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Auteur/autrice : AMCAdmin20

06/2023

IRIS, LE RADIEUX

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Je vous invite Ă  (re)dĂ©couvrir l’Article 8/2021 concernant la place de l’Iris dans la culture japonaise.

© Hokusai Katsushika, Iris et sauterelle, Série dite des « Grandes Fleurs »


On prĂȘte aux fleurs « non seulement une beautĂ© personnelle, mais des qualitĂ©s, des mouvements d’humeur, un caractĂšre complet, une Ăąme, minuscule reflet de la grande Ăąme de la nature. [
] Le Livre des Fleurs  de Georges Ohsawa


 

5/2023

JARDINS POLYCHROMES

°°°

Au milieu de mai, grĂące aux rayons de soleil et aux torrents de pluie, la nature resplendit, parĂ©e de verts et bigarrĂ©e de couleurs. Aux teintes variĂ©es de roses, des fleurs de pruniers, de pĂȘchers et de cerisiers, succĂšdent les arbustes fleuris et multicolores  : les azalĂ©es, les pivoines, les glycines puis, dĂ©but juin, les hortensias.

Il existe au Japon toute une gamme de jardins : beaucoup sont centrĂ©s sur un Ă©tang constellĂ© d’Ăźlots ; certains d’entre eux reproduisent sur terre le paradis bouddhique ; d’autres cĂ©lĂšbrent le mariage heureux de la pierre et de l’eau, l’union Ă©lĂ©mentaire du statique et du dynamique. Il y a aussi des espaces dĂ©pourvus d’eau et, parfois, de vĂ©gĂ©taux. Il y a encore des jardinets secrets menant au pavillon oĂč a lieu la cĂ©rĂ©monie du thĂ©, et de grands parcs conçus pour la promenade et ouverts sur l’horizon. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’amĂ©nagement et Ă©volution historique. In: ExtrĂȘme-Orient, ExtrĂȘme- Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisĂ©s. Chine, Japon, CorĂ©e, Vietnam. pp. 73-92. 

Je vous emmĂšne au Japon pour admirer l’harmonie des couleurs et l’Ă©lĂ©gance des formes des massifs de fleurs de quelques jardins d’exception !

LES COULEURS ET LEURS SYMBOLIQUES

Au dĂ©but, au milieu et Ă  la fin de la saison, si nous ouvrons nos capteurs sensoriels, nous prenons conscience des micro-changements qui se relaient dans la nature pour annoncer l’avĂšnement de la nouvelle saison. Les Japonais parlent d’ailleurs de soixante-douze saisons. Sensibles aux changements de saison, ils ont toujours manifestĂ© un intĂ©rĂȘt profond, voire une obsession, pour le fait d’apprendre le secret de la nature en observant minutieusement ses « Ă©tats » rĂ©vĂ©lateurs, dont les couleurs. extrait Sumiko OĂ©-Gottini Sensation Soustraction MNAAG

Dans sa Chronique colorée Iro-ké publiée par le magazine Tempura Numéro 2,  Sumiko Oé-Gottini nous fait savoir que :

En japonais, le mot couleur (« iro ») a une origine bien particuliĂšre. L’idĂ©ogramme chinois est fait de deux signes : un humain qui en chevauche un autre pour n’en faire qu’un. Oui, « faire l’amour », telle serait la provenance du mot « couleur » au Japon.

Au mois de mai et début juin, le rouge et le violet prédominent. Mais, quelle est leur symbolique ?

  • Rouge

La premiĂšre laque arrivĂ©e au Japon Ă  l’Ă©poque JĂŽmon (13000-400 av J.C.) Ă©tait rouge, considĂ©rĂ©e sacrĂ©e puisqu’elle est la couleur du soleil reprĂ©sentĂ©e par la dĂ©esse Amaterasu, la plus importante divinitĂ© shintoĂŻste. Mais encore :

Le rouge, couleur du sang et du feu, exprime Ă  la fois la pudeur, la vulgaritĂ©, l’amour, la cruautĂ©, l’espoir, la dĂ©sespĂ©rance, la noble rĂ©sistance jusqu’Ă  la mort… » Sumiko OĂ©-Gottini, Chronique colorĂ©e Iro-kĂ©, magazine Tempura NumĂ©ro 2.

  • Violet

A l’Ă©poque de Nara, durant le rĂšgne de l’ImpĂ©ratrice Suiko (592-628), le violet Ă©tait la couleur la plus noble. Il Ă©tait impossible de la porter Ă  la Cour sans recevoir son autorisation ! Cette couleur, murasaki en japonais, nous ramĂšne Ă  l’Ă©crivaine Murasaki Shikibu auteure du chef-d’Ɠuvre Le Dit de Genji I Genji monogatari de l’Ăšre Heian (794-1185).

LES MASSIFS DE FLEURS

  • AZALEE  I  TSUTSUJI

Il existe d’innombrable variĂ©tĂ©s d’azalĂ©es aux teintes vives ou pales. Elles apportent de la couleur Ă  l’architecture traditionnelles en bois.

Sanctuaire shinto Nezu-jinja, au nord de Tokyo, est célÚbre pour sa colline aux azalées.

 

Sur les rochers,
des fleurs d’azalĂ©es rouges
teintes par les larmes du coucou
BashĂŽ

Temple Shoden-ji, Ă  Kyoto, crĂ©Ă© par le jardiniste adepte du sen Kobori EnshĂ» (1579-1647). David Bowie, aurait pleurĂ© d’Ă©motion.

L’originalitĂ© de ce jardin rĂ©side dans le fait que l’on a substituĂ© aux pierres des buissons taillĂ©s : sur une couche de sable, des massifs d’azalĂ©es arrondis sont disposĂ©s par groupes de trois, cinq ou sept, selon un rythme aimĂ© des Japonais qui dĂ©couvrirent la musicalitĂ© de l’impair bien avant que Verlaine ne la chante 10. Le ShĂŽdenji est en quelque sorte une version vĂ©gĂ©tale du RyĂŽanji. Une autre particularitĂ© de ce jardin est qu’il inclut dans son champ le Mont HieĂŻ, le plus haut des sommets qui dominent Kyoto. Le procĂ©dĂ© consistant Ă  intĂ©grer le paysage extĂ©rieur Ă  l’espace d’un jardin est appelĂ© shakkeĂŻ(« emprunt du paysage ») et connut son apogĂ©e au XVIIe siĂšcle. Plus tardif que le RyĂŽanji et le DaĂŻsen.in, le ShĂŽdenji montre comment Ă©voluĂšrent les jardins Zen aprĂšs l’Ăąge d’or de l’Ă©poque Muromachi. extrait Berthier François. Les jardins japonais : principes d’amĂ©nagement et Ă©volution historique. In: ExtrĂȘme-Orient, ExtrĂȘme-Occident, 2000, n°22. L’art des jardins dans les pays sinisĂ©s. Chine, Japon, CorĂ©e, Vietnam. pp. 73-92.

Dans une chaumiĂšre,
une bonzesse seule et insensible –
Azalées blanches
BashĂŽ

  • PIVOINE   I  BOTAN

Arrivée de Chine à la période Heian (794-1185) en tant que plante médicinale, la pivoine devient une fleur ornementale. Transformée, la pivoine japonaise est pleine de grùce.

Jardin Yûshien, sur Daikonshima, une petite ßle au milieu de la lagune Nakaumi

L’Ăźle de Daikonshima est nĂ©e de l’Ă©ruption ­d’un volcan, la terre est noire, et c’est dans ces cendres que le ginseng et la ­pivoine ­arbustive trouvent leur bonheur. Hidehisa Inutani, directeur du jardin de Yuushien.

© source photo

Sur cent lieu Ă  la ronde
les pivoines
repoussent les nuages de pluie
Busson

  • GLYCINE  I  FUJI

Les glycines sont mises en scĂšnes de maniĂšre spectaculaires au Japon ! Les rameaux de 20 ou 30 mĂštres portent d’énormes grappes blanches violacĂ©es, une cascade de fleurs.

Voici la plus vieille glycine géante, ùgée de +140 ans, transplantée pour lui permettre de continuer sa croissance dans le parc florale de la ville Ashikaga située au Nord de Tokyo.

En voyage au pays de Yamato
Cherchant une auberge
fatiguĂ© –
Ah ces fleurs de glycine
BashĂŽ

  • HORTENSIA  I  AJISAI

A Kamakura (ancienne capitale 1185-1333), le temple Meigetsu-in de l’Ă©cole bouddhiste Rinzai Ă©merge d’un ocĂ©an bleu d’hortensias.

Hortensias –
Ce buisson est le petit jardin
d’un salon privĂ©
BashĂŽ

Pour en savoir plus sur les saisons et les couleurs, je vous invite à (re)découvrir mes articles :

7/2021 LE CULTE DES SAISONS

5/2022 KIMONO  I  HEIAN L’AGE D’OR

 

4/2023

LE PAPILLON  I  CHÔ 蝶

°°°

Passant l’automne
un papillon lĂšche
la rosée des chrysanthÚmes
BashĂŽ (1644-1694)

Les insectes, tout autant que les arbres, les fleurs, les oiseaux,
, apportent de la magie à nos vies scandées par les rythmes de saisons. Contrairement aux Occidentaux, les Japonais et les Grecs anciens ont toujours été sensibles aux insectes et à leurs chants.

Ce n’est pas seulement lorsqu’il est question d’insectes que les poĂštes grecs se rapprochent des Japonais : ils s’y apparentent par des milliers d’émotions infimes, concernant les dieux, le destin de l’homme, le plaisir que donnent les fĂȘtes sacrĂ©es mais aussi ces chagrins inhĂ©rents Ă  la vie que l’humanitĂ© partage depuis sa naissance. extrait Insectes Lafcadio Hearn, Ă©dition du Sonneur

En avril, émergent les premiers papillons. Gracieux, ils puisent leur énergie du soleil, sous la protection de la déesse Amaterasu, et se nourrissent du pollen des fleurs. Bien que leur vie soit éphémÚre, ils occupent une place significative dans la culture japonaise.

Parmi les fleurs Ă©closes
sur la haie
un papillon volige
ah ! l’envie d’ĂȘtre avec lui
si éphémÚre
SaigyĂŽ (1118-1190)

CROYANCES POPULAIRES

Dans la GrĂšce antique, chez les AmĂ©rindiens ou en Chine, le papillon est un symbole de l’ñme et de l’immortalitĂ©. De mĂȘme, au Japon, il reprĂ©sente « l’ñme des vivants et des morts » [
]extrait Bestiaire japonais Nelly Delay & Dominique Ruspoli, Editeur A propos

En solitaire, le papillon symbolise la longĂ©vitĂ© lorsqu’il vole au dessus d’un prunier, la joie ou un pressage heureux lorsqu’il entre par hasard dans une maison, mais aussi l’éclosion de la fĂ©minitĂ©. Pour cette raison, le papillon dĂ©core le kimono des jeunes filles le furisode « manche flottante », en tant que mĂ©taphore de la jeune fille qui dĂ©ploie ses ailes pour devenir femme tandis que les manches longues jusqu’aux chevilles sont synonymes de puretĂ© et d’innocence. De plus, pour maintenait le furisode, la ceinture obi Ă  pans longs, peinte ou brodĂ©e, est largement nouĂ©e dans le dos en forme de papillon cho musubi. Leurs coiffures aussi portent le nom de papillon chocho mage : les cheveux sont partagĂ©s en quatre coques symĂ©triques.

