemon et les Nabeshima. Enfin, les meubles de laques étaient appréciés de Madame de Pompadour et de Marie-Antoinette, qui en firent collection. Mais, ces phénomènes étaient plutôt les dernières manifestations de la mode des chinoiseries. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato Bibliothèque Des Arts
Le public fut fasciné par le pavillon japonais et la découverte du kimono porté par les premières femmes japonaises venues en Europe et accueillies avec une curiosité extrême.
On peut affirmer que le kimono est le symbole national du Japon et conjointement du japonisme en Europe qui gagna par la suite l’Occident. Nous allons découvrir pourquoi il a été une source d’inspiration autant pour les peintres que pour les créateurs de mode et les écrivains.
PEINTURE
A Londres, la première exposition d’art appliqué japonais de 1854 et l’Exposition universelle de 1862 ont été le détonateur de l’intérêt des artistes pour le Japon, mais le terme japonisme né en 1867 avec l’Exposition Universelle de Paris.
Hayashi Tadamasa (1853-1906), interprète durant l’exposition universelle, puis traducteur de documents sur l’art japonais et marchand, a joué un rôle fondamental dans l’histoire du japonisme durant son séjour à Paris de 1878 à 1893, et à la fois en tant qu’ami des peintres (Claude Monet, Camille Pissaro, Paul Renouard), des intellectuels et des hommes de lettres (Edmond de Goncourt, Émile Guimet, Félix Régamey).
Puis, Louise Mélina Desoye (1836-1909) a été l’unique femme qui a contribué à la première vague du japonisme en vendant dans sa boutique des produits importés du Japon. Ce lieu a été fréquenté par les peintres de la vague « japonisante » dont le précurseur anglais James Whistler : installé à Paris dès 1855, ses œuvres ont diffusé l’impressionnisme en Angleterre et aux États-Unis.
Toujours à Paris, Samuel Bing(1838-1905) marchand et critique d’art, collectionneur et mécène français d’origine allemande) avait acquis des milliers d’estampes japonaises qu’il a reproduites de 1888 à 1891 dans sa revue mensuelle Le Japon artistique. Documents d’art et d’industrie publiée simultanément en français, anglais et allemand. En 1890, il a enfiévré le monde avec l’exposition de 725 peintures et 428 livres illustrés japonais à l’École des Beaux-Arts de Paris.
A partir du mois de juillet 1893, la revue littéraire et artistique LaRevue Blanche, publie en couverture une estampe en noir et blanc d’un peintre de la mouvance symboliste : Bonnard, Vouillard, Roussel, Manet, Monet, Pissaro, Renoir…
Certains artistes qui collectionnaient des estampes ont fini par changer la technique et la forme de leur art, comme Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh. Ce dernier, écrivait du Sud de la France à son frère « Ma vie devient ici de plus en plus celle d’un peintre japonais ». (cf. article 8/2021 Iris, le radieux). A sa mort en 1890, son médecin a trouvé un carton de quatorze estampes près de son lit.
Parallèlement, les contrastes des couleurs des kimono ont également influencé la palette des artistes.
[…] dès 1890, l’Art Nouveau s’inspira des lignes souples et des motifs floraux des tissus japonais, des poncifs de papier, ainsi que des estampes de couleur. extrait Japon, la vie des formesShuichi Kato Bibliothèque Des Arts
L’estampe, perçue en Europe comme une nouvelle forme d’expression artistique, a connu un immense succès, nombreux peintres y ont puisé leur inspiration :
en Angleterre : Aubrey Beardsley ;
en France : Jacques-Joseph (James) Tissot, Edouard Manet, Claude Monet, Edgar Degas, Gustave Moreau, Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh ;
Malgré la fascination exercée par le Japon sur ces artistes, aucun n’a fait le voyage pour le découvrir ou confronter leurs idées à celles des artistes japonais !
A l’inverse, des artistes japonais se sont rendus à Paris – devenu centre artistique de l’Europe grâce aux impressionnistes – pour apprendre les nouvelles techniques de la peinture et fini par peindre « à l’occidentale » : Kuroda Seiki, Saeki Yûzô, Aoki Shigeru, Kihida Ryûsei, Fujita Tsuguji qui s’est fait naturaliser français…
Les soieries japonaises ont envouté les artistes, mais également les femmes qui les arrachaient des mains des marchands.
Leur charme tout particulier provient de leurs motifs fantastiques, aux mille couleurs, dans lesquels jouent et s’entremêlent merveilleusement des rameaux en fleurs, de fines pousses de roseau, des oiseaux en vol et d’étonnantes formations de nuages. La magie multicolore de ces étoffes, absolument délicieuses et incomparables, provient surtout du fait que la signification propre du motif décoratif – comme il est de règle pour un motif – s’efface dans l’effet d’ensemble de la pièce. Il y a là des juxtapositions de couleurs d’un effet si inhabituel, d’un attrait si vif que l’on comprend bien la frénésie avec laquelle les mains de nos élégantes se tendent vers ces exquises pièces de tissu. (propos de Lessing Julius, historien de l’art allemand, extrait Japonisme WICHMANN Siegfried Edité par Chêne/Hachette
Entre 1860 et 1920, l’attitude et les gestes de la parisienne ont été influencés par le kimono.
Quand les cultures tribales ont choisi le tatouage et la peinture du corps comme vêtement incarné, l’Occident a choisi le vêtement comme peau sociale, les deux muant le corps brut en corps culturel » note Thomas Lentes dans Qu’est-ce que la mode ? Cette notion de « peau sociale » semble s’appliquer parfaitement au vêtement traditionnel japonais, soumis au contraintes de la hiérarchie sociale tout en étant une représentation extrêmement brillante d’une partie du « corps culturel » nippon. En effet, le kimono n’est pas seulement manifestation d’une appartenance sociale et parure, il est aussi philosophie, esthétique, poésie, il est art : un art portable. extrait Kimono d’art et de désir Aude Fieschi Editions Picquier
Issey Miyake écrivait dans le livre Kimono de Sylvie et Dominique Buisson que plusieurs créateurs de mode occidentaux ont subi l’influence orientale tandis que ceux japonais sont partis de la mode occidentale pour obtenir leur originalité.
Frederick Worth (1825-1895), couturier français d’origine britannique et l’un des fondateur de la haute couture à Paris, s’est inspiré des tissus japonais et du kimono pour la création de ses robes.
Par la suite, le célèbre Paul Poiret (1879-1944) créa en 1910 un manteau kimono et des robes.
Frederick Worth
Paul Poiret
LITTÉRATURE
L’influence du Japon s’est déployée non seulement dans les arts plastiques mais aussi en littérature, d’où le terme dejaponismelittéraire.
Les écrivains ont pressenti très tôt la fascination que présentait le Japon. De la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, certains écrivains composaient dans le « goût japonais » par exemple Judith Gautier, autrice de plusieurs romans et nouvelles inspirés par l’histoire japonaise et Pierre Loti avec Madame Chrysanthème.
L’idéal féminin que donnent les livres de Pierre Loti est le personnage de Madame Chrysanthème Okiku-san qui enchantait Van Gogh, culmina finalement dans le doucereux plagiat de Madame Butterfly et apparaît comme une métaphores romantique de la réalité. Auguste Rodin lui-même, fut captivé par la danseuse Hanako. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato Bibliothèque Des Arts
L’influence de la culture japonaise sur l’art occidental du début du XXe siècle est indéniable et se manifeste d’innombrables manières. Les aspects les plus variés ont ainsi vu le jour : compositions asymétriques, nouveaux thèmes inspirés de la nature ou de la société, respect du vide, c’est-à-dire « amour du vide » qui vient remplacer l' »horror vacui », et beauté des lignes, entre autres. extrait Ryokan, Gabriele Fahr-Becker édition Könemann
Étroitement liés à la vie quotidienne, tous les supports artistiques japonais impliquent un mouvement dans l’espace et un rythme dans le temps. La peinture se roule et se déroule, le paravent se déplie, le kimono n’a d’existence que porté, les laques sont toujours utilitaires. Les Japonais aiment ainsi à se définir à travers des objets idéals, des fictions codées qui transforment le réel en quelque chose de sacré, et à transformer les gestes en rituels. extrait Le corps japonais de Dominique Buisson
Pour faire écho, je rajouterais l’éventail et l’ombrelle kasa à qui je dédie ce dernier article en tant qu’accessoire du kimono.
Après une brève présentation de ses origines, j’aborde son mode de fabrication et les modèles selon leur usage, ainsi que sa place dans la croyance populaire.
ORIGINE
Les premières ombrelles rigides auraient été découvertes parmi les tributs envoyés par le roi de Kudara, une ancienne province coréenne, à l’empereur Kimma(539-571).
Avant cela, les femmes portaient des chapeaux larges et plats, en fibres végétales tressées (bambou ou cyprès).
@ BNF, L’aubergine, Harunobu Suzuki (1725-1770)
Quittons-nous – Je porte des vêtements d’été et kasa à la main Bashô (1644-1694)
Ici, un aperçu en images de divers modèles de chapeaux pour femmes et hommes dont les paysans et les moines pèlerins.
Durant Edo (1603-1868), afin de pouvoir voyager plus aisément à pied, les artisans ont inventé divers objets pliants et légers à base de bambou et de papier : l’ombrelle et la lanterne.
Sévère
le bruit de la grêle
sur mon kasa en cèdre ! Bashô (1644-1694)
FABRICATION
La monture des kasa est faite de bambous fendus et sur le réseau flexible des branches on tend du papierwashihuilé imperméable, décoré ou pas de peinture ou logo. Les kasa pour femmes sont plus grands que ceux des hommes et comptent 40 baleines au lieu de 50.
Les kasa sont souvent représentées dans les estampes ukiyo-e « images du monde flottant » puis dans les premiers photographies.
LES TYPES DE KASA
La forme du kasa traditionnel est immuable, par contre, il change de nom selon sa conception et son utilisation.
higasa ombrelle qui protège du soleil éviter que la peau ne se hâle
amagasa contre la pluie
Nous logeâmes dans une hutte au pied de la montagne. Il feraient une nuit noire et sans lune, et je me sentis engloutie et perdue dans l’obscurité, lorsque trois chanteuses apparurent, venant on ne sait d’où. […] Nous les déposâmes devant notre logement, à l’abri d’un grand karakasa. Mon domestique alluma un feu afin que nous puissions les voir. extrait Sarashina nikki de Sugawara no Takasue no Musume
bankasa comporte le kamon symbole de la « maison » ou le nom de l’établissement (ryokan, hôtels…) tenue à la disposition des clients
jya no me gasa littéralement parapluie « œil de serpent » car le dessin en cercle y ressemble
Les artisans de Kyoto excellent dans la fabrication des ombrelles et ont rapidement adapté leur technique traditionnelle aux goût modernes.
Les ombrelles de type occidental sont appelés kômorigasa littéralement « parapluie en forme de chauve-souris ».
A l’ère Meiji (1852-1912), le prix des premières ombrelles occidentales était exorbitant, synonymes de luxe et de raffinement.
