IRIS, LE RADIEUX
°°°
Je vous invite à (re)découvrir l’Article 8/2021 concernant la place de l’Iris dans la culture japonaise.
© Hokusai Katsushika, Iris et sauterelle, Série dite des « Grandes Fleurs »
°°°
Je vous invite à (re)découvrir l’Article 8/2021 concernant la place de l’Iris dans la culture japonaise.
© Hokusai Katsushika, Iris et sauterelle, Série dite des « Grandes Fleurs »
JARDINS POLYCHROMES
°°°
Au milieu de mai, grâce aux rayons de soleil et aux torrents de pluie, la nature resplendit, parée de verts et bigarrée de couleurs. Aux teintes variées de roses, des fleurs de pruniers, de pêchers et de cerisiers, succèdent les arbustes fleuris et multicolores : les azalées, les pivoines, les glycines puis, début juin, les hortensias.
Il existe au Japon toute une gamme de jardins : beaucoup sont centrés sur un étang constellé d’îlots ; certains d’entre eux reproduisent sur terre le paradis bouddhique ; d’autres célèbrent le mariage heureux de la pierre et de l’eau, l’union élémentaire du statique et du dynamique. Il y a aussi des espaces dépourvus d’eau et, parfois, de végétaux. Il y a encore des jardinets secrets menant au pavillon où a lieu la cérémonie du thé, et de grands parcs conçus pour la promenade et ouverts sur l’horizon. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’aménagement et évolution historique. In: Extrême-Orient, Extrême- Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisés. Chine, Japon, Corée, Vietnam. pp. 73-92.
Je vous emmène au Japon pour admirer l’harmonie des couleurs et l’élégance des formes des massifs de fleurs de quelques jardins d’exception !
LES COULEURS ET LEURS SYMBOLIQUES
Au début, au milieu et à la fin de la saison, si nous ouvrons nos capteurs sensoriels, nous prenons conscience des micro-changements qui se relaient dans la nature pour annoncer l’avènement de la nouvelle saison. Les Japonais parlent d’ailleurs de soixante-douze saisons. Sensibles aux changements de saison, ils ont toujours manifesté un intérêt profond, voire une obsession, pour le fait d’apprendre le secret de la nature en observant minutieusement ses « états » révélateurs, dont les couleurs. extrait Sumiko Oé-Gottini Sensation Soustraction MNAAG
Dans sa Chronique colorée Iro-ké publiée par le magazine Tempura Numéro 2, Sumiko Oé-Gottini nous fait savoir que :
En japonais, le mot couleur (« iro ») a une origine bien particulière. L’idéogramme chinois est fait de deux signes : un humain qui en chevauche un autre pour n’en faire qu’un. Oui, « faire l’amour », telle serait la provenance du mot « couleur » au Japon.
Au mois de mai et début juin, le rouge et le violet prédominent. Mais, quelle est leur symbolique ?
La première laque arrivée au Japon à l’époque Jômon (13000-400 av J.C.) était rouge, considérée sacrée puisqu’elle est la couleur du soleil représentée par la déesse Amaterasu, la plus importante divinité shintoïste. Mais encore :
Le rouge, couleur du sang et du feu, exprime à la fois la pudeur, la vulgarité, l’amour, la cruauté, l’espoir, la désespérance, la noble résistance jusqu’à la mort… » Sumiko Oé-Gottini, Chronique colorée Iro-ké, magazine Tempura Numéro 2.
A l’époque de Nara, durant le règne de l’Impératrice Suiko (592-628), le violet était la couleur la plus noble. Il était impossible de la porter à la Cour sans recevoir son autorisation ! Cette couleur, murasaki en japonais, nous ramène à l’écrivaine Murasaki Shikibu auteure du chef-d’œuvre Le Dit de Genji I Genji monogatari de l’ère Heian (794-1185).
LES MASSIFS DE FLEURS
Il existe d’innombrable variétés d’azalées aux teintes vives ou pales. Elles apportent de la couleur à l’architecture traditionnelles en bois.
Sanctuaire shinto Nezu-jinja, au nord de Tokyo, est célèbre pour sa colline aux azalées.
Sur les rochers,
des fleurs d’azalées rouges
teintes par les larmes du coucou
Bashô
Temple Shoden-ji, à Kyoto, créé par le jardiniste adepte du sen Kobori Enshû (1579-1647). David Bowie, aurait pleuré d’émotion.
L’originalité de ce jardin réside dans le fait que l’on a substitué aux pierres des buissons taillés : sur une couche de sable, des massifs d’azalées arrondis sont disposés par groupes de trois, cinq ou sept, selon un rythme aimé des Japonais qui découvrirent la musicalité de l’impair bien avant que Verlaine ne la chante 10. Le Shôdenji est en quelque sorte une version végétale du Ryôanji. Une autre particularité de ce jardin est qu’il inclut dans son champ le Mont Hieï, le plus haut des sommets qui dominent Kyoto. Le procédé consistant à intégrer le paysage extérieur à l’espace d’un jardin est appelé shakkeï(« emprunt du paysage ») et connut son apogée au XVIIe siècle. Plus tardif que le Ryôanji et le Daïsen.in, le Shôdenji montre comment évoluèrent les jardins Zen après l’âge d’or de l’époque Muromachi. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’aménagement et évolution historique. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisés. Chine, Japon, Corée, Vietnam. pp. 73-92.
Dans une chaumière,
une bonzesse seule et insensible –
Azalées blanches
Bashô
Arrivée de Chine à la période Heian (794-1185) en tant que plante médicinale, la pivoine devient une fleur ornementale. Transformée, la pivoine japonaise est pleine de grâce.
Jardin Yûshien, sur Daikonshima, une petite île au milieu de la lagune Nakaumi
L’île de Daikonshima est née de l’éruption d’un volcan, la terre est noire, et c’est dans ces cendres que le ginseng et la pivoine arbustive trouvent leur bonheur. Hidehisa Inutani, directeur du jardin de Yuushien.
Sur cent lieu à la ronde
les pivoines
repoussent les nuages de pluie
Busson
Les glycines sont mises en scènes de manière spectaculaires au Japon ! Les rameaux de 20 ou 30 mètres portent d’énormes grappes blanches violacées, une cascade de fleurs.
