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14/2021

le chrysanthème I KIKU

°°°

© Chrysanthemums and Horsefly, c. 1833-1834, Katsushika Hokusai

La chaleur des oeillets
déjà oubliée
Chrysanthèmes sauvages
Basho

Deux fêtes marquent les changements de saison : hanami la floraison des cerisiers déclare le printemps tandis que kiku no sekku annonce l’allongement de la nuit propice au fleurissement des chrysanthèmes.

Nous allons découvrir comment le chrysanthème, cité d’abord dans la mythologie shinto, puis utilisé comme plante médicinale et d’ornement, a fini par devenir l’emblème impérial et l’un des symboles du Japon. Et enfin, la manière dont il est célébré lors des festivals et dans les divers domaines de l’art.

© Keika Hasagawa

Ils cambrent leurs pétales
de blancheur –
les chrysanthèmes de lune !
Sugita Hisajo

ETYMOLOGIE

Le mot « chrysanthème » vient du grec ancien et signifie littéralement « fleur d’or». Dans certains pays d’Europe, il est associé à la mort et au fleurissement des tombes lors de la Toussaint (le 1er Novembre) tandis qu’en Asie il symbolise la longévité et l’immortalité.

Devant les chrysanthèmes
ma vie
fait silence
Mizuhara Shuoshi

Les Japonais la considèrent comme la plus noble des fleurs, à ce jour ils cultivent plus de 1 500 espèces !

 © Keika Hasagawa

Passant l’automne
un papillon lèche
la rosée des chrysanthèmes
Basho

MYTHOLOGIE SHINTO

Après la mort d’Izanami*, qui créa les dieux du Vent, des Montagnes, des Océans et du Feu, Izanagi** est descendu dans la Nuit éternelle pour la rechercher mais sans succès. Une fois remonté sur terre, les vêtements qu’il retira avant de se purifier dans une rivière, se transformèrent en douze dieux et ses bijoux en fleurs – un bracelet en iris, un autre en lotus et un collier en chrysanthème.

**Couple démiurge de la cosmogonie japonaise, Izanagi et sa sœur-épouse Izanami, descendants des divinités primordiales asexuées, engendrent, selon le Kojiki et le Nihon shoki, la multitude des kami du Ciel et de la Terre. Les îles du Japon elles-mêmes sont leur création, mais aussi et surtout Amaterasu ō-mi-kami(le soleil), Tsuki-yomi-no-mikoto(la lune) et Susa-no-o-no-mikoto(le typhon). Leur légende est tout d’abord une longue énumération de ces naissances ou créations. Elle s’achève toutefois par un récit qui mérite une attention toute particulière, parce qu’elle rappelle de très près le mythe d’Orphée. source Universalis

ORIGINES et histoire
© Kazumasa Ogawa
Le chrysanthème jaune est originaire de Chine où il est consommé en infusion pour ses vertus médicinales qui assureraient la longévité et… le bonheur.

C’est à l’époque Nara (710-794) qu’on introduit au Japon le chrysanthème comme plate médicinale. La croyance populaire veut qu’un pétale de chrysanthème au fond d’un verre de saké vous apporte une bonne santé et une vie heureuse.

Pendant Heian (794-967) l’aristocratie de la cour kizoku adopte cette fleur autant pour ses bienfaits (on attachait des boules médicinales faites avec de chrysanthèmes aux piliers et aux stores des habitations pour se préserver des maladies) que pour sa magnificence et son raffinement en tant que plante d’ornement.

Ce jour-là, le ciel était couvert de nuages. Au Palais de l’Impératrice, on avait apporté, du service de la couture, des « boules contre les maladies » avec toutes sortes de fils tressés qui pendaient ; on les avait fixées à gauche et à droite du pilier de l’appartement central, où est dressé l’écran. On remplaça ainsi les « boules contre les maladies » qu’on avait préparées, le neuvième jour du neuvième mois, en enveloppant des chrysanthèmes dans de la soie raide ou damassée, et qui étaient restées fixées à ce pilier durant des mois, puis on les jeta. Sei Shônagon, Notes de chevet Makura no Soshi

C’est seulement à l’époque Kamakura (1185–1333) placée sous l’autorité du shogun, que le chrysanthème devient emblème mon de la famille impériale grâce au 82ème empereur du Japon, Go-Toba qui régna de 1183 à 1198.

Durant l’époque d’Edo (16031868) l’emblème du chrysanthème à seize pétales a été usité par des temples ou des commerces.

A partir de 871, lors de la restauration de l’époque Meiji (868-1912), il est réservé uniquement à la famille impériale et à certains temples en lien avec l’empereur.

LE CHRYSANTHÈME IMPÉRIAL : KIKU ou KUSAN
Depuis un millénaire, les seize pétales dorées de la fleur de chrysanthème sont l’emblème de la maison impériale nippone. Durant les guerres dynastiques  qui commencèrent en 1357 et se poursuivirent pendant 55 ans chaque soldat de la cour du Sud portait un chrysanthème orange comme signe de bravoure. Ryokan éditions Könemann

Le chrysanthème japonais Kikkamonshō ou Kikumon est l’emblème impérial du Japon qui représente un chrysanthème à seize pétales doubles jūroku yae omoe-gikuest.

Un symbole national qu’on retrouve sur le sceau officiel de l’empereur kiku no gomon (apposé aussi sur les passeports depuis 1926, sur les pièces de monnaie de 50 yens, gojū-en kōka ou gojū-en dama et certaines décorations officielles) ainsi que sur le trône impérial du Japon Takamikura littéralement « le très haut siège » (en français et en anglais on utilise l’expression de « Trône du Chrysanthème » ).
Festival du Chrysanthème IMPÉRIAL KIKU NO SEKKU _ SEPTEMBRE

Septembre est le mois des chrysanthèmes kiku-zuki ou naga-zuki.

Epanouissez-vous vite
car le 9 septembre approche,
chrysanthèmes !
Basho

Le Festival dédié au Chrysanthème le 9 Septembre, 9ème jour du 9ème mois Kiku no Sekku ou Choyo no Sekku. remonte à l’année 910 lorsque la première exposition de chrysanthèmes eut lieu à la Cour impériale de l’époque Heian (794-967).

Neuvième mois, 9ème jour : Fête des Chrysanthèmes – L’empereur et sa cour inspectent les chrysanthèmes des jardins du palais. Un banquet a lieu ensuite. Des poèmes sont composées et les invités boivent du vin dans lequel ont trempé des chrysanthèmes. Après une représentation chorégraphique, des jeunes filles du palais offrent de petites truites blanches à Sa Majesté. […]

On attribuait aux chrysanthèmes le pouvoir d’assurer la longévité. En se frottant le visage avec de la filoselle ayant recouvert les chrysanthèmes, la veille du festival, on se protégeait des ravages de l’âge. La vie de cour dans l’Ancien Japon, Ivan Morris
Le saké déborde
sur le plateau
orné de chrysanthèmes
Basho
Parfois vinaigrés
les chrysanthèmes deviennent
des amuses-gueules
Basho

De nos jours, la famille impériale célèbre cette fleur au sanctuaire Kamigamo à Kyoto et en parallèle des expositions sont organisées dans tout le pays. A Hakata, une ville entre Kyoto et Osaka, et à Nihonmatsu près de Tokyo on expose des poupées réalisées avec des fleurs de chrysanthèmes habillées de costumes anciens Kiku Ningyo. Chacune nécessite entre 100 et 150 plantes.

Festival du Chrysanthème Japonais Kiku Matsuri _ NOVEMBRE

Chaque année au mois de novembre a lieu le Festival du chrysanthème Kiku Matsuri au sanctuaire Yushima Tenman-gû à Tokyo. On y expose pas moins de 2 000 chrysanthèmes !

On organise des concours partout dans le pays pour désigner la personne qui a réussi à produire la fleur la plus somptueuse.

A mon ermitage
Du saké où flottent des pétales de chrysanthèmes
après le soleil couchant
Basho

Le soleil de novembre « permet au chrysanthèmes de déployer leur faste dans toute leur étonnante diversité, qui va des fleurs rondes semblables au boules de neige à celles qui sont en forme de fusées, des branches portant des grosses fleurs séparées aux rameaux retombants couverts d’innombrables inflorescences de toutes les formes et de toutes le couleurs. La culture des chrysanthèmes et les soins qu’ils nécessitent tout au long de l’année, jusqu’à la Fêtes des Chrysanthèmes, constitue ici un passe-temps aussi populaire que la culture des tulipes en Hollande.  » extrait La maison japonaise et ses habitants, Bruno Taut, 1937

LITTÉRATURE

Plusieurs ouvres littéraires autant japonaises qu’occidentales font l’éloge du chrysanthème.

Sei Shônagon nous fait revivre visuellement et olfactivement les fêtes de la cour dans son merveilleux livre Notes de chevet Makura no Soshi. Le palais de l’empereur était orné de fleurs de chrysanthème pour le Kiku no Sekku.

Le neuvième jour du neuvième mois, si dès l’aube il tombe un peu de pluie, les chrysanthèmes sont mouillés d’une abondante rosée, le duvet de soie dont on les a couverts est tout humide. On célèbre alors le parfum qui l’a pénétré ; si, la pluie ayant cessé de bonne heure, le ciel reste sombre et le temps menaçant, c’est délicieux encore.

Un jour du neuvième mois, la pluie qui avait tombé toute la nuit cessa quand vint l’aurore. Quel ravissant tableau ! Sous les rayons éclatants du soleil matinal, les chrysanthèmes du jardin, devant la maison, laissaient couler goutte à goutte la rosée dont ils étaient mouillés.

Pluie à mon ermitage :
Dressés
les chrysanthèmes délicats
sous les traînées de pluie
Basho

Dans Le Dit de Genji Genji monogatari, Murasaki Shikibu a écrit ce poème :

Pour me rajeunir
de rosée des chrysanthèmes
humectant ma manche
à la maitresse des fleurs
les mille ans je laisserai.

Pierre Loti a été impressionné par la variété des chrysanthèmes

[…] chacun de ces chrysanthèmes porte, sur une bandelette de papier, son nom écrit à l’aide de ces caractères savants qui peuvent être lus en deux langues différentes, en chinois aussi bien qu’en japonais ; ils s’appellent le « dix mille fois saupoudré d’or », « la brume de montagne », « le nuage automnal »… – extrait, Empereur du Japon vénéré comme un dieu par ses sujets

THÉÂTRE NO
© Hanurobu, Kuki-Jido
Des spectacles de théâtre nô sont organisés, mettant en scène des histoires ancestrales comme celle du garçon au chrysanthème Kiku-Jido. Ce jeune homme mythique était le favori de l’empereur, mais il a été banni dans une montagne éloignée pour avoir commis un délit. Prenant le garçon en pitié, l’empereur lui a donné une écriture bouddhiste sacrée. Le garçon l’a mémorisé en le copiant sur des feuilles de chrysanthème. Il a ensuite bu la rosée recueillie sur les feuilles, et est ainsi devenu immortel. Cette histoire se reflète dans la tradition populaire qui consiste à recouvrir des fleurs de chrysanthème de soie ou d’ouate pendant la nuit, puis à s’essuyer le lendemain matin avec la rosée accumulée, afin de se protéger des maux de la vieillesse. Ce rituel est encore pratiqué dans certains sanctuaires. source Zoom Japon

Mon cœur
S’en est allé
Sur la haie qui clôt votre demeure :
C’est à cause du blanc chrysanthème
Que vous y gardez encore…
Le Chrysanthème solitaire, roman anonyme

ÉLÉMENT DÉCORATIF
© Kazumasa Ogawa

L’avènement de l’automne se manifeste dans les couleurs flamboyantes des érables et celles des chrysanthèmes qui deviennent des éléments décoratifs sur les paravents, les céramiques, le kimonos, les objets d’usage courant, puis ornent les jardins, les entrées des maisons, les bouquets ikebana, voire même les mets etc…

DIVERS

Le chrysanthème figure sur l’une des cartes du jeu traditionnel Hanafuda Jeu des Fleurs. La fleur y est représentée pour le mois de septembre aux côtés d’une coupelle de saké, Kiku ni ippai (« la coupe près des chrysanthèmes »).

Une coupe de saké –
J’y jette quelques pétales
de chrysanthèmes de chemin de montagne
Basho

Kikuka-sho ou Kikka sho « Ordre du Chrysanthème », décoration kunsho créée en 1876, est réservé aux souverains et au princes pour récompenser les services rendus à la patrie (ruban violet et rouge).

