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8/2023

LIBELLULES  I  LES AILES EPHEMERES

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© Akitsu, Sunbikai Cards, Gyokusho (Gyokusho sunga), MFA Boston
Le Japonais passe pour le plus fervent amoureux d’insectes au monde. Et ses préférés sont précisément les libellules, les lucioles éclairant les nuits d’été et les grillons sonorisant puissamment les belles nuits d’automne. source web-japan

Depuis les temps anciens du Japon, la libellule, connue sous le nom d’akitsu, a revêtu une signification profonde et variée. L’histoire et la mythologie japonaises regorgent d’anecdotes et de références à cet élégant insecte, qui va bien au-delà de sa simple apparence. Plongeons dans le monde de la libellule et explorons ses multiples facettes culturelles et symboliques.

Entre la lune qui se lève
et le soleil qui se couche,
les rouges libellules
Nikyû

La Libellule : Un Spectacle de Variété

Le monde des libellules est incroyablement riche, avec plus de 200 variétés recensées au Japon. Une expression curieuse dans la langue japonaise au Xe siècle tonbo ton, décompose le mot tonbo, qui signifie libellule, en deux parties : tobu, voler, et , grand bâton. Cette expression évoque la caractéristique distincte des libellules : leur vol gracieux et leur abdomen semblable à un long bâton.

Elle a teint son corps
d’automne,
la libellule !
Bakusui

Racines Profondes dans la Mythologie Japonaise
Dans les pages du Nihon Shoki, les Annales du Japon, achevées en 720, une narration fascinante apparaît. On raconte que l’empereur Jimu, fondateur légendaire du Japon, aurait contemplé ses terres depuis une petite montagne du Yamato, située dans l’ancienne province de Honshû, la plus grande île de l’archipel. En admirant le panorama, il aurait déclaré : « Mon pays a la forme de deux akitsu accolés. » Ainsi, l’ancien nom du Japon aurait émergé : Akitsu-shima, signifiant « île aux libellules ».
Au-delà du Ciel : Symbolisme dans la Culture Japonaise

Les libellules ont laissé leur empreinte non seulement dans la mythologie, mais aussi dans la culture quotidienne japonaise. Les dôtaku, des cloches cérémonielles en bronze fondues aux IIe et IIIe siècles, étaient associées à des vœux de bonnes récoltes, car les libellules se nourrissent de prédateurs de riz.

On considérait également la libellule comme l’« insecte de la victoire » kachi-mushi, car elle vole uniquement vers l’avant, un symbole de chance et de persévérance. Les samouraïs ornaient leurs armures et leurs casques de libellules pour incarner cette idée de progression constante. Par ailleurs, la coiffure nouée des jeunes samouraïs, appelée yanma, est inspirée de la forme d’une grande libellule.

 

Armure, époque d’Edo (1603-1868), fin XVIIe-début XVIIIe siècle, Japon. MA 12796, fer, galuchat, daim, cuir d’importation européenne, laque, soie. Casque de type sujibachi, fer, attribué à Yoshimichi (actif dans la première moitié du XVIe siècle). Achat © RMN MNAAG/ Thierry Ollivier

L’Élégance dans la Littérature et l’ART, Un Écho à Travers les Époques et les frontieres

La libellule a également laissé sa marque dans le domaine de la littérature et de l’art.

Dans le Man’yoshu, la première anthologie de poèmes compilée au VIIIe siècle, la libellule est comparée à des manches de kimono, symbole des sentiments humains. Le Kagerô Nikki, le Journal d’une Éphémère, rédigé en 974 par une femme issue du clan Fujiwara, reflète la fragilité de la vie humaine en se comparant à la brève existence d’une libellule, tout ici bas est fragile et fugitif.

Les objets du quotidien, tels que les kimonos, les tissus, les éventails, les peignes, les boîtes en laque, le nécessaire à thé… sont ornés de motifs de libellules.
L’ukiyo-e, estampes du XIXe siècle, a également capturé la grâce de la libellule.

Au soleil du soir
l’ombre légère des ailes
de la libellule
Karô

© Katsushika Hokusai – Campanule et libellule

L’influence de la libellule a transcendé les frontières géographiques et temporelles.

En Occident, l’Art Nouveau a embrassé ce symbole avec plusieurs artistes, par exemple :

  • Edouard Manet a choisi la libellule pour illustrer une poésie de Charles Cros en 1874 ;
  • Emile Gallé a décoré ses vases tant admirés par les symbolistes, ils s’était inspiré des de livres de botanique et de zoologie japonais ;
  • Un livre de 87 poèmes japonais « Poèmes de la libellule » illustrés par Yamato a été publié en France en 1885 par Judith la fille de Théophile Gautier. La libellule a inspiré des poèmes et des illustrations, et a tissé des liens entre différentes cultures artistiques.
© Emile Galle, vase Libellule

En somme, la libellule a survolé les siècles, portant avec elle des significations variées et profondes à travers la culture japonaise et au-delà. Son héritage reste vivant, un rappel constant de la fragilité de la vie, de la persévérance et de la beauté éphémère qui éclot dans les coins les plus inattendus de notre monde.

7/2023

     LUCIOLE 蛍  I  LUMIÈRE CONTEMPLATIVE NOCTURNE

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Lucioles la nuit
© Hiroyuki Shinohara

Depuis les temps les plus anciens, les Japonais portent un intérêt particulier aux insectes.

Plus proche de nous, en 2016, une équipe de recherche médicale menée par le Professeur Koichi Tsunoda, indiquait que les Japonais entendent les sons de la nature avec la partie gauche du cerveau, celle qui décrypte le langage, alors que les Occidentaux les réceptionnent avec la partie droite, ce qui les associe à du bruit. extrait Magazine Tempura N°3

Le début de l’été annonce l’apparition des lucioles. Ces « astres tombés du ciel »  ont toujours subjugué les nippons. Nous allons comprendre pourquoi !

UNE LUCIOLE ! C’EST QUOI ?

La luciole est un coléoptère de la famille des lampyres « vers luisants ». Nelly Delay, dans son magnifique livre Bestiaire japonais, révèle comment ces diodes luminescentes produisent leur lumière naturelle « mystique » :

Lorsqu’une luciole détecte la hausse des températures, son organisme réagit en détournant une partie de l’oxygène inhalé vers un organe de son abdomen, qui émet des photos , lesquels produisent de l’énergie, et donc de la lumière ? Celle-ci sert aux lucioles à se protéger de certains prédateurs, tout en aidant les mâles et les femelles d’une même espèce à se reconnaître en période de reproduction.

Dans le roman Hotaru d’Aki Shimazaki, lorsqu’une petite-fille demande à son Ojîchan grand-père pourquoi les lucioles émettent de la lumière, il répond : « pour attirer les femelles ». Les femelles sont des vers luisants qui ne volent pas, mais échangent des messages amoureux avec les mâles en clignotant. Seul moyen de se retrouver dans les ténèbres et pouvoir se reproduire.