@ Suzuki Harunobu, Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple Kiyomizu, 1765

Suivant les Ăąges, l’inspiration du costume traditionnel fĂ©minin japonais changeait, mais elle trouvait toujours sa source dans la nature. De la petite fille, on faisait un papillon ou un oiseau tropical, aux couleurs vives, presque criardes, et comme rehaussĂ©es par le son des grelots cachĂ©s dans les semelles des socques (les pokkuri). […] De dĂ©cennie en dĂ©cennie, le charmant papillon des Ăźles finissait par se muer en un moineau brun (parfois dĂšs trente-cinq ans), puis en une mite grise – c’Ă©tait le nom du style convenant Ă  une vieille dame. extrait Les dames du Soleil Levant de Danielle Elisseeff

D’autre part, les papillons qui voltigent en couple, reprĂ©sentent le bonheur conjugal sur les kimonos lors d’un mariage. Et les dĂ©corations en papier en forme de papillon origami pour la cĂ©rĂ©monie dĂ©nommĂ©es o-chĂŽ et mechĂŽ symbolisent l’union heureuse et Ă©ternelle.

La phalĂšne est le symbole du rĂȘve et de la vie insouciante. Certains jours de fĂȘte, la « danse du papillon » a une importante signification. Deux papillons sont les tĂ©moins symboliques des noces au Japon : accompagnateurs dansants sur le chemin de la vie, ils mĂšnent le couple vers l’avenir Ă  travers un merveilleux jardin fleuri. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, EditĂ© par ChĂȘne/Hachette

En grand nombre, les papillons inspirent l’effroi, comme l’indique l’histoire du clan Taira (l’un des quatre clans qui dominĂšrent durant l’Ăšre Heian, avec les Fujiwara, les Minamoto et les Tachibana, dont le blason mon Ă©tait un papillon machaon de couleur jaune, noir et bleu appelĂ© ageha-chƍ.

Papillon qui bat des ailes
je suis comme toi –
poussiĂšre d’ĂȘtre
Issa (1763-1828)

Lorsque Taira-no-Masakado prĂ©parait en secret sa grande rĂ©bellion, une telle nouĂ©e s’abattait soudain sur KyĂŽto que les gens prirent peur, croyant qu’ils annonçaient une catastrophe
 Ces insectes Ă©taient-ils les Ăąmes des milliers d’hommes destinĂ©s Ă  mourir sur le champ de bataille, agitĂ©es Ă  la veille de la guerre par quelque mystĂ©rieux pressentiments ? extrait Insectes Lafcadio Hearn, Ă©dition du Sonneur

Valsent les papillons –
je parle
avec les morts
Yokohama HahkkĂŽ

<

ChĂŽ le papillon incarne Ă  la perfection la capacitĂ© de se transformer et Ă  renaĂźtre. De quoi sĂ©duire, dans le Japon mĂ©diĂ©val, les samouraĂŻ qui voient dans cette figure virevoltante et fragile une invitation au combat et Ă  la victoire, fut-ce au pĂ©ril de leur vie et un moyen d’atteindre Ă  l’immortalitĂ©. extrait Bestiaire japonais Nelly Delay & Dominique Ruspoli, Editeur A propos

RELIGION BOUDDHISTE

A ce titre, le bouddhisme considĂšre que les phĂ©nomĂšnes qui composent la personnalitĂ© d’une personne dĂ©cĂ©dĂ©e pourront se rĂ©incarner sous des formes animales, vĂ©gĂ©tales et minĂ©rales.

Couvert de papillons
l’arbre mort
est en fleurs
Issa (1763-1828)

Le papillon est l’incarnation d’une Ăąme dĂ©funte bienfaisante et protectrice ou l’ñme d’une personne qui s’envole vers l’autre monde.

Sur l’Ɠillet
Un papillon blanc –
ou une ùme égarée
Masaoka Shiki (1867-1902)

La plupart des lĂ©gendes sont d’influence chinoise Ă  part ce conte populaire : un homme inconsolable, dĂ©nommĂ© Takahama, a veillĂ© toute sa vie la tombe de sa bien-aimĂ©e Akiko jusqu’au jour oĂč son Ăąme l’a rejoint dans le royaume des morts sous forme la forme du papillon blanc.

Le Papillon bat des ailes
comme s’il dĂ©sespĂ©rait
de ce monde
BashĂŽ (1644-1694)

Dans le bĂątiment principale Daibutsu-den du  temple TĂŽdai-ji Ă  Nara, au pied du grand Bouddha en bronze de 14,98 m de hauteur, on remarque des fleurs de lotus et deux papillons…

Todaiji de Nara et son Daibutsu - Chroma France

LITTÉRATURE

Les poĂštes, les artistes et les danseuses ont souvent choisi un nom d’artiste geimyĂŽ de papillon : ChĂŽmu rĂȘve de papillon, IchĂŽ papillon solitaire. Il existe aussi des noms propres pour les filles KochĂŽ ou ChĂŽ papillon… On sait aussi que le marchand d’armes britannique Glover Ă©pousa la fille d’un samouraĂŻ qui inspira le livret d’opĂ©ra de Puccini, Madame Butterfly ChĂŽchĂŽ san.

De passage dans un pavillon de thĂ©, une femme appelĂ©e « Papillon » m’a demandĂ©e, en me donnant une piĂšce de soie blanche, de composer un hokku sur son nom. J’ai donc Ă©crit :

Parfum d’orchidĂ©e –
en sont imprégnées
les ailes du papillon !
BashĂŽ (1644-1694)

© Kubo Shunman, GunchÎ Gafu (1757-1820)

Mais, retournons dans les Ă©poques anciennes :

  • PĂ©riode Heian (794-1185)

Faire des insectes des sujets poĂ©tiques est une tradition qui remonte Ă  l’époque Heian, pĂ©riode oĂč la gente bien nĂ©e et cultivĂ©e dresse dĂ©jĂ  des parallĂšles entre l’aspect ou le chant des insectes et les sentiments humains. extrait Un bestiaire japonais / Vivre avec les animaux Ă  Edo-Tokyo (XVIIIe et XIXe siĂšcles),Collectif – Catalogue exposition MCJParis

Dame Murasaki Shikibu intitula le chapitre 24 de son Dit du Genji  Genji Monogatari « Les Papillons », Kochƍ. Elle nous apprend l’existence de la danse des papillons KochĂŽ mai exĂ©cutĂ©e lors des festivitĂ©s de printemps au palais de l’ImpĂ©ratrice par des filles dĂ©guisĂ©es en papillon et oiseaux.

Pour les intentions de la dame au printemps, il fut prĂ©cĂ©dĂ© Ă  une offrande de fleurs aux bouddhas. Huit fillettes, costumĂ©es pour moitiĂ© en oiseaux et pour moitiĂ© en papillons, toutes pareillement gracieuses, portaient les oiseaux, des fleurs de cerisier dans des vases d’argent, les papillons, des corĂštes dans des vases d’or. Et ces bouquets de fleurs banales prenaient lĂ  une splendeur et un Ă©clat incomparables. extrait Dit du Genji chapitre 24 « Les Papillons », Kochƍ

Image Dames de la Cour impériale exécutant la « danse du papillon ».

Oiseaux et papillons
s’agitent avant l’envol –
Nuages de fleurs
BashĂŽ (1644-1694)

La phalĂšne est trĂšs jolie et charmante. Lorsqu’on approche la lampe tout prĂšs, pour lire quelques roman, qu’elle est gracieuse quand elle passe, en volant, devant le livre ! extrait Notes d’oreilles, Sei Shonagon Makura no sĂŽshi[/su_quote]

  • PĂ©riode Edo (1603-1868)

A l’époque Edo, nĂ©e la poĂ©sie humoristique kyĂŽka.

© Kitagawa Utamaro (1753-1806) Album des insectes choisis, Yadoyano Meshimori (texte) 1787 Tenmei 7

Je me rĂȘve papillon et j’embrasse
tes lÚvres pour goûter un nectar de ta fleur
comme on piÚge la libellule sur une tige engluée
je te tiendrai si tu cherches Ă  m’échapper

ARTS DÉCORATIFS ET JAPONISME

[...] fleurs et bĂȘtes se trouvent associĂ©es dans l'art comme dans la vie. La pivoine et le papillon, le rossignol et le prunier en fleurs, l'Ă©rable et le daim, le renard et les roseaux au pĂąle claire de lune d'automne, ces thĂšmes, et bien d'autres encore, sont peints et chantĂ©s indĂ©finiment, et les Japonais ne se lassent pas de se rĂ©jouir en leur compagnie adorable. extrait L'art, la vie et la nature au Japon de Masaharu Anesaki.

Les premiers dessins d'insectes (libellules, araignées, papillons...) semblent avoir été faits par les Japonais, un siÚcle avant J .C., pour orner les poteries et les cloches des temples, technique en relief dénommée dÎtakus.

Encore aujourd'hui, le papillon est prĂ©sent dans les arts dĂ©coratifs (vases de porcelaine, l’art de la table
) et souvent en compagnie d’une pivoine « la rose du Japon ».

© Utagawa Hiroshige, Papillon et pivoines, estampe nishiki-e, encre sur papier, format chûban vertical, époque Edo, MFA Boston

Les artisans d’art europĂ©en ont vu leur crĂ©ations influencĂ©e par l’artisanat japonais vers 1875. A la diffĂ©rence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siĂšcle pour la Chine, le japonisme s’est rĂ©pandu grĂące Ă  l’Exposition universelle de Paris de 1867 (article Ă  (re)dĂ©couvrir Kimono I Symbole du japonisme)

ThĂ©odore Deck* rĂ©alisa de grandes assiettes murales en grĂšs, oĂč des pivoines d’une beautĂ© remarquable sont associĂ©es Ă  des magnifiques papillons. Dans sa composition, Deck suit les exemples japonais, en Ă©tablissant une construction asymĂ©triques des feuillages et des fleurs, et en disposant les papillons dans les espaces vides. extrait Japonisme, WICHMANN Siegfried, EditĂ© par ChĂȘne/Hachette

© Théodore Deck, Grand plat (vers 1875), Baltimore, Walters Art Museum

* CĂ©ramiste français : L’Ɠuvre de ThĂ©odore Deck (1823 -1891) est caractĂ©ristique d’un grand Ă©clectisme. En effet, l’artiste fait cohabiter dans sa production plusieurs influences qui touchent les arts au XIXe siĂšcle, en passant par l’historicisme que l’on retrouve dans les portraits de personnages historiques ou cĂ©lĂšbres de ses plats, l’orientalisme, le japonise ou l’art chinois. source

3/2023

LA FLEUR DE CERISIER, SYMBOLE DU JAPON   I   SAKURA  æĄœ

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Les mois de mars et avril cĂ©lĂšbrent les fleurs de poirier rika, de pĂȘcher momo et de cerisier sakura.

Je vous invite Ă  (re)dĂ©couvrir l’article 5/2021 publiĂ© le 1er avril 2021

 

2/2023

LE BRAVE PRUNIER  I  UME æą…

°°°

© Ogata KÎrin Prunier blanc et prunier rouge (paire de paravents, à deux panneaux) couleur et or sur papier XVIIIe Musée MOA ATAMI Japon

Le mois de février célÚbre son arbre, le prunier ume. Ses fleurs gracieuses au parfum suave annoncent le printemps pendant que celles de cerisier sommeillent encore.

Les fleurs de prunier sont Ă  l’origine de la tradition o-hanami qui appelle Ă  leur contemplation et les premiĂšres Ă  avoir Ă©tĂ© louĂ©es dans les poĂšmes, les rĂ©cits et les missives amoureuses. Puis, rĂ©vĂ©rĂ©es par les plus grands artistes, elles ont illuminĂ© les arts de leur Ă©clat.