Et enfin, je vous conseille de lire le livre tant controversé Le Chrysanthème et le sabre, de Bénédicte Ruth.

 

13/2021

SPLENDEUR ET VANITE DE L’AUTOMNE  I  MOMIJIGARI

°°°

L’automne est venu
sur l’oreiller
le vent me salue
Basho

Depuis toujours, le culte de la nature et de la simplicité a été portée au Japon aux plus exquis raffinements. La nature est unie aux Japonais par des liens profonds et subtils.

Masaharu Anesaki (187-1949), écrivait dans son livre L’art, la vie et la nature au Japon :

(Les Japonais) jouissent pleinement des saisons : les cerisiers en fleurs, pareils à des nuages, l’éclair cramoisi des érables, la brume du printemps, les ondées d’automne, le sourire de la mer, tout leur plaît, tout les inspire.

Quand le printemps revient
Les oiseaux muets retrouvent leurs chants
Les fleurs mortes renaissent ;
Mais dans la saison d’automne,
On cueille les feuilles écarlates, aimées tendrement,
Et avec bien des larmes, on laisse les feuilles vertes
Toutes au doux flanc de la colline…
recueil de poèmes Manyo-shu

© Sakai Hoitsu (1761-1828) ou son atelier, Paire de paravents à six volets : Fleurs et plantes des quatre saisons, Musée Guimet

Sont successivement dépeintes sur un fond uni animé de traînées de poudre fine d’or : prunus en fleur, nanten, pivoines, œillets, glycines (paravent droit) ; suzuki, volubilis, chrysanthèmes, herbes d’automne, érable (paravent gauche), évoquant dans un enchevêtrement bouleversant parfois l’ordre des mois la fin de l’hiver, l’été puis l’automne.

ORIGINE DE MOMIJIGARI

Au printemps, on suit la montée du front des cerisier hanami tandis qu’on automne, on suit la descente du front des érables (momiji Acer Palmatum), un passe-temps appelé momijigari littéralement la chasse aux feuilles rouges.

© Byobu, paravent Automne à la rivière Tastusta à Yoshino Nezu Muséum

Les feuilles pourries du momiji
Qui tombent dans les lieux solitaires de la montagne
Loin de tous les regards
Sont comme un brocart
Enseveli par la nuit.
extrait recueil de poèmes Manyo-shu

Momijigari fut célébrée par la noblesse dès l’époque Heian (794-1185) et se répandit dans le peuple à l’époque d’Edo (1603-1868).

Comme les fleurs de cerisier au printemps, l’automne doré du Japon est l’expression d’un sentiment de vie et d’un état de l’être qui, bien au-delà de toute symbolique saisonnière constituent presque une expérience spirituelle. Ryokan, édition Könemann

Les érables incandescents règnent sur la nature et marquent la fin de l’automne.

Déjà proche la fin de l’automne –
La forme de la lune
dans des gouttes de pluie
Basho

L’automne où tout le Japon se couvre littéralement d’un tapis pourpre de feuilles d’érable n’est pas d’une beauté moins somptueuse ni nostalgique ; mais la brièveté de la vie reste plus sensible jusqu’au sens douloureux du terme – dans l’épanouissement d’une beauté déjà condamnée à disparaître. Nelly  Delay, Le jeu de l’éternel et de l’éphémère

l’étique WABI-SABI
L’apothéose des couleurs annoncent le dernier instant des feuilles avant leur décomposition. Il en ressort des sentiments contradictoires : wabi (simplicité, dépouillement, austérité des formes) et sabi (marques du temps, déclin, dépérissement renoncement), des notions à la fois esthétiques et morales.

Au fond des montagnes,
Foulant les feuilles rougies
Brame le cerf.
Quand j’entends sa voix
Que l’automne est triste !
Sarumaru Tayu – Hyakunin isshyu N°5

LES ARTS

La célébration des feuillages rouges d’automne kōyō influence la culture et ses arts : la littérature, la poésie, le théâtre et Kabuki, l’art du textile, les peintures, l’architecture traditionnelle, l’art du jardin, l’art de la table et la céramique, la cuisine japonaise… Le végétal domine leur esthétique !

° Le théâtre Nô

Momijigari a inspiré le titre d’une pièce de théâtre de Nô :

Le guerrier Koremochi est captivé par le chant d’une femme et s’endort. Dans son rêve, un ami lui apprit lui dit quel chanteuse est en réalité une démonte, et lui donne un sabre. Lorsqu’il se réveille, il tue la chanteuse. Le Japon, Dictionnaire et civilisation de Louis Frédéric[/su_quote]

° L’art du textile

Le tissage des tissus et de la broderie célèbre la nature. Les plus belles soies tissées ont été réservées aux hommes jusqu’au XVIIème siècle. Les peintres Hokusai, Toyokuni et autres, ont fourni les thèmes à l’art des tissus entre autres pour le kosode prédécesseur du kimono (kiru et mono « chose que l’on porte sur soi ») destinés au théâtre, des véritables peintures sur étoffe.

° L’art des estampes Ukiyo-e image du monde flottant

Il y a un lien indéfectible et une influence réciproque entre la peinture et le textile.

© Mizuno Toshikata, Momijigari
Si le décor de kimono a puisé à la source de l’art japonais, l’art japonais s’est exprimé abondamment et d’une façon très originale dans la représentation du kimono, donnant naissance à un véritable phénomène culturel, l‘ukiyo-e.[…] Moronobu (1618-1694) eut l’idée de reproduire, par le biais de l’estampe, les croquis qu’il avait pris sut le vif au quartier de Yoshiwara (quartier des geisha et des acteurs kabuki) ; Moroshige, Harunobo, Hokusai, Utamaro et bien sûr Hiroshige lui succédèrent dans cet art. Kimono d’art et de désir par Aude Feschi

° L’architecture traditionnelle

La végétation automnale vêtue de rouge vif et cuivré, jaune dorée et orange se mêlent aux couleurs gris, blancs et noirs des temples et des maisons en bois, dégageant une subtile lumière.

L’architecte Allemand Bruno Taut est arrivé au Japon en 1933 et séjourné trois ans dans une maisonnette au temple Shorinzan Daruma-ji à Takasaki-shi, Gunma

Le plaisir procuré par les beautés de la nature a bien plus de charme dans les vallées platées par d’érables qu’au printemps, à l’époque de la fleur de cerisiers.[…] Tout au-dessus de l’antique grotte abritant le Bouddha guérisseur, quelques vieux érables offraient maintenant le spectacle somptueux de leur feuillage coloré. La fraîcheur de l’air nous poussait à nous rapprocher, comme au premier jour, du foyer aménagé dans le sol de la petite chambre. Lorsque l’après-midi, nous étions assis là, buvant du thé, le soleil donnait avec un tel éclat à travers le feuillage des érables que toute la pièce était baignée d’une loueur rouge. extrait de son livre La maison japonaise et ses habitants

Soir d’automne :
Vois s’élever les brumes de la vallée
Entre les feuillages flamboyants
Retenant encore l’humidité perlée
De la fraîcheur d’une averse soudaine
Dans le jour déclinant
Jakuren Hoshi

° L’art du Jardin

L’art des jardins utilisent les très grands arbres : pins, cèdres, cryptomérias : les arbres de hauteur moyenne : érables, cerisiers, pruniers et citronniers (cultivés pour les fleurs) ; certains arbustes, choisis pour la couleur de leurs feuilles ou de leurs fleurs, ahuries, azalées ; enfin des arbres nains dans des pots. Le Japon Illustré Larousse

L’esthétique japonaise : union de l’angle droit et de la forme naturelle

° L’art de la table et de la céramique

Les ouvrages en céramique tôgei, considérés comme le sommet de l’énergie créatrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.

Pour Rosanjin Kitaôji (1883-1959), l’inventeur de la gastronomie bishoku, chaque récipient relatif à la cérémonie du thé ou à la dégustation de mets délicats, est pensé dans sa forme, sa texture et son décor, au gré des principes esthétiques d’harmonie avec la nature environnante et entre les convives pour un partage simultané de la beauté et de l’élégante simplicité. exposition L’Art de Rosanjin Musée Guimet Lyon

Collection privée photo Sotaro Hirose © DR.jpg Col. privée S. Hirose ©

° L’art culinaire et Washoku, la cuisine japonaise au patrimoine culturel de l’humanité

L’érable se décline sur tous les plans dont culinaire offrant un enrobage délicieux en particulier aux gâteaux et autres douceurs telle que le mochi ou les manju.

Le washoku cuisine japonaise inscrit à l’UNESCO depuis fin 2013, est un moyen d’expression de l’esprit japonais de respect envers la nature et une coutume traditionnelle qui transcende les générations. Le changement des saisons est marqué par les fruits et les légumes de saison, par des mets spéciaux…

Représentation de l’automne dans la gastronomie japonaise bishoku.

momiji no ha
nagarete tomaru
minato niwa
benifukaki namida ya
tatsuran
Kokin-shu,  293
lorsque les feuilles d’automne
cessant leur course s’amoncèlent
là, à l’embouchure du fleuve,
des vagues s’élèvent, rouge sombre
pareilles à des larmes
Kokin-shu,  293

12/2021

LA CONTEMPLATION DE LA LUNE  I  oTSUKIMI

°°°

O-tsukimi « regarder la lune » est une fête qui se tient à la pleine lune en automne. Cette année,  elle a été célébrée le 21 septembre.

Au Japon, la contemplation de la lumière de la lune est un thème de prédilection au sein de la religion, de la littérature, de la poésie, de la peinture, de l’architecture, du cinéma…

Dans cet article, je vous emmène explorer la lune sous toutes ses facettes !

Plutôt que le spectacle d’une pleine lune immaculée brillant sur un millier de lieux, c’est à l’approche de l’aube, son apparition attendue, cette saisissante pâleur bleuâtre aperçue au fond des montagnes, à la cime des cèdres, à travers le feuillage ou derrière le rideau d’une nuée d’averse, qui suscite une émotion à nulle autre pareille. extrait Yoshida Kenkō, Les Heures oisives Tsurezuregusa

Je suis vieux à présent
Et tandis que je médite
Sur ma place dans l’univers,
Dans le lointain la lune
Bascule dans sa course.
Le moine Saigyo ‘Sato Norikiyo (1118-1190)

Naissance de la lune dans la mythologie shinto

Le Japon fut procréé par un couple fraternel Izanami et Izanagi. Après la naissance de son dernier enfant, Kagutsuchi le dieu du Feu, Izanami mourût et descendit au pays des morts Yomi. Izanagi désespéré voulut récupérer sa bien-aimée mais sans y parvenir.

Pour se purifier des souillures de Yomi, Izanagi se baigna dans la rivière sacrée Hi. Alors qu’il se lavait, la déesse solaire, Amaterasu, naquit de son œil gauche ; de son œil droit sortit Tsukiyomi, dieu de la Lune, et de son nez, Susanoo, dieu de la Tempête. extrait Shinto de C.Scott Litteton

La puissance du soleil fait parfois oublier qu’Izanagi et Izanami engendrèrent aussi la lune. En fait les légendes lunaires ne connurent pas au Japon un très grand développement. La lune, pour ce peuple d’amoureux de la nature, fut avant tout un objet d’art, une étrange figure aux courbes changeantes que l’on admire à l’occasion des « regards sur la lune » (tsuki-mi) les nuits d’été ou d’automne quand, les chaleurs torrides étant passées, l’homme goute enfin assis sur les nattes, caressé dans la douceur des ténèbres par un vent tiède, les joies de la nature apaisée. extrait La Civilisation Japonaise de D. et V. Elisseeff

La lune sous la pluie
Et partout, partout diffuse,
Une pâle lumière
Endo Etsujin

lune et religion bouddhiste
Depuis les temps anciens, au Japon, l’on voit dans les ombres de la lune des lapins pilant le riz pour en faire des gâteaux mochi, d’après une légende bouddhiste transmise dans l’Archipel et selon laquelle des lapins habitent la lune. Il y a également homophonie du mot mochizuki, car il peut signifier à la fois « pleine lune » et « piler le riz » pour en faire des gâteaux mochi. source

Pourquoi y a-t-il un lapin sur la lune ? Découvrez ici !

CONTEMPLATION DE LA LUNE  I  TSUKIMI

Dès l’époque de Nara (710-794) puis Heian (794-1185), à la cour, le rituel de contemplation de la lune consistait en la célébration poétique, le soir du 15 du huitième mois du calendrier luni-solaire (septembre dans le calendrier actuel) jûgoya no tsukimi « admiration de la lune de la nuit du 15 ».