Elles étaient fabriquées à partir de matériaux tels que le coton et le lin, avec des pampilles en soie sur la poignée et la pointe pour souligner leur élégance. source web-japan
CROYANCE POPULAIRE
Dans le folklore, le kasa-obake littéralement « esprit-ombrelle » est un monstre yōkai de la famille tsukumogami composée d’objets du quotidien qui peuvent prendre vie après 100 ans d’existence. Il a la forme d’une ombrelle traditionnelle pourvue d’un œil, d’une langue, de deux bras et d’une seule jambe. Il n’est pas redoutable, mais tout simplement… dégoutant. Pour en savoir plus, cliquez ici
Exquise et étrange, avec son air de froide déesse qui regarde en dedans, qui regarde au-delà, qui regarde on ne sait où.
Pierre Loti
Le maquillage traditionnel, contrairement à la coiffure et au vêtement, a évolué légèrement entre l’Antiquité et le XIXe siècle. En dissimulant ses traits, la femme était devenue une abstraction qui ne prenait de sens que dans la rigidité des codes sociaux propres à chaque époque.
Durant Heian (794-1185) « La très longue chevelure, objet de nombreux poèmes, mettait en valeur le blanc du visage qui s’appliquait en couche de plus en plus épaisse et se répandait chez les courtisanes et les jeunes danseuses. Les yeux étaient étirés et la bouche rouge, menue à l’extrême. L’ensemble devait apparaître comme immatériel et inexpressif car la dame se devait d’afficher un léger masque de détachement et d’ennui pour mettre un paravent à l’expression de ses sentiments. L’esthétique qui en résulte imprégna longtemps l’esprit du maquillage. Cette incertitude mélancolique, cette opposition de sensualité et d’inexpression, cette corrélation étroite entre la beauté et la tristesse marquèrent la naissance du goût japonais. » extrait Le corps japonais, Dominique Buisson, Editions Hazan
Depuis le 6 janvier 1869, date du décret impérial qui a interdit le fard d’un autre âge, seuls les geisha, les maiko et les acteurs de kabuki maintiennent cet art vivant.
Mon article dévoile les secrets de maquillage à travers sa palette de base – blanc, noir et rouge – ainsi que les soins du visage et, pour finir, quelques accessoires remarquables par leur raffinement.
BLANC
Une peau blanche était, comme dans la plupart des société aristocratiques, un signe de beauté. Dans les peintures représentant les messieurs et les dames de la cour, les gens d’un rang supérieur avaient toujours des visages plus pâles. La nature ne respectant pas toujours cette distinction, la pâleur nécessaire était acquise au moyen de généreuses applications de poudre. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, Ivan Morris, Collection La Suite des temps, Gallimard
@ Artmemo, Goyo HASHIGUCHI (1880 – 1921) Jeune femme se poudrant
« Un visage blanc cache beaucoup de défauts » – proverbe
[いろのしろいのはしちなんかくす, iro no shiro no wa shichinan kakusu] « Iro no shiro » désigne la blancheur d’un visage de femme, 七難 – しちなん- shichinan ; désigne les 7 infortunes bouddhistes et dans son sens figuré un grand nombre de défauts. Il faut se méfier des apparences.
Pour cela, on employait une poudre blanche – keifun blanc de mercure ou o-shiroi blanc de céruse (en dépit du Saturnisme dû au plomb !) – fondue dans l’eau et appliquée avec des pinceaux sur le visage, le cou, la nuque et le décolleté qui étaient enduits auparavant de l’huile de camélia bintsuké-abura. Après Edo (1603-1868), ces poudres nocives ont été remplacées par une pâte non métallique neri-o-shiroi et la poudre kona-o-shiroi.
Les geisha mettent en valeur leur nuque en la blanchissant, mais gardent nus trois triangles de peau naturelle dénommés « trois jambes » sanbon-ashi (les apprenties maiko n’ont que deux !). Ce minime détail invite à l’érotisme en laissant imaginer les secrets d’une intimité interdite.
Aujourd’hui encore, la blancheur de la peau demeure la condition première de la beauté. En été, la japonaise cache son visage du soleil sous des chapeaux, des ombrelles,… et les bains de soleil font défaut à sa culture.
NOIR
Le noir est inhérent aux coutumes de passage de l’existence féminine, de l’enfance à l’âge adulte.
Les sourcils
La coutume d’épiler ou de raser les sourcils existait en Chine pendant la première dynastie Han et fut importée au Japon. L’aristocrate et la femme des samuraï se rasaient les sourcils à partir de la maturité (13 ans) tandis que la femme du peuple, une fois mariée ou devenue mère, coutume dénommée hongenpuku.
A la très aristocrate époque Hein, le goût était à l’extrême délicatesse et le maquillage se japonisa. Les sourcils étaient alors les éléments les plus importants de la beauté. On les détestait naturels et on épilait « ces horribles chenilles » afin de les redessiner, généralement plus haut sur le front. Au début, c’était des croissants fins et longs, mais les plus spectaculaires étaient larges et estompés. Plus tard, on les nomma « feuilles de saule », « croissants de lune », « antennes de papillon », « cocons de soie ». extrait Le corps japonais, Dominique Buisson, Editions Hazan
@ Artmemo, Shodo YUKAWA Beauté de l’époque Heian (794-1185)
On redessinait les sourcils rasés avec du noir mayuzumi obtenu par un mélange de fleurs brûlées, de poudre d’or, de suie et d’huile de sésame ou par de la pelure de châtaigne, du charbon de paulownia.
Dans l’ouvrage Kewai mayuzukuri kudenLa tradition du maquillage des sourcils, Mizushima Bokuya détaille les règles pour dessiner les sourcils et les accessoires nécessaires.
Les dents
La coutume detsushi ou kanetsuke qui consistait à se noircir les dents était usitée par les femmes et les hommes de classes supérieures jusqu’à l’ère Meiji « pour se différencier des esclaves et des animaux » (à la période de Tokugawa (1603-1867) les prostituées appelées « les mariées d’une nuit » également).
D’abord réservé aux dames de la cour, le o-haguro, le noir à dents, est adopté par les hommes et se répand dans les meilleurs guerriers ; puis son usage est à nouveau restreint aux femmes du peuple. Parallèlement, ce signe de l’accès à l’âge adulte devient celui du mariage : couleur inchangeante, symbole de la fidélité et de l’obéissance des femmes. Abolie en 1870, la coutume du noircissement des dents subsista longtemps dans les campagnes reculées. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan
Le rouge beni-guchi, extrait de benibana*, plante de la famille du chrysanthème Carthamus tinctoris, servait pour rougir les lèvres, les joues et parfois pour le contour des yeux afin d’éclairer l’iris et creuser un peu l’arcade.
@ Artmemo, Goyo HASHIGUCHI (1880 – 1921) Jeune fille se mettant du rouge à lèvres
Elle est mignonne, fine, élégante ; elle sent bon. Drôlement peinte, blanche comme du plâtre, avec un petit fond rond rose bien régulier au milieu de chaque joue ; la bouche carminée et un peu de dorure soulignant la lèvre inférieure. extrait Japon, Erwin Fieger, L’iconothèque
*Entre parenthèse, ces agents colorants de benibana servirent pour teindre les tissus, puis à partir du XVIIe dans la fabrication des encres d’imprimerie pour les estampes ukiyo-e de type benizuri-eet beni-e.
LES SOINS
A l’époque Edo 1813 est paru un ouvrage sur l’esthétique intituléLe Guide de la beauté dans la capitale Miyako fûzoku keshôden de Sayama Hanshichimaru et illustrations de Hayami Shungyôsai.
Le visage
Les femmes utilisaient des sachets de tissus nuka-bukuro remplis de son de riz hydratant nuka, de plantes médicinales ou aromatiques, de poudre de haricots rouge azuki nettoyante araiko qui contenait de la saponine. Elles plongeaient les sachets dans l’eau chaude puis les essoraient avant de frotter leurs visages.
On utilisait une brosse à dents fusayôji en bois de saule, de cèdre ou de bambou sur laquelle on mettait du sel ou une poudre abrasive rouge mêlée à des parfums.
Michiyo Watanabe du POLA Research Institute of Beauty & Culture nous éclaire sur les rituels du maquillage des Japonaises de l’époque Edo. Fard blanc, rouge à lèvres, dents noircies ou encore sourcils rasés signifient souvent bien plus qu’une simple mise en valeur esthétique de ses atours. Elle nous explique en quoi le maquillage était souvent le reflet d’une position sociale ou d’un statut marital.
La coiffure a évolué parallèlement au vêtement et sa diversification a entraîné l’essor des ornements de cheveux, les seuls bijoux qui décoraient et mettaient en valeur la chevelure de jais des élégantes : peignes kushi, piques kôgai, épingles kanzashi. En outre, elle variait selon l’âge et le statut social des femmes, sans oublier les femmes artistes geisha, les femmes galantes asobi-bito et les courtisanes yûjo.
COIFFURES
Pendant la période Heian(794-1185), la chevelure était une obsession même dans les conversations des dames. Les aristocrates laissaient pendre leurs cheveux lisses, brillants, séparés en deux par une raie, immensément longs, sauf les mèches latérales coupées à une longueur de 30 cm, coiffure dénommée taregami.
Haru no kuni
koi no mikuni no asaborake shiruki wa kami ka baika no abura ?
En ces deux pays
du printemps et de l’amour pour moi l’aurore… Preuve n’en est-ce dans mes cheveux le baume aux fleurs de prunier ?
Dans son Journal, Murasaki Shikibu, lorsqu’elle aborde les cérémonies du Jour de l’An (1008), fait le portrait de onze dames éminentes de la Cour (la taille, le maintien du corps, le kimono et ses couleurs, la forme du visage et le maquillage, les cheveux et ses ornements, l’esprit….).
La dame Dainagon est très petite, raffinée, blanche, belle et ronde, quiconque très hautaine de maintien. Ses cheveux sont trois pouces plus longs qu’elle. Elle se sert d’épingles à cheveux délicieusement sculptées. Son visage est exquis, ses manières raffinées et charmantes.
Les cheveux de cette beauté avait donc 10 cm de plus que sa taille ! Mais la longueur la plus impressionnante (1,80 m) relatée par Murasaki dansLe Dit du Genji I Genji Monogatari est celle de la Princesse Ochiba. A l’époque, un homme pouvait tomber amoureux d’une femme grâce à sa chevelure rien qu’en l’apercevant de dos, aussi parce que les femmes dissimulaient leurs visages derrière les manches de kimono, les éventails, les paravents, les rideaux…
Kurogami no
midare no shirazu
uhi fuseba
maza kakiyarishi
hito zo koishiki
Lorsque je pleurais
indifférente au désordre
de mes noirs cheveux
celui qui les démêlait
Ah combien je l’ai aimé Yosano Akiko
Lors des cérémonies, les femmes attachaient leurs cheveux avec des rubans.
Pour le repas de Madame, huit femmes, vêtues de pareille couleur, les cheveux reliés, noués d’un cordon blanc, se suivent portant les plateaux d’argent blanc. Miya no Naïshi qui ce soir assure le service, en impose toujours par sa beauté grave et nette, mais ses mèches qui retombent, par le contracte avec les cordons blancs, la rendent plus aimable que jamais et son profil a demi caché par l’éventail possède un charme singulier.extrait Journal, Murasaki Shikibu
Murasaki ni
ogusa ga ue e kage ochimu no no harukaze nii kami kezuru asa
Comme violacée,
sur les petites herbes tombe mon ombre ; au vent de printemps des champs, matin lissant mes cheveux… Yosano Akiko
Si une femme décidait de se couper les cheveux avant une reconversion religieuse rakushoku pourse retirer du monde, les assistants pleuraient durant la cérémonie car ils savaient que les cheveux ne regagneraient jamais leur longueur.