TYPE DE LUCIOLES

L’archipel nippon est le lieu de vie idéal pour les lucioles aquatiques dont les plus populaires sont Genji-hotaru « Minamoto » d’eau courante et Heike-hotaru « Taira » de rizières et d’eaux stagnantes.

LES LUCIOLES A TRAVERS LES ÉPOQUES

  • NARA (710 – 794)

Le lucioles sont révélées pour la première fois dans le Man’yoshu première anthologie de poésie japonaise waka (4516 poèmes, 20 volumes).

Cage of Fireflies at Dawn in Summer, Katsushika Hokusai (Japanese, Tokyo (Edo) 1760–1849 Tokyo (Edo)), Woodblock print (surimono); ink and color on paper, Japan
© Katsushika Hokusai

J’ai beau l’envelopper
Ne puis le tenir caché
Ce feu d’amour qui
Irradie de ma personne
Telle la lumière des lucioles
Anonyme

  • HEIAN (794-1185)

Dans Le Dit du Genji Genji Monogatari de Murasaki Shikibu, au chapitre 54 : Hotaru (Lucioles)
Un personnage arrive à apercevoir dans la nuit le visage d’une femme en libérant les lucioles de leur captivité.

© Tosa Mitsuyoshi, Genji monogatari tekagami, 1611-12, Livre 25 « Les lucioles », Kubosō Memorial Museum of Arts, Izumi

Sei Shonagon aussi écrit dans ses notes au fil des jours Makura no soshi  Notes d’oreilles :

En été, j’aime la nuit, bien entendu quand la nuit brille, mais j’aime aussi la nuit obscure, quand les lucioles s’entrecroisent dans leur vol ou même quand la pluie tombe.

  • EDO (1600-1868)

Les estampes ukiyo-e témoignent de cette époque où la chasse aux lucioles prend un essor désastreux. Un gagne pain pour les marchands de rue botefuri  qui vendent ces minuscules luminaires destinés à produire une ambiance nocturne féérique dans les auberges ryokan, les restaurants et les fêtes privées.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/17/Hotarugari_Mizuno_Toshikata.jpg
© Mizuno Toshikata, Hotarugari

A chaque luciole dans les arbres
sa propre lumière –
Auberge fleurie
Bashô

La chasse s’effectue la nuit avec des éventails, des balais en bambou et des filets à papillons, car une fois arrêtées dans leur vol,  les lucioles peinent à remettre leurs ailes en mouvement. Par la suite, on les enferme dans des cages tressées en bambou.

Au lieu d’une luciole
J’ai saisi les épines de ronce –
Quelle folie dans la nuit !
Bashô

  • ÉPOQUE CONTEMPORAINE (1945 – )

La chasse est interdite car les lucioles sont en voie de disparition à cause de l’essor urbain, la pollution lumineuse et les pesticides.

En 1924, le Gouvernement décréta tout le district de Moriyama, dans la Préfecture de Shiga, “Habitat protégé des lucioles genji”. Aujourd’hui, un habitat figure sur la liste des Monuments Naturels Spéciaux et neuf sur celle des Monuments Naturels. Le Japon est sans doute le seul pays au monde à avoir promulgué des arrêtés ministériels pour la protection des lucioles. source web-japan

Ah, rusées lucioles !
Poursuivies, elles se cachent
Dans le clair de lune
Bashô
A qui la poursuit
La luciole
offre sa lumière !
Otomo Oemaru
Sur ma manche
Elle reprend son souffle –
la luciole en fuite
Kobayashi Issa

CROYANCES

Les lucioles sont une manifestation de l’âme des défunts.

D’après la légende, ces lucioles sont les fantômes des vieux guerriers Minamoto et Taira : même sous la forme d’insectes, ils se souviennent de l’effroyable lutte de leurs clans au XIIe siècle, et tous les ans, la vingtième nuit du quatrième mois, ils se livrent une grande bataille sur le fleuve Uji. C’est pourquoi, il est de règle, ce soir-là, de mettre en liberté toutes les lucioles que l’on gardait en cage, afin de leur mettre de prendre part à l’engagement. extrait Insectes Lafcadio Hearn

Un film d’animation célèbre est Le tombeau des lucioles d’Isao Takahata 1988 adapté d’une nouvelle autobiographique de l’écrivain Akiyuki Nosaka qui raconte la tentative de survivre de deux enfants durant l’été 1945 suite au bombardement de Kôbe.

CONTEMPLATION

Aujourd’hui encore, on contemple les lucioles pour méditer sur les mystères de la nature ou à l’école pour s’instruire. On passe la nuit dans les barques hotaru-bune pour observer le ballet des lucioles hotaru-kassen. qui se répandent comme une voie lactée amanogawa littéralement « fleuve du ciel ».

Comme ces insectes sont sereins, eux qui vivent à peine deux semaines ! Au milieu de l’obscurité, des lignes disparates, en arabesque, en dents de scie, rondes ou ovales, toutes sortes de formes lumineuses voltigent avec grâce. extrait Inaba Mayumi , La péninsule aux 24 saisons

Utagawa Kuniyoshi - Woman catching firefly by a stream
© Utagawa Kuniyoshi

Est-ce une rivière?
ou bien la nuit elle-même qui passe en flottant ?
Oh, les lucioles !
Chiyo de Kaga

Le grand poète Bashô (1644-1694) fait l’éloge de Seta et Uji, localités près de Kyoto, réputées pour les admirer les nuées d’étincelles :

Admiration de lucioles à Seta
Admiration de lucioles –
Instable
le batelier ivre
Bashô
Projetant de voyager le long de la route de Kiso, j’ai séjourné à Ôtsu. Je suis allé en priorité à Seta pour voir les lucioles
Je veux comparer ces lucioles
aux lunes
des rizières en terrasse

Bashô

 

06/2023

IRIS, LE RADIEUX

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Je vous invite à (re)découvrir l’Article 8/2021 concernant la place de l’Iris dans la culture japonaise.

© Hokusai Katsushika, Iris et sauterelle, Série dite des « Grandes Fleurs »


On prête aux fleurs « non seulement une beauté personnelle, mais des qualités, des mouvements d’humeur, un caractère complet, une âme, minuscule reflet de la grande âme de la nature. […] Le Livre des Fleurs  de Georges Ohsawa


 

5/2023

JARDINS POLYCHROMES

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Au milieu de mai, grâce aux rayons de soleil et aux torrents de pluie, la nature resplendit, parée de verts et bigarrée de couleurs. Aux teintes variées de roses, des fleurs de pruniers, de pêchers et de cerisiers, succèdent les arbustes fleuris et multicolores  : les azalées, les pivoines, les glycines puis, début juin, les hortensias.