Comme elle m’avait dit :
« Je reviens de suite »
Aussi, l’ai-je attendue, hélas !
Jusqu’à ce que la lune de l’aube –
En ce long mois – fût apparue !
Soesi le Hoshi – Hyakunin isshyu N°21

Banquet organisé par l’empereur Godaigo (1288-1339) au palais impérial de Yoshino. Peinture de Yôshû Chikanobu
© Collection numérique de la Bibliothèque Nationale de la Diète

15è jour : Grande Contemplation de la Lune : Au son des lutte et des cithares, des hommes et des femmes passent la nuit dans des bateaux sur les lacs artificiels du palais et des résidences particulières , admirant la pleine lune et composant des poèmes en son honneur. extrait Yvan Moris, La vie de cour dans l’Ancien Japon

Des nuages qui l’entourent, la lune,
En hésitant, émerge
Si débonnaire.
Basho

Durant l’époque d’Edo (1603-1868), cette fête a fini par être adoptée par le peuple en même temps que celle de la récolte du riz. De nos jours, on place des petits autels sur la véranda, sous les rayons de l’astre nocturne, avec des offrandes composées de fruits,  d’herbes et de sept fleurs de l’automne, de 15 boulettes sucrées tsukimi dango. Pour la décoration 5 à 10 roseaux susuki qui symbolisent le riz.

Dans une maison traditionnelle, la véranda engawa est le lieu privilégie pour contempler la lune.

LUNE, ASTRE NEFASTE

A une époque beaucoup plus reculée, il était dangereux de contempler la lune parce qu’on risquait d’être ensorcelé.

L’automne, par les clairs de lune, lorsque suis désespérément triste, je sors souvent sur le balcon et je contemple rêveusement la lune. Cela me fait penser aux jours passés. On dit qu’il est dangereux de contempler la lune dans la solitude, mais quelque chose m’y contraint, et je rêve assise, un peu à l’écart. extrait Journal de Musasaki Shikibu

Depuis le commencement du printemps, Kaguya-hime considérant la splendeur de la lune et plus qu’à l’ordinaire paraissait pensive ; si bien que son entourage, estimant qu’il était néfaste de contempler la face de la lune, l’en détournât, chaque fois qu’elle pouvais l’apercevoir, ne fut-ce qu’un instant, en trompant leur surveillance, elle pleurait à chaudes larmes. extrait Roman du coupeur de bambous Taketori monogatari.

Contempler la lune peut conduire à la folie !

Le moine fou de la lune, ou La contemplation intense de la lune », attribué à Kitagawa Utamaro (v. 1789) (Kyōgetsubō 狂月坊) © Bibliothèque numérique mondiale

Oh ! contempler la lune !
Des nuages passant de temps en temps
Nous reposent…
Basho

 

lieux d’inspiration pour les écrivains et les peintres

L’impératrice Akiko, sollicitée par la grande Vestale de Kamo, demanda à sa dame de compagnie réputée par ses talents littéraires, Murashiki Shikibu, d’écrire quelque chose de nouveau. Cette dernière, s’est rendue la nuit de claire de lune dans le temple d’Ishiyama situé sur le lac Biwa, prier jusqu’à l’aube pour obtenir l’inspiration. Le cadre et le reflet de l’astre dans l’eau, l’ont émue au point qu’elle vit son vœux exhaussé : le plan de son célèbre roman universel Le Dit du Genji Genji Monogatari prit forme ! Une salle du bâtiment principal du temple Genji no ma est consacrée à cette légende.

Deux ryokan sont réputés depuis des siècles en tant qu’endroits idéals pour contempler la lune : Ohashi-ya et Hakkei-tei.

Ohashi-ya, à O-aza Akasaka est la seule auberge historique du Tokai-do qui ait été conservée. Matsuo Basho (1644-1694) a séjourné à plusieurs reprises pour o-tsukimi.

La lune indique le chemin,
Prends ce sentir vers ma maison,
Ainsi t’invite
L’aubergiste du bord de route

© Utagawa, Hiroshige, Les 53 étapes du Tokaido, 36ème étape, courtisanes dans la rue à Goyu

La lune d’été levé au côté de Goyu
brille maintenant au dessus d’Akasaka

Du ryokan Hakkei-tei à Hikone, on voit le château de Hikone-jo (1603) se refléter dans les eaux de l’étang au centre du jardin paysager Chisen-kaiyu de Genkyu-en aménagé en 1677 sur les terres du palais.

© Museum of Fine Arts Boston

lune et dispositifs architecturaux

Lors de mon premier voyage, j’ai visité le Pavillon d’Argent Ginkaku-ji et la Villa Impériale de Katsura à Kyoto.

La construction de Ginkaku-ji a été commencée en 1473, à la demande du shogun amoureux des arts, Ashikaga Yoshimasa, mais jamais finie et devenue par la suite un temple bouddhiste. Ici, la Lune a sa place d’honneur ! Le nom de la cascade Sengetsu-sen « la source où se lave la lune » a une signification mythique : le reflet de la lune devrait se purifier dans ses eaux. Puis, la mer est représentée par ginshanada, une aire de sable blanc ratissée en formes de vagues et en son milieu se trouve le kogetsudai « monticule tournée vers la lune » qui symbolise le Mont Fuji.

La villa Impériale Katsura est un joyaux architectural, un bien culturel important du Japon bunkazai composé d’une villa, de pavillons et de jardins, bâtie entre 1616 et le milieu du XVIIe siècle, un lieu renommé depuis l’antiquité pour la beauté de son lever de lune sur la rivière.

Le décor de la villa de Katsura montre une omniprésence de la lune. On peut citer comme exemples les motifs ornementaux en bois ajouré du corps de logis et les poignées en bronze ciselé des portes coulissantes, qui dessinent de manière stylisée le caractère chinois de la lune. Un pavillon du jardin est orné de fenêtres rondes évoquant les six phases de la lune et la terrasse en plein air du corps de logis est dite tsukimi-dai « terrasse pour contempler la lune ». source

La villa a impressionné plusieurs architectes renommés : l’américain Frank Lloyd Wright, le français Le Corbusier et l’allemand Bruno Taut qui donna à cet édifice une renommée mondiale.

Nous sortîmes de l’estrade faite de troncs de bambous, appelée Terrasse de la Lune parce qu’elle fut construite pour que l’on puisse jouir de la pleine lune se reflétant dans les eaux de l’étang. De l’autre côté, parmi les buissons à flanc de coteau, était installée une lanterne en pierre. Monsieur Shimomura nous expliqua sa destination : lors de ces nuits de pleine lune, sa lumière devait attirer le lucioles, afin que leur scintillement se reflète lui aussi dans l’eau noire. La maison japonaise et ses habitants de Bruno Taut

Je fais entrer la lune
Dans ma chambre d’ami
Et m’assieds dans son ombre
Seibe (1748-1816)

Autres lieux célèbres meisho  pour o-tsukimi : l’étang d’Ōsawa au temple du Daikaku-ji à Kyōto, l’étang Sarusawa-ike à Nara, le Ishiyama-dera situé à Ōtsu (Shiga), l’ermitage du Shisendō à Kyoto…

cinema

Le film Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari), réalisé en 1953 par Mizoguchi Kenji

Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari 雨月物語), film réalisé en 1953, par Mizoguchi Kenji (溝口健二 1898-1956) © Archives du 7e Art / Daiei Studios / Alamy Stock Photo

Le film de Mizoguchi est une adaptation de deux récits, les Contes de pluie et de lune d’Ueda Akinari et une nouvelle de Guy de Maupassant ! Le film de Mizoguchi joue sur des ambiguïtés, des clairs-obscurs à la lueur de la lune, où le personnage principal a du mal à distinguer le vrai du faux, le simulacre de la réalité. Durant ses rêves éveillés, il se laisse entraîner par une belle femme, séductrice et perverse, qui n’est autre qu’un fantôme ou démon (oni ), suivant en cela la même trame narrative que Ueda Akinari ! Les prises de vues et cadrages de Mizoguchi nous plongent dans un univers poétique où le passé et le présent s’entremêlent ; la profondeur de la nuit dégage une atmosphère vaporeuse traversée de lueurs embrumées par des nappes de brouillards, naviguant sur des eaux troubles, où par instant apparaît encore la lune voilée par les nuages. extrait de Lumière, éclat et dissimulation : la lune dans l’art, l’architecture et la littérature au Japon de Murielle Hladik

 

11/2021

LA MONTAGNE   I   YAMA no hi

°°°

YAMA NO HI, « le jour de la montagne » est célébré depuis 2016, aux alentours du 11/08, afin que les Japonais « se familiarisent avec les montagnes ».

C’est le printemps
une montagne sans nom
dans la brume légère
Basho
Au milieu des montagnes
inutile de cueillir des chrysanthèmes
ils parfument la source chaude
Basho
Des montagnes au loin
le reflet sur la prunelle
d’une libellule
Issa
Descendant un sentier de montagne
l’ineffable grâce
des violettes
Basho

Où qu’on aille, une montagne n’est jamais loin car elle occupe +70 % du territoire. L’arc insulaire nippon se compose d’une part de l’espace habité sato, d’autre part de l’espace sauvage yama la montagne boisée et déserte et umi la mer.

Variant de formes et d’altitude, la montagne est partout. Des arbres, d’aspect familiers ou étrange, s’accrochant à ses pentes. Des pins clairsemés couronnent sa crête, autour d’un sommet dénudé. Mais, quand on le voit de très haut, le Japon moutonne. De temps à autres comme en repentir, des plaines (Tokyo, Nagoya, Sendai), le plus souvent alluviales, nées de ses fleuves qu’on ne peut pas ne pas appeler torrents ; ou bien encore un lac, tel le Biwa, de la taille de Léman. Le Japon Editions Odé

Nous allons voir comment ce trait saillant des îles, la montuosité, dont Fuji-san le sacré, a marqué la langue, les croyances et les arts.

YAMA Ethymologie

La montagne et la forêt sont complètement assimilées l’une à l’autre, ce que la langue reflète. […] Le dictionnaire nous indique que yama à l’origine signifie montagne avec les herbes et les arbres qui la couvrent ainsi que les kami qui y demeurent. Esprits divinisés locaux ou ancestraux, forces de la nature ou être surnaturels, les kami sont présents en tout lieu. La montage-forêt yama ou sanrin est perçue comme formée de deux parties complémentaires, okuyama (montagne-forte du fond), épaisse et inspirant le respect, voire une certaine crainte, et satoyama, la lisière éclaircie. Vocabulaire de la spatialité japonaise CNRS Editions

La montagne est inexorablement liée aux forêts qui couvrent 65% de la superficie, c’est-à-dire que le vert et ses camaïeux sont aussi une dominante du paysage. Vert sombre et bleuté des forêts profondes où voisinent sapins, cèdres pins et chryptomères ; vert tendre des bambous vaporeux qui confèrent une homogénéité aux compagnes et voisinent, au sud, avec les camphriers ou les camélias et, au nord, avec les érables et les chênes. Japon de Philippe Pons

MONT FUJI I FUJI SAn

Le mont Fuji a été Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco le 22 juin 2013 au titre de lieu sacré et source d’inspiration artistique. L’esprit du Japon est incarné dans sa forme conique parfaite, un chef-d’œuvre de la nature associé aux concepts de pureté, de grandeur, de force, d’éternité et de noblesse.

Pour l’étranger, mais pour le Japonais bien davantage encore, le Fuji c’est le Japon, est le Japon, le Fuji. Un simple détail du paysage s’impose à l’esprit, au point de ravaler au second plan tous les autres sites, et finit par se confondre, en l’absorbant, avec la contrée toute entière !

Fascinant
mont Fuji
invisible dans la bruine
Basho
Le mont Fuji
ennuagé à sa base,
un grand cèdre…
Basho
En souvenir d’Edo
le vent du mont Fuji
sur cet éventail
Basho
Lentement mais sûrement
escalade le mont Fuji
petit escargot !
Issa

Fuji-san est la montagne la plus haute 3 778 m du pays et circonférence +100 km qui s’étale sur les provinces Kaï, Suruga et Sagmai. Elle est née une nuit de juin en 286 av. J.-C. et sa dernière éruption date de décembre 1707, depuis lors on attend qu’elle se réveille….