Voici la plus vieille glycine géante, âgée de +140 ans, transplantée pour lui permettre de continuer sa croissance dans le parc florale de la ville Ashikaga située au Nord de Tokyo.
En voyage au pays de Yamato
Cherchant une auberge
fatigué –
Ah ces fleurs de glycine
Bashô
A Kamakura (ancienne capitale 1185-1333), le temple Meigetsu-in de l’école bouddhiste Rinzai émerge d’un océan bleu d’hortensias.
Hortensias –
Ce buisson est le petit jardin
d’un salon privé
Bashô
Pour en savoir plus sur les saisons et les couleurs, je vous invite à (re)découvrir mes articles :
5/2022 KIMONO I HEIAN L’AGE D’OR
°°°
Passant l’automne
un papillon lèche
la rosée des chrysanthèmes
Bashô (1644-1694)
Les insectes, tout autant que les arbres, les fleurs, les oiseaux,…, apportent de la magie à nos vies scandées par les rythmes de saisons. Contrairement aux Occidentaux, les Japonais et les Grecs anciens ont toujours été sensibles aux insectes et à leurs chants.
En avril, émergent les premiers papillons. Gracieux, ils puisent leur énergie du soleil, sous la protection de la déesse Amaterasu, et se nourrissent du pollen des fleurs. Bien que leur vie soit éphémère, ils occupent une place significative dans la culture japonaise.
Parmi les fleurs écloses
sur la haie
un papillon volige
ah ! l’envie d’être avec lui
si éphémère
Saigyô (1118-1190)
CROYANCES POPULAIRES
En solitaire, le papillon symbolise la longévité lorsqu’il vole au dessus d’un prunier, la joie ou un pressage heureux lorsqu’il entre par hasard dans une maison, mais aussi l’éclosion de la féminité. Pour cette raison, le papillon décore le kimono des jeunes filles le furisode « manche flottante », en tant que métaphore de la jeune fille qui déploie ses ailes pour devenir femme tandis que les manches longues jusqu’aux chevilles sont synonymes de pureté et d’innocence. De plus, pour maintenait le furisode, la ceinture obi à pans longs, peinte ou brodée, est largement nouée dans le dos en forme de papillon cho musubi. Leurs coiffures aussi portent le nom de papillon chocho mage : les cheveux sont partagés en quatre coques symétriques.
D’autre part, les papillons qui voltigent en couple, représentent le bonheur conjugal sur les kimonos lors d’un mariage. Et les décorations en papier en forme de papillon origami pour la cérémonie dénommées o-chô et mechô symbolisent l’union heureuse et éternelle.
La phalène est le symbole du rêve et de la vie insouciante. Certains jours de fête, la « danse du papillon » a une importante signification. Deux papillons sont les témoins symboliques des noces au Japon : accompagnateurs dansants sur le chemin de la vie, ils mènent le couple vers l’avenir à travers un merveilleux jardin fleuri. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, Edité par Chêne/Hachette
En grand nombre, les papillons inspirent l’effroi, comme l’indique l’histoire du clan Taira (l’un des quatre clans qui dominèrent durant l’ère Heian, avec les Fujiwara, les Minamoto et les Tachibana, dont le blason mon était un papillon machaon de couleur jaune, noir et bleu appelé ageha-chō.
Papillon qui bat des ailes
je suis comme toi –
poussière d’être
Issa (1763-1828)
Valsent les papillons –
je parle
avec les morts
Yokohama Hahkkô
<
A ce titre, le bouddhisme considère que les phénomènes qui composent la personnalité d’une personne décédée pourront se réincarner sous des formes animales, végétales et minérales.
Couvert de papillons
l’arbre mort
est en fleurs
Issa (1763-1828)
Le papillon est l’incarnation d’une âme défunte bienfaisante et protectrice ou l’âme d’une personne qui s’envole vers l’autre monde.
Sur l’œillet
Un papillon blanc –
ou une âme égarée
Masaoka Shiki (1867-1902)
La plupart des légendes sont d’influence chinoise à part ce conte populaire : un homme inconsolable, dénommé Takahama, a veillé toute sa vie la tombe de sa bien-aimée Akiko jusqu’au jour où son âme l’a rejoint dans le royaume des morts sous forme la forme du papillon blanc.
Le Papillon bat des ailes
comme s’il désespérait
de ce monde
Bashô (1644-1694)
Dans le bâtiment principale Daibutsu-den du temple Tôdai-ji à Nara, au pied du grand Bouddha en bronze de 14,98 m de hauteur, on remarque des fleurs de lotus et deux papillons…
Les poètes, les artistes et les danseuses ont souvent choisi un nom d’artiste geimyô de papillon : Chômu rêve de papillon, Ichô papillon solitaire. Il existe aussi des noms propres pour les filles Kochô ou Chô papillon… On sait aussi que le marchand d’armes britannique Glover épousa la fille d’un samouraï qui inspira le livret d’opéra de Puccini, Madame Butterfly Chôchô san.
De passage dans un pavillon de thé, une femme appelée « Papillon » m’a demandée, en me donnant une pièce de soie blanche, de composer un hokku sur son nom. J’ai donc écrit :
Parfum d’orchidée –
en sont imprégnées
les ailes du papillon !
Bashô (1644-1694)
Mais, retournons dans les époques anciennes :
Dame Murasaki Shikibu intitula le chapitre 24 de son Dit du Genji Genji Monogatari « Les Papillons », Kochō. Elle nous apprend l’existence de la danse des papillons Kochô mai exécutée lors des festivités de printemps au palais de l’Impératrice par des filles déguisées en papillon et oiseaux.
Image Dames de la Cour impériale exécutant la « danse du papillon ».
Oiseaux et papillons
s’agitent avant l’envol –
Nuages de fleurs
Bashô (1644-1694)
A l’époque Edo, née la poésie humoristique kyôka. Je me rêve papillon et j’embrasse
tes lèvres pour goûter un nectar de ta fleur
comme on piège la libellule sur une tige engluée
je te tiendrai si tu cherches à m’échapperARTS DÉCORATIFS ET JAPONISME
Les premiers dessins d'insectes (libellules, araignées, papillons...) semblent avoir été faits par les Japonais, un siècle avant J .C., pour orner les poteries et les cloches des temples, technique en relief dénommée dôtakus.