J’ai coupé ma chevelure Et teint De noir mon vêtement Mais ce qui demeure inchangé C’est mon cœur.
poème extrait de Femmes galantes, femmes artistes dans le Japon ancien XIe-XIIIe siècle par Jacqueline Pigeot
A l’époque Azuchi–Momoyama (1573-1603), la Cour imposait aux femmes le port de chignons à la mode chinoise des Tang, à savoir double ou simple sur le haut de la tête. Les chignons des jeunes femmes étaient plus complexes que ceux des femmes mariées, tout comme les manches des kimono et le nœud de l’obi (plus de détails dans mon article Kinomo I Éternelle fascination)
C’est durant Edo (1603-1868) que la coiffure japonaise Nihon-gamiest née ainsi que ses techniques. Elle comprenait quatre parties dont la forme a évolué en fonction des modes :
les « cheveux du devant » maegami
les « cheveux des tempes » bin
les « cheveux de derrière » jusqu’à la nuque tabo ou tsuto
Le style caractéristique du coiffage des tempes on le retrouve dans l’immortelle estampe intitulée Trois beautés de notre temps Kansei san bijin de Kitagawa Utamaro.
Avec la prospérité croissante de la classe marchande, leurs coiffures s’alourdissent de façon à mettre en valeur la finesse de la nuque, tenue pour un gage de la beauté du corps nouvellement prisée. Sous l’influence des geisha, des chignons de plus en plus complexes sont imaginés : les cheveux épaissis à l’huile de camélia, divisés en quatre ou cinq mèches, sont enroulés en coques ou en veloutes sur le sommet de la tête, sur la tempe ou sur la nuque, et fixés à l’aide de cordons*,de peignes et d’épinglés décoratives. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan
*cordons, cordelettes de papier motoyui, ou de fils de chanvre asaito ou fils tressé de kumihimo
ORNEMENTS
Dès la période Jomon (vers 8000 av J-C – vers 300 av J-C) apparaissent les épingles à cheveux en os et les peignes étroits avec des dents longues tate-kushi en os, corne ou bambou durci à la laque, certains ornés d’animaux fantastiques chargés de pouvoirs magiques.
Le tate-kushi qui à la base maintenait la coiffure, s’est vu modifier la longueur et ses dents plus courtes pour remplir le rôle de peigne yoko-gushi (le peigne à double endenture tôgushi, peigne à queue kesuji-tate, peigne à dents largestokigishi..)
Enjiiro wa tare ni kataramu chi no yuragi haru no omoi no sakari no inochi
Enfant de vingt ans dont ruissellent sous le peigne les longs cheveux noirs… Tant de beauté il y a dans le printemps de l’orgueil ! Yosano Akiko
C’est au milieu de l’époque Edo (1603-1868) que peignes et épingles à cheveux se multiplient et se diversifient. La bourgeoisie acquiert alors la suprématie économique et supplante la classe des guerriers : elle promet une nouvelle culture et de nouvelles modes qui lui sont propres. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan
Les accessoires kushi peigne, kôgai pique, kanzashi épingle, kamikazari ornement… sont constitués de divers matériaux (écaille de tortue, bois, bambou, nacre, ivoire, agate, verre, or, argent, corne de sabot de cheval ou de bœuf, os de cou de grue pour les extravagants) et utilisent plusieurs techniques (la peinture laquée d’or ou d’argent maki-e, l’incrustation de nacre ou de verre, de cristal, de corail).
On sait que le peigne n’était pas seulement un accessoire de mode pour la Japonaise, mais aussi une marque de distinction, de dignité ou de rang. C’est ainsi qu’une courtisane réputée porte un grand nombre de peignes magnifiquement ornementés, qui « rivalisent » de splendeur avec sa coiffure. Ses cheveux bleu-noir et l’ivoire blanc (ou la nacre luisante) font naître, avec des bijoux de toutes couleurs, des contrastes intenses. Les peignes étaient souvent assortis au kimono ou au fard très clair du visage, ce qui permettait de créer, là aussi, contrastes ou harmonies suivant la mode de l’époque . Si le peigne répondait à des soucis d’ordre esthétique, et s’il reflétait tel ou tel statut social, il obéissait aussi à une symbolique des saisons. extrait Japonisme, Wichemann Siegfried, Edité par Chêne/Hachette
Les motifs décoratifs raffinés du peigne nous font pénétrer dans un monde miniature, celui de la flore, de la faune, de la littérature,…Plusieurs artistes ont représenté des ornements de manière magistrale dans leurs œuvres : Kiyomitsu, Harunobu, Masanobu, Utamaro, Tokyni, Kunisada, Kuniyoshi…Sous l’influence de l’occident, dès l’ère Showa (1926-1989) le port du kimono disparaît de la vie quotidienne et par conséquent la coiffure japonaise et ses ornements aussi. Seules les geisha, les jeunes filles pour le Nouvel An et les mariées utilisent encore ces sublimes bijoux.
Tamakura ni
bin no hitisuji kireshi ne wo ogoto to kikishi haru no yo no yume
Le bras en oreiller,
un de mes cheveux rompit. Ce son me parut être celui d’un koto ; rêve de nuit de printemps Yosano Akiko
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Uba-tama no xwaga kuro-kami ya kawaruran kagami no kage ni fureru shira-yuki
A des baies noires jusqu’ici
pareils mes cheveux auraient-ils
changé de couleur ?
Voici qu’au reflet du miroir est tombée la neige blanche Ki no Tsurayuki _ Anthologie Kokin Shü
Livre 10 poème 460
COIFFURES DES GEISHA
Les geisha ainsi que les femmes galantes yûjo et les danseuses de kabuki nouent depuis toujours leurs cheveux.
Pour dormir sans écraser sa coiffure, l’élégante devait dormir sur un oreiller haut de bois rembourré parfois de paille, dénommé takamakura. Un supplice !
De nos jours, certaines geisha portent des perruques.
Elle sont faites de cheveux humains fixés sur une carcasse métallique. La chevelure est partagée en mèches, enduite d’huile de graines de camélia et lissée avec des spatules chaudes. Le perruquier est capable de reconstruire entièrement une perruque en vingt minutes, en fixant chaque mèches de cheveux à l’aide d’invisibles bandelettes de papier. Quand tout est terminé, il plante solidement un peigne en écaille et une épingle de corail dans les épais rouleaux de cheveux. extrait Geisha Liza C. Dalby
Ichiban Japan I Documentaire : Une journée dans une maison de Geisha à Kyoto[/su_quote]
SECRETS DE BEAUTE DURANT EDO
Michiyo Watanabe du POLA Research Institute of Beauty & Culture nous éclaire sur les coiffures des Japonaises de l’époque Edo. Elle nous raconte l’histoire extraordinaire de ces chignons du plus simple au plus sophistiqué. Ornementée d’accessoires et d’extensions choisis – parfois extrêmement lourds et peu pratiques – la coiffure des femmes était, tout comme le maquillage, une source de renseignements précieuse sur leur statut social ou marital. source MCJP
Le kimono, contrairement au vêtement occidental yôfuku, n’est pas doté de poches. Par ailleurs, le port du sac a été emprunté à la mode occidentale qu’à l’ère Meiji (1868-1912) lorsque le Japon s’ouvrit au monde après plus de deux siècles d’isolement (Sakoku 1633-1854).
Mais avant cela, comment les femmes transportaient donc leurs effets personnels ?
Au début, elles glissaient les objets dans les manches du kimono et sous la ceintureobi puis, à l’époque Muromachi (1336-1573), des accessoires ingénieux et sublimes virent le jour : le nestuske et les sagemono.
NETSUKE
Netsuke est un minuscule objet utilitaire (entre 3 et 8 cm) indispensable au kimono qui retient dans l’obi, avec l’aide d’un bouton coulissant ojime, le cordonnet qui attachent les sagemono « choses qui pendent » (découvrez Kyoto Seishu Netsuke Art Museum !).
Les netsuke, quant à eux, étaient de véritables chefs d’œuvre de sculpture miniature, d’os, de bois précieux, de pierre ou de laque, qui représentaient des sujets divers traités le plus souvent avec humour : des dieux et des déesses de la mythologie japonaise, des personnages célèbres ou encore des animaux, avec une préférence pour ceux du signe du zodiaque. Exécuté le plus souvent sur commande, chaque netsuke était une pièce unique. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier
Le port du netsuke s’est répandu à l’époque Edo. Plus de 3000 artistes ont été répertoriés ! Leurs créations matérialisaient l’imaginaire des Japonais et exigeaient un sens raffiné de la beauté et une technique artisanale d’une grande méticulosité.
L’aspect le plus frappant des arts nombreux de la période d’Edo est l’intérêt méticuleux avec lequel les Japonais scrutèrent tous les aspects de la nature à la recherche des sujets. Il semble qu’aucun objet, animé ou inanimé, n’ait été trop banal pour devenir le thème d’un minuscule chef d’œuvre. Le goût inné et les normes élevées des artisans pendant ces siècles n’ont jamais été égalés dans aucun autre pays. extrait L’art dans le monde – Japon, Peter C Swann, Edition Albin Michel
Depuis Meiji, les netsuke et les estampes sont très prisés par les collectionneurs occidentaux qui savent reconnaître leur valeur artistique.
Les katabori-netsuke sont les plus recherchés car ce sont souvent des magnifiques œuvres d’art miniature, représentant soit des masques (de Nô ou de Gigaku) ; des animaux, des personnages de légende, parfois des végétaux, des fleurs, ou des fruits, des poissons et crustacés par exemple. L’imagination des sculpteurs de netsuke (qui étaient parfois aussi des des peintres ou des graveurs sur métal) ne connut pas de bornes. extrait Le Japon, Dictionnaire et civilisation, Louis Frédéric
>> hakoseko estun petit sac à main porté par une mariée ou des filles lors de la fête des filles au Japon hina matsuri littéralement « fête des poupées » qui a lieu le 3 mars de chaque année.
>> le nécessaire à fumer (kiseru zutsu étui à pipe, tabako-ire blague à tabac)
Longue pipe, à petit fourneau (ganbuki) et embouchure (suikochi) en métal, dont le tuyau rat était en général fait de bambou importé de Laos. A l’époque d’Edo elle était utilisé par ls hommes aussi bien que par les femmes qui utilisaient, pour garder le tabac et recueillir les cendres , une boite spéciale appelée tobako-bon. extrait Le Japon,Dictionnaire et civilisation, Louis Frédéric
>> les instruments de calligraphie portable yatate
Le yatate est un nécessaire portable pour écrire. Il était utilisé par toutes les classes de la société et par les deux sexes. Il est constitué d’un compartiment contenant un coton imbibé d’encre et d’un étui pinceau (et éventuellement d’un coupe-papier, boulier, compas,…). Yatate signifie littéralement « Support pour flèches » (Ya « flèches », Tate « support ». L’origine de ce nom a donné lieu à différentes explications mais la plus communément admise est la suivante : Autrefois, il était de tradition pour les samurai de transporter dans leurs carquois : la pierre à encre, l’encre et les pinceaux. Ils les utilisaient pour écrire les lettres à leur famille, pour prendre des notes sur le déroulement des batailles et pour rédiger des poèmes. Cet art était très à la mode à la cour et chez les combattants. La pierre à encre, transportée dans le carquois était appelée « Yatate no suzuri ». Le mot yatate est une abréviation du mot yatate no suzuri. On ne sait pas bien à quelle époque le yatate a pris cette forme portable telle que nous le connaissons mais des descriptions relevées dans les livres montrent le port du yatate à la ceinture dès le début de l’époque EDO.. extrait Association Franco Japonaise Paris – Bulletin – N°150
>> inrô porté par les hommes, est une boîte comportant une ou plusieurs cases, destinée à l’origine à contenir le sceau personnel avec la pâte vermillon puis des médicaments.