Il existe au Japon toute une gamme de jardins : beaucoup sont centrés sur un étang constellé d’îlots ; certains d’entre eux reproduisent sur terre le paradis bouddhique ; d’autres célèbrent le mariage heureux de la pierre et de l’eau, l’union élémentaire du statique et du dynamique. Il y a aussi des espaces dépourvus d’eau et, parfois, de végétaux. Il y a encore des jardinets secrets menant au pavillon où a lieu la cérémonie du thé, et de grands parcs conçus pour la promenade et ouverts sur l’horizon. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’aménagement et évolution historique. In: Extrême-Orient, Extrême- Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisés. Chine, Japon, Corée, Vietnam. pp. 73-92. 

Je vous emmène au Japon pour admirer l’harmonie des couleurs et l’élégance des formes des massifs de fleurs de quelques jardins d’exception !

LES COULEURS ET LEURS SYMBOLIQUES

Au début, au milieu et à la fin de la saison, si nous ouvrons nos capteurs sensoriels, nous prenons conscience des micro-changements qui se relaient dans la nature pour annoncer l’avènement de la nouvelle saison. Les Japonais parlent d’ailleurs de soixante-douze saisons. Sensibles aux changements de saison, ils ont toujours manifesté un intérêt profond, voire une obsession, pour le fait d’apprendre le secret de la nature en observant minutieusement ses « états » révélateurs, dont les couleurs. extrait Sumiko Oé-Gottini Sensation Soustraction MNAAG

Dans sa Chronique colorée Iro-ké publiée par le magazine Tempura Numéro 2Sumiko Oé-Gottini nous fait savoir que :

En japonais, le mot couleur (« iro ») a une origine bien particulière. L’idéogramme chinois est fait de deux signes : un humain qui en chevauche un autre pour n’en faire qu’un. Oui, « faire l’amour », telle serait la provenance du mot « couleur » au Japon.

Au mois de mai et début juin, le rouge et le violet prédominent. Mais, quelle est leur symbolique ?

  • Rouge

La première laque arrivée au Japon à l’époque Jômon (13000-400 av J.C.) était rouge, considérée sacrée puisqu’elle est la couleur du soleil représentée par la déesse Amaterasu, la plus importante divinité shintoïste. Mais encore :

Le rouge, couleur du sang et du feu, exprime à la fois la pudeur, la vulgarité, l’amour, la cruauté, l’espoir, la désespérance, la noble résistance jusqu’à la mort… » Sumiko Oé-Gottini, Chronique colorée Iro-ké, magazine Tempura Numéro 2.

  • Violet

A l’époque de Nara, durant le règne de l’Impératrice Suiko (592-628), le violet était la couleur la plus noble. Il était impossible de la porter à la Cour sans recevoir son autorisation ! Cette couleur, murasaki en japonais, nous ramène à l’écrivaine Murasaki Shikibu auteure du chef-d’œuvre Le Dit de Genji I Genji monogatari de l’ère Heian (794-1185).

LES MASSIFS DE FLEURS

  • AZALEE  I  TSUTSUJI

Il existe d’innombrable variétés d’azalées aux teintes vives ou pales. Elles apportent de la couleur à l’architecture traditionnelles en bois.

Sanctuaire shinto Nezu-jinja, au nord de Tokyo, est célèbre pour sa colline aux azalées.

 

Sur les rochers,
des fleurs d’azalées rouges
teintes par les larmes du coucou
Bashô

Temple Shoden-ji, à Kyoto, créé par le jardiniste adepte du sen Kobori Enshû (1579-1647). David Bowie, aurait pleuré d’émotion.

L’originalité de ce jardin réside dans le fait que l’on a substitué aux pierres des buissons taillés : sur une couche de sable, des massifs d’azalées arrondis sont disposés par groupes de trois, cinq ou sept, selon un rythme aimé des Japonais qui découvrirent la musicalité de l’impair bien avant que Verlaine ne la chante 10. Le Shôdenji est en quelque sorte une version végétale du Ryôanji. Une autre particularité de ce jardin est qu’il inclut dans son champ le Mont Hieï, le plus haut des sommets qui dominent Kyoto. Le procédé consistant à intégrer le paysage extérieur à l’espace d’un jardin est appelé shakkeï(« emprunt du paysage ») et connut son apogée au XVIIe siècle. Plus tardif que le Ryôanji et le Daïsen.in, le Shôdenji montre comment évoluèrent les jardins Zen après l’âge d’or de l’époque Muromachi. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’aménagement et évolution historique. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisés. Chine, Japon, Corée, Vietnam. pp. 73-92.

Dans une chaumière,
une bonzesse seule et insensible –
Azalées blanches
Bashô

  • PIVOINE   I  BOTAN

Arrivée de Chine à la période Heian (794-1185) en tant que plante médicinale, la pivoine devient une fleur ornementale. Transformée, la pivoine japonaise est pleine de grâce.

Jardin Yûshien, sur Daikonshima, une petite île au milieu de la lagune Nakaumi

L’île de Daikonshima est née de l’éruption ­d’un volcan, la terre est noire, et c’est dans ces cendres que le ginseng et la ­pivoine ­arbustive trouvent leur bonheur. Hidehisa Inutani, directeur du jardin de Yuushien.

© source photo

Sur cent lieu à la ronde
les pivoines
repoussent les nuages de pluie
Busson

  • GLYCINE  I  FUJI

Les glycines sont mises en scènes de manière spectaculaires au Japon ! Les rameaux de 20 ou 30 mètres portent d’énormes grappes blanches violacées, une cascade de fleurs.

Voici la plus vieille glycine géante, âgée de +140 ans, transplantée pour lui permettre de continuer sa croissance dans le parc florale de la ville Ashikaga située au Nord de Tokyo.

En voyage au pays de Yamato
Cherchant une auberge
fatigué –
Ah ces fleurs de glycine
Bashô

  • HORTENSIA  I  AJISAI

A Kamakura (ancienne capitale 1185-1333), le temple Meigetsu-in de l’école bouddhiste Rinzai émerge d’un océan bleu d’hortensias.

Hortensias –
Ce buisson est le petit jardin
d’un salon privé
Bashô

Pour en savoir plus sur les saisons et les couleurs, je vous invite à (re)découvrir mes articles :

7/2021 LE CULTE DES SAISONS

5/2022 KIMONO  I  HEIAN L’AGE D’OR

 

4/2023

LE PAPILLON  I  CHÔ

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Passant l’automne
un papillon lèche
la rosée des chrysanthèmes
Bashô (1644-1694)

Les insectes, tout autant que les arbres, les fleurs, les oiseaux,…, apportent de la magie à nos vies scandées par les rythmes de saisons. Contrairement aux Occidentaux, les Japonais et les Grecs anciens ont toujours été sensibles aux insectes et à leurs chants.