Encore aujourd'hui, le papillon est présent dans les arts décoratifs (vases de porcelaine, l’art de la table…) et souvent en compagnie d’une pivoine « la rose du Japon ».
Les artisans d’art européen ont vu leur créations influencée par l’artisanat japonais vers 1875. A la différence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siècle pour la Chine, le japonisme s’est répandu grâce à l’Exposition universelle de Paris de 1867 (article à (re)découvrir Kimono I Symbole du japonisme)
* Céramiste français : L’œuvre de Théodore Deck (1823 -1891) est caractéristique d’un grand éclectisme. En effet, l’artiste fait cohabiter dans sa production plusieurs influences qui touchent les arts au XIXe siècle, en passant par l’historicisme que l’on retrouve dans les portraits de personnages historiques ou célèbres de ses plats, l’orientalisme, le japonise ou l’art chinois. source
°°°
Les mois de mars et avril célèbrent les fleurs de poirier rika, de pêcher momo et de cerisier sakura.
°°°
Le mois de février célèbre son arbre, le prunier ume. Ses fleurs gracieuses au parfum suave annoncent le printemps pendant que celles de cerisier sommeillent encore.
Les fleurs de prunier sont à l’origine de la tradition o-hanami qui appelle à leur contemplation et les premières à avoir été louées dans les poèmes, les récits et les missives amoureuses. Puis, révérées par les plus grands artistes, elles ont illuminé les arts de leur éclat.
Que n’ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum !
Satomura Jôha (1525-1602)
Après vous avoir exposé l’origine de o-hanami et la symbolique du prunier, je vous propose un voyage dans le temps : un aller-retour entre l’ère Heian et aujourd’hui.
La fleur de prunier, qu’elle soit blanche ou rouge, vit deux fois plus longtemps que celle de cerisier. Dans Notes de chevet Makura no sôshi (chapitre 21. Fleurs des arbres), Sei Shonagon nous ouvre son cœur :
L’observation des fleurs o-hanami a commencé avec le prunier umemi, coutume empruntée à la Chine des Tang à l’ère Nara (710-794). La célébration des fleurs de cerisier, devenues tardivement symboles emblématiques du Japon, s’est répandue à partir de l’époque Edo.
La beauté éphémère des fleurs suggère l’impermanence de l’existence, de la jeunesse qui se fane. Une douce mélancolie ressort de ce poème anonyme :
Les fleurs, elles s’épanouissent : – alors
On les regarde : – alors
Elles se fleurissent : – alors…
Les qualités et la symbolique que l’on confère à la fleur de prunier sont multiples : patience, optimisme, espoir, force, vitalité, bravoure, loyauté, élégance, noblesse, beauté, qualités morales, discrètes et délicates de la femme, de la mère qui enfante et élève son enfant.
La fleur de prunier est un thème récurrent dans le Man’yōshū, le plus ancien recueil de poèmes waka compilé au VIIIe, mais elle est détrônée par celle de cerisier à partir du Xe siècle.
La Cour, lieu d’épanouissement culturel, mène une vie oisive et futile, consacrée aux divertissements : concours de poésie, contemplation des fleurs o-hanami, calligraphie, amours courtois et libres, etc…
Le prunier en fleur attend son maître dans le jardin Kikaku (1661-1707) |
Les fleurs du prunier parfumées qui tombent glissent sur la branche mais transmettent à la manche leur fragrance. Extrait Le Dit de Genji de Murasaki Shikibu |
Les missives amoureuses étaient nouées de manière particulière en fonction du sexe de la personne qui l’envoyait. Le parfum et la couleur du papier n’étaient pas choisis au hasard. Un code était à respecter : papier rose perle à la floraison des cerisiers, papier parme durant la floraison des glycines… et à chaque missive on nouait une branche ou une fleur de saison. L’étiquette amoureuse voulait que l’amant, peu après son départ matinal avant l’aurore, envoie à la dame de ses pensées une lettre et un poème pour confirmer ses sentiments et… sa culture littéraire. La règle exigeait que la dame fasse écho avec un poème waka. Un savoir-faire et savoir-vivre d’un raffinement extrême !
Les beaux garçons
dessaleurs de prunier et les saules pleureurs
de belles femmes
Bashô (1644-1694)
Les nobles dépensaient sans compter pour des bois précieux, ingrédients des pastilles d’encens neriko, qu’ils composaient en fonction de leur goût, leur imagination et sur base des recettes traditionnelles. Ils s’en servaient à parfumer les vêtements, les éventails et les lettres.
L’encens Baika a été inspiré par le parfum doux et entêtant de la fleur de prunier.
neriko : pastilles d’encens pétries, fabriquées à partir de poudre d’encens, de miel et de prune, laissées « mûrir » pendant 3 à 5 ans dans un pot.
Dans le Dit de Genji Genji Monogatari de Murasaki Shikibu, on apprend que le prince Kaoru portait un parfum sans pareil :
Pour en savoir plus, (re)découvrez mon article 4/2021 Encens I Art olfactif
Les couleurs des fleurs Sont brouillées sous la neige, Tellement qu’on ne peut les voir : Mais leur parfum qu’on respire Révèle leurs présence. Poèmes du recueil Kokinshyû du VIIIe |
Par cette nuit de printemps, Obscure et sans formes, Des fleurs de prunier La couleur est invisible ! Oui ! Mais leur parfum ! peut-il se dérober ? Poèmes du recueil Kokinshyû du VIIIe |
Sugawara no Michizane (845-903) poète et politicien de renom, victime d’un complot organisé par les Fujiwara, il tomba en disgrâce et fut contraint à l’exil à Kyushu. Il regretta tant de quitter son prunier favori qu’il lui composa un waka avant le départ :
Quand le vent d’Est souffle,
fleurissez, fleurissez, fleurs de prunier !
Même si votre maître n’est plus là,
n’oubliez pas le printemps !
La légende dit que celui-ci s’envola de Kyoto pour le rejoindre à Dazaifu, d’où son nom Tobiume « prunier volant ».