L’ascension se fait en juillet et août, une fois le Fuji-san débarrassée de la neige. Les milliers de pèlerins agitent des clochettes en chantant : « Que nos sens soient purs et que le temps soit beau sur l’honorable montagne ».

Celui qui a la chance de voir le Mont Fuji « intégralement » retiendra un souvenir éternel du Japon qui écrasera tous les autres ! J’ai guetté des heures cet instant sur la plage de Hayama, lieu de résidence hivernale de la famille impériale, mais en vain ! Farouche, elle m’a laissée apercevoir que le bout de son cône lors de mon 4ème voyage

SHINTO et BOUDDHISME

La montagne tient une place essentielle sur le plan religieux et culturel.

Admirant le beau jardin du maître de l’ermitage de Shua :

les montagnes et le jardin
aussi
s’invitent
dans le salon d’été
Basho

L’architecture des temples shinto ou bouddhistes a une attitude de respect et de symbiose avec la nature shizen. En général, les temples shinto jinja se trouve en hauteur ou dans les profondeurs de la montagne yama no oku. Pour se rendre à okumiya le sanctuaire du fond, on emprunte un chemin long, sinueux et escarpé.

C’est qu’au Japon, le sacré réside en des lieux cachés et difficiles à atteindre. Ce qui est important, se cache aux regards, et pour y accéder maints détours sont nécessaires, contrairement à l’Europe dont les églises sont visibles et accessibles de partout. Chinju no mori ou miya no mori (le bois sacré) est l’attribut nécessaire du sanctuaire qui s’y dissimule. Coupez les arbres, que reste-t-il ? Au contraire, l’Europe moderne a dégagé les abords de ses cathédrales pour mieux les mettre en valeur. Vocabulaire de la spatialité japonaise CNRS Editions[/su_quote]

Le bouddhisme est arrivé au Japon au XIème siècle. A l’époque Heian (794-1185), les sectes ésotériques Tendai-shu et Shingon-shu ont également bâti leur temples o tera dans les montagnes pour pratiquer l’ascèse et l’étude. Sans oublier, Shugendo, une pratique religieuse dans laquelle la montagne tient une place primordiale.

Du fond de la manche
de l’ermite de la montagne
le chant d’une cigale
Issa

Fondé par En no Gyoja, la première personne à avoir gravit Fuji-san, Shugendo relie les anciens rites chamaniques au shinto et aux traditions ascétiques du bouddhisme. Son centre se trouve dans les mont Kii, autour de Yoshino. Comme son fondateur, les yamabushi, prêtre des montagnes, ont des talents de magiciens et d’exorcistes. Ses adeptes se ressourcent par des pratiques ascétiques en montagne qui apportent spiritualité et énergie. Le Shugendo a eu une influence considérable sur les arts du spectacle, la littérature, les beaux-arts et l’architecture (à lire mon article 5 et article 9).

PEINTURE

L’un des styles de paysage de la peinture classique est sansui (prononciation japonaise du terme chinois shānshuǐ « montagne et eau »). Le précurseur a été Sesshū Tōyō (1420-1506) célèbre pour ses peintures monochromes sur papier aux Lavis (technique d’encre et d’eau).

© Sesshu Toyo, 1495 Tokyo National Museum

À l’époque d’Edo, Utagawa Hiroshige (1797-1858) a redu hommage au Mont Fuji dans son chef d’œuvre : les Trente-six vues du mont Fuji Fugaku sanjû-rokkei (1830-1833).

© Utagawa Hiroshige, Le mont Fuji reflété dans le lac, à Misaka, dans la province de Kai (Kôshû Misaka no umizura suimen) BNF

Nuages de brume –
par intermittence
les cents vues du mont Fuji
Basho

De son côté, Katsushika Hokusai (1760-1849) a représenté le mont Fuji depuis plusieurs quartiers et monuments d’Edo, selon différents points de vue et moments de la journée. Entre 1834 et 1840, il a réalisé une seconde série comptant presque cent vues !

© Katsushika Hokusai, La passe de Mishima dans la province de Kai (Kôshû Mishima-goe) BNF
LITTÉRATURE

La montagne, et surtout le Fuji-san, est immortalisée dans d’innombrables écrits et poèmes. Je nomme ici Saigyō Hōshi et Kamo no Chômei.

Auteur le plus cité du recueil classique Shin-Kokinshu (1205), Saigyō Hōshi (1118-1190), guerrier de noble condition qui a fuit la société et devenu un moine errant, a définitivement intronisé dans la culture japonaise le thème de la « montagne profonde » shinrin, où de loin en loin l’on rencontre un « hameau solitaire » yamazato no sekiryo, etc. ) tout un trésor d’expressions qui vont établir, pour la postérité, un rapport immédiat entre la montagne, la solitude et certain sentiment de calme, teinté de mélancolie sabishi, le tout valorisé tant moralement qu’esthétiquement.

Dans un village de montagne
à la fin de l’automne,
c’est là qu’on apprend
ce que signifie la tristesse
dans le souffle du vent d’hiver.
Ne m’arrêtant pas pour marquer le sentier,
laissez-moi pousser encore plus profondément
dans la montagne!
Il y a peut-être un endroit
où les mauvaises nouvelles ne peuvent jamais m’atteindre !

extrait de Poèmes de ma hutte de montagne

De son côté,  Kamo no Chômei, fils d’un prêtre shintoiste, est connu pour son autobiographie, Notes de ma cabane de moine, rédigée en 1212, qui traite de l’universelle précarité de la vie humaine, de la découverte de la montagne et le salut par la nature.

Que faut-il donc faire pour « goûter un instant le contentement du cœur » ? Il vient à l’idée de Chômei de se construire un ermitage.[…] Chômei décrit l’existence qu’il y mène, fruste mais agrémentée par la contemplation des paysages, la poésie et la musique. Il possède encore quelques livres, et a emporté son biwa, une sorte de luth.[…] « J’assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n’y accroche pas mon espoir et n’éprouve pas non plus de regret. » source

En 1964, l’écrivain et alpiniste Kyûya Fukada (1903-1971) a établi la liste des 100 montagnes les plus célèbres du Japon Nihon Hyaku meizan, en fonction de l’altitude des différents sommets, « de la dignité de la montagne, du caractère historique, de l’individualité de la montagne » et de la beauté des paysages. Depuis, l’ascension de ces 100 sommets est devenu un défi pour les randonneurs japonais.

Azaleees en fleur
dans le village de montagne
blancheur du riz cuit
Buson
Contre le vent de la montagne
il lutte en marchant
le passereau
Issa

10/2021

La Mer I UMI NO HI

°°°

Le Japon est un État insulaire dont la superficie terrestre est augmentée par l’étendue de ses eaux territoriales, couvrant au total 4,51 millions de km2 et comptant officiellement 8 645 îles. source

Écrire cet article sur la mer fut un défi ! J’ai réalisé que le sujet est limite tabou pour les Japonais alors que leur pays est maritime !

La mer est fêtée que depuis 1996, le troisième lundi du mois de juillet, Umi no hi, littéralement « Jour de la mer ». En outre, cette célébration n’est rattachée à aucune tradition ancienne malgré que la mythologie et l’histoire nippones soient nées dans la Mer Intérieure Setonaikai !

Mythologie et folklore
Ryujin est le dieu de la mer dans la mythologie japonaise. C’est un dragon, symbole de la puissance de l’océan, pourvu d’une large gueule et capable de prendre forme humaine. Il vit à Ryūgū-jō d’où il contrôle les marées grâce à des joyaux magiques. Les tortues marines, les poissons et les méduses sont souvent décrites comme étant ses serviteurs.
Ryujin est le père de la magnifique déesse Otohime qui épousa le prince chasseur Hoori. Le premier empereur du Japon, Jimmu, étant présenté comme le petit-fils d’Otohime et de Hoori, Ryujin est considéré comme l’un des ancêtres de la dynastie impériale japonaise. Wikipedia
Umi-bozu est le moine de la mer, démon de la tempête, craint des marins. On le représente comme un religieux bouddhiste vêtu entièrement de noire et la tête rasée. Parfois confondu avec Shojo, esprit marin des légendes, que l’on croit avide de saké. Cet être est représenté sous apparence humaine, avec de longs cheveux rouges. Le Japon Dictionnaire et civilisation de Louis Frédéric

RELIGION

Les poissons, les coquillages et les algues faisaient partie des produits marins offerts aux divinités jôbun.  Le sel, pour sa part, il a une fonction purificatrice qui demeure vivace dans les habitudes populaires notamment lors des funérailles.

Dans l’odeur du port
du village de pêcheurs
les danses sous la lune
SHIKI

histoire et politique

L’histoire de l’univers maritime aurait toujours été occultée par l’État et par les historiens eux-mêmes, d’après une étude approfondie réalisée par Yoshihiko Amino – Les Japonais et la mer

Le tribut offert à l’empereur par les pêcheurs ama, les marins kaifu et les poseurs de filets amiudo  fut composé de produits de la mer : poissons, coquillages et algues.

Au Moyen Age, des impôts furent créés sur les revenus tirés du commerce et des transports. Puis, des péages et des barrières furent installés le long des routes terrestres, fluviales et maritimes.

Au 14ème siècle, le long du littoral sur des collines dominant la mer on construit des châteaux de mer umishiro  postes de garde pour juguler la piraterie  mais par la suite aux 15e et 16e siècles ils se transformèrent souvent en établissements de contrôle des taxes que les navires devaient acquitter.

A partir du 17ème siècle, la mer s’est vue attribuer une place secondaire durant le replis protectionniste qui a duré deux siècles. En 1603, le shōgun Tokugawa Ieyasu (1543-1616) a imposé la fermeture du pays sakoku, littéralement enchaînement du pays. Par conséquent, la mer s’est vue occultée par la rizière ! La cour impériale et les seigneurs ont imposé des taxes et des redevances à la population. Ainsi, le riz est devenu un produit noble, symbole de richesse.

 arts

Il suffit de comparer les deux œuvres picturales des maîtres Hokusai et Hiroshige pour comprendre le caractère bipolaire de la mer.

Hokusai représente la mer dévastatrice, périlleuse, en pleine colère dans la baie de Sagami.

L’écume de la vague en forme de griffes de dragon est l’une des particularités du style de Hokusai […] L’artiste souligne la domination de la force impétueuse de la nature sur la fragilité humaine, représentée ici par de petites barques à la merci de la mer. Japon de Rosella Menegazzo

© Katsushika Hokusai, Kanagawa-oki nami-ura Sous la vague au large de Kanagaa de la série Fugaku Sanjurokkei Trente-six vue du mont Fuji vers 1830-1832

Tandis que Hiroshige nous révèle une mer apprivoisée, peu profonde, la Mer Intérieure Setonakai, typiquement nippone, avec des îlots parés de pins torturés. Les tourbillons de Naruto attirent encore aujourd’hui les spectateurs. J’ai eu l’occasion d’admirer ce tableau marin unique lors de mon 6ème voyage.

© Utagawa Hiroshige Awa naruto no fukei vue des tourbillons du détroit de Naruto , près de l’ile d’Awaji de la série Neige, lune, fleurs, 1857

Depuis des siècles, l’activité artistique a pour cadre les côtes de la Mer Intérieure Setonakai. Elle a été classée parc national naturel en 1934 avant le Mont Fuji ! Je l’ai découverte lors de mon 2ème voyage. Ces milliers de petites îles m’ont émue par leur magnificence.

Naoshima et Inujima abritaient des usines de bronze dont la pollution à l’acide sulfurique s’étendait jusqu’à Teshima. Une fois leur activité stoppée, les îles se sont retrouvées avec peu d’habitants, principalement des personnes âgées. C’est Tetsuhiko Fukutake, devenu fortuné grâce à l’édition de manuels scolaires, qui a eu l’idée en 1990 de transformer ses îles de son enfance en Musées à ciel ouvert. Depuis sa disparition, son fils, Soichiro a pris la relève de la fondation paternelle.

Lieux magiques à explorer et si passionné(e) d’art rendez-vous à la triennale de l’art contemporain de Setouchi qui se déroule sur… 12 îles !

Mettez « les voiles »… dès que possible !

Tout sent la mer
dans le voyage en bateau
BASHO

 

9/2021

LA PLUIE AME  LA SAISON DES PLUIES TSUYU

°°°

Que vous inspire la pluie ? Délectation ou détestation ?