Ce n’est pas seulement lorsqu’il est question d’insectes que les poètes grecs se rapprochent des Japonais : ils s’y apparentent par des milliers d’émotions infimes, concernant les dieux, le destin de l’homme, le plaisir que donnent les fêtes sacrées mais aussi ces chagrins inhérents à la vie que l’humanité partage depuis sa naissance. extrait Insectes Lafcadio Hearn, édition du Sonneur

En avril, émergent les premiers papillons. Gracieux, ils puisent leur énergie du soleil, sous la protection de la déesse Amaterasu, et se nourrissent du pollen des fleurs. Bien que leur vie soit éphémère, ils occupent une place significative dans la culture japonaise.

Parmi les fleurs écloses
sur la haie
un papillon volige
ah ! l’envie d’être avec lui
si éphémère
Saigyô (1118-1190)

CROYANCES POPULAIRES

Dans la Grèce antique, chez les Amérindiens ou en Chine, le papillon est un symbole de l’âme et de l’immortalité. De même, au Japon, il représente « l’âme des vivants et des morts » […]extrait Bestiaire japonais Nelly Delay & Dominique Ruspoli, Editeur A propos

En solitaire, le papillon symbolise la longévité lorsqu’il vole au dessus d’un prunier, la joie ou un pressage heureux lorsqu’il entre par hasard dans une maison, mais aussi l’éclosion de la féminité. Pour cette raison, le papillon décore le kimono des jeunes filles le furisode « manche flottante », en tant que métaphore de la jeune fille qui déploie ses ailes pour devenir femme tandis que les manches longues jusqu’aux chevilles sont synonymes de pureté et d’innocence. De plus, pour maintenait le furisode, la ceinture obi à pans longs, peinte ou brodée, est largement nouée dans le dos en forme de papillon cho musubi. Leurs coiffures aussi portent le nom de papillon chocho mage : les cheveux sont partagés en quatre coques symétriques.

@ Suzuki Harunobu, Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple Kiyomizu, 1765

Suivant les âges, l’inspiration du costume traditionnel féminin japonais changeait, mais elle trouvait toujours sa source dans la nature. De la petite fille, on faisait un papillon ou un oiseau tropical, aux couleurs vives, presque criardes, et comme rehaussées par le son des grelots cachés dans les semelles des socques (les pokkuri). […] De décennie en décennie, le charmant papillon des îles finissait par se muer en un moineau brun (parfois dès trente-cinq ans), puis en une mite grise – c’était le nom du style convenant à une vieille dame. extrait Les dames du Soleil Levant de Danielle Elisseeff

D’autre part, les papillons qui voltigent en couple, représentent le bonheur conjugal sur les kimonos lors d’un mariage. Et les décorations en papier en forme de papillon origami pour la cérémonie dénommées o-chô et mechô symbolisent l’union heureuse et éternelle.

La phalène est le symbole du rêve et de la vie insouciante. Certains jours de fête, la « danse du papillon » a une importante signification. Deux papillons sont les témoins symboliques des noces au Japon : accompagnateurs dansants sur le chemin de la vie, ils mènent le couple vers l’avenir à travers un merveilleux jardin fleuri. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, Edité par Chêne/Hachette

En grand nombre, les papillons inspirent l’effroi, comme l’indique l’histoire du clan Taira (l’un des quatre clans qui dominèrent durant l’ère Heian, avec les Fujiwara, les Minamoto et les Tachibana, dont le blason mon était un papillon machaon de couleur jaune, noir et bleu appelé ageha-chō.

Papillon qui bat des ailes
je suis comme toi –
poussière d’être
Issa (1763-1828)

Lorsque Taira-no-Masakado préparait en secret sa grande rébellion, une telle nouée s’abattait soudain sur Kyôto que les gens prirent peur, croyant qu’ils annonçaient une catastrophe… Ces insectes étaient-ils les âmes des milliers d’hommes destinés à mourir sur le champ de bataille, agitées à la veille de la guerre par quelque mystérieux pressentiments ? extrait Insectes Lafcadio Hearn, édition du Sonneur

Valsent les papillons –
je parle
avec les morts
Yokohama Hahkkô

<

Chô le papillon incarne à la perfection la capacité de se transformer et à renaître. De quoi séduire, dans le Japon médiéval, les samouraï qui voient dans cette figure virevoltante et fragile une invitation au combat et à la victoire, fut-ce au péril de leur vie et un moyen d’atteindre à l’immortalité. extrait Bestiaire japonais Nelly Delay & Dominique Ruspoli, Editeur A propos

RELIGION BOUDDHISTE

A ce titre, le bouddhisme considère que les phénomènes qui composent la personnalité d’une personne décédée pourront se réincarner sous des formes animales, végétales et minérales.

Couvert de papillons
l’arbre mort
est en fleurs
Issa (1763-1828)

Le papillon est l’incarnation d’une âme défunte bienfaisante et protectrice ou l’âme d’une personne qui s’envole vers l’autre monde.

Sur l’œillet
Un papillon blanc –
ou une âme égarée
Masaoka Shiki (1867-1902)

La plupart des légendes sont d’influence chinoise à part ce conte populaire : un homme inconsolable, dénommé Takahama, a veillé toute sa vie la tombe de sa bien-aimée Akiko jusqu’au jour où son âme l’a rejoint dans le royaume des morts sous forme la forme du papillon blanc.

Le Papillon bat des ailes
comme s’il désespérait
de ce monde
Bashô (1644-1694)

Dans le bâtiment principale Daibutsu-den du  temple Tôdai-ji à Nara, au pied du grand Bouddha en bronze de 14,98 m de hauteur, on remarque des fleurs de lotus et deux papillons…

Todaiji de Nara et son Daibutsu - Chroma France

LITTÉRATURE

Les poètes, les artistes et les danseuses ont souvent choisi un nom d’artiste geimyô de papillon : Chômu rêve de papillon, Ichô papillon solitaire. Il existe aussi des noms propres pour les filles Kochô ou Chô papillon… On sait aussi que le marchand d’armes britannique Glover épousa la fille d’un samouraï qui inspira le livret d’opéra de Puccini, Madame Butterfly Chôchô san.

De passage dans un pavillon de thé, une femme appelée « Papillon » m’a demandée, en me donnant une pièce de soie blanche, de composer un hokku sur son nom. J’ai donc écrit :

Parfum d’orchidée –
en sont imprégnées
les ailes du papillon !
Bashô (1644-1694)

© Kubo Shunman, Gunchô Gafu (1757-1820)

Mais, retournons dans les époques anciennes :

  • Période Heian (794-1185)

Faire des insectes des sujets poétiques est une tradition qui remonte à l’époque Heian, période où la gente bien née et cultivée dresse déjà des parallèles entre l’aspect ou le chant des insectes et les sentiments humains. extrait Un bestiaire japonais / Vivre avec les animaux à Edo-Tokyo (XVIIIe et XIXe siècles),Collectif – Catalogue exposition MCJParis

Dame Murasaki Shikibu intitula le chapitre 24 de son Dit du Genji  Genji Monogatari « Les Papillons », Kochō. Elle nous apprend l’existence de la danse des papillons Kochô mai exécutée lors des festivités de printemps au palais de l’Impératrice par des filles déguisées en papillon et oiseaux.