Après son décès, les familles des rivaux vécurent que des malheurs vus par l’Empereur comme une vengeance de l’esprit de Sugawara. Pour le consoler, il le consacra au rang de Dieu des études et des lettres Tenjin et érigea un sanctuaire shinto en sa mémoire : Dazaifu Tenman-gū, préfécture de Fukuoka.
L’âme japonaise vénère les fleurs et l’apparition de certaines d’entre elles est l’occasion de fêtes populaires matsuri.
Lors des fêtes du 1er jour de l’an, des vases de porcelaines et de bronze sont ornés de branches de pin matsu, de bambous take et de pruniers ume. Ces trois compagnons des grands froids ont inspiré le motif de bonne augure des kimono dénommé shōchikubai, symbole du Nouvel An japonais.
L’An se lève, obscur ;
La neige voile l’aurore.
Ciel rend nous l’azur,
Car le prunier vient d’éclore,
Et son doux parfum t’implore !
poème extrait de Le Japon par Judith Gauthier
Umemi est une invitation à contempler la floraison évanescente, sentir le parfum tenu des fleurs dans l’air doux et caressant et faire la fête sous les confettis de pétales emportées par la brise qui se déposent parterre formant un lit somptueux. Les festivals ont lieu entre mi-février et mi-mars dans des parcs publics, des sanctuaires et des temples à travers tout le pays.
Prunier en fleur
Le souffle discret du vent
pour ne pas les disperser
Bashô (1644-1694)
Dans le parc, tout blanc,
De Tchiyoda, quelle chose,
Le premier de l’An,
Souris dès l’aube morose ?…
C’est la fleur du prunier rose.
poème extrait de Le Japon par Judith Gauthier
Pendant umemi on célèbre autant la fleur que le fruit de cet arbre sacré. Prumus mume produit l’ingrédient principal de divers délices : umeboshi, prune salée et séchée utilisée pour les onigiri, kobai petit gâteau à base de pâte de haricots rouges azuki et de farine de blé cuite à la vapeur, umeshu alcool japonais à base de prunes marinées dans la liqueur, etc.
LE PIN ÉTERNEL I MATSU 松
°°°
Le pin vit mille ans,
Le petit liseron du matin une journée seulement,
Mais tous deux jouent leur rôle.
Poème zen anonyme
Les Japonais vivent avec la nature, charitable et impitoyable. Elle est la source éternelle de leurs aspirations et de leurs inspirations.
Chaque mois de l’année possède sa fleur ou son arbre favori. En janvier, on célèbre le pin matsu qui exprime sa beauté à travers ses déformations et ses courbes façonnées par la toute-puissante nature et parfois par l’homme.
Je vais vous révéler dans cet article, sa place dans les croyances et dans quelques domaines de l’art car le sujet est vaste.
L’archipel nippon est un pays de forêts imprégnées de profonde spiritualité et de surnaturel. Dans la croyance shinto, les arbres sont habités par les esprits de la nature déifiés, dénommés kami. Bois, plantes, pierre… tous ont une âme. Dans cette estampe, Katsushika Hokusai (1760-1849) sépare par une barrière de pin, le monde des humains de celui des dieux.
La brise fraîche
emplit le vide ciel
de la rumeur du pin
Onitsura
De son côté, le bouddhisme zen invite l’homme à se connecter à son monde intérieur.
L’un de mes coup de foudre est ce chef-d’œuvre de la peinture monochrome à l’encre noire sur deux paravents byōbu-e, qui représente un bois de pins dans le brouillard.
Un pin ne me semble véritablement pin qu’enveloppé de brumes ou de nuages.[…] Le fond brumeux, traversé par une pâle lumière hivernale, entraîne le spectateur dans les profondeurs de la forêt, peut-être en direction du sommet enneigé visible sur la droite, ou dans les méandres d’invisibles sentiers entre les arbres. extrait Petit éloge des brumes de Corinne Atlan
Les branches et les aiguilles de pin symbolisent la joie, une longue vie ou l’éternité.
Vent dans les pins –
Des aiguilles de pin tombant sur l’eau
le son agréable
Matsuo Bashô (1644-1694)
Associé au bambou take, symbole de pureté, de noblesse, de force et de souplesse, le pin évoque le Nouvel An. La coutume veut que l’on dépose de part et d’autre d’une porte d’entrée de mi-décembre au mi-janvier un kadomatsu littéralement «pin du seuil » pour accueillir le dieu shinto du nouvel an, Toshi-gami, afin de protéger le foyer. Par contre, dans le quartier des geisha à Kyoto, dénommé Gion, le kadomatsu se limite à un pin avec ses racines et symbolise la croissance éternelle.
A la fin, cette offrande est brûlée avec les autres décorations du Nouvel An au temple shintô et la fumée qui s’en échappe permet au kami de l’an de repartir.
Le pin est indissociable du jardin japonais qui est toujours ingénieusement composé. Tailler et façonner le pin pour lui donner une forme précise et gracieuse, cela exige un savoir-faire millénaire. Un jeune surgeon peut être coupé et ligoté à l’aide de fils de fer et de ficelle durant des années jusqu’à ce qu’il atteint l’aspect désiré par le jardinier.
Lors de mon 1er voyage en 2012, j’ai visité la sublime Villa impériale Katsura près de Kyoto. redécouverte par l’architecte allemand Bruno Taut en 1933 qui disait : « A Katsura, les yeux pensent ! ».
Suite à cela, cet ermitage princier a influencé d’autres pionniers de l’architecture : Walter Gropius, Wies ven der Rohe, Le Corbusier, Franck Lloyd Whright.
Mon regard s’est porté sur le pin solitaire de Sumiyoshi. Autrefois, à sa gauche, il y avait le pin Takasago cités dans la préface de l’Anthologie de la poésie ancienne et moderne Kokin Wakashû. (lire plus bas Théâtre Nô)
Deux autres pins révérés par les artistes dans les estampes, sont la preuve vivante de cet art : Tsuki no Matsu et Yogo no Matsu.