Les Japonais sont hypersensibles à l’humeur de la pluie ame qui se met dans tous ses états au gré des saisons – bruines de printemps, typhons dévastateurs, moussons ravageurs – et cela se reflète dans les croyances religieuses et indigènes, la langue, les œuvres écrites, la peinture, l’architecture…

TSUYU_LA SAISON DES PLUIES

Tsuyu “pluie de prunes” désigne la saison des pluies allant de fin mai à la fin juillet selon la région, période qui coïncide avec la récolte des prunes.

J’ai fait l’expérience du plus grand orage shuchu-go depuis 1957, lors de mon 1er voyage à Kyoto au printemps 2012 : terrifiée par les rafales et les tonnerres, j’ai quitté le parc du château Nijo à la vitesse d’un shinkansen. Puis, lors du 4ème voyage, à Tokyo, j’ai subi durant 5 jours des averses diluviennes incessantes accompagnées de chaleur… un supplice !

CROYANCES

D’après l’historien Alain Corbin, l’attention portée aux phénomènes météorologiques, leur lecture, leur appréciation sont liées aux systèmes des croyances.

> Croyances religieuses

  • Shinto

Inévitablement, le shinto a sa divinité de la pluie et de la neige, Okami-no-kami dans le Kojiki° ou Kuraokami dans le Nihon Shoki°°, qui est à la fois un légendaire dragon japonais.

Puis, le frère de la déesse du soleil Amaterasu, dénommé Susanoo, Dieu néfaste de la mer, des tempêtes et des intempéries exilé du ciel sur terre, puis dégradé en divinité des enfers et des revenants.

  • Bouddhisme

Convaincue des relations entre l’homme et les divinités, des cérémonies bouddhiques de confession des fautes et psalmodie de soûtras évitaient aux hommes de subir de longues sécheresses.

Le souverain, de son côté, se devait de changer le nom de l’ère nengô** en fonction des catastrophes, guerres, épidémies, orages ou inondations.

Encore aujourd’hui, certains moines itinérants  Yamabushi, anachorètes de shugendô* qui vivent dans les montagnes, détiennent l’art de faire tomber la pluie.

> Croyances indigènes

  • Les revenants Yurei

Vers la fin du IXe siècle, à la suite des épidémies propagées en raison de l’agrandissement de Heian Kyo (actuelle Kyoto), le bouddhisme se rallia aux croyances indigènes relatives à l’existence d’un lien entre le monde des morts et les catastrophes naturelles. On attribuait les inondations et les épidémies aux êtres maléfiques, les revenants yureiyuu signifiant « sombre » et rei « âme ou esprit » – que l’on chassait avec des rites d’exorcismes.

Souvent représentés par le dieu Susanoo lié aux tempêtes et aux intempéries, il s’agit des défunts qui ont subi une mort brutale, un destin tragique, des morts sans descendance, oubliés des vivants ou dans un état de passion et de folie qui empêche la compréhension du caractère illusoire du monde.

L’existence des revenants demeure une conviction contemporaine, omniprésents dans les films, la littérature, le manga…

  • Superstition

Une superstition pour conjurer la pluie : il suffit d’accrocher à la fenêtre ou à l’avant-toit la veille d’un départ,  une poupée artisanale fabriquée avec du papier ou du tissu blanc tout en chantant une comptine traditionnelle en guise de prière Teru teru bozu

Teru-teru-bōzu, teru bōzu
Ashita tenki ni shite o-kure […]
Sore de mo kumotte naitetara
Sonata no kubi wo chon to kiru zo

Teru-teru-bozu, teru bozu
Fais que demain soit une journée ensoleillée […]
Car s’il fait nuageux et que tu pleures
Je devrai te couper la tête

ENRICHISSEMENT Du langage

La sensibilité des Japonais face à la pluie se reflète dans le langage par la création des onomatopées expressives

shito shito : le son d’une pluie fine
zaza zaza : le son d’une pluie forte

et de mots (environ 71)  pour désigner la pluie !

Telle pluie ne tombe qu’en telle saison, voire à tel moment de la journée, parce qu’elle est inséparable de tout un monde de sensations, d’émotions, d’évocations dont l’enchaînement plus ou moins codifié l’enclave dans un certain paysage. Le sauvage de l’artifice, Augustin Berque

Sans parler des nuages ! Il y a 21 termes traditionnels :

amagumo : nuage chargé de pluie
raiun : nuage orageux
shirakumo : nuage pâle, nuage blanc
hekiun : nuage bleuâtre…

Une calligraphie se trouve à côté de moi, celle d’un abbé zen du temple de Manpuku-ji à Kyoto. Voici son message : La voix des nuages entre dans la nuit et chante. C’est une description parfaite des nuits pluvieuses ici à Kameoka, quand la pluie tapote le toit et que je puis entendre l’impétueux cours d’eau, au bas du jardin. Japon perdu, Alex Kerr

La pluie occupe une place primordiale dans toutes les formes d’arts : littérature, poésie, peinture…

LITTÉRATURE_HAIKU_WAKA_ POESIE VISUELLE
La pluie en ce début d’été tombait plus dur que les années précédentes, pas la moindre tache claire ne trouait le ciel nuageux. Le Dit du Genji, Murasaki Shikibu

Un jour de pluie, où l’on s’ennuie, on retrouve les lettres d’un homme jadis aimé. Sei Shônagon, Notes de chevet (19. Choses qui font naître un doux souvenir du passé).

La pluie apparaît dans la littérature japonaise en même temps que le Kojiki (Chronique des choses anciennes, achevé en 712), le plus ancien ouvrage parvenu jusqu’à nous. La première anthologie de poèmes, le Man.yôshû (Recueil des dix mille feuilles, achevé vers 760) distingue déjà harusame (pluie de printemps), yûdachi (pluie d’été), shigure (pluie glacée), murasame (pluie sur le village), kosame (petite pluie) et naga-ame (longue pluie). La pluie et ses nuances constituent également un « mot de saison » (kigo) dans le haiku (poème bref de 17 syllabes). source Komachiya Teruhiko, Nihon daihyakka zensho, Shogakukan, article « pluie ».

Hi no michi ya
moi katabuku
satsuk – ame
Trajectoire du soleil –
Les fleurs de la mauve se penchent
dans le crachin de juin

Matsuo Bashô (1644-1694)

Bushosa ya kaki –
okosareshi  
haru no ame
Paresse –
A mon lever
La pluie printanière

Matsuo Bashô (1644-1694)

Hana no iro wa
Utsuri ni keri na
Itazura ni
Waga mi yo ni furu
Nagame seshi ma ni.

La fleur s’est fadée,
Vaine était sa couleur.
Il pleuvait sans cesse,
Alors que je vieillis
Contemplant ce monde humain.

ONO no Komachi (825-900)

De son côté, la poésie visuelle contemporaine, née au Japon grâce à Kitasono Katsue et Niikuni Seiichi, entretient des liens avec l’image car elle donne à voir la pluie sur base des signes d’écriture. C’est Kitasono Katsue qui a composé l’un des premiers poèmes visuels japonais contemporains en 1958.

Ici, l’idéogramme choisi par Niikuni Seiichi évoque, grâce à un « déchaînement scriptural », le bruit qu’elle fait en tombant.雨 rain” by seiichi niikuni (1966)

雨 rain”  Seiichi Niikuni (1966)

PEINTURE

[…] plaisir du regard. La pluie colore les éléments de la nature. Elle leur confère une beauté inattendue, dont l’individu se délecte. Histoire buissonnière de la pluie, Alain Corbin

Le spectacle visuel qu’offre la pluie fait l’objet d’interprétations picturales. La célèbre estampe de Hiroshige, où la pluie se trouve représentée à l’aide de traits obliques qui barrent l’ensemble du paysage, a fortement inspiré Van Gogh.

© Ohashi Atake no Yudachi, Hiroshig
© Pont sous la pluie (d’après Hiroshige), Vincent van Gogh, 1887
ARCHITECTURE

Les toits saillants d’une maison traditionnelle, protège l’intérieur des précipitations. Grâce à son architecture, la pluie devient un « tableau de saison » … typiquement japonais.

Ma saison préférée arrive plus tard vers la fin mai ou début juin, quand commence la saison des pluies. les grenouilles des rivières environnantes se mettent à coasser et mes ami de Tokyo lorsqu’ils appellent sont stupéfaits de pouvoir les entendre même au téléphone. Telles des pierres d’émeraudes, les grenouilles sautillent en tout sens, décorent feuilles et pierres de gué. Puis les lotus fleurissent et la pluie lourde tambourine agréablement sur le toit de ma chambre. Dormir à la saison des pluies est toujours un plaisir. Japon perdu, Alex Kerr

Pluie de printemps –
Toute chose
Embellit

Chiyo-Ni (1703-1775)


Kokiji (711) et Nihon shoki (720)  : les écritures majeures du shintô, chroniques en forme de généalogie qui enregistrent les générations tant divines qu’humaines qui se sont succédées depuis l’Age des Dieux et la création du monde.

shugendô : tradition spirituelle lié à l’ascétisme en montagne dont le but est le développement d’expériences de pouvoirs spirituels gen par la pratique dō vertueuse de l’ascèse shu. Religion syncrétique incorporant des aspects du taoïsme, du shinto, du bouddhisme ésotérique et du shamanisme japonais traditionnel.

nengo : nom d’ères. Chaque souverain, à son avènement, décrétait urne ère nouvelle et en changeait si les circonstances le demandaient ou si, tout simplement il lui convenait de marquer une scission dans la continuité de son règne. A partir de 1868, il n’y a eu plus qu’une seule ère par souverain et on désigna après leur mort chaque empereur du nom de on ère.

 

8/2021

IRIS, LE RADIEUX

°°°

© Hokusai Katsushika, Iris et sauterelle, Série dite des « Grandes Fleurs »

On prête aux fleurs « non seulement une beauté personnelle, mais des qualités, des mouvements d’humeur, un caractère complet, une âme, minuscule reflet de la grande âme de la nature. […] Le Livre des Fleurs  de Georges Ohsawa

Admirer les fleurs de cerisiers au printemps et les feuilles d’érables en automne est une tradition inscrite dans l’ADN des Japonais. Chaque fleur et arbre est célébré(e) et/ou déifié(e) sur base du calendrier des floraisons car aduler le végétal fait partie intégrante de l’esthétique japonaise.

Je dédie cet article à l’IRIS, peu abordé dans les écrits et de manière éparse, pourtant objet d’une symbolique débordante au Japon, magnifié dans la mythologie, les traditions et les coutumes, les codes esthétiques, ainsi que dans toutes les formes d’arts.

ORIGINES

La fleur d’iris est une liliacée mythique. L’iris japonais provient d’un ancêtre d’Asie, liris ensata. Pour admirer 250 espèces d’iris, il suffit de séjourner dans le Ryokan Ishidaya.

Les variétés les plus admirées, sur un cours d’eau, un étage ou une mare, sont kozasagawa, nemurijishi, chiyo-no-haru, miyoshinoe et haru-no-umi.

MYTHOLOGIE

La fleur d’iris est citée pour la première fois dans Kojiki.° Après la mort d’Izanami, qui créa les dieux du Vent, des Montagnes, des Océans et du Feu, Izanagi est descendu dans la Nuit éternelle pour la rechercher mais sans succès. Une fois remonté sur terre, les vêtements qu’il retira avant de se purifier dans une rivière, se transformèrent en douze dieux et ses bijoux en fleurs – un bracelet en iris, un autre en lotus et un collier en chrysanthème.

Kokiji° : Les écritures majeures du shintô, sont Kokiji et le Nihonshoki, chroniques en forme de généalogie qui enregistrent les générations tant divines qu’humaines qui se sont succédées depuis l’Age des Dieux et la création du monde.
Izanami et Izanagi°° : couple fraternel, créateur des îles du Nippon

FESTIVAL DE L’IRIS & SYMBOLISME

Le festival des iris existe depuis l’époque Heian (794-1185) et se déroule le 5e jour du 5e mois en même temps que la fête des garçons Kodomo no Hi (on accroche au vent les koi nobori, bannières en forme de carpe symbolisant la force, la persévérance et la longévité).

On confère à l’iris un rôle purificateur et protecteur. Pour se préserver des mauvais esprits et contre l’incendie, on couvrait les toits de feuilles d’iris shôbu et de branches d’armoise (parfois l’iris est cultivé sur la toiture en chaume). Pour se protéger de la maladie, on accrochait des iris aux murs du Palais et dans les demeures ainsi qu’aux épées et aux palanquins, et bien sûr on prenait des bains d’iris.