Pour en savoir plus, lire cet article publié sur Tokonoma magazine en ligne portant sur les arts et les cultures de l’Asie et de l’Extrême-Orient : INRŌ : ÉCHANTILLON DU RAFFINEMENT JAPONAIS
L’éventail, objet délicat et élégant, est représenté dans d’innombrables estampes. Il faisait partie intégrante du vêtement japonais wafuku autant pour les femmes que pour les hommes.
De nos jours, il perdure en tant qu’accessoire indissociable du kimono que l’on glisse sur le devant de l’obi.
Mais que sait-on de son histoire ? Pourquoi existe-t-il plusieurs types d’éventails et quelle est leur utilité ? Nous allons le découvrir !
Histoire de l’éventail en bref
L’éventail est né en Chine au IIIe siècle avant J.C.. Le matériau a changé au fil des années (bambou, feuilles de palmier, plumes de paon, plumes de faisan…) pour finir en soie ou en papier tendu dénommé « écran » orné d’écritures et de peintures.
De simple objet pour s’éventer, cacher le visage, chasser les mouches ou attiser les braises, il est devenu attribut sacré et politique puis accessoire de mode.
La première mention du mot esventail est attestée en 1588. A cette date coexistent trois types : les écrans, hérités de l’antiquité, les éventails brisés et les éventails pliés, originaires du Japon, composés d’une monture en ivoire supportant une feuille de peau très fine à décor peint. L’usage de l’ éventail plié a été encouragé en France par Catherine de Médicis à son retour d’Italie ; il est alors un accessoire mixte porté par les nobles. Au XVIIe siècle, son port se démocratise, l’usage étant de le suspendre à la ceinture par un ruban. – extrait Dictionnaire International de la Mode chez Seuil
Les éventails pliants furent importés du Japon en Chine à la période Heian (794 à 1185) puis, au Portugal et en Espagne à partir du XVIe siècle.
L’éventail au Japon
Les éventails de soie étaient réalisés par les plus grands maîtres chinois et japonais. Les types principaux sont l’ôgi (éventail pliant), le hiogi (éventail pliant en bois de hinoki, réservé aux dames de la cour) et l’uchiwa (ou « écran » rigide, à manche, carré ou rond). De précieux, exemplaires étaient créés, dans les techniques les plus diverses. « Luisant doucement, avec des motifs aux splendides couleurs, empruntés au monde des plantes et des animaux, avec le doux éclat de petites perles réparties ça et là […]. – extrait Japonisme Siegfried Wichmann Edition Chêne Hachette
Il existe deux sortes d’éventails selon leurs formes.
– Uchiwa
C’est un éventail venu de Chine via la Corée, son nom vient de utsu-ha signifiant « feuille frappante ». De nos jours, il est encore employé par l’arbitre de combats de sumo(gunbai uchiwa).
[…] de forme variable , rond ovale, carré, fait de papier ou de soie collée sur de fines lamelles de bambou attenant au manche. La plupart des uchiwa portent des poèmes écrits ou peints et servent maintenant d’objet de décoration. Ils étaient autrefois utilisés (de même que les oui et les éventails pliants) pour présenter de manière polie un objet ou une lettre à un haut personnage. Mais s’étaient le plus souvent les femmes qui les utilisaient. – extrait Le Japon de Louis Frédéric, Dictionnaire et civilisation
À l’époque d’Edo, les uchiwa comportaient des motifs liés aux saisons ou aux modes ce qui engendra uchiwa-e, gravure japonaise du style ukiyo-e, qui présentait une scènes narrative ou des portraits.
– Ôgi
La forme pliante, en papier ou en soie avec des nervures en bambou ou en ivoire, a été inventée au Japon par une aristocrate.
Suite à la perte héroïque de son mari Atsumori, la femme s’est retirée dans le temple de Kyoto, Mieido. Un jour, elle a sauvé la vie d’un moine en l’éventant pendant la prière avec un morceau de papier plié.
Un bonze, qui me tourne le dos avec son chapelet, écrit son portait en waka : désobéissant à ce monde je m’isole dans le village de montagne manche de ma noire bure
Je le regrette et me souviens avec nostalgie de sa façon de vivre dans l’élégance poétique
Avec l’éventail je voudrais le rafraîchir par derrière
Selon les saisons et l’usage (vie quotidienne, rituel, théâtral, politique…) les éventails pliants se différencient de par la matière, les couleurs et les ornements, le nombre de sections et la taille.
Lors de la cérémonie du thé, lorsque les gens se saluent tout en étant assis sur des tatami en position formelle appelée « seiza », ils utilisent ces éventails pour délimiter la zone occupée par chaque personne. La cérémonie du thé consiste à porter de l’eau à ébullition, à infuser du thé vert et à le servir selon les méthodes et les conventions traditionnelles japonaises. Lorsqu’on participe en tant qu’invité à la cérémonie du thé, on doit apporter un sensu, mais on ne doit pas l’utiliser pour s’éventer pendant la cérémonie. – source
Mai-ôgi composé de 10 baquettes et de poids en plomb autour du rivet afin de le sortir et le faire tournoyer facilement. Il est utilisé lors des danses classiques par les geisha et les acteurs du théâtre kabuki ;
Chûkei employé par les acteurs de Nô et Kabuki où il incarne un objet (une épée, une rame, un plateau, un couteau…) ou un élément de l’environnement (le soleil, la neige, la pluie) ou uneaction commeunsigneoul’observationdelalune ;
Les éventails ne sont pas seulement utilisés pour produire des mouvements élégants lorsqu’on les fait tournoyer : ils expriment également des émotions et représentent des objets physiques. Les sensu peuvent être ouverts et déplacés d’avant en arrière dans un grand mouvement, tout en étant déplacés dans l’air dans des mouvements élégants en forme de vague afin de représenter la chute d’une pluie de pétales de fleurs de cerisier. Ces éventails peuvent également être tenus de différentes manières afin de représenter des parapluies, des livres, des pins ou d’autres objets. – source
Suehirodésigne un éventail traditionnel utilisépourlesgrandesoccasions.Il symbolise le souhait que les deux familles continuent de vivre dans le bonheur et la prospérité pendant de longues années. Le mizuhiki (nœud) utilisé pour Suehiro mesure environ 90 cm, et ne doit jamais être coupé car il est considéré comme étant le lien familial lui-même. Lorsqu’il est trop long, on replie les extrémités vers le haut pour l’ajustement. – extrait Nipponica n°29
Avec un éventail je bois du saké à l’ombre – Chute de fleurs de cerisier Bashô
Umajirushi utilisé comme drapeau par les Tokugawa. L’éventail de commandement des généraux était marqué du blason du clan.
Tessen (gunsen) employé comme arme de défense dans les arts martiaux et sur le champ de bataille durant le Japon féodal.
Œuvres d’art
Au Japon, la composition sur éventail (avec toutes sortes de subtiles articulations et variantes) était pratiquée non seulement par des peintres célèbres, mais encore par un grand nombre d’amateurs ou même d’écrivains qui s’enthousiasmaient pour cet art. – extrait Japonisme Siegfried Wichmann Edition Chêne Hachette
Les éventails sont des œuvres d’art ornées de calligraphies ou de peintures, héritage des aristocrates et des érudits.
Tous les seigneurs agitaient des éventails dont les minces baquettes laquées différaient de couleur, mais qui brillaient, uniformément tendus de papier rouge. Cela ressemblait tout à fait à un parterre d’œillets superbement fleuris. – extrait Notes de Chevet Makura no soshi de Sei Shônagon
Pour préserver ceux réalisés par un grand maître, on détachait le papier ou la soie des tiges et on les encadrait ou collait sur des paravents byōbu (littéralement « murs de vent »).
Les premiers à avoir calligraphié les éventails décorés de scènes de la vie de Cour furent les moines, ainsi le profane et le sacré étaient liés.
[…] à l’époque d’Heian, les Japonais dévots faisaient des impressions en couleurs sur des éventails où ils écrivaient ensuite les saints sutras. – extraitJapon, L’art dans le Monde Peter C.Swann
Le temple Shitennō–ji à Osaka possédait 115 éventails sur lesquels l’ensemble du sûtra Hokke-kyô et des textes qui s’y rapportaient étaient écris à la main. Les papiers sont ornés d’or et d’argent, et la technique utilisée et celle de tsukuri-e. Ces éventails présent en outre beaucoup d’intérêt sur le plan sociologique à cause de la représentation de scènes de la vie du peuple. Les sûtra peints en blanc (hakubyô-e) et les sûtra dits « sans yeux » (menashi-kyô) sont étroitement liés au groupe des sûtra inscrits sur des illustrations « laïques » (shita-e). – extrait L’Age d’or du Japon de Rose Hempel
Des gens qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps se rencontrent par hasard au temple ; ils s’étonnent, vont s’assoir l’un près de l’autre, bavardent, approuvent de la tête, se racontent d’amusantes histoires, ouvrent largement leur éventail devant leur bouche, pour rire à leur aise. – extrait Notes de Chevet Makura no soshi de Sei Shônagon
A la cour de l’ancien Japon, les aristocrates organisaient des concours de poésies calligraphiées sur des éventails ôgi-awase.
– Peinture
Les éventail peints sont des chefs-d’œuvre uchiwa-e et ôgi-e « miniatures ».
L’art de la « portion de nature » n’a pas d’échelle de mesure : chaque objet, chaque être contient l’absolu ; il n’y a pas « d’ordre de grandeur », de niveau suffisant ni du point de vue artistique ni philosophique. – extrait Ryokan de Gabriele Fahr-Becker
L’asymétrie affectionnée par les Japonais s’impose même dans les peintures sur éventail : d’un côté, on laisse toujours un espace vide.
Tawaraya Sôtatsu est l’un des plus grands artistes qui excella à peindre sur éventail. Il vivait à Kyoto au temple de Daigo-ji et fut le co-fondateur de l’école Rimpa. Son art se caractérise par la singularité de la composition, la stylisation des formes et les coloris.
Jeux à la cour d’Heian
– ôgi-nagashi : on jetait des ôgi dans une rivière afin de composer des poèmes sur les sensations éprouvées ainsi que par les personnes qui les avaient jetés. – ôgi-otoshi : on lançait un ôgi ouvert pour atteindre un objet précis
Croyances
Les contes folkloriques et les moines prêtent à l’éventail le pouvoir de chasser les esprits malveillants et maléfique.
Mais aussi, offrir un éventail est un signe d’amitié fort.