L’actuel Parc d’Ueno se trouve sur une terre qui appartenait autrefois au Temple Kanei-ji, le temple familial des shoguns (chefs militaires du Japon jusqu’au milieu du 19e siècle). Dans un des coins du parc se dressait le Tsuki no Matsu (Pin de la Lune), surplombant l’Étang Shinobazu-no-ike. Ses élégantes branches circulaires étaient l’œuvre d’horticulteurs. Les gens raffinés croyaient y distinguer une pleine lune, s’imaginant en train d’admirer le superbe astre illuminer la nuit. source Niponica 22
© Utagawa Hiroshige, Uenosannai Tsuki no Matsu, 1857
A l’art du jardin se rajoute le bonsaido, l’art des bonzaïs qui réunit ciel et terre dans un pot.
L’architecture traditionnelle est fondée sur l’amour du bois, elle encense la force et la splendeur de la nature.
Les matériaux d’ameublement et de construction, comme l’ossature d’une maison, sont confiés à divers espèces de pin :
A l’époque d’Edo, les routes furent en général balisées à chaque ri (1 ri = 3.9 km) au moyen d’un pin matsu. On y trouve encore des pins solitaires ippon matsu qui rappellent l’emplacement de ces étapes importantes ichirizuka.
Des pins sur chaque île –
le bruit du vent
est frais
Shiki
Plusieurs fameux poètes, dont Saigyō (1118-1190), « passionnés de meisho », récoltaient pendant leurs pérégrinations de précieux souvenirs : aiguilles de pin, grenouille séchée, coquillage….
Même ici le cœur s’ennuie
de nouveau le désir de s’envoler
et ce pin restera seul
vraiment seul
sans ami
chap X vers le pays Sanuki 11, Vers le vide de Saigyô
À l’époque d’Edo, le lettré confucianiste Shunsai Hayashi, né Gahō Hyashi (1618-1680), a nommé les trois plus beaux paysages du Japon, les Nihon Sankei : Amanohashidate, la baie de Matsushima et l’île de Miyajima.
Leur point commun ? Des pins murmurants au bord de rivages sableux.
Amanohashidate, littéralement « passerelle céleste » dans la préfecture de Kyoto, une langue de sable plantée de plus de 6000 pins dont certains atteignent une hauteur de 40 m. Je me suis rendue lors du 2ème voyage en 2013.
Est-ce pour admirer pins et cyprès ?
La brise parfumée
souffle bruyamment
Matsuo Bashô (1644-1694)
La baie de Matsushima, au nord de Kyoto, parsemée d’environ 260 îlots couverts de pins maritimes. Célébrée dans un haïku par le poète Basho (1644-1694) qui, resté sans mots face à un tel paysage, il a usé de la répétition pour exprimer sa beauté captivante.
Oh, Matsushima !
Oh, Matsushima, ah !
Oh, Matsushima !
Matsuo Bashô (1644-1694)
Depuis, d’autres paysages ont gagné en reconnaissance comme Miho-no-Matsubara. Une plage impressionnante, longue de 7 km et couverte de plus de trente mille pins a été inscrite au patrimoine culturel mondial en tant qu’élément du mont Fuji en juin 2013.
L’ukiyoe de Hiroshige Utagawa (1797-1858) et des poèmes waka témoignent de sa beauté.
Serais-je le seul
À leur demander abri ?
Non, les blanches vagues
Elles aussi, les harcèlent
Les sveltes pins du rivage
poème de Tsurayuki-shū
Ce lieu est connu aussi pour l’ancien conte Hagoromo-no-Matsu « La robe de plume » qui donna lieu à une célèbre pièce de Nô, Hagoromo.
Une divinité céleste, descendue sur une plage pour se baigner, abandonne sa robe de plumes sur le sable. Un pêcheur s’aperçoit et, désirant la jeune beauté, cache sa robe. Elle n’a plus alors d’autres ressources que de devenir l’épouse du pêcheur. Après lui avoir donné des enfants, elle prie son mari de lui rendre la robe de plumes. Celui-ci ayant cédé à son désir, elle retrouve sa nature divine, et avant de regagner son domaine céleste, danse pour remercier le pêcheur.[Bibl. -ar René Sieffert, In Nô et Kyôgen, Paris 1979] Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis Frédéric Collection Bouquins
Parlant du théâtre Nô, le seul décor est la peinture d’un pin sur le paroi arrière de la scène.
Le pin de Takasago est un symbole d’extrême longévité.
Je n’ai guère envie
de m’entendre dire :
comment, toujours en vie ?
ce que pourrait penser le pin de Takasago
me remplit de confusion
poème Kokin waka rokujō (no 3057)
Les tissus de kimono comportent des motifs représentant les fleurs de saison et leurs couleurs ou des motifs de bon augure et significations magiques. Le pin matsu symbolise la longévité, puis l’hiver, lorsqu’il est associé à la neige ou à deux autres compagnons des grands froids : le bambou take et le prunier ume.
Les ouvrages en céramique tôgei, considérés comme le sommet de l’énergie créatrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.
À Suminoe
Plus le vent d’automne
Souffle sur les pins
Plus les vagues blanches au large
Y ajoutent leur fracas
Ōshikōchi no Mitsune,
Kokin shū, « Célébrations », poème no 360
°°°
A la différence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siècle pour la Chine, le japonisme s’est répandu grâce à l’Exposition universelle de Paris en 1867.
Le public fut fasciné par le pavillon japonais et la découverte du kimono porté par les premières femmes japonaises venues en Europe et accueillies avec une curiosité extrême.
On peut affirmer que le kimono est le symbole national du Japon et conjointement du japonisme en Europe qui gagna par la suite l’Occident. Nous allons découvrir pourquoi il a été une source d’inspiration autant pour les peintres que pour les créateurs de mode et les écrivains.
A Londres, la première exposition d’art appliqué japonais de 1854 et l’Exposition universelle de 1862 ont été le détonateur de l’intérêt des artistes pour le Japon, mais le terme japonisme né en 1867 avec l’Exposition Universelle de Paris.
Hayashi Tadamasa (1853-1906), interprète durant l’exposition universelle, puis traducteur de documents sur l’art japonais et marchand, a joué un rôle fondamental dans l’histoire du japonisme durant son séjour à Paris de 1878 à 1893, et à la fois en tant qu’ami des peintres (Claude Monet, Camille Pissaro, Paul Renouard), des intellectuels et des hommes de lettres (Edmond de Goncourt, Émile Guimet, Félix Régamey).