Le souverain portait une guirlande d’iris et servait à ses hauts fonctionnaires du vin dans lequel on trompait des feuilles d’iris. Puis, en guise d’élégance, les gentilshommes et les dames attachaient des iris dans leurs coiffures.

Feuilles d’iris des marais
je les noue
aux lanières de mes sandales

Basho

On organisait aussi des compétitions de chevaux et de tir à l’arc…aux vertus prophylactiques. Sans oublier, le concours de jardin, une variante des jeux de comparaison, dans lequel deux équipes s’affrontaient pour créer le plus beau jardin.

Objet d’une symbolique très riche au Japon, l’iris est traditionnellement évoqué dans un grand nombre de poèmes et de pièces de théâtre. L’iris est tout à la fois associé au printemps, à la fécondité, mais aussi à la nostalgie, au passé lointain ; il symbolise également la virilité et les samouraï, la forme des feuilles évoquant la lame de leur sabre katana.

code esthétique & AMOUR

A l’âge d’or Heian, la sensibilité esthétique avait plus de valeur que la vertu. Le code du beau a atteint le summum de l’élégance mais aussi de la sophistication. Adresser une lettre à sa bien-aimée était un art complexe régit par des règles : le choix de la couleur du papier et de sa note de parfum, la nuance de couleur du bouton de fleur qui l’accompagne…

Par ailleurs, l’amoureux se devait de cueillir dans les étangs les iris qu’il allait offrait. L’intensité des sentiments se mesurait à la longueur des racines…. l’art de se passer des mots pour prouver son amour.

Dans tous les étangs
j’ai trempé mes manches
en quête d’iris
aux racines aussi profondes
que mon amour.
Sanjôin no Nyôkurôdo Sakon, shin Kokonshû,vol XI

DANSE KABUKI

Tenaraiko, danse de Kabuki créée à Edo en 1792 sous le nom de Kakitsubata nana no Someginu, prenant pour sujet l’innocence d’une jeune écolière. Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis Frédérice

Invité par un homme le 4 mai,
j’ai vu l’acteur de kabuki Yoshioka Motome.
Comme il est mort le lendemain, ce haïku est
son oraison funèbre

Les fleurs d’iris
fanées en une nuit –
Ah Motome !
Bashô

HAIKU

Tous les Japonais ont la fibre poétique et sont, pour ainsi dire, des poètes de nature ; ils sont peut-être enclins à s’exprimer en vers parce qu’ils sont nés dans un pays d’une grande beauté scénique et artistique. We Japenese

© Utagawa Hiroshige Jardin d’iris à Horikiri

Oh tous ces iris!
Et pareil à s’y méprendre
leur reflet dans l’eau.

Bashô, Journaux de voyage

© Utagawa Hiroshige Eté dans un jardin d’iris

Chant triste                                                  
du coucou,
Iris du début d’été,
sans savoir pourquoi
me voici amoureux.

Kokin-shu 480 Anonyme

LITTÉRATURE

Le chapitre IX des Contes d’Ise Ise monogatari a inspiré plusieurs artistes et disciplines.

Ils arrivèrent dans la province de Mikawa à un lieu-dit les Huit-Ponts (Yatsu-hashi). On appelle ainsi celui-ci parce que la rivière se sépare en bras comme des pattes d’araignée et qu’on passe sur huit ponts. Dans le voisinage de cette plaine marécageuse, ils mirent pied à terre et mangèrent leur riz froid. En cet endroit marécageux, les iris fleurissaient splendidement. Les regardant, l’un des compagnons dit : il serait amusant de composer un acrostiche en prenant les cinq syllabes du mot kakitsubata (iris). Alors cet homme composa ce poème :

Comme un beau vêtement
Auquel on s’est attaché en le portant
J’ai une femme
Dans ce voyage qui m’a amené si loin
Je pense à elle avec des regrets.

Quand il eut récité ces vers, tous pleurèrent tant sur leur riz sec qu’il en fut tout détrempé. Tous étaient tristes, il n’en était pas un qui n’eut laissé à la capitale (Kyoto) une femme aimée.

  • THÉÂTRE NÔ

Kakitsubata « fleurs d’iris » est le titre d’une pièce de théâtre Nô. Un religieux itinérant rencontre une jeune femme noble qui l’invite à passer la nuit dans sa résidence. Elle se vêt luxueusement et se révèle à lui comme étant l’esprit de la fleur d’iris célébrée dans un poème d’Ariwara no Narihira. Le Japon Dictionnaire et civilisation Louis Frédéric

Le poète Ariwara no Narihira a composé un acrostiche sur les cinq syllabes du mot kakitsuhata, iris en langue ancienne.

KAragoromo
KIsutsu narenishi
TSUma shi areba
HAru-baru kinuru
TAbi wo shi zo omohu

Comme une robe merveilleuse
longtemps portée, chérie de plus belle
ainsi à la femme qui est mienne
se noue le fil de mes pensées
en ce voyage qui m’en tient éloigné

  • ESTAMPE

Harunobu Suzuki (1725-1770) a peint l’estampe Les « Huit Ponts » dans la province de Mikawa, en utilisant sa propre technique créée en 1765 nishiki-e  (aussi appelé Edo-e du nom de la période) qui consiste en l‘impression d’estampes ukiyo-e utilisant de 5 à 10 couleurs (et autant de blocs d’impression).

© Bibliothèque nationale de France

  • PARAVENT BYOBU

Ogata Korin (1658-1710), maître du style décoratif capable de représenter l’essence même des choses comme un philosophe, a également été inspiré par cet épisode d‘Ise Monogatari Contes d’Ise.

La célèbre paire de paravents à 6 feuilles met en valeur les iris sur une surface recouverte de feuilles d’or qui ont la particularité d’absorber la lumière des sources les plus ténues et d’éclairer l’obscurité des pièces à l’époque où l’éclairage artificiel était inexistant.

Il a peint selon le style mokkutsu « sans os » technique de peintre de paysages dans laquelle fleurs et feuilles sont simplement indiquées par des touches d’encre ou de couleur sans lignes les délimitant. Une technique moderne dérivée dénommée môrôtai.

Le paravent d’Ogata Korin Iris, peint vers 1701, est exposé en mai et juin de chaque année au Tokyo Nezu Museum

© Tokyo Nezu Museum

estampes & ART OCCIDENTAL

Le Japon a participé pour la première fois à une exposition universelle en 1867, à Paris, ce qui a permit de découvrir la culture japonaise, dont les estampes, et donner naissance dans les années 1870 au phénomène culturel nommé le « Japonisme »

Cet exotisme, dont les mobiles intimes sont révélateurs, pousse toujours plus avant, et, au moment où s’emploie l’Impressionnisme, c’est le Japon qui devient la référence principale : les gravures d’Hokusai, d’Utamaro, figurent au fond de certaines toiles de Manet, sont transposées dans les premiers grands portraits de Monet et exercent une action bouleversante sur la peinture de Van Gogh. Les puissances de l’image de René Huyghe

Vincent Van Gogh (1853-1890) écrivait du Sud de la France à son frère :  Ma vie devient ici de plus en plus celle d’un peintre japonais.

La luminosité des couleurs claires, le rythme entraînant des lignes et des points, la force expressive renforcée par la simplifications des contours et le fait d’encrer les surfaces décoratives au niveau de la toile l’avait rendu captif des ukyo-e. Ryokan Editions Könemann

© Domaine public, Vincent van Gogh, Les iris, peinture à l’huile, 1889

Lors de mon 2ème voyage en 2013, ma caméra a immortalisé les premiers iris croisés sur mon chemin, à Kurashiki, Matsuyama, Uchiko, villes situées sur l’île de Shikoku.

Du violet des nuages
au mauve des iris
ma pensée va sans cesse
Chiyo-ni

Iris, le Radieux, la grâce éphémère !

 

 

7/2021

LE CULTE DES SAISONS I SHIKI

°°°

Chaque année, le 4 mai, le Japon fête MIDORI NO HI le jour vert où l’on communique avec la nature et on la remercie… tout en oubliant ses violences.

L’âme japonaise vénère également les saisons shiki, respectivement associées au bois, au feu, au métal et à l’eau (les 18 derniers jours de chacune doyo sont associés à la terre). Elles se distinguent au niveau du climat et des catastrophes naturelles, de la flore, mais aussi des évènements sociaux, des coutumes, de la gastronomie, etc…

LA FLORE

Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver possèdent chacun leurs représentants : depuis les pins à feuillages persistants, les pruniers et les cerisiers en fleurs, jusqu’aux graminées estivales, aux fleurs des champs, aux bambous, aux chrysanthèmes et aux feuillages nus d’automne, voire aux blancheurs de la neige, en passant par les azalées et les iris. Ryokan, Editions Könemann

Les Japonais communient avec le végétal qui d’ailleurs règne dans la vie quotidienne et dans toutes les formes d’art.

Selon la croyance shinto, la nature a une âme et les arbres sont habités pas les kami, esprits de la nature déifiés. Chaque mois de l’année possède sa fleur ou son arbre favori, les saisons de floraison variant selon la région (calendrier des floraisons).

Kono matsu no mibae
seshi yo ya
kami no aki
Oh ! Ce pin aurait poussé
à l’âge des dieux…
Automne des kami !

L’amour des fleurs se retrouve dans l’art du bouquet ikebana, codifié depuis le XVIe siècle : proscrire la symétrie, mettre les fleurs dans leurs position naturelle, connaître les symboles (pin matsu longue vie, bambou take prospérité, fleur de prunier ume no hana sagesse…), tenir compte de la forme du vase…

Puis, on a établit un répertoire national du Beau comprenant des sites meisho nés d’une émotion littéraire, d’un épisode historique ou légendaire dont la célébration est essentiellement collective.

 

FÊTES ET RITES SAISONNIERS

Dénommées savamment nenchugyoji rites saisonniers, mais aussi matsuri fêtes ou encore monbi jour où l’on revêt le vêtement aux armoiries familiales, les célébrations annuelles de tokiori les pliures du temps, où le monde profane se revivifie au contact du sacré garde la clarté d’un ciel sans nuages. Ce monde échappe ainsi aux processus de dégradation des choses dans le temps auquel il serait sinon voué. Les dates festives sont fixées en fonction des multiples calendriers qui coexistent au Japon (le calendrier solaire, luni-solaire, grégorien, bouddhiste…) Dictionnaire de la civilisation japonaise édition Hazan

 

LITTÉRATURE ET POÉSIE

Dès l’époque Heian (794-1185) les écrivains portaient une attention extrême à la nature dans son instantanéité.
La sensibilité aux variations les plus subtiles de la nature était un attribut des « gens biens ». Faute de posséder cette sensibilité, il était impossible de pénétrer la « qualité émotive des choses », considérée comme la base de toute lucidité esthétique ou même morale. Yvan Morris La vie de cour dans l’ancien Japon au temps du Prince Genji

Murasaki Shikibu dans Genji monogatari Le Dit du Genji était obnubilée pas les transformations annuelles de la nature et les effets qu’elle pouvait avoir sur les hommes.  Une multitude de phénomènes naturels sont devenus métaphores des émotions humaines.

© Domaine public

Au printemps c’est l’ordre que je préfère. La cime des monts devient peu à peu distincte et s’éclaire faiblement. Des nuages violacés s’allongent en minces traînées. Sei Shônagon, Makura no soshi Notes de chevet

Kokin wakashu, le premier recueils de poèmes waka créé à l’époque Heian et les haïku (poèmes court de 5, 7 et 5 syllabes) célèbrent la nature en utilisant des mots de saisons kigo. On a recensé plus de 5 000 kigo dans les recueils de thèmes saisonniers sajiki qu’emploient les auteurs. Il y a tant de grands poètes, mais celui qui a donné les titres de noblesse au haïku est le moine Matsuo Bashô (1644-1694).