Que n’ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum !
Satomura JĂŽha (1525-1602)

AprĂšs vous avoir exposĂ© l’origine de o-hanami et la symbolique du prunier, je vous propose un voyage dans le temps : un aller-retour entre l’Ăšre Heian et aujourd’hui.

DIVERSITES

La fleur de prunier, qu’elle soit blanche ou rouge, vit deux fois plus longtemps que celle de cerisier. Dans Notes de chevet Makura no sîshi (chapitre 21. Fleurs des arbres),  Sei Shonagon nous ouvre son cƓur :

J’aime la fleur du prunier, qu’elle soit foncĂ©e ou claire ; mais la plus jolie, c’est celle du prunier rouge. J’aime aussi un fin rameau fleuri de cerisier, avec ses corolles aux larges pĂ©tales, et ses feuilles rouge foncĂ©.

© Sakai Hoitsu (1761-1828) détail paravent « Fleurs et arbre en fleurs« 
ORIGINE ET symbolique

L’observation des fleurs o-hanami a commencĂ© avec le prunier umemi, coutume empruntĂ©e Ă  la Chine des Tang Ă  l’ùre Nara (710-794). La cĂ©lĂ©bration des fleurs de cerisier, devenues tardivement symboles emblĂ©matiques du Japon, s’est rĂ©pandue Ă  partir de l’époque Edo.

La beautĂ© Ă©phĂ©mĂšre des fleurs suggĂšre l’impermanence de l’existence, de la jeunesse qui se fane. Une douce mĂ©lancolie ressort de ce poĂšme anonyme :

Les fleurs, elles s’épanouissent : – alors
On les regarde : – alors
Elles se fleurissent : – alors


© Suzuki Haorunobi Jeune fille admirant un prunier en fleur le soir 1766

Les qualitĂ©s et la symbolique que l’on confĂšre Ă  la fleur de prunier sont multiples :  patience, optimisme, espoir, force, vitalitĂ©, bravoure, loyautĂ©, Ă©lĂ©gance, noblesse, beautĂ©, qualitĂ©s morales, discrĂštes et dĂ©licates de la femme, de la mĂšre qui enfante et Ă©lĂšve son enfant.

LE PRUNIER A LA COUR DE HEIAN
  • Concours de poĂ©sie

La fleur de prunier est un thĂšme rĂ©current dans le Man’yƍshĆ«, le plus ancien recueil de poĂšmes waka compilĂ© au VIIIe, mais elle est dĂ©trĂŽnĂ©e par celle de cerisier Ă  partir du Xe siĂšcle.

La Cour, lieu d’épanouissement culturel, mĂšne une vie oisive et futile, consacrĂ©e aux divertissements : concours de poĂ©sie, contemplation des fleurs o-hanami, calligraphie, amours courtois et libres, etc


Ces aristocrates composent et s’affrontent dans d’exquis et courts poĂšmes. Le temps s’écoule, immobile, derriĂšre les coursives, les vĂ©randas et les pavillons. La nature est un jardin et ce jardin un paysage. On chante, en style prĂ©cieux, l’amour, son goĂ»t de la lune et des fleurs. Les fleurs sont un spectacle. On va en cortĂšge respirer la frĂȘle exhalaison des pruniers, mais l’or et la soie des manteaux sont saturĂ©s des parfums de l’encens. La voie de l’encens Boudonnat Louise et Kushizaki Harumi, Esteban Paris Editions Picquier

© Le dit du Genji – BnF – dĂ©partement des Manuscrits
Le prunier en fleur
attend son maĂźtre
dans le jardin
Kikaku (1661-1707)
Les fleurs du prunier parfumées
qui tombent
glissent sur la branche
mais transmettent Ă  la manche
leur fragrance.
Extrait Le Dit de Genji de Murasaki Shikibu
  • Art de la sĂ©duction

Les missives amoureuses Ă©taient nouĂ©es de maniĂšre particuliĂšre en fonction du sexe de la personne qui l’envoyait. Le parfum et la couleur du papier n’étaient pas choisis au hasard. Un code Ă©tait Ă  respecter : papier rose perle Ă  la floraison des cerisiers, papier parme durant la floraison des glycines
 et Ă  chaque missive on nouait une branche ou une fleur de saison. L’étiquette amoureuse voulait que l’amant, peu aprĂšs son dĂ©part matinal avant l’aurore, envoie Ă  la dame de ses pensĂ©es une lettre et un poĂšme pour confirmer ses sentiments et… sa culture littĂ©raire. La rĂšgle exigeait que la dame fasse Ă©cho avec un poĂšme waka. Un savoir-faire et savoir-vivre d’un raffinement extrĂȘme !

Le message, sous forme de poĂšme, s’accompagnaient d’un vĂ©gĂ©tal pour illustrer la nature et le changement de saison. Les rĂšgles d’usage comme pour les costumes et accessoires, Ă©taient d’accorder le texture et la couleur du papier Ă  la saison ou au sentiment exprimĂ© avec la plus grande originalitĂ©. Les lettres Ă©taient accrochĂ©es ou nouĂ©es Ă  une fleur ou Ă  un rameau fleuri. La configuration esthĂ©tique du message Ă©tait aussi importante que celui-ci. Papiers japonais Françoise Paireau

© Murasaki Shikibu, Tosa Mitsuoki (1617-1691)

Les beaux garçons
dessaleurs de prunier et les saules pleureurs
de belles femmes
BashĂŽ (1644-1694)

  • Art de l’encens

Les nobles dĂ©pensaient sans compter pour des bois prĂ©cieux, ingrĂ©dients des pastilles d’encens neriko, qu’ils composaient en fonction de leur goĂ»t, leur imagination et sur base des recettes traditionnelles. Ils s’en servaient Ă  parfumer les vĂȘtements, les Ă©ventails et les lettres.

L’encens Baika a Ă©tĂ© inspirĂ© par le parfum doux et entĂȘtant de la fleur de prunier.

neriko : pastilles d’encens pĂ©tries, fabriquĂ©es Ă  partir de poudre d’encens, de miel et de prune, laissĂ©es « mĂ»rir » pendant 3 Ă  5 ans dans un pot.

Dans le Dit de Genji Genji Monogatari de Murasaki Shikibu, on apprend que le prince Kaoru portait un parfum sans pareil :

Un parfum se dĂ©gageait de lui dont la suavitĂ© n’Ă©tait pas de ce monde, qu’il rĂ©pandait Ă©trangement autour de lui Ă  chacun de ses mouvements, et il semblait que la brise qui le portait au loin, devait ĂȘtre perceptible bien au-delĂ  de cent pas. […] encore qu’il se gardĂąt d’en imprĂ©gner ses vĂȘtements, les odeurs les plus rares qu’ils conservaient dans leurs coffres de Chine, Ă©taient surpassĂ© par le parfum ineffable qui se dĂ©gageait de lui ; sous les arbres en fleurs de son jardin, bien des gens, mouillĂ©s par des gouttes de pluie printaniĂšre , s’Ă©taient retrouvĂ©s pĂ©nĂ©trĂ©s par le parfum d’un prunier que sa manche avait Ă  peine effleurĂ©e […].

Pour en savoir plus, (re)découvrez mon article 4/2021 Encens I Art olfactif

Nerikosource
Les couleurs des fleurs
Sont brouillées sous la neige,
Tellement qu’on ne peut les voir :
Mais leur parfum qu’on respire
RévÚle leurs présence.
PoĂšmes du recueil KokinshyĂ» du VIIIe
Par cette nuit de printemps,
Obscure et sans formes,
Des fleurs de prunier
La couleur est invisible ! Oui !
Mais leur parfum ! peut-il se dérober ?
PoĂšmes du recueil KokinshyĂ» du VIIIe
  • LĂ©gende du « prunier volant » Tobiume

Sugawara no Michizane (845-903) poĂšte et politicien de renom, victime d’un complot organisĂ© par les Fujiwara, il tomba en disgrĂące et fut contraint Ă  l’exil Ă  Kyushu. Il regretta tant de quitter son prunier favori qu’il lui composa un waka avant le dĂ©part :

Quand le vent d’Est souffle,
fleurissez, fleurissez, fleurs de prunier !
MĂȘme si votre maĂźtre n’est plus lĂ ,
n’oubliez pas le printemps !

La lĂ©gende dit que celui-ci s’envola de Kyoto pour le rejoindre Ă  Dazaifu, d’oĂč son nom Tobiume « prunier volant ».

AprĂšs son dĂ©cĂšs, les familles des rivaux vĂ©curent que des malheurs vus par l’Empereur comme une vengeance de l’esprit de Sugawara. Pour le consoler, il le consacra au rang de Dieu des Ă©tudes et des lettres Tenjin et Ă©rigea un sanctuaire shinto en sa mĂ©moire : Dazaifu Tenman-gĆ«, prĂ©fĂ©cture de Fukuoka.

© Sancturaire Dazaifu, « le prunier volant » Tobiume
FETES  I  MATSURI

L’Ăąme japonaise vĂ©nĂšre les fleurs et l’apparition de certaines d’entre elles est l’occasion de fĂȘtes populaires matsuri.

Lors des fĂȘtes du 1er jour de l’an, des vases de porcelaines et de bronze sont ornĂ©s de branches de pin matsu, de bambous take et de pruniers ume. Ces trois compagnons des grands froids ont inspirĂ© le motif de bonne augure des kimono dĂ©nommĂ© shƍchikubai, symbole du Nouvel An japonais.

L’An se lùve, obscur ;
La neige voile l’aurore.
Ciel rend nous l’azur,
Car le prunier vient d’éclore,
Et son doux parfum t’implore !
poĂšme extrait de Le Japon par Judith Gauthier

© MusĂ©e Guimet, Sur-kimono de femme (uchikake) PĂ©riode Edo DĂ©but XIXe siĂšcle Damas de soie teint par rĂ©serve, peint, brodĂ© de soie polychrome et filĂ© d’or MA 11707

Le pin, le bambou et le prunier (shƍchikubai) sont souvent utilisĂ©s ensemble dans l’art japonais : le pin, toujours vert, signifie la constance, le bambou, la flexibilitĂ© et la rĂ©sistance, tandis que la fleur de prunier, la premiĂšre Ă  s’épanouir en hiver, est un signe de fertilitĂ©. source MNAAG MusĂ©e Guimet

Umemi est une invitation Ă  contempler la floraison Ă©vanescente, sentir le parfum tenu des fleurs dans l’air doux et caressant et faire la fĂȘte sous les confettis de pĂ©tales emportĂ©es par la brise qui se dĂ©posent parterre formant un lit somptueux. Les festivals ont lieu entre mi-fĂ©vrier et mi-mars dans des parcs publics, des sanctuaires et des temples Ă  travers tout le pays.

Prunier en fleur
Le souffle discret du vent
pour ne pas les disperser
BashĂŽ (1644-1694)

© Kankomie, Inabe, environ 4 000 pruniers en fleurs, 100 variétés

Dans le parc, tout blanc,
De Tchiyoda, quelle chose,
Le premier de l’An,
Souris dĂšs l’aube morose ?

C’est la fleur du prunier rose.
poĂšme extrait de Le Japon par Judith Gauthier

Pendant umemi on cĂ©lĂšbre autant la fleur que le fruit de cet arbre sacrĂ©. Prumus mume produit l’ingrĂ©dient principal de divers dĂ©lices : umeboshi, prune salĂ©e et sĂ©chĂ©e utilisĂ©e pour les onigiri,  kobai petit gĂąteau Ă  base de pĂąte de haricots rouges azuki et de farine de blĂ© cuite Ă  la vapeur, umeshu alcool japonais Ă  base de prunes marinĂ©es dans la liqueur, etc.