Pour les intentions de la dame au printemps, il fut précédé à une offrande de fleurs aux bouddhas. Huit fillettes, costumées pour moitié en oiseaux et pour moitié en papillons, toutes pareillement gracieuses, portaient les oiseaux, des fleurs de cerisier dans des vases d’argent, les papillons, des corètes dans des vases d’or. Et ces bouquets de fleurs banales prenaient là une splendeur et un éclat incomparables. extrait Dit du Genji chapitre 24 « Les Papillons », Kochō

Image Dames de la Cour impériale exécutant la « danse du papillon ».

Oiseaux et papillons
s’agitent avant l’envol –
Nuages de fleurs
Bashô (1644-1694)

La phalène est très jolie et charmante. Lorsqu’on approche la lampe tout près, pour lire quelques roman, qu’elle est gracieuse quand elle passe, en volant, devant le livre ! extrait Notes d’oreilles, Sei Shonagon Makura no sôshi[/su_quote]

  • Période Edo (1603-1868)

A l’époque Edo, née la poésie humoristique kyôka.

© Kitagawa Utamaro (1753-1806) Album des insectes choisis, Yadoyano Meshimori (texte) 1787 Tenmei 7

Je me rêve papillon et j’embrasse
tes lèvres pour goûter un nectar de ta fleur
comme on piège la libellule sur une tige engluée
je te tiendrai si tu cherches à m’échapper

ARTS DÉCORATIFS ET JAPONISME

[...] fleurs et bêtes se trouvent associées dans l'art comme dans la vie. La pivoine et le papillon, le rossignol et le prunier en fleurs, l'érable et le daim, le renard et les roseaux au pâle claire de lune d'automne, ces thèmes, et bien d'autres encore, sont peints et chantés indéfiniment, et les Japonais ne se lassent pas de se réjouir en leur compagnie adorable. extrait L'art, la vie et la nature au Japon de Masaharu Anesaki.

Les premiers dessins d'insectes (libellules, araignées, papillons...) semblent avoir été faits par les Japonais, un siècle avant J .C., pour orner les poteries et les cloches des temples, technique en relief dénommée dôtakus.

Encore aujourd'hui, le papillon est présent dans les arts décoratifs (vases de porcelaine, l’art de la table…) et souvent en compagnie d’une pivoine « la rose du Japon ».

© Utagawa Hiroshige, Papillon et pivoines, estampe nishiki-e, encre sur papier, format chûban vertical, époque Edo, MFA Boston

Les artisans d’art européen ont vu leur créations influencée par l’artisanat japonais vers 1875. A la différence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siècle pour la Chine, le japonisme s’est répandu grâce à l’Exposition universelle de Paris de 1867 (article à (re)découvrir Kimono I Symbole du japonisme)

Théodore Deck* réalisa de grandes assiettes murales en grès, où des pivoines d’une beauté remarquable sont associées à des magnifiques papillons. Dans sa composition, Deck suit les exemples japonais, en établissant une construction asymétriques des feuillages et des fleurs, et en disposant les papillons dans les espaces vides. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, Edité par Chêne/Hachette

© Théodore Deck, Grand plat (vers 1875), Baltimore, Walters Art Museum

* Céramiste français : L’œuvre de Théodore Deck (1823 -1891) est caractéristique d’un grand éclectisme. En effet, l’artiste fait cohabiter dans sa production plusieurs influences qui touchent les arts au XIXe siècle, en passant par l’historicisme que l’on retrouve dans les portraits de personnages historiques ou célèbres de ses plats, l’orientalisme, le japonise ou l’art chinois. source

3/2023

LA FLEUR DE CERISIER, SYMBOLE DU JAPON   I   SAKURA 

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Les mois de mars et avril célèbrent les fleurs de poirier rika, de pêcher momo et de cerisier sakura.

Je vous invite à (re)découvrir l’article 5/2021 publié le 1er avril 2021

 

2/2023

LE BRAVE PRUNIER  I  UME

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© Ogata Kôrin Prunier blanc et prunier rouge (paire de paravents, à deux panneaux) couleur et or sur papier XVIIIe Musée MOA ATAMI Japon

Le mois de février célèbre son arbre, le prunier ume. Ses fleurs gracieuses au parfum suave annoncent le printemps pendant que celles de cerisier sommeillent encore.

Les fleurs de prunier sont à l’origine de la tradition o-hanami qui appelle à leur contemplation et les premières à avoir été louées dans les poèmes, les récits et les missives amoureuses. Puis, révérées par les plus grands artistes, elles ont illuminé les arts de leur éclat.

Que n’ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum !
Satomura Jôha (1525-1602)

Après vous avoir exposé l’origine de o-hanami et la symbolique du prunier, je vous propose un voyage dans le temps : un aller-retour entre l’ère Heian et aujourd’hui.

DIVERSITES

La fleur de prunier, qu’elle soit blanche ou rouge, vit deux fois plus longtemps que celle de cerisier. Dans Notes de chevet Makura no sôshi (chapitre 21. Fleurs des arbres),  Sei Shonagon nous ouvre son cœur :

J’aime la fleur du prunier, qu’elle soit foncée ou claire ; mais la plus jolie, c’est celle du prunier rouge. J’aime aussi un fin rameau fleuri de cerisier, avec ses corolles aux larges pétales, et ses feuilles rouge foncé.

© Sakai Hoitsu (1761-1828) détail paravent « Fleurs et arbre en fleurs« 
ORIGINE ET symbolique

L’observation des fleurs o-hanami a commencé avec le prunier umemi, coutume empruntée à la Chine des Tang à l’ère Nara (710-794). La célébration des fleurs de cerisier, devenues tardivement symboles emblématiques du Japon, s’est répandue à partir de l’époque Edo.

La beauté éphémère des fleurs suggère l’impermanence de l’existence, de la jeunesse qui se fane. Une douce mélancolie ressort de ce poème anonyme :

Les fleurs, elles s’épanouissent : – alors
On les regarde : – alors
Elles se fleurissent : – alors…

© Suzuki Haorunobi Jeune fille admirant un prunier en fleur le soir 1766

Les qualités et la symbolique que l’on confère à la fleur de prunier sont multiples :  patience, optimisme, espoir, force, vitalité, bravoure, loyauté, élégance, noblesse, beauté, qualités morales, discrètes et délicates de la femme, de la mère qui enfante et élève son enfant.

LE PRUNIER A LA COUR DE HEIAN
  • Concours de poésie

La fleur de prunier est un thème récurrent dans le Man’yōshū, le plus ancien recueil de poèmes waka compilé au VIIIe, mais elle est détrônée par celle de cerisier à partir du Xe siècle.