Puis, Louise Mélina Desoye (1836-1909) a été l’unique femme qui a contribué à la première vague du japonisme en vendant dans sa boutique des produits importés du Japon. Ce lieu a été fréquenté par les peintres de la vague « japonisante » dont le précurseur anglais James Whistler : installé à Paris dès 1855, ses œuvres ont diffusé l’impressionnisme en Angleterre et aux États-Unis.
|
|
Toujours à Paris, Samuel Bing (1838-1905) marchand et critique d’art, collectionneur et mécène français d’origine allemande) avait acquis des milliers d’estampes japonaises qu’il a reproduites de 1888 à 1891 dans sa revue mensuelle Le Japon artistique. Documents d’art et d’industrie publiée simultanément en français, anglais et allemand. En 1890, il a enfiévré le monde avec l’exposition de 725 peintures et 428 livres illustrés japonais à l’École des Beaux-Arts de Paris.
A partir du mois de juillet 1893, la revue littéraire et artistique La Revue Blanche, publie en couverture une estampe en noir et blanc d’un peintre de la mouvance symboliste : Bonnard, Vouillard, Roussel, Manet, Monet, Pissaro, Renoir…
Certains artistes qui collectionnaient des estampes ont fini par changer la technique et la forme de leur art, comme Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh. Ce dernier, écrivait du Sud de la France à son frère « Ma vie devient ici de plus en plus celle d’un peintre japonais ». (cf. article 8/2021 Iris, le radieux). A sa mort en 1890, son médecin a trouvé un carton de quatorze estampes près de son lit.
Parallèlement, les contrastes des couleurs des kimono ont également influencé la palette des artistes.
L’estampe, perçue en Europe comme une nouvelle forme d’expression artistique, a connu un immense succès, nombreux peintres y ont puisé leur inspiration :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Malgré la fascination exercée par le Japon sur ces artistes, aucun n’a fait le voyage pour le découvrir ou confronter leurs idées à celles des artistes japonais !
A l’inverse, des artistes japonais se sont rendus à Paris – devenu centre artistique de l’Europe grâce aux impressionnistes – pour apprendre les nouvelles techniques de la peinture et fini par peindre « à l’occidentale » : Kuroda Seiki, Saeki Yûzô, Aoki Shigeru, Kihida Ryûsei, Fujita Tsuguji qui s’est fait naturaliser français…
|
|
|
|
Les soieries japonaises ont envouté les artistes, mais également les femmes qui les arrachaient des mains des marchands.
Entre 1860 et 1920, l’attitude et les gestes de la parisienne ont été influencés par le kimono.
Issey Miyake écrivait dans le livre Kimono de Sylvie et Dominique Buisson que plusieurs créateurs de mode occidentaux ont subi l’influence orientale tandis que ceux japonais sont partis de la mode occidentale pour obtenir leur originalité.
Frederick Worth (1825-1895), couturier français d’origine britannique et l’un des fondateur de la haute couture à Paris, s’est inspiré des tissus japonais et du kimono pour la création de ses robes.
Par la suite, le célèbre Paul Poiret (1879-1944) créa en 1910 un manteau kimono et des robes.
|
|
L’influence du Japon s’est déployée non seulement dans les arts plastiques mais aussi en littérature, d’où le terme de japonisme littéraire.
Les écrivains ont pressenti très tôt la fascination que présentait le Japon. De la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, certains écrivains composaient dans le « goût japonais » par exemple Judith Gautier, autrice de plusieurs romans et nouvelles inspirés par l’histoire japonaise et Pierre Loti avec Madame Chrysanthème.
|
|
En guise de conclusion :
°°°
Pour faire écho, je rajouterais l’éventail et l’ombrelle kasa à qui je dédie ce dernier article en tant qu’accessoire du kimono.
Après une brève présentation de ses origines, j’aborde son mode de fabrication et les modèles selon leur usage, ainsi que sa place dans la croyance populaire.
Les premières ombrelles rigides auraient été découvertes parmi les tributs envoyés par le roi de Kudara, une ancienne province coréenne, à l’empereur Kimma (539-571).
Avant cela, les femmes portaient des chapeaux larges et plats, en fibres végétales tressées (bambou ou cyprès).
Quittons-nous –
Je porte des vêtements d’été
et kasa à la main
Bashô (1644-1694)
Ici, un aperçu en images de divers modèles de chapeaux pour femmes et hommes dont les paysans et les moines pèlerins.
© Domaine public , Kusakabe Kimbei via Wikimedia Commons
Durant Edo (1603-1868), afin de pouvoir voyager plus aisément à pied, les artisans ont inventé divers objets pliants et légers à base de bambou et de papier : l’ombrelle et la lanterne.
Sévère
le bruit de la grêle
sur mon kasa en cèdre !
Bashô (1644-1694)
La monture des kasa est faite de bambous fendus et sur le réseau flexible des branches on tend du papier washi huilé imperméable, décoré ou pas de peinture ou logo. Les kasa pour femmes sont plus grands que ceux des hommes et comptent 40 baleines au lieu de 50.
Les kasa sont souvent représentées dans les estampes ukiyo-e « images du monde flottant » puis dans les premiers photographies.
La forme du kasa traditionnel est immuable, par contre, il change de nom selon sa conception et son utilisation.
Les artisans de Kyoto excellent dans la fabrication des ombrelles et ont rapidement adapté leur technique traditionnelle aux goût modernes.
Les ombrelles de type occidental sont appelés kômorigasa littéralement « parapluie en forme de chauve-souris ».
A l’ère Meiji (1852-1912), le prix des premières ombrelles occidentales était exorbitant, synonymes de luxe et de raffinement.
Dans le folklore, le kasa-obake littéralement « esprit-ombrelle » est un monstre yōkai de la famille tsukumogami composée d’objets du quotidien qui peuvent prendre vie après 100 ans d’existence. Il a la forme d’une ombrelle traditionnelle pourvue d’un œil, d’une langue, de deux bras et d’une seule jambe. Il n’est pas redoutable, mais tout simplement… dégoutant. Pour en savoir plus, cliquez ici
Artifice ou célébration de la beauté ?