 

1/2023

LE PIN ÉTERNEL  I  MATSU  束

°°°

Le pin vit mille ans,
Le petit liseron du matin une journée seulement,
Mais tous deux jouent leur rĂŽle.
PoĂšme zen anonyme

Les Japonais vivent avec la nature, charitable et impitoyable. Elle est la source Ă©ternelle de leurs aspirations et de leurs inspirations.

Chaque mois de l’annĂ©e possĂšde sa fleur ou son arbre favori. En janvier, on cĂ©lĂšbre le pin matsu qui  exprime sa beautĂ© Ă  travers ses dĂ©formations et ses courbes façonnĂ©es par la toute-puissante nature et parfois par l’homme.

Je vais vous rĂ©vĂ©ler dans cet article, sa place dans les croyances et dans quelques domaines de l’art car le sujet est vaste.

CROYANCES
  • ShintoĂŻsme

Quel pays de verdure et d’ombre, ce Japon, quel Éden inattendu !
 extrait Japon, Erwin Fieger, Edition L’iconothùque

L’archipel nippon est un pays de forĂȘts imprĂ©gnĂ©es de profonde spiritualitĂ© et de surnaturel. Dans la croyance shinto, les arbres sont habitĂ©s par les esprits de la nature dĂ©ifiĂ©s, dĂ©nommĂ©s kami. Bois, plantes, pierre
 tous ont une Ăąme. Dans cette estampe, Katsushika Hokusai (1760-1849) sĂ©pare par une barriĂšre de pin, le monde des humains de celui des dieux.

@ Hokusai Katsushika Le mont Fuji vu à travers les pins de Hodogaya sur la route du TÎkaidÎ (TÎkaidÎ Hodogaya). Les « Trente-six vues du mont Fuji » (Fugaku sanjû-rokkei), 36e vue

La brise fraĂźche
emplit le vide ciel
de la rumeur du pin
Onitsura

  • Bouddhisme zen

De son cĂŽtĂ©, le bouddhisme zen invite l’homme Ă  se connecter Ă  son monde intĂ©rieur.

En art, une grande importance est accordĂ©e Ă  l’espace vide, mĂ©taphore du silence nĂ©cessaire Ă  l’apparition de la vision intĂ©rieure. Car la nature du Bouddha ne peut se manifester, ni l’Ă©tat d’Ă©veil spirituel ĂȘtre atteint, si l’espace intĂ©rieur du sujet se trouve encombrĂ© et si son esprit fourmille de pensĂ©es. En peinture, le vide et la brume renvoient souvent Ă  cet Ă©tat d’ouverture, d’Ă©coute intĂ©rieure, manifestation de la nature de Bouddha, de l’Ă©veil. Des caractĂ©ristiques que l’on relĂšve dans certaines peintures, par exemple dans Bois de pins de Hasegawa TĂŽhaku (1539-1610). extrait Style Japon de Calza Gian Carl Ă©dition Phaidon

L’un de mes coup de foudre est ce chef-d’Ɠuvre de la peinture monochrome Ă  l’encre noire sur deux paravents byƍbu-e, qui reprĂ©sente un bois de pins dans le brouillard.

Ils Ă©voquent un Ă©tat atemporel dans un espace profond et dilatĂ© : c’est le vide du bouddhisme zen. extrait Le Japon Rossella Menegazzo Hazan Guide des arts

© Hasegawa Tohaku (1539-1610), partie droite du ShÎrin-zu (Bois de pins), encre sur papier, 16Úme, Musée National de Tokyo, Japon

Un pin ne me semble vĂ©ritablement pin qu’enveloppĂ© de brumes ou de nuages.[
] Le fond brumeux, traversĂ© par une pĂąle lumiĂšre hivernale, entraĂźne le spectateur dans les profondeurs de la forĂȘt, peut-ĂȘtre en direction du sommet enneigĂ© visible sur la droite, ou dans les mĂ©andres d’invisibles sentiers entre les arbres. extrait Petit Ă©loge des brumes de Corinne Atlan

    • Us et coutumes

Les branches et les aiguilles de pin symbolisent la joie, une longue vie ou l’éternitĂ©.

Vent dans les pins –
Des aiguilles de pin tombant sur l’eau
le son agréable
Matsuo BashĂŽ (1644-1694)

AssociĂ© au bambou take, symbole de puretĂ©, de noblesse, de force et de souplesse, le pin Ă©voque le Nouvel An. La coutume veut que l’on dĂ©pose de part et d’autre d’une porte d’entrĂ©e de mi-dĂ©cembre au mi-janvier un kadomatsu littĂ©ralement «pin du seuil » pour accueillir le dieu shinto du nouvel an, Toshi-gami, afin de protĂ©ger le foyer. Par contre, dans le quartier des geisha Ă  Kyoto,  dĂ©nommĂ© Gion, le kadomatsu se limite Ă  un pin avec ses racines et symbolise la croissance Ă©ternelle.

A la fin,  cette offrande est brĂ»lĂ©e avec les autres dĂ©corations du Nouvel An au temple shintĂŽ et la fumĂ©e qui s’en Ă©chappe permet au kami de l’an de repartir.

DOMAINES DE L’ART
  • Art du jardin

La maniĂšre dont une touffe d’aiguille de pin est fixĂ©e sur une branche, le rapport de cette branche aux proportions de l’arbre, la façon dont ses racines l’ancrent dans le sol, tout cela manifeste la simplicitĂ© et l’équilibre naturel du pin. extrait Ryokan. SĂ©jour dans le Japon traditionnel Gabriele Fahr-Becker Editions Könemann

Le pin est indissociable du jardin japonais qui est toujours ingĂ©nieusement composĂ©. Tailler et façonner le pin pour lui donner une forme prĂ©cise et gracieuse, cela exige un savoir-faire millĂ©naire. Un jeune surgeon peut ĂȘtre coupĂ© et ligotĂ© Ă  l’aide de fils de fer et de ficelle durant des annĂ©es jusqu’à ce qu’il atteint l’aspect dĂ©sirĂ© par le jardinier.

Le pin de Sumiyoshi et en arriùre-plan le pavillon Shƍkintei. Villa de Katsura, Kyƍto, XVIIe siùcle

Lors de mon 1er voyage en 2012, j’ai visitĂ© la sublime Villa impĂ©riale Katsura prĂšs de Kyoto. redĂ©couverte par l’architecte allemand Bruno Taut en 1933 qui disait : « A Katsura, les yeux pensent ! ».

Suite Ă  cela, cet ermitage princier a influencĂ© d’autres pionniers de l’architecture : Walter Gropius, Wies ven der Rohe, Le Corbusier, Franck Lloyd Whright.

Mon regard s’est portĂ© sur le pin solitaire de Sumiyoshi. Autrefois, Ă  sa gauche, il y avait le pin Takasago citĂ©s dans la prĂ©face de l’Anthologie de la poĂ©sie ancienne et moderne Kokin WakashĂ». (lire plus bas ThĂ©Ăątre NĂŽ)

Deux autres pins révérés par les artistes dans les estampes, sont la preuve vivante de cet art : Tsuki no Matsu et Yogo no Matsu.

L’actuel Parc d’Ueno se trouve sur une terre qui appartenait autrefois au Temple Kanei-ji, le temple familial des shoguns (chefs militaires du Japon jusqu’au milieu du 19e siĂšcle). Dans un des coins du parc se dressait le Tsuki no Matsu (Pin de la Lune), surplombant l’Étang Shinobazu-no-ike. Ses Ă©lĂ©gantes branches circulaires Ă©taient l’Ɠuvre d’horticulteurs. Les gens raffinĂ©s croyaient y distinguer une pleine lune, s’imaginant en train d’admirer le superbe astre illuminer la nuit. source Niponica 22

© Utagawa Hiroshige, Uenosannai Tsuki no Matsu, 1857

 

Yogo no Matsu du temple Zenyo-ji Ă  Tokyo est un pin noir du Japon vieux de plus de 600 ans. Avec ses 8 m de haut et ses branches s’étendant sur 31 m d’est en ouest et sur 28 m du nord au sud, ce magnifique arbre exhale une grĂące divine qui convient parfaitement Ă  son nom Yogo, qui signifie « la rĂ©vĂ©lation des divinitĂ©s et du Bouddha » source Niponica 32

A l’art du jardin se rajoute le bonsaido, l’art des bonzaĂŻs qui rĂ©unit ciel et terre dans un pot.

 

  •  Architecture et routes

L’architecture traditionnelle est fondĂ©e sur l’amour du bois, elle encense la force et la splendeur de la nature.
Les matĂ©riaux d’ameublement et de construction, comme l’ossature d’une maison, sont confiĂ©s Ă  divers espĂšces de pin :

Akamatsu I Pinus densiflora I Pin rouge
Kuromatsu I Pinus Thunberghii I Pin noir

A l’Ă©poque d’Edo, les routes furent en gĂ©nĂ©ral balisĂ©es Ă  chaque ri (1 ri = 3.9 km) au moyen d’un pin matsu. On y trouve encore des pins solitaires ippon matsu qui rappellent l’emplacement de ces Ă©tapes importantes ichirizuka.

Des pins sur chaque Ăźle –
le bruit du vent
est frais
Shiki

  • PoĂ©sie et sites cĂ©lĂšbres  I  Meisho

Plusieurs fameux poĂštes, dont Saigyƍ (1118-1190), « passionnĂ©s de meisho », rĂ©coltaient pendant leurs pĂ©rĂ©grinations de prĂ©cieux souvenirs : aiguilles de pin, grenouille sĂ©chĂ©e, coquillage
.

MĂȘme ici le cƓur s’ennuie
de nouveau le dĂ©sir de s’envoler
et ce pin restera seul
vraiment seul
sans ami
chap X vers le pays Sanuki 11, Vers le vide de SaigyĂŽ

À l’Ă©poque d’Edo, le lettrĂ© confucianiste Shunsai Hayashi, nĂ© Gahƍ Hyashi (1618-1680), a nommĂ© les trois plus beaux paysages du Japon, les Nihon Sankei  : Amanohashidate, la baie de Matsushima et l’Ăźle de Miyajima.

Leur point commun ? Des pins murmurants au bord de rivages sableux.

Amanohashidate, littéralement « passerelle céleste » dans la préfecture de Kyoto, une langue de sable plantée de plus de 6000 pins dont certains atteignent une hauteur de 40 m.  Je me suis rendue lors du 2Úme voyage en 2013.

Est-ce pour admirer pins et cyprĂšs ?
La brise parfumée
souffle bruyamment
Matsuo BashĂŽ (1644-1694)

La baie de Matsushima, au nord de Kyoto, parsemĂ©e d’environ 260 Ăźlots couverts de pins maritimes. CĂ©lĂ©brĂ©e dans un haĂŻku par le poĂšte Basho (1644-1694) qui, restĂ© sans mots face Ă  un tel paysage, il a usĂ© de la rĂ©pĂ©tition pour exprimer sa beautĂ© captivante.

Oh, Matsushima !
Oh, Matsushima, ah !
Oh, Matsushima !
Matsuo BashĂŽ (1644-1694)

Depuis, d’autres paysages ont gagnĂ© en reconnaissance comme Miho-no-Matsubara. Une plage impressionnante, longue de 7 km et couverte de plus de trente mille pins a Ă©tĂ© inscrite au patrimoine culturel mondial en tant qu’élĂ©ment du mont Fuji en juin 2013.