La Cour, lieu d’épanouissement culturel, mène une vie oisive et futile, consacrée aux divertissements : concours de poésie, contemplation des fleurs o-hanami, calligraphie, amours courtois et libres, etc…

Ces aristocrates composent et s’affrontent dans d’exquis et courts poèmes. Le temps s’écoule, immobile, derrière les coursives, les vérandas et les pavillons. La nature est un jardin et ce jardin un paysage. On chante, en style précieux, l’amour, son goût de la lune et des fleurs. Les fleurs sont un spectacle. On va en cortège respirer la frêle exhalaison des pruniers, mais l’or et la soie des manteaux sont saturés des parfums de l’encens. La voie de l’encens Boudonnat Louise et Kushizaki Harumi, Esteban Paris Editions Picquier

© Le dit du Genji – BnF – département des Manuscrits
Le prunier en fleur
attend son maître
dans le jardin
Kikaku (1661-1707)
Les fleurs du prunier parfumées
qui tombent
glissent sur la branche
mais transmettent à la manche
leur fragrance.
Extrait Le Dit de Genji de Murasaki Shikibu
  • Art de la séduction

Les missives amoureuses étaient nouées de manière particulière en fonction du sexe de la personne qui l’envoyait. Le parfum et la couleur du papier n’étaient pas choisis au hasard. Un code était à respecter : papier rose perle à la floraison des cerisiers, papier parme durant la floraison des glycines… et à chaque missive on nouait une branche ou une fleur de saison. L’étiquette amoureuse voulait que l’amant, peu après son départ matinal avant l’aurore, envoie à la dame de ses pensées une lettre et un poème pour confirmer ses sentiments et… sa culture littéraire. La règle exigeait que la dame fasse écho avec un poème waka. Un savoir-faire et savoir-vivre d’un raffinement extrême !

Le message, sous forme de poème, s’accompagnaient d’un végétal pour illustrer la nature et le changement de saison. Les règles d’usage comme pour les costumes et accessoires, étaient d’accorder le texture et la couleur du papier à la saison ou au sentiment exprimé avec la plus grande originalité. Les lettres étaient accrochées ou nouées à une fleur ou à un rameau fleuri. La configuration esthétique du message était aussi importante que celui-ci. Papiers japonais Françoise Paireau

© Murasaki Shikibu, Tosa Mitsuoki (1617-1691)

Les beaux garçons
dessaleurs de prunier et les saules pleureurs
de belles femmes
Bashô (1644-1694)

  • Art de l’encens

Les nobles dépensaient sans compter pour des bois précieux, ingrédients des pastilles d’encens neriko, qu’ils composaient en fonction de leur goût, leur imagination et sur base des recettes traditionnelles. Ils s’en servaient à parfumer les vêtements, les éventails et les lettres.

L’encens Baika a été inspiré par le parfum doux et entêtant de la fleur de prunier.

neriko : pastilles d’encens pétries, fabriquées à partir de poudre d’encens, de miel et de prune, laissées « mûrir » pendant 3 à 5 ans dans un pot.

Dans le Dit de Genji Genji Monogatari de Murasaki Shikibu, on apprend que le prince Kaoru portait un parfum sans pareil :

Un parfum se dégageait de lui dont la suavité n’était pas de ce monde, qu’il répandait étrangement autour de lui à chacun de ses mouvements, et il semblait que la brise qui le portait au loin, devait être perceptible bien au-delà de cent pas. […] encore qu’il se gardât d’en imprégner ses vêtements, les odeurs les plus rares qu’ils conservaient dans leurs coffres de Chine, étaient surpassé par le parfum ineffable qui se dégageait de lui ; sous les arbres en fleurs de son jardin, bien des gens, mouillés par des gouttes de pluie printanière , s’étaient retrouvés pénétrés par le parfum d’un prunier que sa manche avait à peine effleurée […].

Pour en savoir plus, (re)découvrez mon article 4/2021 Encens I Art olfactif

Nerikosource
Les couleurs des fleurs
Sont brouillées sous la neige,
Tellement qu’on ne peut les voir :
Mais leur parfum qu’on respire
Révèle leurs présence.
Poèmes du recueil Kokinshyû du VIIIe
Par cette nuit de printemps,
Obscure et sans formes,
Des fleurs de prunier
La couleur est invisible ! Oui !
Mais leur parfum ! peut-il se dérober ?
Poèmes du recueil Kokinshyû du VIIIe
  • Légende du « prunier volant » Tobiume

Sugawara no Michizane (845-903) poète et politicien de renom, victime d’un complot organisé par les Fujiwara, il tomba en disgrâce et fut contraint à l’exil à Kyushu. Il regretta tant de quitter son prunier favori qu’il lui composa un waka avant le départ :

Quand le vent d’Est souffle,
fleurissez, fleurissez, fleurs de prunier !
Même si votre maître n’est plus là,
n’oubliez pas le printemps !

La légende dit que celui-ci s’envola de Kyoto pour le rejoindre à Dazaifu, d’où son nom Tobiume « prunier volant ».

Après son décès, les familles des rivaux vécurent que des malheurs vus par l’Empereur comme une vengeance de l’esprit de Sugawara. Pour le consoler, il le consacra au rang de Dieu des études et des lettres Tenjin et érigea un sanctuaire shinto en sa mémoire : Dazaifu Tenman-gū, préfécture de Fukuoka.

© Sancturaire Dazaifu, « le prunier volant » Tobiume
FETES  MATSURI

L’âme japonaise vénère les fleurs et l’apparition de certaines d’entre elles est l’occasion de fêtes populaires matsuri.

Lors des fêtes du 1er jour de l’an, des vases de porcelaines et de bronze sont ornés de branches de pin matsu, de bambous take et de pruniers ume. Ces trois compagnons des grands froids ont inspiré le motif de bonne augure des kimono dénommé shōchikubai, symbole du Nouvel An japonais.

L’An se lève, obscur ;
La neige voile l’aurore.
Ciel rend nous l’azur,
Car le prunier vient d’éclore,
Et son doux parfum t’implore !
poème extrait de Le Japon par Judith Gauthier

© Musée Guimet, Sur-kimono de femme (uchikake) Période Edo Début XIXe siècle Damas de soie teint par réserve, peint, brodé de soie polychrome et filé d’or MA 11707

Le pin, le bambou et le prunier (shōchikubai) sont souvent utilisés ensemble dans l’art japonais : le pin, toujours vert, signifie la constance, le bambou, la flexibilité et la résistance, tandis que la fleur de prunier, la première à s’épanouir en hiver, est un signe de fertilité. source MNAAG Musée Guimet

Umemi est une invitation à contempler la floraison évanescente, sentir le parfum tenu des fleurs dans l’air doux et caressant et faire la fête sous les confettis de pétales emportées par la brise qui se déposent parterre formant un lit somptueux. Les festivals ont lieu entre mi-février et mi-mars dans des parcs publics, des sanctuaires et des temples à travers tout le pays.