L’éventail revêt de nombreuses symboliques comme en étant par exemple un symbole particulièrement auspicieux. L’éventail déployé se nomme suehiro : comme l’éventail partant d’une extrémité (sue) s’élargit (hirogaru) pour atteindre une large dimension en se déployant. En offrant un éventail à une personne on lui souhaite que sa vie, ses richesse s’élargissent de la même manière que s’ouvre l’éventail. L’éventail suehiro évoque ainsi un mouvement d’ouverture, de prise d’envergure et de cheminement. Il est aujourd’hui un nom poétique permettant de désigner l’éventail plié en général. – extrait Marielle Brie
D’où le verbe suehirosuruすえひろする 末広する signifie se propager (comme un éventail ouvert), devenir prospère.
« SECRETS » DE FABRICATION
Le marchand d’éventails promène sa charge de vent – la chaleur Kakô
La période Heian(794-1192), l’âge d’Or du Japon, se caractérisait par un dynamisme créateur dans tous les domaines de l’art. Elle doit son nom à la nouvelle capitale Heian-kyô (littéralement « capitale de la paix et de la tranquillité »), l’actuelle Kyoto, que l’empereur Kammu(737-806) a déplacé de Nara en 794 et perdura jusqu’à son transfert à Kamakura en 1192.
La Cour, foyer d’épanouissement culturel où l’on entretenait le culte de la beauté dans l’art et la nature, se composait d’environ 3 000 courtisans de l’empereur et de l’impératrice qui vivaient dans un monde cérémonieux et impénétrable.
Dans mon précédent article, j’ai fait savoir que l’ancêtre du kimono venait de Chine. Mais, durant Heian, les couleurs et les décors se sont complexifiés donnant naissance au style typiquement japonais, d’où la nécessité de consacrer un article à cette période cruciale de l’histoire du kimono.
Je vous exposerai tout d’abord la particularité du nouvel habit et les règles strictes relatives aux couleurs selon les rangs et les saisons. Puis, j’aborderai brièvement l’art du parfum, la coiffure et le maquillage.
NOUVEAU STYLE D’HABIT
L’habillement consistait en l’art de la superposition juni-hitoe : un lourd vêtement de dessus et une douzaine de jupons de soie de différentes couleurs destinés à produire un ensemble original et séduisant…pesant environ 20 kg. Plus une traîne était longue, plus la personne était de haut rang.
La tenue de cérémonie de l’impératrice était aussi fastueuse que celle de l’empereur. Elle était composée de douze kimono (jûni-hitoe) superposés très fins, par dessus lesquels on portait une jupe culotte écarlate. Le kimono le plus proche du corps était pourvu de langues manches qui pouvaient dissimuler les mains. Le hitoe du milieu avait cinq faux cols et manchettes dont le dégradé de couleurs était soumis à des règles strictes. La coupe du vêtement était immuable. Par-dessus l’ensemble, on portait une veste de brocart qui descendait jusqu’à la taille et enfin le vêtement uwagi au dos duquel s’attachait une traine de fine soie blanche brodée. extrait L’âge d’or du Japon l’époque Heian 794-1192 de Rose HEMPEL
A cette époque, on pratiquait le koromogae qui consistait dans le changement de vêtements et du dégradé des couleurs en fonction des saisons. Par exemple, tous les ans, le 1er jour du quatrième mois et le 1er jour du dixième mois, on permutait les habits été/hiver.
1er jour, quatrième mois, Changement des vêtements : Les rideaux et autres tentures du palais et des demeures particulières sont échangés pour des rideaux et des tapisseries de tissus plus léger. Les vêtements d’été sont portés pour la première fois.. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, d’Ivan Morris
D’ailleurs, les demeures n’étant pas isolées, les aristocrates dormaient habillés sur tatami couverts d’un couvre-pied de soie et en hiver de plusieurs vêtements chauds.
Le changement de la garde-robe était une occasion pour les dames de concours d’élégance et de bon goût.
[…] lorsqu’on parle d’ensembles couleur cerisier, saule, chrysanthème, corrête, etc., il s’agit en réalité d’accords de couleurs dont la combinaison fait penser tel ou tel végétal : ces accords jouent à la fois sur des différences de couleur entre les diverses robes superposées les et sur des contrastes entre l’envers et l’endroit d’une même robe. (…) Il faut savoir cependant que le cerisier du Japon fleurit en rose soutenu, que le corrête (ou kerria) est jaune d’or, que lorsqu’il est question de saule, il s’agit de la couleur vert pâle que revêt cet arbre aux premiers jours de printemps, etc. extrait introduction du Journal de Murasaki Shikibu par René Sieffert
Encore aujourd’hui, les kimonos comportent des motifs représentant les fleurs de saison et leurs couleurs (couleur cerisier sakura iro, couleur pêche momo iro, couleur corrête (jaune d’or) yamabuki iro, couleur raisin budô iro…). (re)découvrez mon article Le culte des saisons
La cour d’Heian se divisait en neuf rangs, que l’on comptait à partir du troisième rang, du plus bas sôhei au plus élevé kugyô. Chaque rang était divisé, cela donnait 30 catégories de courtisans.
Les couleurs des robes et des chapeaux indiquaient les rangs de cours.
L’Impératrice portait l’habituelle robe rouge sous laquelle elle avait des kimonos couleur de prune claire, vert clair et jaune fané. Le jupon extérieur de Sa Majesté était fait de brocards couleur de raisin. Elle portait en dessous un kimono vert saule et sous cela un kimono blanc immaculé. Ensemble très original et très à la mode. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, d’Ivan Morris
Regardant au-dedans des stores, je vis que celle qui avait la permission de porter des couleurs étant en karaginu bleus ou rouges, avec des traînes peintes et des uchigi, qui étaient, en général, de brocart vieux rose ou vieux rouge. Seuls les membres de la Garde de Droite portaient des vêtements rose crevette. Les étoffes battues ressemblaient au mélange de feuilles d’érable claires et foncées à l’automne. Les vêtements de dessous étaient d’un jaune jasmin pâle ou foncé, ou bien verts et blancs. Certains portaient l’écarlate et le vert et d’autres des robes garnies de trois plis. Parmi les personnes à qui il était interdit de porter de la soie à dessins, les plus âgées portaient des uchigi bleus à cinq plis, rouge foncé ou vieux rose. La couleur de la mer peinte sur leurs traînes était à la fois discrète et de bon goût. Le dessin se répétait sur leurs ceintures.
L’importance des habits féminins était l’une des formes du goût.
Pour une femme, l’habilité à choisir ses vêtements, particulièrement à en composer les couleurs, était un charme plus important que les traits physiques dont la nature l’avait dotée au hasard. Les vêtements féminins étaient extrêmement compliqués et encombrants, consistant entre autres en un lourd vêtement de dessus et une douzaine de jupons de soie tous soigneusement destinés à produire un ensemble original et séduisant. Pour faire admirer leur goût, les femmes portaient des vêtements superposés, au manches de plus en plus longues. Pour attirer l’attention des hommes, naquit la mode de oshidashi où les manches dépassaient les du rideau de l’écran, de vidashiuchigi où le bas de chaque jupon dépassait celui qui était superposé et l’idashiguruma, la coutume de laisser pendre toutes les manches à la portière de la voiture pour la délectation des passants. Les femmes qui sortaient portaient tantôt la manche droite ou la manche gauche plus longue selon le côté de la voiture qu’elles devient occuper. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, d’Ivan Morris
Une femme devait donc savoir choisir les vêtements et en composer les couleurs. Si par malheur elle faisait une faute de goût, on la jugeait, comme relate Murasaki Shikibu (978 ?-1014) dans son JournalNikki :
L’une des dames avait commis une légère erreur dans la combinaison des couleurs du poignet de la manche. Lorsque pour prendre un objet quelconque, elle dût s’approcher de Leurs majestés, les nobles et les hauts dignitaires le remarquèrent. Plus tard, la dame Saisho le déplora très vivement. En fait, ce n’était pas tellement grave, néanmoins, l’une des couleurs était un peu trop pâle.
Un faux pas suffisait pour que la femme perde un éventuel prétendant…
L’élégance d’un costume se juge en fin de compte à la qualité des accords de couleurs produits par ce que l’on entrevoit des diverses robes à encolure, aux manches et à l’extrémité qui traîne à terre. Les femmes d’un certain rang ne donnant audience que cachées derrière des stores et des rideaux, il est de bon temps de laisser déborder le bas des robes et le bout des manches, ce qui permet à l’interlocuteur de mesurer le goût de celle qui le reçoit, ce qui peut avoir une certaine incidence sur ses sentiments s’il cherche une aventure galante… extrait introduction du Journal de Murasaki Shikibu par René Sieffert
Pour aller plus loin, l’expression tagasode « à qui sont ses manches » était utilisée dans la poésie pour se référer à une femme dépourvue de beauté.
Les habits, les corps et les chevelures étaient embaumés par les fumées d’encens. On utilisait aussi des sachets fragrants de soie nioi-bukuro que femmes et hommes portaient à même la poitrine. Encore aujourd’hui, on offre un nioi-bukuroà une personne en choisissant le parfum qui s’associe le mieux au caractère qu’on lui prête. (re)découvrez mon article Encens I Art olfactif
Laver mes cheveux, me farder, revêtir des habits tout imprégnés des parfums de l’encens. Même si nul ne me rend visite, tout au fond de mon cœur, je me sens ravie. La nuit où j’attends quelqu’un, j’écoute et je suis surprise par le bruit de la pluie et de la bourrasque. extrait Notes de chevet Makura no sōshi de Sei Shōnagon(~965 – 1025 ?)
Dans cet univers clos, un frôlement exacerbe. La pâleur met à nu ; jusqu’aux dents que l’on estompe dans un noir de laque. Les visages disent trop. Les traits se dérobent derrière les paravents et les treillis de bambou. Seules les parfums et leurs sillages donnent un peu de légèreté aux trop lourds brocarts. L’encens est la métaphore de la volupté et des sens. Il donne corps, là où le corps n’a pas lieu, là où l’on préfère la valeur d’un poignet entr’aperçu. Il prête sa trace aux intrigues du palais et aux amours secrètes. Des ombres harnachées de soie glissent de pavillon en pavillon. On se souvient, retrouve, aime et compromet en ses doucereuses empreintes. extrait La voie de l’encens de Boudonnat Louise et Kushizaki Harumi
Près de la maison un prunier en fleurs, je ne planterai plus car confondant son parfum avec la robe parfumée de celle que j’attends extrait anthologie Koshinku
coiffure et maquillage
Les femmes se coiffaient d’une raie au milieu. Les cheveux n’étaient ni coupés ni attachés. Une belle chevelure devait être raide, brillante et pendre… jusqu’au pieds.
La dame a rabattu sur sa tête un vêtement violet clair, avec une doublure très foncée. […] Elle paraît dormir, elle a un vêtement simple, couleur de clou de girofle, une jupe de soie raide, écarlate foncé, dont les cordons de ceinture sortent, très longs, de dessous son vêtement et semblent encore dénoués. Ses cheveux s’amoncellent à son côté, on se dit qu’ils doivent être bien longs quand ils ondoient librement.extrait Notes de chevet Makura no sōshi de Sei Shonagon
Les sourcils étaient rasés et à la place on dessinait deux tâches noires au même endroit ou quelques centimètres plus haut (selon les codes).
Les dents étaient noircies ohaguro avec du fer et de l’écorce de noix écrasée dans du vinaigre de thé.
La peau blanchâtre était un signe de beauté, c’est pourquoi on couvrait le visage d’une poudre blanche. Les femmes mariées appliquaient du rouge sur les lèvres en forme de bouton de rose.