L’ukiyoe de Hiroshige Utagawa (1797-1858) et des poĂšmes waka tĂ©moignent de sa beautĂ©.

© Utagawa Hiroshige, Miho no Matsubara
© Aflo, Niponica 13, Miho no Matsubara

Serais-je le seul
À leur demander abri ?
Non, les blanches vagues
Elles aussi, les harcĂšlent
Les sveltes pins du rivage
poÚme de Tsurayuki-shƫ

Ce lieu est connu aussi pour l’ancien conte Hagoromo-no-Matsu « La robe de plume » qui donna lieu Ă  une cĂ©lĂšbre piĂšce de NĂŽ, Hagoromo.

Une divinitĂ© cĂ©leste, descendue sur une plage pour se baigner, abandonne sa robe de plumes sur le sable. Un pĂȘcheur s’aperçoit et, dĂ©sirant la jeune beautĂ©, cache sa robe. Elle n’a plus alors d’autres ressources que de devenir l’épouse du pĂȘcheur. AprĂšs lui avoir donnĂ© des enfants, elle prie son mari de lui rendre la robe de plumes. Celui-ci ayant cĂ©dĂ© Ă  son dĂ©sir, elle retrouve sa nature divine, et avant de regagner son domaine cĂ©leste, danse pour remercier le pĂȘcheur.[Bibl. -ar RenĂ© Sieffert, In NĂŽ et KyĂŽgen, Paris 1979] Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis FrĂ©dĂ©ric Collection Bouquins

  • ThĂ©Ăątre NĂŽ

Parlant du thĂ©Ăątre NĂŽ, le seul dĂ©cor est la peinture d’un pin sur le paroi arriĂšre de la scĂšne.

Takasago, titre d’une cĂ©lĂšbre piĂšce de thĂ©Ăątre de NĂŽ : un vieux couple rĂ©vĂšle Ă  un religieux bouddhiste qu’ils sont les esprits de deux pins vĂ©nĂ©rables sur la plage de Takasago. Cette piĂšce, parfois intitulĂ©e Aioi no Matsu (Les pins d’une vie partagĂ©e) Ă©crite par Zeami d’aprĂšs un poĂšme de KIi no Tsurayuki apparaissent dans sa prĂ©face au Kokin waka-shĂ», traite de la fidĂ©litĂ© de dieux vieillards ayant vĂ©cu ensemble toute leur vie. (Bibl : RenĂ© Sieffert, NĂŽ et KyĂŽgen, Pubu. orient de France, Paris 1979) Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis FrĂ©dĂ©ric Collection Bouquins

Le pin de Takasago est un symbole d’extrĂȘme longĂ©vitĂ©.

Je n’ai guùre envie
de m’entendre dire :
comment, toujours en vie ?
ce que pourrait penser le pin de Takasago
me remplit de confusion
poùme Kokin waka rokujƍ (no 3057)

  • Art du tissage

Les tissus de kimono comportent des motifs reprĂ©sentant les fleurs de saison et leurs couleurs ou des motifs de bon augure et significations magiques. Le pin matsu symbolise la longĂ©vitĂ©, puis l’hiver, lorsqu’il est associĂ© Ă  la neige ou Ă  deux autres compagnons des grands froids : le bambou take et le prunier ume.

  • CĂ©ramique

Les ouvrages en cĂ©ramique tĂŽgei, considĂ©rĂ©s comme le sommet de l’énergie crĂ©atrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.

 

 

À Suminoe
Plus le vent d’automne
Souffle sur les pins
Plus les vagues blanches au large
Y ajoutent leur fracas
ƌshikƍchi no Mitsune, ‹Kokin shĆ«, « CĂ©lĂ©brations », poĂšme no 360

 

11/2022

KIMONO  I  symbole du JAPONISME

°°°

A la diffĂ©rence de l’enthousiasme de la noblesse du XVIIIe siĂšcle pour la Chine, le japonisme s’est rĂ©pandu grĂące Ă  l’Exposition universelle de Paris en 1867.

DĂšs les XVIIe et XVIII siĂšcles, la manufacture de Lyon s’inspira des motifs de l’ornementation japonaise pour crĂ©er ceux des soieries ; tandis qu’à Chantilly et Ă  Saint Saint-Cloud, l’on copiait les porcelaines de Kakiemon et les Nabeshima. Enfin, les meubles de laques Ă©taient apprĂ©ciĂ©s de Madame de Pompadour et de Marie-Antoinette, qui en firent collection. Mais, ces phĂ©nomĂšnes Ă©taient plutĂŽt les derniĂšres manifestations de la mode des chinoiseries. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato BibliothĂšque Des Arts

Pavillons chinois et japonais, Exposition universelle, 1867 © Le Monde illustré, 1867

Le public fut fascinĂ© par le pavillon japonais et la dĂ©couverte du kimono portĂ© par les premiĂšres femmes japonaises venues en Europe et accueillies avec une curiositĂ© extrĂȘme.

On peut affirmer que le kimono est le symbole national du Japon et conjointement du japonisme en Europe qui gagna par la suite l’Occident. Nous allons dĂ©couvrir pourquoi il a Ă©tĂ© une source d’inspiration autant pour les peintres que pour les crĂ©ateurs de mode et les Ă©crivains.

PEINTURE

A Londres, la premiĂšre exposition d’art appliquĂ© japonais de 1854 et l’Exposition universelle de 1862 ont Ă©tĂ© le dĂ©tonateur de l’intĂ©rĂȘt des artistes pour le Japon, mais le terme japonisme nĂ© en 1867 avec l’Exposition Universelle de Paris.

La dĂ©couverte de l’art japonais, notamment Ă  partir de l’Exposition universelle de Paris en 1867 et de l’afflux d’objets japonais, dĂ©clencha un mouvement artistique appelĂ© japonisme. Il touche de nombreux artistes Ă  la recherche d’une nouvelle voie crĂ©atrice et l’impact de cet art, soit dans les motifs, soit dans les techniques (composition, couleurs, contours, etc
 fut considĂ©rable. extrait Quand le Japon s’ouvrit au monde Francis Macouin , Keiko Omoto Émile Guimet et les arts d’Asie Collection DĂ©couvertes Gallimard (n° 99)

Hayashi Tadamasa (1853-1906), interprĂšte durant l’exposition universelle, puis traducteur de documents sur l’art japonais et marchand, a jouĂ© un rĂŽle fondamental dans l’histoire du japonisme durant son sĂ©jour Ă  Paris de 1878 Ă  1893, et Ă  la fois en tant qu’ami des peintres (Claude Monet, Camille Pissaro, Paul Renouard), des intellectuels et des hommes de lettres (Edmond de Goncourt, Émile Guimet, FĂ©lix RĂ©gamey).

Puis, Louise MĂ©lina Desoye (1836-1909) a Ă©tĂ© l’unique femme qui a contribuĂ© Ă  la premiĂšre vague du japonisme en vendant dans sa boutique des produits importĂ©s du Japon. Ce lieu a Ă©tĂ© frĂ©quentĂ© par les peintres de la vague « japonisante » dont le prĂ©curseur anglais James Whistler : installĂ© Ă  Paris dĂšs 1855, ses Ɠuvres ont diffusĂ© l’impressionnisme en Angleterre et aux États-Unis.

© Free Gallery of Art, Smithsonian Institution Washington, Caprice en pourpre et or n° 2. Le paravent d’or, 1864, James McNeill Whistler
© Smithsonian’s Museum of Asian Art Whashington, Rose et argent : La Princesse du pays de la porcelaine, 1863-1865, James McNeill Whistler

Toujours Ă  Paris, Samuel Bing (1838-1905) marchand et critique d’art, collectionneur et mĂ©cĂšne français d’origine allemande) avait acquis des milliers d’estampes japonaises qu’il a reproduites de 1888 Ă  1891 dans sa revue mensuelle Le Japon artistique. Documents d’art et d’industrie publiĂ©e simultanĂ©ment en français, anglais et allemand. En 1890, il a enfiĂ©vrĂ© le monde avec l’exposition de 725 peintures et 428 livres illustrĂ©s japonais Ă  l’École des Beaux-Arts de Paris.

A partir du mois de juillet 1893, la revue littĂ©raire et artistique La Revue Blanche, publie en couverture une estampe en noir et blanc d’un peintre de la mouvance symboliste : Bonnard, Vouillard, Roussel, Manet, Monet, Pissaro, Renoir…

© Pierre Bonnard, La Revue Blanche

Certains artistes qui collectionnaient des estampes ont fini par changer la technique et la forme de leur art, comme Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh. Ce dernier, Ă©crivait du Sud de la France Ă  son frĂšre « Ma vie devient ici de plus en plus celle d’un peintre japonais ». (cf. article 8/2021 Iris, le radieux). A sa mort en 1890, son mĂ©decin a trouvĂ© un carton de quatorze estampes prĂšs de son lit.

ParallÚlement, les contrastes des couleurs des kimono ont également influencé la palette des artistes.

[
] dùs 1890, l’Art Nouveau s’inspira des lignes souples et des motifs floraux des tissus japonais, des poncifs de papier, ainsi que des estampes de couleur. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato Bibliothùque Des Arts

L’estampe, perçue en Europe comme une nouvelle forme d’expression artistique, a connu un immense succĂšs, nombreux peintres y ont puisĂ© leur inspiration :

  • en Angleterre : Aubrey Beardsley ;
  • en France : Jacques-Joseph (James) Tissot, Edouard Manet, Claude Monet, Edgar Degas, Gustave Moreau, Henri Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh ;
© Boston Museum of fine art, Claude Monet, Madame Monet en kimono, La Japonaise 1876
© Albi Musée Toulouse Lautrec, Toulouse-Lautrec en kimono, avec éventail et poupée japonaise, 1890
François Gauzi (1862-1933), Portrait de Lili Grenier en kimono devant un paravent
© Lili Grenier en kimono, Henri de Toulouse-Lautrec, 1888
  • en Belgique : Alfred Stevens ;
© Domaine Public, Alfred Stevens (1823-1906) La Parisienne Japonaise
© Domaine Public, Alfred Stevens (1823-1906) Yamatori
  • au Pays Bas : George Hendrik Breitner ;
© George Hendrik Breitner, Girl in red kimono, 1894
© Breitner George Hendrik – Girl in a Red Kimono Before a Mirror
  • en Autriche : Gustave Klimt ;
© Gustav Klimt, Femme en Kimono
© Gustav Klimt, Le baiser, 1909
  • en Allemagne : Otto Eckmann et Emil Orlik.

MalgrĂ© la fascination exercĂ©e par le Japon sur ces artistes, aucun n’a fait le voyage pour le dĂ©couvrir ou confronter leurs idĂ©es Ă  celles des artistes japonais !

A l’inverse, des artistes japonais se sont rendus Ă  Paris – devenu centre artistique de l’Europe grĂące aux impressionnistes – pour apprendre les nouvelles techniques de la peinture et fini par peindre « Ă  l’occidentale » : Kuroda Seiki, Saeki YĂ»zĂŽ, Aoki Shigeru, Kihida RyĂ»sei, Fujita Tsuguji qui s’est fait naturaliser français


© Centre de recherches de la TÎkyÎ kokuritsu bunkazai, Kuroda Seiki, Au bord du lac, 1897
© Kuroda Seiki, A Maiko Girl 1893
© Ryusei Kishida
© Ryusei Kishida, Reiko, Girl of Japan art detail, 1918
MODE

Les soieries japonaises ont envouté les artistes, mais également les femmes qui les arrachaient des mains des marchands.