Dans le haïku japonais, le code veut qu’il y ait toujours le mot-saison. Du haïku, la notation amoureuse garde le kigo, cette mince allusion à la pluie, au soir, à la lumière, à tout ce qui baigne, diffuse. Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux

– Comment atteindre le zen ?
– Écoutez le bruit des gouttes de pluie qui tombent.
Les Japonais semblent s’être abstenus de toute spéculation métaphysique sur le rapport homme-nature pour privilégier l’expérience plus que l’abstraction : leur langue est d’ailleurs plus riche à rendre l’émotion que le constat.
Philippe Pons, Japon

ART

Les nuances et les motifs de chaque saison se retrouvent sur la vaisselle, les rouleaux peints, les détails architecturaux et les tissus, ainsi que les menus. On y inclut également des teintes liées à la saison, le bleu lumineux du ciel, le gris foncé d’un temps de pluie, le gris pâle du brouillard ou le blanc glacé d’un jour d’hiver. Ryokan, éditions Könemann

L’art japonais s’est tourné vers la nature. Il a appris à ressentir les méthodes, les modifications les plus subtiles de la nature au fil des saisons et à les exprimer. La beauté de l’objet demeure obscure à l’entendement  qui cherche à l’analyser. Le beau se révèle dans le sentiment qui allie cœur et chose. Kaii Higashiyama, peintre (1908-1999)

L’expression kachofugetsu (fleurs, oiseaux, vent, lune) qui fait référence à la beauté de la nature du Japon, est le signe d’un esprit raffiné amoureux de celle-ci.

La peinture shiki-e sur paravent, de style yamato-e de l’époque Heian, et le tsukinami-e qui représente les 12 mois de l’année par des événements et des paysages, sont devenus des thèmes prédominants.

Kinbyo no matsu no
furusa yo
fuyu-gomori
Sur le paravent doré
le pin millénaire –
Solitude hivernale de ce maître

Dès l’époque Heian (794-1185), le paysage avait envahi la peinture religieuse. Par la suite, et jusqu’à l’ère Edo (1603-1868), la nature dominât avec ses formes et ses modèles indépendamment des thèmes religieux.

Suzushisa o e ni
utsushi keri
Saga no take
La fraîcheur
reflétée dans la peinture
de bambous de Saga

Les peintres les plus connus en Occident sont Sesshu (1420-1506) prêtre-zen et grand maître du lavis monochrome pour ses peintures de paysages, de fleurs et d’oiseaux, Hiroshige (1797-1858) pour 53 stations du Tokaido et les Vues d’Edo. Hokusai (1760-1849) pour ses grades cascades et vues du mont Fuji…

L’expression des saisons dans la peinture yamato-e a aussi influencé l’artisanat : laque maki-e, céramique tôgei...

shiki-e : peinture de saison
yamato-e : A l’époque Heian, les peintures de saisons sont l’une des catégories principales de la peinture de style japonais, Elles sont représentées sur paravent ou sur paroi coulissante. Succède au Karae (ce terme désigne la peinture de style chinois, par opposition à la peinture de style japonais yamato-e. Cette dernière supplante le karae à partir du milieu de l’époque de Heian) source www.dictionnaire-japonais.com
tsukinami-e : littéralement, «images de mois en séquence», illustre les activités et festivals typiques qui ont lieu tout au long de l’année.
maki-e  : littéralement: « peinture parsemée », ou « image saupoudrée », est une forme de l’art du laque pratiqué au Japon. La surface laquée est parsemée de poudre d’or ou d’argent, à l’aide d’un makizutsu ou d’un pinceau kebo. La technique a été développée principalement à l’époque de Heian (794–1185) et s’est épanouie à l’époque d’Edo (1603–1868). Les objets maki-e ont été initialement conçus comme articles d’intérieur pour les nobles de la cour. Ils gagnèrent rapidement en popularité et furent adoptés par les familles royales et les chefs militaires comme un symbole du pouvoir.

VIE QUOTIDIENNE

La relation et l’harmonie avec la nature est l’une des caractéristique de la vie quotidienne et de l’esthétique traditionnelle du Japon.

  • Architecture et paysagisme

Les Japonais font le maximum pour amener la nature dans leurs maisons et dans les villes grâce aux plantes en pot hachiue, jardins, temples et sanctuaires.…

L’adoration de la nature qui caractérise les croyances animistes du shintô, l’anticonsumérisme et le parfum rustique du bouddhisme ascétique, jusqu’aux austères valeurs rurales du néo-confucianisme, ont contribué à la diffusion de valeurs sans rapport avec celles de l’urbanisme. Alan Mcfarlane, Enigmatique Japon

  • Vêtement

Durant la période Heian (794-1185) on pratiquait le koromogae changement de vêtements en fonction de la saison. Une femme devait savoir choisir les vêtements et en composer les couleurs. L’habillement consistait en l’art de la superposition juni-hitoe : un lourd vêtement de dessus et une douzaine de jupons de soie de différentes couleurs destinés à produire un ensemble original et séduisant…pesant environ 20 kg.

Encore aujourd’hui, les kimonos comportent des motifs représentant les fleurs de saison et leurs couleurs (couleur cerisier sakura iro, couleur pêche momo iro, couleur corête (jaune d’or) yamabuki iro, couleur raisin budô iro…).

  • Saisons et marketing

Pour attirer les visiteurs, des temples et sanctuaires se sont spécialisés dans la floraison hanadera ou hana no tera ou autres phénomène naturels.

Les marchands, de leur côté, accompagnent les gens dans l’attente exaltée d’une saison en commercialisant  des produits qui font allusion à celle-ci : emballage, arômes,  formes, noms…

momiji gâteau en forme de feuille d’érable

  • Art de la table

Les ouvrages en céramique tôgei, considérés comme le sommet de l’énergie créatrice artistique, ont les couleurs qui s’harmonisent avec celles de la nature et des saisons.

Pour Rosanjin Kitaôji (1883-1959), l’inventeur de la gastronomie bishoku, chaque récipient relatif à la cérémonie du thé ou à la dégustation de mets délicats, est pensé dans sa forme, sa texture et son décor, au gré des principes esthétiques d’harmonie avec la nature environnante et entre les convives pour un partage simultané de la beauté et de l’élégante simplicité. exposition L’Art de Rosanjin Musée Guimet Lyon

Bol aux motifs de fleurs de cerisier et feuilles rouges d’érable. The National Museum of Modern Art, Tokyo. © Yoneda Tasaburo

  • Washoku, la cuisine japonaise au patrimoine culturel de l’humanité

Le washoku, inscrit à l’UNESCO depuis fin 2013, est un moyen d’expression de l’esprit japonais de respect envers la nature et une coutume traditionnelle qui transcende les générations.
Le changement des saisons est marqué par les fruits et les légumes de saison, par des mets spéciaux…
Je dédierai des articles à part au washoku et à la gastronomie japonaise bishoku.

 

6/2021

LOUANGE DES OMBRES

°°°


[…] Toutes les ombres connues sont en quelques sorte colorées, jamais noires ou presque noires. Elles sont à l’évidence de nature lumineuse. […] Il est un fait que les ombres sont des couleurs tout aussi évidentes que des fragments de lumière. John Ruskin (1819-1900) écrivain, poète, peintre et critique d’art britannique.

OMBREs > MESURE DU TEMPS

Avant tout, l’ombre permet de mesurer le temps et avoir des points de repère dans la journée. Les moines et les voyageurs ont apporté de Chine le gnomonle plus ancien instrument d’astronomie formé d’une tige verticale projetant l’ombre du soleil ou de la lune sur un écran horizontal et permettant ainsi de mesurer leur hauteur au-dessus de l’horizon. Grâce aux ombres mesurées par celui-ci, les savants ont observé le retour des solstices.

 

OMBREs & ARCHITECTURE TRADITIONNELLE
L’architecture des maisons traditionnelles extérieur/intérieur est mise en valeur par les jeux d’ombres et de lumière. L’esthétique lumineuse du Japon ancien, fondée sur la patine ou l’obscure, s’oppose aux valeurs occidentales du flambant neuf et de l’éclairage artificiel.

 

–EXTÉRIEUR

  • Architecture

La maison traditionnelle japonaise nihon kenchiku est réputée pour sa simplicité et sa sobriété. Les murs blancs contrastent avec le toit noir qui à son tour contraste avec le ciel.

Les jeux d’ombres et de lumière constituent un élément marquant et subtil à la fois de l’architecture nippone. D’une part, les toits en saillie projettent de grandes ombres mais, d’autres part, leurs tuiles vernissées leur permettent de réfléchir à la lumière. Grâce à cet artifice artistique souligné par la nature environnante, on obtient une impression d’apesanteur ; la dureté des formes en est brisée. Au crépuscule et de nuit, des lanternes de papier de riz illuminent les puissantes murailles, créant un contraste supplémentaire et une impression de mouvement. Ryokan, Editions Könemann

  • Jardin

Le jardin japonais ne peut pas être traité comme une entité indépendante de l’architecture. C’est à lui seul que revient le rôle d’apporter la touche de couleur nécessaire aux bâtisses ; un jardin d’ombres et de lumière, où la verdure et les fleurs jouent avec la clarté du jour… excepté le jardin sec karesansui, jardin zen composé de pierres, de sable, de rochers ou de mousse.

Quel pays de verdures et d’ombre, ce Japon, quel Eden Inattendu ! Japon de Erwin Fieger

Le jour sur les fleurs
décline et sombre déjà
l’ombre des cèdres
Basho

–INTÉRIEUR

L’ombre que j’évoque ici se rapporte à la pénombre, au clair-obscure, au petit jour, à la demi-lumière…

Le livre culte à lire nécessairement lorsqu’on est passionné du Japon, c’est Éloge de l’ombre In.ei rai.san de Jun.ichiro Tanizaki (1886-1965), un grand esthète dont j’ai extrait des passages.

Alex Kerr, écrivain, collectionneur d’art, calligraphe et restaurateur de demeures anciennes japonaises, le cite dans son livre Le Japon perdu :

L’auteur y développe la théorie que l’art traditionnel du Japon est né de l’obscurité dans laquelle vivait sa population. Ainsi, les écrans dorés, qui paraissent clinquants dans un intérieur contemporain, furent conçus pour capter les derniers fragiles rayons de lumière se frayant un chemin dans la pénombre d’une maison japonaise.[…] C’est la pressions constante de cette obscurité qui a poussé les Japonais à créer des villes de néons et de lumières fluorescentes.

Les pièces des maisons traditionnelles sont maintenues pratiquement vides shitsurai.
C’est là que nos ancêtres se sont montrés géniaux : à l’univers d’ombre délimitant un espace rigoureusement vide, ils ont su conférer une qualité esthétique.

Leur décoration répond à une spécificité nippone, à savoir la poétique de l’élégance discrète wabi, de la patine sabi, qui sont des concepts venus de l’esthétique définie par les grands maîtres de cérémonie de thé du XVIe siècle. Vocabulaire de la spatialité japonaise, éditions CNRS.

Les surfaces intérieures sont modulables au moyen de parois coulissantes de différents degrés d’opacités (fusuma, shoji, sudare) qui rendent l’intérieur sensible à la lumière. Dans l’ombre, les couleurs neutres des murs et les matières – le bois, la paille des tatami, le papier de riz des shoji, la laque, la céramique, les objets dorés – génèrent des ambiance feutrées.

La beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire.[…]

Dans l’article du 11.02.2021 MON PREMIER CONTACT AVEC LE JAPON TRADITIONNEL, je vous ai décrit l’intérieur d’une chambre dans un temple bouddhiste shukubo avec un toit débordant au dessus de la terrasse engawa ce qui produit une ombre remplie d’effets esthétiques. De surcroît, les panneaux de papier blancs coulissants shoji une fois fermés, remplissent la pièce d’une lumière tamisée et le jardin est perçu que par l’imaginaire.

Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’en jeu de clair-obscure… En fait nous oublions ce qui nous est visible. Nous tenons pour existant ce qui ne se voit point.

L’ombre et la lumière se confondent, la clarté est estompée ce qui nous fait perdre la notion du temps.

[…] la nuance la plus exquise est la pale lumière du shoji dans le coin destiné à la l’étude ; un bref instant passé à la contempler suffit à me faire oublier le temps qui passe.

fusuma : portes de papier coulissantes servant à diviser l’intérieur ouvert d’une maison pour créer des pièces et couloirs, couvertes de plusieurs épaisseurs de papier solide
shoji : portes coulissantes en papier translucide sur un cadre de bois
sudare : stores de bambou
tatami : natte de sol tressée, sert d’unité de surface intérieure
engawa : un espace intermédiaire, d’un entre-deux autour duquel s’articulent et se superposent un dedans et un dehors.

Dès que le soleil s’incline sur les crêtes, je m’assieds tranquillement dans le soir. Pendant que j’attends la lune, je tiens compagnie aux ombres, puis, ayant allumé la lampe, avec l’ombre de mon ombre, je dispute du bien et du mal. extrait L’Ermitage de l’irréelle demeure, Matsuo Bashô (1644-1694)
OMBREs & ESTAMPES
L’ombre dans la peinture est employée pour élaborer le volume, modeler les sujets, créer du relief, animer le motif, rendre compte des effets de la lumière.