Nous voyons la femme de Heian (la dame bien née) engoncée dans des vêtements, avec une volumineuse chevelure noire, une taille minuscule, des traits exigus, un visage pâle et des dents noires, personnage amorphe et étrange que nous imaginons en train d’évoluer lentement dans un monde crépusculaire de rideaux, d’écrans et d’épaisses tentures de soie. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, d’Ivan Morris
Lors de mon premier voyage, j’ai visité le musée dédié à Murasaki Shikibu situé à Uji.
Le culte de la beauté, durant l’ère Heian, a empêché la moindre chose de tomber dans la vulgarité et a contribué à l’éclosion d’une société d’une élégance inouïe qui a marqué à jamais l’histoire des civilisations.
Le kimono* fait partie des symboles nationaux du pays du Soleil-Levant . Il révèle le raffinement de la culture nippone et la quiddité de la féminité.
*kiru « se vêtir de » + mono « chose » = « chose que l’on porte sur soi »
Ce vêtement traditionnel japonais wafuku nous fascine esthétiquement tout en ignorant ses codes sociaux.
[…] certains aspects varièrent et marquèrent l’évolution du kimono et de son utilisation : la longueur des manches et leur ampleur signalent si la femme est mariée ou non ; la nature du tissus, soie, crêpes, coton, laine ou ramie (fibre végétale), ainsi que le nœud de l’obi donnent des indications sur la classe sociale ; les décorations, leur mode d’exécution et leurs dimensions permettent d’apprécier la qualité du kimono et de situer l’époque de la fabrication ; la façon de le porter renseigne sur la mode et les mœurs du temps : du faste des douze vêtements porté l’un par-dessus l’autre pendant la période Heian à l’élégance sobre et délicate du kimono de la période d’Edo, selon le goût dit iki. extrait Le Japon de Rossella Menegazzo, Hazan Guide des arts
Dans cette première partie, découvrons l’origine et l’évolution du kimono, les différents types et les tissus employés selon les protocoles, sans oublier les étapes de l’habillage dont l’intrication est laborieuse et architecturale.
Origine et évolution du kimono
De nos jours, le kimono se compose d’un seul sous-kimono blanc et le kimono lui-même retenu par une ceinture souple aux hanches, resserré à la taille par une large ceinture obi.
Haru sugite natsu ki ni kerashi shirotae no koromo husu chô Ama no Kaguyama
Il semble que le printemps s’achève et que l’été soit là sur le mont Ama-no-Kaguyama dit-on, teintes en blanc sèchent des robes
L’ancêtre du kimono est le kosode « manches étroites » de forme cylindrique. Originaire de la Chine des Tang, il a été adopté dès l’époque Nara (710 et 794) en tant qu’habit quotidien, puis comme sous-vêtement et enfin, comme robe de dessus au XVIème. Aujourd’hui, Il est porté par les femmes mariées, les manches longues nagasode étant réservées aux enfants et aux jeunes filles.
Urami wabi hosanu sode da ni aru mono wo koi ni kuchinan na koso oshi kere
Peines rentrées, aigreurs, pleurs versés sur mes robes encore pour un amour dont avec horreur je contemple le désastre avec la ruine de mon nom.
A l’époque Heian (794-1185), l’âge d’or du Japon, le kimono a connu son apogée à la cour, chez les femmes de samouraïs et de marchands et chez les prostitués de luxe yujos. Lors des cérémonies, on portait douze tuniques non doublées en soieries juni hitoe superposées de manière à entrevoir le bord de chacune d’elles sur le col, sur les pans de devant et aux manches, fermées avec une simple cordelette.
oto ni kiku Takashi no hama no adanami wa kakeji ya sode no nure mo koso sure
Les vagues sonores et insidieuses de la plage de Takashi ne m’atteignent pas plus que vos frivoles insistances car je ne veux baigner les manches de ma robe…
Durant Kamakura (1185–1333), le pays était dominé par les samouraïs et le bouddhisme Zen qui ont imposé la rigueur et la simplicité, le dépouillement…. Le luxe de Kyoto était synonyme de décadence ! Les femmes des guerriers ont commencé par porter que deux ou trois couches de kimonos retenus par une ceinture discrète en corde de chanvre au niveau des hanches.
Waga sode wa shiohi ni mienu oki no ishi no hito koso shirane kawaku ma mo nashi
La manche de ma robe n’a pour se sécher pas plus de temps que le rocher à l’horizon englouti par la marée haute, mais qui le sait ?
A partir de 1600, pendant la période de paix d’Edo (1600-1868), la forme du kimono n’évolua pratiquement pas, mais l’obi commença à s’élargir et à se nouer de diverses façons, reflétant la position sociale de la personne qui le portait, aussi bien que les courants de la mode. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot
Les courtisanes de luxe yujos pour se différencier des autres classes sociales, nouaient leur obi par devant.
L’obi « ceinture » qu’on remarque dans les estampes, est fait d’un tissu souple et porté bas, mais à partir de 1800 il devient un objet élaboré, raide et lourd, aussi important que le kimono.
« La courtisane Nanao, ses suivantes Mineno et Takane, de la maison Ôgiya » (Ôgiya uchi Nanao Mineno Takane)
« Nouveaux motifs pour les jeunes pousses » (Hinagata wakana no hatsu môyô)
Isoda Koryûsai (1735-1788 ?), milieu des années 1770. Signé : « Koryûsai ga »
Quelques centimètres dans un sens ou dans un autre peuvent affecter considérablement l’allure générale de la toilette. Il existe un rapport symbolique entre la hauteur à laquelle une femme porte son obi et son degré de pudibonderie. Une mère de famille honnête attachera le sien juste sous les seins et les jeunes filles, censées être pures et innocentes, devront placer le leur le plus haut possible, si bien qu’on ne s’aperçoit même pas qu’elles ont une poitrine. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot
Les geisha portent depuis toujours leur obi bas et rejette en arrière la bande blanche de l’encolure pour rendre leur nuque visible.
C’était une mode iki* que de porter le col du kimono très en arrière, de façon à laisser la nuque découverte. Montrer la plantation des cheveux vise à séduire. Yuki Shuzô, extrait Le Japon de Rossella Menegazzo, Hazan Guide des arts
* Iki: sentiment propre à la bourgeoisie d’Edo qui se développa à partir du XIX siècle parmi les chônin, et qui faisaient appel à un sens esthétique nouveau, empreint de sensualité, ainsi qu’à un sens moral voulant que, bien qu’on jouît de fortune, on affectât de mépriser l’argent. Ce sentiment était quelque peu analogue au sui qui prévalait à Osaka dans la classe marchande au XVII siècle.
Grâce à l’enrichissement des classes moyennes durant Tokugawa, une dynastie de shoguns qui ont dirigé le Japon de1603 à 1867, le kimono est devenu un effet de mode quant au choix des tissus, des couleurs, des dessins et des techniques ce qui a déplu au shogun.
En 1615, le gouvernement a imposé des lois pour réguler le costume en fonction des statuts sociaux.
Lois pour les maisons militaires : Il ne doit pas y avoir de confusion possible entre le prince et son vassal, entre le supérieur et l’inférieur. La loi spécifiait le type de vêtements qui convenait à chaque classe et stipulait que les différences de statut social devaient apparaître clairement dans la façon de s’habiller. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier
Par exemple, la soie et certaines couleurs et techniques de tissages étaient interdites aux marchands car réservées à la cour.
Les lois somptuaires édictées en ces temps-là pour toutes les provinces et chaque classe de la société, tout bien réfléchi aujourd’hui, étaient une excellente chose. Un marchand vêtu de soie fine n’est pas, en effet, beau à voir. Lui convient par contre une solide toile de pongé qui lui donne bon air. Le guerrier doit, lui, toujours être impeccable, aussi serait-il inconvenant que, fût-il le dernier des samurai sans valet, il fût habillé à la manière de tout le monde. extrait Ihara Saikaku, Le magasin perpétuel 1688
Dès l’ère Meiji, lorsque le pays s’est ouvert au monde en 1868 après 200 ans d’isolement sakoku, les étrangers ont découvert le kimono tandis que les Japonais ont adopté progressivement l’habit occidental yofuku.
« J’assiste à la fin de ce monde merveilleux, artistique, poétique, plein de douceur qui s’en va sombrer dans le sombre fatras de la civilisation occidentale. Aux robes de brocart brodées de fleurs de feu et de papillons couleur soleil, voir succéder ça : un Japonais en chapeau gibus, c’est à faire dresser les cheveux sur la tête du plus chauve des rapins… » écrit Félix Regamey à sa mère en septembre 1876. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier
Les parisiens ont rencontré les premières femmes japonaises en kimono lors de l’Exposition universelle de 1867.
Patron et taille du kimono
La forme et la taille de base d’un kimono est immuable. En général, la longueur du kimono doit doit avoir environ 20 cm de plus que la hauteur de celle (ou celui) qui le porte. Le tissus en excès est replié à la taille et maintenu à la bonne longueur par des ceintures de tissu de crépon et l’obi. Un kimono est généralement taillé en six pièces rectangulaires coupées dans un seul coupon de tissus d’environ 11 m sur 0,36 cm quelle que soit la taille de celui ou celle qui doit le porter : il est assemblé avec des coutures droites. On doit plier le kimono d’une certaine manière afin de lui conserver les plis naturels, et on le range dans des coffres spéciaux tansu.
TISSUS
La texture de l’étoffe et le type du motif servent tous deux à définir la place d’un vêtement précis sur la grille des conventions. Parmi les habits de soie, l’ori, ou kimono tissé (c’est-à-dire que le fil a été teint avant le tissage), s’oppose au some, ou kimono taillé dans une soie colorée après avoir été tissée. A part quelques exceptions, les kimonos tissés sont généralement considérés comme des vêtements ordinaires, alors que les soieries teintes sont plus habillées. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot
protocoles
Sur base de mes lectures, j’ai établi une liste de type de kimono formels et informels, que j’ai simplifié à l’extrême tant la complexité est déconcertante !
Le choix du kimono est strictement lié au degré de solennité de l’occasion et choisi avec un grand soin afin de se conformer aux usages sociaux. Il s’agit bien sûr, du choix des dessins et des couleurs, mais aussi et surtout de la qualité et du type de tissu. Aucun impair n’étant toléré dans ce domaine, il faut bien connaître les usages. extrait Kimono d’art et de désir, Aude Fieschi, Editions Picquier
Un nouveau-né est présenté au sanctuaire shintô couvert de son premier kimono.
Pour la fête des âges critiques shichigosan 7-5-3 ans, le 15 novembre, toute la famille vêtue de kimono et hakama va au sanctuaire shinto pour demander la protection aux kami.
– le second kimono, sera porté par l’enfant à son 3ème anniversaire ;
– le 3ème kimono, à l’âge de 5 ans pour un garçon et à 7 ans pour une fille.
Les jeunes filles, le jour de leurs 20 ans pour fêter leur majorité, ainsi que la jeune épouse le jour de son mariage, doivent porter le furisode « manche flottante ». Les manches sont longues jusqu’aux chevilles et sont synonymes de pureté et d’innocence et l’obi à pans longs, peint ou brodé, est largement noué dans le dos .
Les couleurs du kimono sont vives et l’emplacement du dessin varie selon l’âge de la fille. Plus elle est jeune, plus le dessin monte en partant du bas du kimono.