Prunier en fleur
Le souffle discret du vent
pour ne pas les disperser
Bashô (1644-1694)

© Kankomie, Inabe, environ 4 000 pruniers en fleurs, 100 variétés

Dans le parc, tout blanc,
De Tchiyoda, quelle chose,
Le premier de l’An,
Souris dès l’aube morose ?…
C’est la fleur du prunier rose.
poème extrait de Le Japon par Judith Gauthier

Pendant umemi on célèbre autant la fleur que le fruit de cet arbre sacré. Prumus mume produit l’ingrédient principal de divers délices : umeboshi, prune salée et séchée utilisée pour les onigirikobai petit gâteau à base de pâte de haricots rouges azuki et de farine de blé cuite à la vapeur, umeshu alcool japonais à base de prunes marinées dans la liqueur, etc.

 

1/2023

LE PIN ÉTERNEL  I  MATSU 

°°°

Le pin vit mille ans,
Le petit liseron du matin une journée seulement,
Mais tous deux jouent leur rôle.
Poème zen anonyme

Les Japonais vivent avec la nature, charitable et impitoyable. Elle est la source éternelle de leurs aspirations et de leurs inspirations.

Chaque mois de l’année possède sa fleur ou son arbre favori. En janvier, on célèbre le pin matsu qui  exprime sa beauté à travers ses déformations et ses courbes façonnées par la toute-puissante nature et parfois par l’homme.

Je vais vous révéler dans cet article, sa place dans les croyances et dans quelques domaines de l’art car le sujet est vaste.

CROYANCES
  • Shintoïsme

Quel pays de verdure et d’ombre, ce Japon, quel Éden inattendu !… extrait Japon, Erwin Fieger, Edition L’iconothèque

L’archipel nippon est un pays de forêts imprégnées de profonde spiritualité et de surnaturel. Dans la croyance shinto, les arbres sont habités par les esprits de la nature déifiés, dénommés kami. Bois, plantes, pierre… tous ont une âme. Dans cette estampe, Katsushika Hokusai (1760-1849) sépare par une barrière de pin, le monde des humains de celui des dieux.

@ Hokusai Katsushika Le mont Fuji vu à travers les pins de Hodogaya sur la route du Tôkaidô (Tôkaidô Hodogaya). Les « Trente-six vues du mont Fuji » (Fugaku sanjû-rokkei), 36e vue

La brise fraîche
emplit le vide ciel
de la rumeur du pin
Onitsura

  • Bouddhisme zen

De son côté, le bouddhisme zen invite l’homme à se connecter à son monde intérieur.

En art, une grande importance est accordée à l’espace vide, métaphore du silence nécessaire à l’apparition de la vision intérieure. Car la nature du Bouddha ne peut se manifester, ni l’état d’éveil spirituel être atteint, si l’espace intérieur du sujet se trouve encombré et si son esprit fourmille de pensées. En peinture, le vide et la brume renvoient souvent à cet état d’ouverture, d’écoute intérieure, manifestation de la nature de Bouddha, de l’éveil. Des caractéristiques que l’on relève dans certaines peintures, par exemple dans Bois de pins de Hasegawa Tôhaku (1539-1610). extrait Style Japon de Calza Gian Carl édition Phaidon

L’un de mes coup de foudre est ce chef-d’œuvre de la peinture monochrome à l’encre noire sur deux paravents byōbu-e, qui représente un bois de pins dans le brouillard.

Ils évoquent un état atemporel dans un espace profond et dilaté : c’est le vide du bouddhisme zen. extrait Le Japon Rossella Menegazzo Hazan Guide des arts

© Hasegawa Tohaku (1539-1610), partie droite du Shôrin-zu (Bois de pins), encre sur papier, 16ème, Musée National de Tokyo, Japon

Un pin ne me semble véritablement pin qu’enveloppé de brumes ou de nuages.[…] Le fond brumeux, traversé par une pâle lumière hivernale, entraîne le spectateur dans les profondeurs de la forêt, peut-être en direction du sommet enneigé visible sur la droite, ou dans les méandres d’invisibles sentiers entre les arbres. extrait Petit éloge des brumes de Corinne Atlan

    • Us et coutumes

Les branches et les aiguilles de pin symbolisent la joie, une longue vie ou l’éternité.

Vent dans les pins –
Des aiguilles de pin tombant sur l’eau
le son agréable
Matsuo Bashô (1644-1694)

Associé au bambou take, symbole de pureté, de noblesse, de force et de souplesse, le pin évoque le Nouvel An. La coutume veut que l’on dépose de part et d’autre d’une porte d’entrée de mi-décembre au mi-janvier un kadomatsu littéralement «pin du seuil » pour accueillir le dieu shinto du nouvel an, Toshi-gami, afin de protéger le foyer. Par contre, dans le quartier des geisha à Kyoto,  dénommé Gion, le kadomatsu se limite à un pin avec ses racines et symbolise la croissance éternelle.

A la fin,  cette offrande est brûlée avec les autres décorations du Nouvel An au temple shintô et la fumée qui s’en échappe permet au kami de l’an de repartir.

DOMAINES DE L’ART
  • Art du jardin

La manière dont une touffe d’aiguille de pin est fixée sur une branche, le rapport de cette branche aux proportions de l’arbre, la façon dont ses racines l’ancrent dans le sol, tout cela manifeste la simplicité et l’équilibre naturel du pin. extrait Ryokan. Séjour dans le Japon traditionnel Gabriele Fahr-Becker Editions Könemann

Le pin est indissociable du jardin japonais qui est toujours ingénieusement composé. Tailler et façonner le pin pour lui donner une forme précise et gracieuse, cela exige un savoir-faire millénaire. Un jeune surgeon peut être coupé et ligoté à l’aide de fils de fer et de ficelle durant des années jusqu’à ce qu’il atteint l’aspect désiré par le jardinier.

Le pin de Sumiyoshi et en arrière-plan le pavillon Shōkintei. Villa de Katsura, Kyōto, XVIIe siècle

Lors de mon 1er voyage en 2012, j’ai visité la sublime Villa impériale Katsura près de Kyoto. redécouverte par l’architecte allemand Bruno Taut en 1933 qui disait : « A Katsura, les yeux pensent ! ».

Suite à cela, cet ermitage princier a influencé d’autres pionniers de l’architecture : Walter Gropius, Wies ven der Rohe, Le Corbusier, Franck Lloyd Whright.

Mon regard s’est porté sur le pin solitaire de Sumiyoshi. Autrefois, à sa gauche, il y avait le pin Takasago cités dans la préface de l’Anthologie de la poésie ancienne et moderne Kokin Wakashû. (lire plus bas Théâtre Nô)

Deux autres pins révérés par les artistes dans les estampes, sont la preuve vivante de cet art : Tsuki no Matsu et Yogo no Matsu.