°°°
Le maquillage traditionnel, contrairement à la coiffure et au vêtement, a évolué légèrement entre l’Antiquité et le XIXe siècle. En dissimulant ses traits, la femme était devenue une abstraction qui ne prenait de sens que dans la rigidité des codes sociaux propres à chaque époque.
Depuis le 6 janvier 1869, date du décret impérial qui a interdit le fard d’un autre âge, seuls les geisha, les maiko et les acteurs de kabuki maintiennent cet art vivant.
Mon article dévoile les secrets de maquillage à travers sa palette de base – blanc, noir et rouge – ainsi que les soins du visage et, pour finir, quelques accessoires remarquables par leur raffinement.
« Un visage blanc cache beaucoup de défauts » – proverbe
[いろのしろいのはしちなんかくす, iro no shiro no wa shichinan kakusu] « Iro no shiro » désigne la blancheur d’un visage de femme, 七難 – しちなん- shichinan ; désigne les 7 infortunes bouddhistes et dans son sens figuré un grand nombre de défauts. Il faut se méfier des apparences.
Pour cela, on employait une poudre blanche – keifun blanc de mercure ou o-shiroi blanc de céruse (en dépit du Saturnisme dû au plomb !) – fondue dans l’eau et appliquée avec des pinceaux sur le visage, le cou, la nuque et le décolleté qui étaient enduits auparavant de l’huile de camélia bintsuké-abura. Après Edo (1603-1868), ces poudres nocives ont été remplacées par une pâte non métallique neri-o-shiroi et la poudre kona-o-shiroi.
Les geisha mettent en valeur leur nuque en la blanchissant, mais gardent nus trois triangles de peau naturelle dénommés « trois jambes » sanbon-ashi (les apprenties maiko n’ont que deux !). Ce minime détail invite à l’érotisme en laissant imaginer les secrets d’une intimité interdite.
Aujourd’hui encore, la blancheur de la peau demeure la condition première de la beauté. En été, la japonaise cache son visage du soleil sous des chapeaux, des ombrelles,… et les bains de soleil font défaut à sa culture.
Le noir est inhérent aux coutumes de passage de l’existence féminine, de l’enfance à l’âge adulte.
La coutume d’épiler ou de raser les sourcils existait en Chine pendant la première dynastie Han et fut importée au Japon. L’aristocrate et la femme des samuraï se rasaient les sourcils à partir de la maturité (13 ans) tandis que la femme du peuple, une fois mariée ou devenue mère, coutume dénommée hongenpuku.
On redessinait les sourcils rasés avec du noir mayuzumi obtenu par un mélange de fleurs brûlées, de poudre d’or, de suie et d’huile de sésame ou par de la pelure de châtaigne, du charbon de paulownia.
Dans l’ouvrage Kewai mayuzukuri kuden La tradition du maquillage des sourcils, Mizushima Bokuya détaille les règles pour dessiner les sourcils et les accessoires nécessaires.
La coutume detsushi ou kanetsuke qui consistait à se noircir les dents était usitée par les femmes et les hommes de classes supérieures jusqu’à l’ère Meiji « pour se différencier des esclaves et des animaux » (à la période de Tokugawa (1603-1867) les prostituées appelées « les mariées d’une nuit » également).
La poudre hagurome était composée de débris de fer oxydés et de noix de galle fushi, dissoute dans du thé ou du saké.
Le rouge beni-guchi, extrait de benibana*, plante de la famille du chrysanthème Carthamus tinctoris, servait pour rougir les lèvres, les joues et parfois pour le contour des yeux afin d’éclairer l’iris et creuser un peu l’arcade.
*Entre parenthèse, ces agents colorants de benibana servirent pour teindre les tissus, puis à partir du XVIIe dans la fabrication des encres d’imprimerie pour les estampes ukiyo-e de type benizuri-e et beni-e.
A l’époque Edo 1813 est paru un ouvrage sur l’esthétique intitulé Le Guide de la beauté dans la capitale Miyako fûzoku keshôden de Sayama Hanshichimaru et illustrations de Hayami Shungyôsai.
Les femmes utilisaient des sachets de tissus nuka-bukuro remplis de son de riz hydratant nuka, de plantes médicinales ou aromatiques, de poudre de haricots rouge azuki nettoyante araiko qui contenait de la saponine. Elles plongeaient les sachets dans l’eau chaude puis les essoraient avant de frotter leurs visages.
On utilisait une brosse à dents fusayôji en bois de saule, de cèdre ou de bambou sur laquelle on mettait du sel ou une poudre abrasive rouge mêlée à des parfums.
Source : catalogue de l’exposition Secrets de beauté, Maquillage et coiffures de l’époque Edo dans les estampes japonaises à la Maison de la culture du Japon à Paris
Voici un aperçu de quelques accessoires qui ont été présentés du 19 mai au 10 juillet 2021 lors de l’exposition Secrets de beauté, Maquillage et coiffures de l’époque Edo dans les estampes japonaises à la Maison de la culture du Japon à Paris
Michiyo Watanabe du POLA Research Institute of Beauty & Culture nous éclaire sur les rituels du maquillage des Japonaises de l’époque Edo. Fard blanc, rouge à lèvres, dents noircies ou encore sourcils rasés signifient souvent bien plus qu’une simple mise en valeur esthétique de ses atours. Elle nous explique en quoi le maquillage était souvent le reflet d’une position sociale ou d’un statut marital.
KIMONO I COIFFURES & ORNEMENTS
°°°
La coiffure a évolué parallèlement au vêtement et sa diversification a entraîné l’essor des ornements de cheveux, les seuls bijoux qui décoraient et mettaient en valeur la chevelure de jais des élégantes : peignes kushi, piques kôgai, épingles kanzashi. En outre, elle variait selon l’âge et le statut social des femmes, sans oublier les femmes artistes geisha, les femmes galantes asobi-bito et les courtisanes yûjo.