Lors du mariage, la jeune épouse est vêtue d’un kimono de cérémonie brodés de fils d’or et d’argent. Il est très long et le bas enferme un matelassage pour l’alourdir.
Les femmes proches de la mariées portent le kuro tomesode kimono noir orné de cinq mon (sur le revers, le milieu du dos et les manches).
Les autres femmes mariées invitées sont vêtues avec iro tomesode kimono noir décoré d’un, trois ou cinq mon et de motifs colorés dans le bas et un obi coloré.
Pour se différencier des célibataires, les femmes mariées portent le tomesode dont les manches sont plus courtes (sode = manche, tomeru = celle qui doit rester là, mariée dans cette maison). Bien évidemment, les couleurs doivent être discrètes.
Lors des cérémonies funéraires, les femmes de la famille portent des kimono noirs avec cinq mon dénommés mofuku avec le col blanc du sous-vêtement nagajunde et un obi noir. Les autres, peuvent porter des kimono de couleurs sombres (violet foncé par exemple) avec obi, noir ou gris.
Il existe aussi le kimono de couleur et sans motif ou avec des petits motifs géométriques iromuji si on le décor d’un mon* il devient formel et on peut le vêtir lors des cérémonies du thé.
*mon : blason de famille, de forme circulaire, orné en général de motifs végétaux. A l’origine, se sont les samouraïs qui l’utilisait pour se reconnaître sur le champ de bataille.
Et enfin, le yukata kimono en tissus de coton, léger, imprimé ou teint en indigo, qu’on porte chez soi, pour aller au bain onsen ou tout simplement lors des canicules.
La coupe étant identique, seuls les tissus, les couleurs et les décorations changent en fonction des saisons. Par temps froid, on porte des kimono en soie ou en laine, et au dessus, une veste ample en tissus épais tanzen.
– tabi : chaussettes blanches à un doigt
– suso yoke : en coton, couvre le bas du corps – hadajuban : pour le haut du corps, brassière avec manches mi-longues et étroites que l’on croise devant sans le serrer et dans les poches duquel on peut insérer des coussinets de rembourrage pour faire disparaître les formes en creux (taille, courbure des reins,…) et par dessus, pour cacher cela, on enroule plusieurs fois autour de la taille un bandeau. Seuls le visage, la nuque et les mains sont découvert et la forme du corps s’estompe.
A la limite on pourrait dire que ces femmes étaient désincarnées. De ma mère, je revois le visage, les mains, vaguement les pieds, mais ma mémoire n’a rien conservé qui se rapportât au reste du corps. extrait Eloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki
– kimono de dessous en soie long naga juban pour les cérémonies ou court han juban avec col blanc amovible pour le laver facilement – koshi himo cordelette sous la poitrine pour régler la longueur du nage juban et par dessus une ceinture large et raide datejime
kimono lui-mémé en croisant le côté gauche sur le côté droit (le contraire se fait pour un défunt) et on règle sa longueur avec une cordelette koshi himopuis le datemaki une longue écharpe de couleur qui dépassera de quelques centimètres sous l’obi
– obi : »ceinture » le type, le port et la taille sont complexes, tout un art !
LES Livres & les Ecoles de kimono
A l’époque Edo sont publiés les premiers livres de modèles de kimono hiinakata-bon, d’abord en noir et blanc avec les notes qui indiquaient les couleurs et les tissages, puis avec le décor peint à la main selon la méthodeyûzen de Yuzensai Miyazaki, (1654-1736), moine peintre de Kyoto.
Dans les années 1960, une réaction nationaliste provoque un boom des ventes de ce vêtement et la création de nombreuses académies où l’on apprend l’art du kimono.
Ces institutions ont profité de ce que beaucoup de femmes aisées, désireuses d’entretenir la tradition du kimono, ne possèdent ni les connaissances ni l’assurance nécessaires pour bien les porter. Ces cours enseignent la technique de base du port du kimono et aussi l’art délicat de nouer l’obi en forme de jonquille ou de grue repliée. extrait Geisha, Liza-C Dalby, Editions Payot
Ces écoles considèrent qu’une vieille dame doit porter son kimono avec dignité, une maîtresse de maison d’un certain âge avec sérénité et une jeune fille avec simplicité et netteté. Tout est dit !
A SAVOIR !
Le kimono se ferme en superposant le côté gauche sur le côté droit ! Le sens opposé est réservé aux personnes décédées.
Il est toujours porté avec des chaussettes à orteil séparé tabi et des socks zôri ou geta.
Le prix d’un kimono peut varier de 1 500 € à 50 000 €. Les japonais qui n’ont reçu aucun kimono en héritage peuvent en louer…
Début de l’automne l’émeraude de la mer et des rizières exactement le même vert Basho
Cet article est une parenthèse au précédent car le riz, à part être un ingrédient de base du sushi, il occupe une place majeure tant dans l’histoire et l’économie du pays que dans sa culture (langue, représentations artistiques, littérature, croyances, coutumes, superstitions…)
Le Japon et le riz étant indissociables, le sujet est incontournable !
S’il reste, à la base, un produit économique, le riz japonais n’en est pas moins une représentation symbolique et culturelle indéniable pour ses habitants. Ceci est dû non seulement à l’histoire traditionnelle (légendaire et mythique) du riz au Japon, mais aussi à ses inscriptions dans la langue sous ses différentes formes. Il est également, surtout du fait de sa reconnaissance dans le droit japonais comme patrimoine imprescriptible à conserver et à préserver, juridiquement régulé et soutenu dans sa culture et sa présence pour éviter des pénuries et être maintenu dans la vie des Japonais. source
HISTOIRE et economie
Dans les anciennes chroniques, le Japon est appelé « contrée de la luxuriante plaine des épis de riz. » La riziculture serait arrivée au Japon de Chine ou de Corée durant la période Jômon (11 000 ans av. J.-C – 400 ans av. J.-C.).
A l’époque Nara (710-794), le riz raffiné était une denrée de luxe réservée à l’aristocratie, aux propriétaires terriens et aux guerriers, les paysans en consommaient à des rares occasions. Au quotidien, ils se nourrissaient de riz glutineux peu poli « riz noir » mélangé avec du millet.
Ravi de sa pauvreté le solitaire admirant la lune fredonne la chanson de riz de Nara Basho
Le saké est précieux pour qui est triste ; l’argent s’apprécie par qui devient pauvre. Beaucoup de fêtards sous les fleurs – mon saké n’est pas filtré et mon riz est noire Basho
Durant la période Edo (1603-1868), le shogunat Tokugawa a mis en place un système appelé kokudaka pour déterminer la valeur des terres à des fins fiscales (1 koku = 150 kg de riz, quantité pour nourrir une personne durant un an).
C’est seulement à partir de l’ère Meiji (1868-1912) que la perception de l’impôt sur le riz a été modifiée en un système monétaire.
Aujourd’hui encore, le riz est appelé «aliment de base» shushoku, même si après la deuxième guerre mondiale, sa consommation avait baissé à cause du changement de l’alimentation influencée par l’Occident.
Ceci a incité le gouvernement à introduire des mesures législatives pour rééduquer les citoyens sur les traditions et la nourriture, et surtout pour leur rappeler les valeurs nutritives du riz. […] Le 10 juin 2005, la loi fondamentale de l’éducation sur la nourriture (Shokuiku Kihon Hō 食育基本法) a été votée. Shokuiku (食育) veut dire éduquer ou donner la connaissance (育) sur la nourriture (食). L’objectif de la loi est de cultiver un esprit et un corps sains tout au long de la vie par l’éducation alimentaire. Le shokuiku est une action à laquelle le Premier ministre et 12 ministères participent et qui relève de la sécurité publique au Japon. Il n’y a aucune loi semblable dans le monde entier. source
VARIÉTÉS DE RIZ et LEUR USAGE
Au Japon, on cultive Oryza sativa japonicaqui se distingue des autres variétés asiatiques indica de par sa forme trapue et sa texture collante et douce (suitô riz de rivière irriguée, okabo riz de montagne cultivé au sec).
D’autre part, il a deux familles de riz et plus de 300 variétés : – uruchigome, les variétés que l’on consomme en plat ou pour faire des sushi, des onigiri… sont koshihikari, hinokihari, akitakomachi, kinehikari, hitomebore… Ce dernier signifie « l’amour au premier regard » !
– mochigome ou riz gluant, qu’on utilise pour produire des spécialités : gâteaux mochi, dango, manjû, crackers grillés senbei, nouilles, komezu vinaigre, mirin vin de riz doux utilisé pour cuisiner, miso pâte de soja fermenté…
Suivant ses divers états, le riz porte, en japonais, de très nombreuses appellations dont les principales sont ine (la plante cultivée), momi (le grain non décortiqué), kome (le grain décortiqué, forme sous laquelle il est conservé, comptabilisé et commercialisé), meshi ou gohan (le riz cuit, consommé dans un bol avec des baguettes) et raisu (le même riz, consommé au restaurant dans une assiette avec une fourchette). Meshi et gohan sont également synonymes de « repas », ce qui dénote la place centrale que le riz tient dans l’alimentation des Japonais. Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan
estampes ET LITTÉRATURE
Bien que la valorisation de la campagne, incarnée dans les rizières, ait commencé plus tôt, son développement systématique a eu lieu au cours de la période Edo (1603-1867), lorsque Edo (Tokyo) est devenu un centre urbain, dépeint de façon vivante dans les estampes avec comme motifs les plus courants les étapes de la croissance des plants de riz, qui ont donné lieu aux quatre saisons de l’année pour tous les Japonais, y compris pour les populations non-agricoles.
Les voyageurs représentés dans ces estampes se dirigent vers Edo (Tokyo), et symbolisent le Japon éphémère et changeant incarné par la ville. En revanche, le riz et sa culture représentent un Japon éternel dans sa forme immuable et pure. Des représentations temporelles sont inhérentes à ces représentations d’activités d’aménagement paysager et de subsistance. L’agriculture symbolise le passé originel, ce qui suggère une identité nationale distincte non contaminée par des influences étrangères et la modernité, symbolisée par la ville, comme dans bien d’autres cultures. La métaphore jumelle de riz et de ses rizières est devenue le symbole ultime du Japon et de la culture japonaise dans sa forme la plus pure.
Les rizières aux plants verts dans une eau cristalline sont un motif fréquent des poèmes, essais, estampes et autres représentations artistiques. Ce sont aussi les tiges de riz avec de brillants épis dorés et mûrs qui ondulent dans le vent d’automne. Non seulement la plante et ses grains, mais le riz cuit lui aussi est magnifique avec son éclat, sa pureté et sa blancheur. « Chaque grain est une perle », selon Tanizaki Junichiro. source Collège de France, Philippe Descola
ALIMENT SACRALISE
[…] le riz ne peut pas être considéré comme un simple aliment. La graine présente des origines mythico-religieuses, elle fait partie intégrante de bon nombre de cérémonies religieuses, elle occupe une place centrale dans les rites de succession impériaux, elle rime traditionnellement avec prospérité, et a pu, sous sa forme d’aliment cuit, être considérée comme une métaphore de l’unité familiale. source
Le riz a des vertus magiques et surnaturelles. Les grains et son alcool, le sake ounihonshu, sont des offrandes sacrées offertes lors des fêtes et cérémonies rituelles shintoïstes. D’ailleurs, de nombreux fûts de sake sont généralement installés près des lieux de culte !