L’actuel Parc d’Ueno se trouve sur une terre qui appartenait autrefois au Temple Kanei-ji, le temple familial des shoguns (chefs militaires du Japon jusqu’au milieu du 19e siècle). Dans un des coins du parc se dressait le Tsuki no Matsu (Pin de la Lune), surplombant l’Étang Shinobazu-no-ike. Ses élégantes branches circulaires étaient l’œuvre d’horticulteurs. Les gens raffinés croyaient y distinguer une pleine lune, s’imaginant en train d’admirer le superbe astre illuminer la nuit. source Niponica 22

© Utagawa Hiroshige, Uenosannai Tsuki no Matsu, 1857

 

Yogo no Matsu du temple Zenyo-ji à Tokyo est un pin noir du Japon vieux de plus de 600 ans. Avec ses 8 m de haut et ses branches s’étendant sur 31 m d’est en ouest et sur 28 m du nord au sud, ce magnifique arbre exhale une grâce divine qui convient parfaitement à son nom Yogo, qui signifie « la révélation des divinités et du Bouddha » source Niponica 32

A l’art du jardin se rajoute le bonsaido, l’art des bonzaïs qui réunit ciel et terre dans un pot.

 

  •  Architecture et routes

L’architecture traditionnelle est fondée sur l’amour du bois, elle encense la force et la splendeur de la nature.
Les matériaux d’ameublement et de construction, comme l’ossature d’une maison, sont confiés à divers espèces de pin :

Akamatsu I Pinus densiflora I Pin rouge
Kuromatsu I Pinus Thunberghii I Pin noir

A l’époque d’Edo, les routes furent en général balisées à chaque ri (1 ri = 3.9 km) au moyen d’un pin matsu. On y trouve encore des pins solitaires ippon matsu qui rappellent l’emplacement de ces étapes importantes ichirizuka.

Des pins sur chaque île –
le bruit du vent
est frais
Shiki

  • Poésie et sites célèbres  I  Meisho

Plusieurs fameux poètes, dont Saigyō (1118-1190), « passionnés de meisho », récoltaient pendant leurs pérégrinations de précieux souvenirs : aiguilles de pin, grenouille séchée, coquillage….

Même ici le cœur s’ennuie
de nouveau le désir de s’envoler
et ce pin restera seul
vraiment seul
sans ami
chap X vers le pays Sanuki 11, Vers le vide de Saigyô

À l’époque d’Edo, le lettré confucianiste Shunsai Hayashi,Gahō Hyashi (1618-1680), a nommé les trois plus beaux paysages du Japon, les Nihon Sankei  : Amanohashidate, la baie de Matsushima et l’île de Miyajima.

Leur point commun ? Des pins murmurants au bord de rivages sableux.

Amanohashidate, littéralement « passerelle céleste » dans la préfecture de Kyoto, une langue de sable plantée de plus de 6000 pins dont certains atteignent une hauteur de 40 m.  Je me suis rendue lors du 2ème voyage en 2013.

Est-ce pour admirer pins et cyprès ?
La brise parfumée
souffle bruyamment
Matsuo Bashô (1644-1694)

La baie de Matsushima, au nord de Kyoto, parsemée d’environ 260 îlots couverts de pins maritimes. Célébrée dans un haïku par le poète Basho (1644-1694) qui, resté sans mots face à un tel paysage, il a usé de la répétition pour exprimer sa beauté captivante.

Oh, Matsushima !
Oh, Matsushima, ah !
Oh, Matsushima !
Matsuo Bashô (1644-1694)

Depuis, d’autres paysages ont gagné en reconnaissance comme Miho-no-Matsubara. Une plage impressionnante, longue de 7 km et couverte de plus de trente mille pins a été inscrite au patrimoine culturel mondial en tant qu’élément du mont Fuji en juin 2013.

L’ukiyoe de Hiroshige Utagawa (1797-1858) et des poèmes waka témoignent de sa beauté.

© Utagawa Hiroshige, Miho no Matsubara
© Aflo, Niponica 13, Miho no Matsubara

Serais-je le seul
À leur demander abri ?
Non, les blanches vagues
Elles aussi, les harcèlent
Les sveltes pins du rivage
poème de Tsurayuki-shū

Ce lieu est connu aussi pour l’ancien conte Hagoromo-no-Matsu « La robe de plume » qui donna lieu à une célèbre pièce de , Hagoromo.

Une divinité céleste, descendue sur une plage pour se baigner, abandonne sa robe de plumes sur le sable. Un pêcheur s’aperçoit et, désirant la jeune beauté, cache sa robe. Elle n’a plus alors d’autres ressources que de devenir l’épouse du pêcheur. Après lui avoir donné des enfants, elle prie son mari de lui rendre la robe de plumes. Celui-ci ayant cédé à son désir, elle retrouve sa nature divine, et avant de regagner son domaine céleste, danse pour remercier le pêcheur.[Bibl. -ar René Sieffert, In Nô et Kyôgen, Paris 1979] Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis Frédéric Collection Bouquins

  • Théâtre Nô

Parlant du théâtre , le seul décor est la peinture d’un pin sur le paroi arrière de la scène.

Takasago, titre d’une célèbre pièce de théâtre de Nô : un vieux couple révèle à un religieux bouddhiste qu’ils sont les esprits de deux pins vénérables sur la plage de Takasago. Cette pièce, parfois intitulée Aioi no Matsu (Les pins d’une vie partagée) écrite par Zeami d’après un poème de KIi no Tsurayuki apparaissent dans sa préface au Kokin waka-shû, traite de la fidélité de dieux vieillards ayant vécu ensemble toute leur vie. (Bibl : René Sieffert, Nô et Kyôgen, Pubu. orient de France, Paris 1979) Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis Frédéric Collection Bouquins

Le pin de Takasago est un symbole d’extrême longévité.

Je n’ai guère envie
de m’entendre dire :
comment, toujours en vie ?
ce que pourrait penser le pin de Takasago
me remplit de confusion
poème Kokin waka rokujō (no 3057)

  • Art du tissage

Les tissus de kimono comportent des motifs représentant les fleurs de saison et leurs couleurs ou des motifs de bon augure et significations magiques. Le pin matsu symbolise la longévité, puis l’hiver, lorsqu’il est associé à la neige ou à deux autres compagnons des grands froids : le bambou take et le prunier ume.

  • Céramique

Les ouvrages en céramique tôgei, considérés comme le sommet de l’énergie créatrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.

 

 

À Suminoe
Plus le vent d’automne
Souffle sur les pins
Plus les vagues blanches au large
Y ajoutent leur fracas
Ōshikōchi no Mitsune, 
Kokin shū, « Célébrations », poème no 360