Leur charme tout particulier provient de leurs motifs fantastiques, aux mille couleurs, dans lesquels jouent et s’entremĂȘlent merveilleusement des rameaux en fleurs, de fines pousses de roseau, des oiseaux en vol et d’étonnantes formations de nuages. La magie multicolore de ces Ă©toffes, absolument dĂ©licieuses et incomparables, provient surtout du fait que la signification propre du motif dĂ©coratif – comme il est de rĂšgle pour un motif – s’efface dans l’effet d’ensemble de la piĂšce. Il y a lĂ  des juxtapositions de couleurs d’un effet si inhabituel, d’un attrait si vif que l’on comprend bien la frĂ©nĂ©sie avec laquelle les mains de nos Ă©lĂ©gantes se tendent vers ces exquises piĂšces de tissu. (propos de Lessing Julius, historien de l’art allemand, extrait Japonisme WICHMANN Siegfried EditĂ© par ChĂȘne/Hachette

Entre 1860 et 1920, l’attitude et les gestes de la parisienne ont Ă©tĂ© influencĂ©s par le kimono.

Quand les cultures tribales ont choisi le tatouage et la peinture du corps comme vĂȘtement incarnĂ©, l’Occident a choisi le vĂȘtement comme peau sociale, les deux muant le corps brut en corps culturel » note Thomas Lentes dans Qu’est-ce que la mode ? Cette notion de « peau sociale » semble s’appliquer parfaitement au vĂȘtement traditionnel japonais, soumis au contraintes de la hiĂ©rarchie sociale tout en Ă©tant une reprĂ©sentation extrĂȘmement brillante d’une partie du « corps culturel » nippon. En effet, le kimono n’est pas seulement manifestation d’une appartenance sociale et parure, il est aussi philosophie, esthĂ©tique, poĂ©sie, il est art : un art portable. extrait Kimono d’art et de dĂ©sir Aude Fieschi Editions Picquier

Issey Miyake Ă©crivait dans le livre Kimono de Sylvie et Dominique Buisson que plusieurs crĂ©ateurs de mode occidentaux ont subi l’influence orientale tandis que ceux japonais sont partis de la mode occidentale pour obtenir leur originalitĂ©.

Frederick Worth (1825-1895), couturier français d’origine britannique et l’un des fondateur de la haute couture Ă  Paris, s’est inspirĂ© des tissus japonais et du kimono pour la crĂ©ation de ses robes.

Par la suite, le célÚbre Paul Poiret (1879-1944) créa en 1910 un manteau kimono et des robes.

Frederick Worth
Paul Poiret
LITTÉRATURE

L’influence du Japon s’est dĂ©ployĂ©e non seulement dans les arts plastiques mais aussi en littĂ©rature, d’oĂč le terme de japonisme littĂ©raire.

Les Ă©crivains ont pressenti trĂšs tĂŽt la fascination que prĂ©sentait le Japon. De la fin du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe siĂšcle, certains Ă©crivains composaient dans le « goĂ»t japonais » par exemple Judith Gautier, autrice de plusieurs romans et nouvelles inspirĂ©s par l’histoire japonaise et Pierre Loti avec Madame ChrysanthĂšme.

L’idĂ©al fĂ©minin que donnent les livres de Pierre Loti est le personnage de Madame ChrysanthĂšme Okiku-san qui enchantait Van Gogh, culmina finalement dans le doucereux plagiat de Madame Butterfly et apparaĂźt comme une mĂ©taphores romantique de la rĂ©alitĂ©. Auguste Rodin lui-mĂȘme, fut captivĂ© par la danseuse Hanako. extrait Japon, la vie des formes Shuichi Kato BibliothĂšque Des Arts

© Domaine public, Danseuse Hanako
© Musée Rodin, Rodin, Hanako 1907

En guise de conclusion :

L’influence de la culture japonaise sur l’art occidental  du dĂ©but du XXe siĂšcle est indĂ©niable et se manifeste d’innombrables maniĂšres. Les aspects les plus variĂ©s ont ainsi vu le jour : compositions asymĂ©triques, nouveaux thĂšmes inspirĂ©s de la nature ou de la sociĂ©tĂ©, respect du vide, c’est-Ă -dire « amour du vide » qui vient remplacer l' »horror vacui », et beautĂ© des lignes, entre autres. extrait Ryokan, Gabriele Fahr-Becker Ă©dition Könemann

10/2022

L’OMBRELLE KASA  I  ACCESSOIRE DU KIMONO

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© Utagawa Kunisada, Chutes de neige au crépuscule à Ueno

Étroitement liĂ©s Ă  la vie quotidienne, tous les supports artistiques japonais impliquent un mouvement dans l’espace et un rythme dans le temps. La peinture se roule et se dĂ©roule, le paravent se dĂ©plie, le kimono n’a d’existence que portĂ©, les laques sont toujours utilitaires. Les Japonais aiment ainsi Ă  se dĂ©finir Ă  travers des objets idĂ©als, des fictions codĂ©es qui transforment le rĂ©el en quelque chose de sacrĂ©, et Ă  transformer les gestes en rituels. extrait Le corps japonais de Dominique Buisson

Pour faire Ă©cho, je rajouterais l’éventail et l’ombrelle kasa Ă  qui je dĂ©die ce dernier article en tant qu’accessoire du kimono.

AprĂšs une brĂšve prĂ©sentation de ses origines, j’aborde son mode de fabrication et les modĂšles selon leur usage, ainsi que sa place dans la croyance populaire.

ORIGINE

Les premiĂšres ombrelles rigides auraient Ă©tĂ© dĂ©couvertes parmi les tributs envoyĂ©s par le roi de Kudara, une ancienne province corĂ©enne, Ă  l’empereur Kimma (539-571).

Avant cela, les femmes portaient des chapeaux larges et plats, en fibres végétales tressées (bambou ou cyprÚs).

@ BNF, L’aubergine, Harunobu Suzuki (1725-1770)

Quittons-nous –
Je porte des vĂȘtements d’étĂ©
et kasa Ă  la main
BashĂŽ (1644-1694)

Ici, un aperçu en images de divers modÚles de chapeaux pour femmes et hommes dont les paysans et les moines pÚlerins.

 © Domaine public , Kusakabe Kimbei via Wikimedia Commons

Durant Edo (1603-1868), afin de pouvoir voyager plus aisĂ©ment Ă  pied, les artisans ont inventĂ© divers objets pliants et lĂ©gers Ă  base de bambou et de papier : l’ombrelle et la lanterne.

©Tokyo National Museum, Suzuki Harunobu (1725-1770)

SĂ©vĂšre
le bruit de la grĂȘle
sur mon kasa en cĂšdre !
BashĂŽ (1644-1694)

FABRICATION

La monture des kasa est faite de bambous fendus et sur le réseau flexible des branches on tend du papier washi huilé imperméable, décoré ou pas de peinture ou logo. Les kasa pour femmes sont plus grands que ceux des hommes et comptent 40 baleines au lieu de 50.

Les kasa sont souvent représentées dans les estampes ukiyo-e  « images du monde flottant » puis dans les premiers photographies.

LES TYPES DE KASA

La forme du kasa traditionnel est immuable, par contre, il change de nom selon sa conception et son utilisation.

  • higasa ombrelle qui protĂšge du soleil Ă©viter que la peau ne se hĂąle
  • amagasa contre la pluie

Nous logeĂąmes dans une hutte au pied de la montagne. Il feraient une nuit noire et sans lune, et je me sentis engloutie et perdue dans l’obscuritĂ©, lorsque trois chanteuses apparurent, venant on ne sait d’oĂč. [
] Nous les dĂ©posĂąmes devant notre logement, Ă  l’abri d’un grand karakasa. Mon domestique alluma un feu afin que nous puissions les voir. extrait Sarashina nikki de Sugawara no Takasue no Musume

  • bankasa comporte le kamon symbole de la « maison » ou le nom de l’Ă©tablissement  (ryokan, hĂŽtels…) tenue Ă  la disposition des clients
  • jya no me gasa littĂ©ralement parapluie « Ɠil de serpent » car le dessin en cercle y ressemble

Les artisans de Kyoto excellent dans la fabrication des ombrelles et ont rapidement adapté leur technique traditionnelle aux goût modernes.

Les ombrelles de type occidental sont appelés kÎmorigasa littéralement « parapluie en forme de chauve-souris ».

A l’Ăšre Meiji (1852-1912), le prix des premiĂšres ombrelles occidentales Ă©tait exorbitant, synonymes de luxe et de raffinement.

Elles étaient fabriquées à partir de matériaux tels que le coton et le lin, avec des pampilles en soie sur la poignée et la pointe pour souligner leur élégance. source web-japan

CROYANCE POPULAIRE

Dans le folklore, le kasa-obake littĂ©ralement « esprit-ombrelle » est un monstre yƍkai de la famille tsukumogami composĂ©e d’objets du quotidien qui peuvent prendre vie aprĂšs 100 ans d’existence. Il a la forme d’une ombrelle traditionnelle pourvue d’un Ɠil, d’une langue, de deux bras et d’une seule jambe. Il n’est pas redoutable, mais tout simplement… dĂ©goutant. Pour en savoir plus, cliquez ici

 

9/2022

KIMONO   &   ART DU maquillage traditionnel

Artifice ou célébration de la beauté ?

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Exquise et Ă©trange, avec son air de froide dĂ©esse qui regarde en dedans, qui regarde au-delĂ , qui regarde on ne sait oĂč.
Pierre Loti

Le maquillage traditionnel, contrairement Ă  la coiffure et au vĂȘtement, a Ă©voluĂ© lĂ©gĂšrement entre l’AntiquitĂ© et le XIXe siĂšcle. En dissimulant ses traits, la femme Ă©tait devenue une abstraction qui ne prenait de sens que dans la rigiditĂ© des codes sociaux propres Ă  chaque Ă©poque.

Durant Heian (794-1185) « La trĂšs longue chevelure, objet de nombreux poĂšmes, mettait en valeur le blanc du visage qui s’appliquait en couche de plus en plus Ă©paisse et se rĂ©pandait chez les courtisanes et les jeunes danseuses. Les yeux Ă©taient Ă©tirĂ©s et la bouche rouge, menue Ă  l’extrĂȘme. L’ensemble devait apparaĂźtre comme immatĂ©riel et inexpressif car la dame se devait d’afficher un lĂ©ger masque de dĂ©tachement et d’ennui pour mettre un paravent Ă  l’expression de ses sentiments. L’esthĂ©tique qui en rĂ©sulte imprĂ©gna longtemps l’esprit du maquillage. Cette incertitude mĂ©lancolique, cette opposition de sensualitĂ© et d’inexpression, cette corrĂ©lation Ă©troite entre la beautĂ© et la tristesse marquĂšrent la naissance du goĂ»t japonais. » extrait Le corps japonais, Dominique Buisson, Editions Hazan

Depuis le 6 janvier 1869, date du dĂ©cret impĂ©rial qui a interdit le fard d’un autre Ăąge, seuls les geisha, les maiko et les acteurs de kabuki maintiennent cet art vivant.

Mon article dĂ©voile les secrets de maquillage Ă  travers sa palette de base – blanc, noir et rouge – ainsi que les soins du visage et, pour finir, quelques accessoires remarquables par leur raffinement.