Des fêtes matsuri ont lieu au printemps lors du repiquage du riz Otaue Matsuri (littéralement : fête du repiquage du riz dans les rizières) et en automne après la récolte Niiname-sai (l’un des plus anciens rituels datant de la cour impériale durant lequel le souverain offrait du riz aux kami du sanctuaire shintoIse Jingû, dans la préfecture de Mie).
Les femmes dansent le Yaotome no Tamai (littéralement : la danse de la rizière aux nombreuses jeunes filles) dans le cadre de la fête Otaue Shinji
Le chant des paysans dans les rizières en ville on récite des poèmes Basho
D’autres us et coutumes :
– des graines de riz sont déposés tous les jours sur l’autel domestique shintoKami-dana consacré aux kami (de l’eau, des talismans y sont déposés ainsi que la paie des travailleurs avant son utilisation, c’est l’équivalent du butsudan bouddhique).
Commémoration de la mère défunte de Fuboku En offrant de l’eau en souvenir de votre mère, prenez du riz cuit desséché Basho
– lors des circonstances heureuses, fêtes des enfants Shichi-go-san 3-5-7 ans , mariages, le 60ème anniversaire, ainsi que le 1er et 15 de chaque mois, on prépare le sekizan riz cuit avec des haricots rouge azuki ;
– lors des jours fastes, comme le Nouvel An, on prépare des mochi qui contiennent la force divine de l’esprit du riz (galettes faites de pâte de riz gluant que l’on cuit à la vapeur).
Le croissant de lune à l’aube proche de la fin d’année Bruit de pilonnage du mochi Basho
Jour de nouvel an – Soupir pour les soleils des mille petites rizières Basho
Mangeant la bouille de riz l’impression d’entendre un biwa – grêle sur l’avant-toit Basho
SUPERSTITIONS
Ne jamais planter ses baguettes à la verticale dans votre bol de riz : il s’agit d’une offrande réservée aux rites funéraires bouddhistes que l’on place sur l’autel du défunt. Pour ne pas vous porter malheur, posez donc vos baguettes en équilibre sur le bol ou sur le repose-baquettes hashioki.
Évitez de passer la nourriture de baguettes à baguettes car c’est un rite funéraire. Lors de l’incinération, on passe les restes aux proches avec des baguettes pour qu’ils puissent les entreposer dans une urne funéraire.
Dans le film Mr. Baseball de Fred Schepisi avec Tom Selleck, il y a la scène culte et comique… pour les Occidentaux, où Jack, un Américain, découvre les coutumes et règles japonaises à table.
Autres croyances millénaires :
– pour repousser les mauvais esprits, on jette des graines de riz dans la chambre de l’enfant qui se réveille en pleurs la nuit ;
– pour chasser le mal on secoue au chevet du malade un bambou qui contient des graines de riz, le bruit ayant un pouvoir salutaire et mystérieux, etc.
L’ART DE MANGER DU RIZ
Ne versez jamais de sauce soja dans votre riz, cela voudrait dire que vous le trouvez de mauvaise qualité ! Le riz se consomme pur afin qu’il n’affaiblisse pas la saveur du poisson, de la viande et des légumes qui l’accompagnent.
Le Japon est renommé pour sa gastronomie maisIl ne faut pas sous-estimer sa cuisine populaire, la diversité de ses spécialités régionales kyoudoryouri…En Occident, on a tendance à réduire l’art culinaire nippon aux sushi, sashimi et ramen en raison de la surabondance de ce type d’établissements (seuls 10% sont tenus par des Japonais).
Après une brève présentation de la cuisine japonaise, nous allons découvrir à travers l’histoire comment le sushi, un mets de taille « lilliputienne », est devenu le précurseur du fast-food et le symbole de l’identité nationale.
LA CUISINE JAPONAISE… en BREF
Le shinto, le bouddhisme et le confucianisme ont marqué autant l’histoire culturelle du Japon que sa cuisine qui est fort variée malgré qu’elle soit basée sur trois ingrédients majeurs : le riz gohan, les pâtes (soba, udon, ramen…) et le poisson sakana.
La cuisine japonaise a l’image d’une cuisine saine, à la présentation dépouillée associant une multiplicité de plats et de saveurs, où, comme par une calligraphie, le vide de l’assiette a autant d’importance que la préparation qu’il met en valeur. Cet effet est accentué par un goût ancien pour les produits simples et bruts, l’importance du cru ou du très peu cuit et des produits de saison. Au XIIIe siècle, le moine Dôgen signalait déjà dans les Instructions au cuisinier zen : « Quand vous faites de la cuisine, ne regardez pas les choses ordinaires d’un regard ordinaire, avec des sentiments et des pensées ordinaires. (…) Quand vous avez affaire à une matière grossière, ne la traitez pas sans égards, faites preuves avec elle d’autant de diligence et d’attention que si vous étiez en présence d’un objet précieux. »Esthétiques du quotidien au Japon, Jean-Marie Bouissou, IFM / REGARD
PRÉSENTATION DU SUSHI
Le sushi est un plat typiquement japonais consistant en petits rouleaux de riz entourés d’algues nori et surmontés de poissons ou crustacés. Les restaurants spécialisés en sushi on les appelle sushi-ya.
Un sushi parfaitement préparé doit être ferme à l’extérieur pour éviter de se défaire et aéré à l’intérieur pour fondre dans la bouche avec le poisson.
Chaque région a sa spécialité mais voici les plus connues :
maki-zushi : entourés d’une fille de nori chirashi-zushi : riz mélangé avec des légumes et de l’omelette tamagoyaki : omelette roulée posée sur du riz vinaigré nigiri-zushi: pressés à la main avec des prunes salées umeboshi ou pâte de radis wasabi
On trempe le sushi dans la sauce shoyu (sauce soja fermentée contenant de l’eau, du sel, du soja et du blé) pour compléter ses saveurs et non pas pour les submerger ! On peut rajouter pour relever une pointe de wasabi (raifort japonais). Puis, entre chaque sushi de saveur différente, on prend une tranche de gari ou shoga(gingembre marinée dans du vinaigre) pour enlever le goût du précédent.
HISTOIRE ET ÉVOLUTION DU SUSHI
L’archéologue Naomichi Ishige confirme que l’ancêtre du sushi est apparu au IVe siècle dans les régions montagneuses de l’Asie du Sud-est, près du bassin du Mékong. Le sushi était à la base un moyen de conservation des poissons d’eau douce. On entourait la chair de riz fermenté et seul le poisson était consommé.
Une fois arrivé au Japon, il a été modifié autant au niveau de la forme que du goût.
Premier né, le narezushi composé de poisson fermenté avec du sel et du riz auquel le chef Hanaya Yohei d’Edo (ancienne Tokyo) a eu l’idée de rajouter du vinaigre pour réduire le temps de la fermentation en créant ainsi le nigiri sushi. Il les vendait fraîchement préparés d’abord en marchant, dans une boîte portée sur le dos, puis dans une échoppe dans la rue yatai et enfin,il a ouvert un restaurant sushi-ya dans le quartier Ryogoku où, encore de nos jours, une stèle commémore le « berceau des sushi Yohei ».
A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle dans la capitale Edo c’est une cuisine de rue, d’échoppes, les gens mangent dehors et le sushi va naître à ce moment-là comme tout ce qui est connu aujourd’hui, ce qui a participé à la mondialisation de la cuisine japonaise. Dans ces petites échoppes on mange vite, c’est très japonais de manger vite et bien. La gastronomie se conduit avec la vitesse c’est assez étonnant. Les échoppes au cours du XXe siècle sont rentrées à l’intérieur du bâtiment. Les plus grands restaurants de sushis sont très petits, parfois juste un comptoir de huit ou dix places. Nicolas Baumert, extrait émission France Culture
Edo, la nouvelle capitale a fait du sushi, et plus particulièrement du edo-mae*, une spécialité pour se démarquer de l’ancienne, Kyoto, où on préparait encore des sushi à la techniquehako-zushi.
*Ce riz vinaigré servi avec une tranche de poisson frais dessus marque le commencement des sushi tels que nous les connaissons aujourd’hui. Comme il n’existait pas encore de moyen de garder la nourriture au frais à l’époque d’Edo, les chefs spécialisés dans les sushis trempaient le poisson dans le vinaigre, la sauce de soja ou d’autres assaisonnements afin de conserver sa fraîcheur et son goût. Ces chefs ont également inventé des moyens de supprimer l’odeur désagréable du poisson à l’aide de condiments tels que le wasabi ou le gingembre. Niponica n°28
Dans le magazine Tempura N°8 hiver 2021, Ryoko Sekiguchi écrit dans son article « Le goût des autres, l’identité culinaire en question » :
Sushi aux poissons crus, sushi au poissons cuits Le sushi tel que l’on connaît à l’étranger est né à Edo, l’actuelle Tokyo. La baie, face à laquelle la ville est implantée, apportait aux résidents de la capitale les nombreux délices de la mer. En revanche, Kyoto étant située loin de la côte, il s’y est plutôt développé les techniques dites d’oshizushi ou hakozushi, soit « sushi pressé » ou « sushi mis en boîte », avec des poissons marinés au vinaigre ou cuits, ou du narezushi, des poissons conservés par fermentation lactique du riz. Aujourd’hui encore, les sushis servis dans les restaurants du Kansai sont des hakozushi, avec des poissons souvent cuits à la vapeur, des champignons shiitake et de l’omlette coupée comme ingrédients. Le Kansai possède une autre spécialité, les mushizushi ou nukuzushi, les « sushis chauds ». Ces chirashi à la vapeur se dégustent en hiver dans les restaurants de la région de l’Ouest.
kaiten-zushi ou sushi-YA ?
kaiten-zushi littéralement « sushi tournant » : un tapis roulant apporte les assiettes de sushi directement à votre place, type fast-food et self-service. Les prix : de 100 yens à 2000 yens
On doit son invention à un restaurateur futé d’Osaka, Yoshiaki Shiraishi (1913-2001), qui obtint un brevet pour le concept et dirigea ainsi la seule franchise de kaiten au Japon jusqu’en 1978, Genroku Sushi. C’est en présentant son audacieux « sushi qui tourne » à l’Expo 70 qu’il le fit connaître partout au Japon, ouvrant même une enseigne à New York en 1974. Son idée rendit le mets accessible à toutes les bourses, et transforma le kaiten en symbole d’un Japon inventif et gourmand. extrait Tempura magazine Manger le Japon – Hors série 2022
sushi-ya : le chef et ses éventuels assistants préparent les sushi au comptoir devant vous. Les prix : de 2 000 yens à 30 000 yens.
Insolite !
Un restaurant à Kyoto où on prépare soi-même les sushi
Comme sur une palette de peinture, c’est sur une grande ardoise que le poisson, les légumes, le riz et les assaisonnements sont répartis chez AWOMB. Les convives sont invités à composer, à partir de ces assiettes colorées, leurs propres sushi dits temakizushi, des sushi « roulés à la main ». source Pen magazine
Une envie subite de sushi ?
Si cet article a réveillé vos papilles, avant de trouver un bon et authentique sushi-ya, il serait judicieux d’apprendre la manière correcte de manger les divers sushi selon la leçon donnée par le célèbre chef étoilé Sukiyabashi Jiro de Tokyo.