Pendant la période Heian (794-1185), la chevelure était une obsession même dans les conversations des dames. Les aristocrates laissaient pendre leurs cheveux lisses, brillants, séparés en deux par une raie, immensément longs, sauf les mèches latérales coupées à une longueur de 30 cm, coiffure dénommée taregami.
koi no mikuni no
asaborake
shiruki wa kami ka
baika no abura ?
du printemps et de l’amour
pour moi l’aurore…
Preuve n’en est-ce dans mes cheveux
le baume aux fleurs de prunier ?
Dans son Journal, Murasaki Shikibu, lorsqu’elle aborde les cérémonies du Jour de l’An (1008), fait le portrait de onze dames éminentes de la Cour (la taille, le maintien du corps, le kimono et ses couleurs, la forme du visage et le maquillage, les cheveux et ses ornements, l’esprit….).
Les cheveux de cette beauté avait donc 10 cm de plus que sa taille ! Mais la longueur la plus impressionnante (1,80 m) relatée par Murasaki dans Le Dit du Genji I Genji Monogatari est celle de la Princesse Ochiba. A l’époque, un homme pouvait tomber amoureux d’une femme grâce à sa chevelure rien qu’en l’apercevant de dos, aussi parce que les femmes dissimulaient leurs visages derrière les manches de kimono, les éventails, les paravents, les rideaux…
midare no shirazu
uhi fuseba
maza kakiyarishi
hito zo koishiki
indifférente au désordre
de mes noirs cheveux
celui qui les démêlait
Ah combien je l’ai aimé
Yosano Akiko
Lors des cérémonies, les femmes attachaient leurs cheveux avec des rubans.
Murasaki ni Comme violacée,
ogusa ga ue e
kage ochimu
no no harukaze nii
kami kezuru asa
sur les petites herbes
tombe mon ombre ;
au vent de printemps des champs,
matin lissant mes cheveux…
Yosano Akiko
Si une femme décidait de se couper les cheveux avant une reconversion religieuse rakushoku pour se retirer du monde, les assistants pleuraient durant la cérémonie car ils savaient que les cheveux ne regagneraient jamais leur longueur.
Et teint
De noir mon vêtement
Mais ce qui demeure inchangé
C’est mon cœur.
Femmes galantes, femmes artistes dans le Japon ancien XIe-XIIIe siècle
par Jacqueline Pigeot
Les cheveux d’une femme de basse condition. il est bon qu’ils soient gracieusement coupés court. extrait Notes de Chevet Makura no soshi, Sei Shônagon
A l’époque Azuchi–Momoyama (1573-1603), la Cour imposait aux femmes le port de chignons à la mode chinoise des Tang, à savoir double ou simple sur le haut de la tête. Les chignons des jeunes femmes étaient plus complexes que ceux des femmes mariées, tout comme les manches des kimono et le nœud de l’obi (plus de détails dans mon article Kinomo I Éternelle fascination)
C’est durant Edo (1603-1868) que la coiffure japonaise Nihon-gami est née ainsi que ses techniques. Elle comprenait quatre parties dont la forme a évolué en fonction des modes :
Le style caractéristique du coiffage des tempes on le retrouve dans l’immortelle estampe intitulée Trois beautés de notre temps Kansei san bijin de Kitagawa Utamaro.
*cordons, cordelettes de papier motoyui, ou de fils de chanvre asaito ou fils tressé de kumihimo
Dès la période Jomon (vers 8000 av J-C – vers 300 av J-C) apparaissent les épingles à cheveux en os et les peignes étroits avec des dents longues tate-kushi en os, corne ou bambou durci à la laque, certains ornés d’animaux fantastiques chargés de pouvoirs magiques.
Le tate-kushi qui à la base maintenait la coiffure, s’est vu modifier la longueur et ses dents plus courtes pour remplir le rôle de peigne yoko-gushi (le peigne à double endenture tôgushi, peigne à queue kesuji-tate, peigne à dents larges tokigishi..)
A l’époque Heian (794-1185), les cheveux dénoués ont annihilé la fonction ornementale des épingles et des peignes.
tare ni kataramu
chi no yuragi
haru no omoi no
sakari no inochi
dont ruissellent sous le peigne
les longs cheveux noirs…
Tant de beauté il y a
dans le printemps de l’orgueil !
Yosano Akiko
Les accessoires kushi peigne, kôgai pique, kanzashi épingle, kamikazari ornement… sont constitués de divers matériaux (écaille de tortue, bois, bambou, nacre, ivoire, agate, verre, or, argent, corne de sabot de cheval ou de bœuf, os de cou de grue pour les extravagants) et utilisent plusieurs techniques (la peinture laquée d’or ou d’argent maki-e, l’incrustation de nacre ou de verre, de cristal, de corail).
Les motifs décoratifs raffinés du peigne nous font pénétrer dans un monde miniature, celui de la flore, de la faune, de la littérature,…Plusieurs artistes ont représenté des ornements de manière magistrale dans leurs œuvres : Kiyomitsu, Harunobu, Masanobu, Utamaro, Tokyni, Kunisada, Kuniyoshi…Sous l’influence de l’occident, dès l’ère Showa (1926-1989) le port du kimono disparaît de la vie quotidienne et par conséquent la coiffure japonaise et ses ornements aussi. Seules les geisha, les jeunes filles pour le Nouvel An et les mariées utilisent encore ces sublimes bijoux.
bin no hitisuji
kireshi ne wo
ogoto to kikishi
haru no yo no yume
un de mes cheveux rompit.
Ce son me parut
être celui d’un koto ;
rêve de nuit de printemps
Yosano Akiko
xwaga kuro-kami ya
kawaruran
kagami no kage ni
fureru shira-yuki
pareils mes cheveux auraient-ils
changé de couleur ?
Voici qu’au reflet du miroir
est tombée la neige blanche
Ki no Tsurayuki _ Anthologie Kokin Shü
Livre 10 poème 460
COIFFURES DES GEISHA
Les geisha ainsi que les femmes galantes yûjo et les danseuses de kabuki nouent depuis toujours leurs cheveux.
Pour dormir sans écraser sa coiffure, l’élégante devait dormir sur un oreiller haut de bois rembourré parfois de paille, dénommé takamakura. Un supplice !
SECRETS DE BEAUTE DURANT EDO