BLANC

Une peau blanche Ă©tait, comme dans la plupart des sociĂ©tĂ© aristocratiques, un signe de beautĂ©. Dans les peintures reprĂ©sentant les messieurs et les dames de la cour, les gens d’un rang supĂ©rieur avaient toujours des visages plus pĂąles. La nature ne respectant pas toujours cette distinction, la pĂąleur nĂ©cessaire Ă©tait acquise au moyen de gĂ©nĂ©reuses applications de poudre. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, Ivan Morris, Collection La Suite des temps, Gallimard

@ Artmemo, Goyo HASHIGUCHI (1880 – 1921)   Jeune femme se poudrant

« Un visage blanc cache beaucoup de dĂ©fauts » – proverbe

[いろぼしろいぼはしちăȘんかくす, iro no shiro no wa shichinan kakusu] « Iro no shiro » dĂ©signe la blancheur d’un visage de femme, 侃難 – しちăȘん- shichinan ; dĂ©signe les 7 infortunes bouddhistes et dans son sens figurĂ© un grand nombre de dĂ©fauts. Il faut se mĂ©fier des apparences. 

Pour cela, on employait une poudre blanche – keifun blanc de mercure ou o-shiroi blanc de cĂ©ruse (en dĂ©pit du Saturnisme dĂ» au plomb !) – fondue dans l’eau et appliquĂ©e avec des pinceaux sur le visage, le cou, la nuque et le dĂ©colletĂ© qui Ă©taient enduits auparavant de l’huile de camĂ©lia bintsukĂ©-abura. AprĂšs Edo (1603-1868), ces poudres nocives ont Ă©tĂ© remplacĂ©es par une pĂąte non mĂ©tallique neri-o-shiroi et la poudre kona-o-shiroi.

Les geisha mettent en valeur leur nuque en la blanchissant, mais gardent nus trois triangles de peau naturelle dĂ©nommĂ©s « trois jambes » sanbon-ashi (les apprenties maiko n’ont que deux !). Ce minime dĂ©tail invite Ă  l’érotisme en laissant imaginer les secrets d’une intimitĂ© interdite.

makeup guide | Geisha

Aujourd’hui encore, la blancheur de la peau demeure la condition premiĂšre de la beautĂ©. En Ă©tĂ©, la japonaise cache son visage du soleil sous des chapeaux, des ombrelles,
 et les bains de soleil font dĂ©faut Ă  sa culture.

NOIR

Le noir est inhĂ©rent aux coutumes de passage de l’existence fĂ©minine, de l’enfance Ă  l’ñge adulte.

  • Les sourcils

La coutume d’épiler ou de raser les sourcils  existait en Chine pendant la premiĂšre dynastie Han et fut importĂ©e au Japon. L’aristocrate et la femme des samuraĂŻ se rasaient les sourcils Ă  partir de la maturitĂ© (13 ans) tandis que la femme du peuple, une fois mariĂ©e ou devenue mĂšre, coutume dĂ©nommĂ©e hongenpuku.

A la trĂšs aristocrate Ă©poque Hein, le goĂ»t Ă©tait Ă  l’extrĂȘme dĂ©licatesse et le maquillage se japonisa. Les sourcils Ă©taient alors les Ă©lĂ©ments les plus importants de la beautĂ©. On les dĂ©testait naturels et on Ă©pilait « ces horribles chenilles » afin de les redessiner, gĂ©nĂ©ralement plus haut sur le front. Au dĂ©but, c’était des croissants fins et longs, mais les plus spectaculaires Ă©taient larges et estompĂ©s. Plus tard, on les nomma « feuilles de saule », « croissants de lune », « antennes de papillon », « cocons de soie ». extrait Le corps japonais, Dominique Buisson, Editions Hazan

@ Artmemo, Shodo YUKAWA BeautĂ© de l’Ă©poque Heian (794-1185)

On redessinait les sourcils rasĂ©s avec du noir mayuzumi obtenu par un mĂ©lange de fleurs brĂ»lĂ©es, de poudre d’or, de suie et d’huile de sĂ©same ou par de la pelure de chĂątaigne, du charbon de paulownia.

Dans l’ouvrage Kewai mayuzukuri kuden La tradition du maquillage des sourcils,  Mizushima Bokuya dĂ©taille les rĂšgles pour dessiner les sourcils et les accessoires nĂ©cessaires.

  • Les dents

La coutume detsushi ou kanetsuke qui consistait Ă  se noircir les dents Ă©tait usitĂ©e par les femmes et les hommes de classes supĂ©rieures jusqu’à l’ùre Meiji « pour se diffĂ©rencier des esclaves et des animaux » (Ă  la pĂ©riode de Tokugawa (1603-1867) les prostituĂ©es appelĂ©es « les mariĂ©es d’une nuit » Ă©galement).

D’abord rĂ©servĂ© aux dames de la cour, le o-haguro, le noir Ă  dents, est adoptĂ© par les hommes et se rĂ©pand dans les meilleurs guerriers ; puis son usage est Ă  nouveau restreint aux femmes du peuple. ParallĂšlement, ce signe de l’accĂšs Ă  l’ñge adulte devient celui du mariage : couleur inchangeante, symbole de la fidĂ©litĂ© et de l’obĂ©issance des femmes. Abolie en 1870, la coutume du noircissement des dents subsista longtemps dans les campagnes reculĂ©es. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan

© Kitagawa Utamaro, Museo Nacional del Prado

La poudre hagurome était composée de débris de fer oxydés et de noix de galle fushi, dissoute dans du thé ou du saké.

ROUGE

Sur ce fond blanchĂątre, les femmes mariĂ©es appliquaient gĂ©nĂ©ralement un peu de rouge, elles peignaient Ă©galement leurs lĂšvres pour donner Ă  la bouche l’aspect d’un bouton de rose. extrait La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji, Ivan Morris, Collection La Suite des temps, Gallimard

Le rouge beni-guchi, extrait de benibana*, plante de la famille du chrysanthĂšme Carthamus tinctoris, servait pour rougir les lĂšvres, les joues et parfois pour le contour des yeux afin d’éclairer l’iris et creuser un peu l’arcade.

@ Artmemo, Goyo HASHIGUCHI (1880 – 1921)   Jeune fille se mettant du rouge Ă  lĂšvres

Elle est mignonne, fine, Ă©lĂ©gante ; elle sent bon. DrĂŽlement peinte, blanche comme du plĂątre, avec un petit fond rond rose bien rĂ©gulier au milieu de chaque joue ; la bouche carminĂ©e et un peu de dorure soulignant la lĂšvre infĂ©rieure. extrait Japon, Erwin Fieger, L’iconothĂšque

*Entre parenthùse, ces agents colorants de benibana servirent pour teindre les tissus, puis à partir du XVIIe dans la fabrication des encres d’imprimerie pour les estampes ukiyo-e de type benizuri-e et beni-e.

LES SOINS

A l’époque Edo 1813  est paru un ouvrage sur l’esthĂ©tique intitulé Le Guide de la beautĂ© dans la capitale Miyako fĂ»zoku keshĂŽden de Sayama Hanshichimaru et illustrations de Hayami ShungyĂŽsai.

  • Le visage

Les femmes utilisaient des sachets de tissus nuka-bukuro remplis de son de riz hydratant nuka, de plantes mĂ©dicinales ou aromatiques, de poudre de haricots rouge azuki nettoyante araiko qui contenait de la saponine. Elles plongeaient les sachets dans l’eau chaude puis les essoraient avant de frotter leurs visages.

Cent belles femmes dans des sites cĂ©lĂšbres d’Edo : La colline Goten-yama, Utagawa Toyokuni III, 1858 © POLA Research Institute of Beauty and Culture
  • Les dents

On utilisait une brosse Ă  dents fusayĂŽji en bois de saule, de cĂšdre ou de bambou sur laquelle on mettait du sel ou une poudre abrasive rouge mĂȘlĂ©e Ă  des parfums.

@ Yoshitoshi, Fine Art Print

Source : catalogue de l’exposition Secrets de beautĂ©, Maquillage et coiffures de l’Ă©poque Edo dans les estampes japonaises Ă  la Maison de la culture du Japon Ă  Paris 

ACCESSOIRES
@ Artmemo, Kitagawa UTAMARO (1753-1806) La courtisane Takashima Ohisa

Voici un aperçu de quelques accessoires qui ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s du 19 mai au 10 juillet 2021 lors de l’exposition Secrets de beautĂ©, Maquillage et coiffures de l’Ă©poque Edo dans les estampes japonaises Ă  la Maison de la culture du Japon Ă  Paris

 

@ Maison de la culture du Japon Ă  Paris

@ TACHIBANA MUSEM JAPAN

SECRETS DE BEAUTE

Michiyo Watanabe du POLA Research Institute of Beauty & Culture nous Ă©claire sur les rituels du maquillage des Japonaises de l’Ă©poque Edo. Fard blanc, rouge Ă  lĂšvres, dents noircies ou encore sourcils rasĂ©s signifient souvent bien plus qu’une simple mise en valeur esthĂ©tique de ses atours. Elle nous explique en quoi le maquillage Ă©tait souvent le reflet d’une position sociale ou d’un statut marital.

 

8/2022

KIMONO  I  COIFFURES & ORNEMENTS

°°°

La coiffure a Ă©voluĂ© parallĂšlement au vĂȘtement et sa diversification a entraĂźnĂ© l’essor des ornements de cheveux, les seuls bijoux qui dĂ©coraient et mettaient en valeur la chevelure de jais des Ă©lĂ©gantes : peignes kushi,  piques kĂŽgai,  Ă©pingles kanzashi. En outre, elle variait selon l’ñge et le statut social des femmes, sans oublier les femmes artistes geisha, les femmes galantes asobi-bito et les courtisanes yĂ»jo.

COIFFURES

Pendant la pĂ©riode Heian (794-1185), la chevelure Ă©tait une obsession mĂȘme dans les conversations des dames. Les aristocrates laissaient pendre leurs cheveux lisses, brillants, sĂ©parĂ©s en deux par une raie, immensĂ©ment longs, sauf les mĂšches latĂ©rales coupĂ©es Ă  une longueur de 30 cm, coiffure dĂ©nommĂ©e taregami.

Japan's Love-Hate Relationship With Cats | Arts & Culture| Smithsonian Magazine

Haru no kuni
koi no mikuni no

asaborake
shiruki wa kami ka
baika no abura ?
En ces deux pays
du printemps et de l’amour

pour moi l’aurore…
Preuve n’en est-ce dans mes cheveux
le baume aux fleurs de prunier ?

Dans son Journal, Murasaki Shikibu, lorsqu’elle aborde les cĂ©rĂ©monies du Jour de l’An (1008), fait le portrait de onze dames Ă©minentes de la Cour (la taille, le maintien du corps, le kimono et ses couleurs, la forme du visage et le maquillage, les cheveux et ses ornements, l’esprit….).

La dame Dainagon est trĂšs petite, raffinĂ©e, blanche, belle et ronde, quiconque trĂšs hautaine de maintien. Ses cheveux sont trois pouces plus longs qu’elle. Elle se sert d’épingles Ă  cheveux dĂ©licieusement sculptĂ©es. Son visage est exquis, ses maniĂšres raffinĂ©es et charmantes.

Les cheveux de cette beautĂ© avait donc 10 cm de plus que sa taille ! Mais la longueur la plus impressionnante (1,80 m) relatĂ©e par Murasaki dans Le Dit du Genji I Genji Monogatari est celle de la Princesse Ochiba. A l’Ă©poque, un homme pouvait tomber amoureux d’une femme grĂące Ă  sa chevelure rien qu’en l’apercevant de dos, aussi parce que les femmes dissimulaient leurs visages derriĂšre les manches de kimono, les Ă©ventails, les paravents, les rideaux…

Kurogami no
midare no shirazu
uhi fuseba
maza kakiyarishi
hito zo koishiki
Lorsque je pleurais
indifférente au désordre
de mes noirs cheveux
celui qui les dĂ©mĂȘlait
Ah combien je l’ai aimĂ©

Yosano Akiko

Lors des cérémonies, les femmes attachaient leurs cheveux avec des rubans.