A l’époque Edo (1603-1868) surgit un mouvement artistiques comprenant la peinture populaire et les estampes gravées sur bois, dénommé ukiyo-e image du monde flottant

Dans les estampes, on compare la beauté des femmes à celle des fleurs de cerisiers, aux feuilles d’érables et autres merveilles de la nature. Les peintres qui ont rendu hommage à des beautés célèbres du quartier des plaisirs du Yoshiwara furent Utamaro, Eishi, Kiyonaga, Harunobu, etc…

Suzuki Harunobu (vers 1725-1770) fut le premier et le seul qui a peint l’ombre générée par la lumière solaire, témoignant ainsi de l’indication du temps.

© Domaine public, Suzuki Harunobu, jeune fille inclinant sa tête vers son ombre vers 1760
Les ombres chinoises, ou silhouettes aperçues derrière un écran, ont vu le jour grâce à Isoda Koryusai (1735-1790) qui a marqué son temps en juxtaposant deux espaces dehors/dedans, visible/suggéré créant ainsi un effet cinématographique (image non libre de droit). Par la suites, d’autres artistes ont suivi la tendance :
© Domaine public, Suzuki Harunobu Bijin sur une véranda . Estampe nishiki-e
Nishiki-e, aussi appelé Edo-e du nom de la période, consiste en l’impression d’estampes ukiyo-e utilisant de 5 à 10 couleurs (et autant de blocs d’impression), technique créée en 1765 par Harunobu Suzuki.
© Domaine public, Eizan, Geisha jouant une partie de Pierre-feuille-ciseaux kitsune-ken
Pleine lune sur les tatamis, Ombres des branches de pin Kikaku, série Cent Aspects de la Lune, Tsukioka Yoshitoshi ©Domaine public
Dans l’ombre des arbres
Mon ombre bouge
La lune d’hiver.

Shiki

5/2021

ELOGE DU PRINTEMPS  SAKURA NO HANA  HANAMI

°°°

Dans la culture nippone, les fleurs de cerisier suggèrent les connotations « claires » du printemps (la renaissance de la nature, la jeunesse, la force, la joie)  ou « sombres » (l’éphémère, l’impermanence de la vie, la mort, les samouraïs)…

Nous allons comprendre pourquoi ce symbole national occupe une place majeure sur le plan esthétique, religieux, paysager et culturel.

Hisakata no
Hidari nodokeki
Haru no hi ni
Shizu kokoro naku
Hana no chiruramu

Sous le soleil
Dont les doux rayons font un jour
De printemps si doux
Pourquoi d’un cœur inapaisé
Ces fleurs vont-elles tombant

Matsuo Bashô (1644-1694)

La fleur de cerisier sakura no hana, symbole du Japon

La fleur de cerisier sakura no hana fait partie des symboles du pays. Elle est glorifiée et admirée car pour l’âme et le sens esthétique des Japonais, elle représente la perfection. Elle est depuis toujours une source d’inspiration de milliers de poèmes waka (31 syllabes) et haïku (17 syllabes) et le symbole de l’impermanence des choses prônée par la religion bouddhiste. C’est pourquoi, elle a été adoptée comme emblème par les samouraï dont la vie était tout aussi éphémère que leur floraison.

© Domaine public, Utagawa Kuniyoshi

Nous ne vivons que pour l’instant où nous admirons la splendeur du clair de lune, de la neige, des cerisiers en fleurs et des feuilles multicolores de l’érable. Nous jouissons du jour, de l’ivresse du vin, sans nous laisser dégriser par l’indigence qui nous regarde dans les yeux. Emportés par ce courant, telles les citrouilles dans les eaux d’un fleuve, nous ne laissons à aucun moment le découragement s’emparer de nous. C’est ce qu’on appelle le temps qui coule, le monde qui passe.

Extrait Asai Ryoi Contes du monde éphémère des plaisirs

Un monde de douleur et de peine
Alors même que les cerisiers
sont en fleur
Issa (1763-1828)

L’esthétique du cerisier & shinto

Hanami regarder les fleurs est à la base un rite de purification et d’accueil des divinités shinto, religion polythéiste indigène. On accueil le kami, esprit de la nature qui descend de la montagne, vers le satoyama vallée cultivée pour devenir divinité des rizières et de la fertilité.

© Domaine public, Amaterasu

La divinité shinto Kono-hana-no-Sakya-Hime représente l’esprit des fleurs des cerisiers et le kami protecteur du Mont Fuji.

La voici, vêtue d’un kimono de cérémonie traditionnel porté par les dames de la cour à l’époque Heian (794-1185) dénommé junihitoe, composé d’un lourd vêtement de dessus kosode et une douzaine de jupons de soie de différentes couleurs destinés à produire un ensemble original et séduisant, pesant environ 20 kg.

Hanami était un passe-temps des aristocrates à la cour Heian qui s’est popularisé à partir de l’époque Edo (1603-1868).

La brise de printemps`
ne laisse pas les fleurs de cerisier
à ce monde flottant
elle les disperse
et ne cesse de les regretter
Saigyô (1188-1190), Vers le Vide, II Fleurs dispersées

Regarder les fleurs hanami c’est par excellence regarder les fleurs de cerisiers. Ici, non seulement concurrent toutes les dimensions de la vie sociale, mais s’entre-composent nature et culture : de la poésie à l’arboriculture, les paysages du cerisier ont en effet aussi bien modelé la sensibilité des japonais qu’engendré les vérités d’essences qui pouvaient les satisfaire. Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice Les japonais devant la nature

Il y a plus de 300 variétés de fleurs qui se divisent en deux groupes : yamazakura (yama montagne) et satozakura (sato villages). Au printemps, tous les moyens de communication, dont Kishocho l’agence de la météorologie nationale, annoncent chaque jour l’avancée du front des fleurs hana-zanzen qui remonte du sud de l’archipel.

© Domaine public
L’esthétique paysagère keikan bigaku

La nature est indissociable de la culture. Dès l’époque Heian(794-1185), l’esthétique paysagère s’est étendue aux jardins avec les pruniers ume et les cerisiers sakura.

Haru mo yaya
keshiki totonou
tsukuba to ume
Lentement le printemps
parfait son ambiance –
Lune et fleurs de pruniers

Matsuo Bashô (1644-1694)

L’un des patrimoine Unesco, est la montagne sacrée de Yoshino au sud de Nara. Site important du point de vue historique (lieu d’exil d’un groupe qui a lutté contre le shogun* pour rétablir l’empereur au XIVe), littéraire (Yoshitsune Senbon Zakura pièce célèbre de kabuki**) et religieux (lieu de la secte Yamabushi, du culte shugendō).

Le moine En no Gyoja, aussi appelé En no Ozuno (634-707), fondateur de la secte shugendō et première personne qui a effectué l’ascension du Mont Fuji, a gravé sur le tronc d’un cerisier la vision du Bouddha. Depuis on a planté en offrandes, des cerisiers sauvages de montagne yamazakura arrivant ce jour à plus de 30 000.

© Domaine Public, Yoshino

Aussi loin que porte le regard, on n’y voit que des cerisiers en fleurs, hormis ce qui, caché, reste invisible.

Sakari ja hana ni sokoro
uki-boshi numeri-
zuma
Pleine floraison des cerisiers –
Les bonzes deviennent des fêtards
et les femmes mariées séduisantes
Une fois qu’Edo devient la capitale (l’actuelle Tokyo), le shogun Tokugawa Iemitsu (1604-1651) a construit des temples et transplanté des cerisiers de Yoshino sur le site d’Ueno, formé d’une colline et d’un étang censés évoquer le lac Biwa dominé par le Mont Hiei, près de Kyoto. L’objectif de cette greffe de meisho**** est de créer des liens symboliques entre des lieux historiques des anciennes capitales impériales et Edo, ville sans passé glorieux. Le shogunat espérait ainsi enraciner sa légitimité et renforcer sa souveraineté. Vocabulaire de la spatialité japonaise, Editions CNRS
Cerisiers des monts
le vent a blessé leurs branches
il s’en va déjà
s’emparant de toutes les fleurs
comme s’il en était le maître
Saigyô (1188-1190), Vers le Vide, II Fleurs dispersées
shogun* : chef militaire
kabuki** : théâtre japonais avec des costumes stylisés et un jeu codifie joué que par des hommes
yamabushi*** : « ceux qui se prosternent dans les montagnes » ascètes montagnards et guerriers
shugendo**** : tradition spirituelle lié à l’ascétisme en montagne dont le but est le développement d’expériences de pouvoirs spirituels gen par la pratique vertueuse de l’ascèse shu. Religion syncrétique incorporant des aspects du taoïsme, du shinto, du bouddhisme ésotérique et du shamanisme japonais traditionnel.
meisho***** : lieu touristique célèbre
HANAMI Célébration collective et individuelle

Au printemps, lors de la fête de hanami (hana fleur, mi regarder, observer) ou sakurami (sakura cerisier mi regarder, observer) les Japonais se réunissent débordants de joie sous le poudroiement de pétales de pruniers ume et de cerisiers sakura, assis sur des bâches bleues buru shito, pour pique-niquer, chanter et boire du hanami-zake sake à regarder les fleurs.

Haru-kaze ni fukidashi
sarah hana
mogana
Toutes ces fleurs écloses
dans le vent printanier,
éclats de rire
Hanami coïncide avec la rentrée le 1er avril pour les écoles et les universités, le monde des affaires et des entreprises avec l’embauche des nouveaux recrus. C’est à la fois une célébration collective et individuelle car il permet l’insertion de l’individu dans un cadre social et culturel auquel il participe.

Hanami se déroule selon une dramaturgie sociale dans laquelle chacun est spectateur. Contemplateur… d’un paysage idéalisé par le spectaculaire décor des floraisons mise en scène dans l’espace public, et la nuit, intensifié par des éclairages ; … et acteur d’un scénario comportant un prologue, kaika (l’éclosion des fleurs) ; un acte central, hana-zakari, mankai (la pleine floraison) ; et un épilogue, hana fubuki (les pétales emportés par le vent, tombent comme la neige), ou bien hana-ikada (les pétales flottent sur l’eau). Vocabulaire de la spatialité japonaise, Editions CNRS

Autant le hanami que la météo capricieuse de printemps haru ont enrichi le vocabulaire « de saison » :

  • hanagumori : temps gris de fleurs, brume printanière
  • hanabie : temps froid au printemps, gelée printanière
Fleur de cerisier sakura NO HANAet gastronomie shokubunka

Les fleurs de cerisiers annoncent la venue du printemps et constituent de ce fait l’un des points culminants du calendrier gastronomique, non seulement en tant que produit de la terre mais aussi comme ornement ou motif.Ryokan, édition Könemann

Le thé est parsemé de fleurs de cerisiers, les gâteaux wagashi (gâteau mou, cuit ou sec) et sakura-mochi prennent toute les nuances de rose et les formes de pétales.

En 1979, la fédération des confiseurs japonais lance une campagne de promotion pour les gâteaux japonais avec la formule « les wagashi font partie de la culture japonaise », wagashi ha nihon no bunka「和菓子は日本の文化, et instituent le 16 juin comme jour des gâteaux traditionnels japonais. source

Bien évidemment, la vaisselle et toute la décoration s’harmonisent avec la floraison des cerisiers. La céramique tougei, les bols en laque nimonowanornés de fleurs de cerisiers sont des objets de grande valeur.

Yotsu-goki no
sorowanu
hanami-gokoro kana  
Admirer les fleurs
sans le service à vaisselle…
à ma convenance

Geisha et la danse des fleurs de cerisiers miyako-odori

A Kyoto, quartier de Gion, durant le mois d’avril de chaque année, 32 geishas* donnent 5 fois par jour un spectacle miyako-odori la danse des fleurs de cerisiers. J’ai eu la chance de pouvoir y assister lors de mon 1er voyage en 2012 et prendre des photos en cachette malgré l’interdiction. Sont restés gravés dans ma mémoire, les filles pleines de grâce vêtues de kimonos somptueux, la musique, les danses, les décors….

Le kimono de printemps représente les fleurs de cerisier avec des couleurs roses sakura iro.

geisha*: personne des arts, amuseuse ou compagnie professionnelle

© Domaine public

Yuki haru ya
tori naki uo no
me wa namida   

S’en va le printemps, ah –
chants d’oiseaux, le poisson
larme à l’oeuil

Matsuo Bashô (1644-1694)