Pour le repas de Madame, huit femmes, vĂȘtues de pareille couleur, les cheveux reliĂ©s, nouĂ©s d’un cordon blanc, se suivent portant les plateaux d’argent blanc. Miya no NaĂŻshi qui ce soir assure le service, en impose toujours par sa beautĂ© grave et nette, mais ses mĂšches qui retombent, par le contracte avec les cordons blancs, la rendent plus aimable que jamais et son profil a demi cachĂ© par l’éventail possĂšde un charme singulier. extrait Journal, Murasaki Shikibu

Murasaki ni
ogusa ga ue e

kage ochimu
no no harukaze nii
kami kezuru asa

Comme violacée,
sur les petites herbes

tombe mon ombre ;
au vent de printemps des champs,
matin lissant mes cheveux…
Yosano Akiko

Si une femme décidait de se couper les cheveux avant une reconversion religieuse rakushoku pour se retirer du monde, les assistants pleuraient durant la cérémonie car ils savaient que les cheveux ne regagneraient jamais leur longueur.

J’ai coupĂ© ma chevelure
Et teint
De noir mon vĂȘtement
Mais ce qui demeure inchangé
C’est mon cƓur.
poĂšme extrait de
Femmes galantes, femmes artistes dans le Japon ancien XIe-XIIIe siĂšcle
par Jacqueline Pigeot

III. Choses qui doivent ĂȘtre courtes
Les cheveux d’une femme de basse condition. il est bon qu’ils soient gracieusement coupĂ©s court. extrait Notes de Chevet Makura no soshi, Sei ShĂŽnagon

A l’époque AzuchiMomoyama (1573-1603), la Cour imposait aux femmes le port de chignons Ă  la mode chinoise des Tang, Ă  savoir double ou simple sur le haut de la tĂȘte. Les chignons des jeunes femmes Ă©taient plus complexes que ceux des femmes mariĂ©es, tout comme les manches des kimono et le nƓud de l’obi (plus de dĂ©tails dans mon article Kinomo I Éternelle fascination)

C’est durant Edo (1603-1868) que la coiffure japonaise Nihon-gami est nĂ©e ainsi que ses techniques. Elle comprenait quatre parties dont la forme a Ă©voluĂ© en fonction des modes :

  • les « cheveux du devant » maegami
  • les « cheveux des tempes » bin
  • les « cheveux de derriĂšre » jusqu’à la nuque tabo ou tsuto
  • cheveux enroulĂ©s en chignon mage

Les quatre types de chignons de base qui traversent toute la pĂ©riode Edo – hyĂŽgo-mage, shimada-mage, katsuyama-mage et kĂŽgai-magĂ© rĂ©pondaient Ă  des rĂšgles fixes en fonction notamment de la classe et du rang social, de l’ñge, du statut matrimonial ou encore de la rĂ©gion gĂ©ographique. extrait Secrets de beautĂ©, Maquillage et coiffures de l’époque Edo dans les estampes japonaises, Catalogue Exposition Maison de la culture du Japon Ă  Paris

©Vintag.es

Le style caractĂ©ristique du coiffage des tempes on le retrouve dans l’immortelle estampe intitulĂ©e Trois beautĂ©s de notre temps Kansei san bijin de Kitagawa Utamaro.

@Utamaro (1793) Three Beauties of the Present Day (TĂŽji san bijin): Tomimoto Toyohina, Naniwaya Kita, Takashima Hisa

Avec la prospĂ©ritĂ© croissante de la classe marchande, leurs coiffures s’alourdissent de façon Ă  mettre en valeur la finesse de la nuque, tenue pour un gage de la beautĂ© du corps nouvellement prisĂ©e. Sous l’influence des geisha, des chignons de plus en plus complexes sont imaginĂ©s : les cheveux Ă©paissis Ă  l’huile de camĂ©lia, divisĂ©s en quatre ou cinq mĂšches, sont enroulĂ©s en coques ou en veloutes sur le sommet de la tĂȘte, sur la tempe ou sur la nuque, et fixĂ©s Ă  l’aide de cordons*, de peignes et d’épinglĂ©s dĂ©coratives. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan

*cordons, cordelettes de papier motoyui, ou de fils de chanvre asaito ou fils tressé de kumihimo

ORNEMENTS

DĂšs la pĂ©riode Jomon (vers 8000 av J-C – vers 300 av J-C) apparaissent les Ă©pingles Ă  cheveux en os et les peignes Ă©troits avec des dents longues tate-kushi en os, corne ou bambou durci Ă  la laque, certains ornĂ©s d’animaux fantastiques chargĂ©s de pouvoirs magiques.

Le tate-kushi qui à la base maintenait la coiffure, s’est vu modifier la longueur et ses dents plus courtes pour remplir le rîle de peigne yoko-gushi (le peigne à double endenture tîgushi, peigne à queue kesuji-tate, peigne à dents larges tokigishi..)

@ Rob Michiels Action A collection of 42 Japanese ivory and lacquer Kushi combs and 18 Kougai hair pins, Meiji, 19th C.

A l’époque Heian (794-1185), les cheveux dĂ©nouĂ©s ont annihilĂ© la fonction ornementale des Ă©pingles et des peignes.

Cent belles femmes et sites cĂ©lĂšbres d’Edo : Devant le sanctuaire Shibashinmei, Utagawa Toyokuni III, 1858 © POLA Research Institute of Beauty and Culture

Enjiiro wa
tare ni kataramu
chi no yuragi
haru no omoi no
sakari no inochi
Enfant de vingt ans
dont ruissellent sous le peigne
les longs cheveux noirs…
Tant de beauté il y a
dans le printemps de l’orgueil !
Yosano Akiko

C’est au milieu de l’époque Edo (1603-1868) que peignes et Ă©pingles Ă  cheveux se multiplient et se diversifient. La bourgeoisie acquiert alors la suprĂ©matie Ă©conomique et supplante la classe des guerriers : elle promet une nouvelle culture et de nouvelles modes qui lui sont propres. extrait Dictionnaire de la civilisation japonaise, Augustin Berque, Hazan

Les accessoires kushi peigne, kĂŽgai pique, kanzashi Ă©pingle, kamikazari ornement… sont constituĂ©s de divers matĂ©riaux (Ă©caille de tortue, bois, bambou, nacre, ivoire, agate, verre, or, argent, corne de sabot de cheval ou de bƓuf, os de cou de grue pour les extravagants) et utilisent plusieurs techniques (la peinture laquĂ©e d’or ou d’argent maki-e, l’incrustation de nacre ou de verre, de cristal, de corail).

@ Trocadero, Rare Japanese Edo Period Silver Gilt Hair Pin

On sait que le peigne n’était pas seulement un accessoire de mode pour la Japonaise, mais aussi une marque de distinction, de dignitĂ© ou de rang. C’est ainsi qu’une courtisane rĂ©putĂ©e porte un grand nombre de peignes magnifiquement ornementĂ©s, qui « rivalisent » de splendeur avec sa coiffure. Ses cheveux bleu-noir et l’ivoire blanc (ou la nacre luisante) font naĂźtre, avec des bijoux de toutes couleurs, des contrastes intenses. Les peignes Ă©taient souvent assortis au kimono ou au fard trĂšs clair du visage, ce qui permettait de crĂ©er, lĂ  aussi, contrastes ou harmonies suivant la mode de l’époque . Si le peigne rĂ©pondait Ă  des soucis d’ordre esthĂ©tique, et s’il reflĂ©tait tel ou tel statut social, il obĂ©issait aussi Ă  une symbolique des saisons. extrait Japonisme, Wichemann Siegfried, EditĂ© par ChĂȘne/Hachette

Les motifs dĂ©coratifs raffinĂ©s du peigne nous font pĂ©nĂ©trer dans un monde miniature, celui de la flore, de la faune, de la littĂ©rature,…Plusieurs artistes ont reprĂ©sentĂ© des ornements de maniĂšre magistrale dans leurs Ɠuvres : Kiyomitsu, Harunobu, Masanobu, Utamaro, Tokyni, Kunisada, Kuniyoshi
Sous l’influence de l’occident, dĂšs l’ùre Showa (1926-1989) le port du kimono disparaĂźt de la vie quotidienne et par consĂ©quent la coiffure japonaise et ses ornements aussi. Seules les geisha, les jeunes filles pour le Nouvel An et les mariĂ©es utilisent encore ces sublimes bijoux.

Peigne (kushi) « Iris », Japon, fin XIXe siÚcle Ivoire, nacre et écaille. Musée des Arts Décoratifs © MAD, Paris / Jean Tholance
Rounded comb lacquered with sparrows and bamboo decor – Japan – XIX century Source ©Musée Guimet, Paris
Comb dragonflies decor – Japan – XIX century ©Musée Guimet, Paris

Tamakura ni
bin no hitisuji

kireshi ne wo
ogoto to kikishi
haru no yo no yume
Le bras en oreiller,
un de mes cheveux rompit.

Ce son me parut
ĂȘtre celui d’un koto ;
rĂȘve de nuit de printemps
Yosano Akiko
[su_row]

Uba-tama no
xwaga kuro-kami ya
kawaruran
kagami no kage ni
fureru shira-yuki
A des baies noires jusqu’ici
pareils mes cheveux auraient-ils
changé de couleur ?
Voici qu’au reflet du miroir
est tombée la neige blanche

Ki no Tsurayuki _ Anthologie Kokin ShĂŒ
Livre 10 poĂšme 460

COIFFURES DES GEISHA

Les geisha ainsi que les femmes galantes yûjo et les danseuses de kabuki nouent depuis toujours leurs cheveux.

© Japa-mania.fr  / geisha coiffure shimada-mage / maiko coiffure momoware

Pour dormir sans Ă©craser sa coiffure, l’Ă©lĂ©gante devait dormir sur un oreiller haut de bois rembourrĂ© parfois de paille, dĂ©nommĂ© takamakura. Un supplice !

Fine Japanese Lacquer Takamakura Geisha Pillow, First Half of the 20th Century

De nos jours, certaines geisha portent des perruques.
Elle sont faites de cheveux humains fixĂ©s sur une carcasse mĂ©tallique. La chevelure est partagĂ©e en mĂšches, enduite d’huile de graines de camĂ©lia et lissĂ©e avec des spatules chaudes. Le perruquier est capable de reconstruire entiĂšrement une perruque en vingt minutes, en fixant chaque mĂšches de cheveux Ă  l’aide d’invisibles bandelettes de papier. Quand tout est terminĂ©, il plante solidement un peigne en Ă©caille et une Ă©pingle de corail dans les Ă©pais rouleaux de cheveux. extrait Geisha Liza C. Dalby
Ichiban Japan I Documentaire : Une journée dans une maison de Geisha à Kyoto[/su_quote]

 

SECRETS DE BEAUTE DURANT EDO

Michiyo Watanabe du POLA Research Institute of Beauty & Culture nous Ă©claire sur les coiffures des Japonaises de l’Ă©poque Edo. Elle nous raconte l’histoire extraordinaire de ces chignons du plus simple au plus sophistiquĂ©. OrnementĂ©e d’accessoires et d’extensions choisis – parfois extrĂȘmement lourds et peu pratiques – la coiffure des femmes Ă©tait, tout comme le maquillage, une source de renseignements prĂ©cieuse sur leur statut social ou marital. source MCJP